Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne du mardi, un condensé de l’actualité utile de la semaine. Bonne lecture !
TRANSAT’ • Déclaration de paix commerciale sur l’acier
L’UE et les États-Unis sont parvenus à un accord sur la suspension des droits de douane sur l’acier et l’aluminium, annoncé samedi (30 octobre) en marge du G20 à Rome. Les bases d’un “accord mondial sur la sidérurgie durable” ont été annoncées, qui doit aussi permettre la décarbonation du secteur et la réduction des surcapacités, ce qui vise clairement la Chine (communiqué).
ART OF THE DEAL • Les États-Unis n’appliqueront plus — à partir du 1er décembre et pour deux ans — les droits de douanes supplémentaires décidés en application de la Section 232, en vigueur depuis 2018.
La suspension n’est cependant pas pure et simple : les exportations européennes en excès du quota annuel de 4,4 millions de tonnes demeurent imposées à hauteur de 25% en vertu de la section 232.
L’UE annonce qu’elle va proposer de suspendre les droits de douane instaurés en réponse. Les deux parties ont annoncé qu’elles mettraient en pause le contentieux devant l’OMC (Les Échos).
FIRE AND FURY • Épine dans le pied des relations transatlantiques depuis leur entrée en vigueur en 2018 — au nom de la sécurité nationale — ces tarifs douaniers (“tariff-rate quotas”, ou TRQs) ont donné lieu à une escalade de mesures de rétorsion ciblées, notamment contre les exportations de Harley Davidson, de whisky, et de bateaux à moteur. En conséquence, les exportations européennes à destination des États-Unis ont baissé de 50% depuis 2018 (FT).
These discussions were far from easy and this solution is not perfect. But it means we can move on from one of the most visible irritants imposed by President Trump.
— Valdis Dombrovskis, 31 octobre 2021
RABIBOCHING WITH UNCLE JOE • Si le réchauffement des relations franco-américaines demeure timide après l’affaire AUKUS, le rabibochage entre Bruxelles et Washington est plus franc.
En juin, européens et américains ont mis sur pause le différend commercial qui oppose Airbus et Boeing. Après la tenue de la première réunion du Trade and Technology Council (TTC) le 29 septembre, ce nouvel accord signe le retour de la “confiance et de la communication”, selon la présidente de la Commission européenne.
LONG TERM • À plus longue échéance — et au delà du différend commercial transatlantique — l’accord mondial sur la sidérurgie durable entend régler des problèmes de fond. Et faire ainsi d’une pierre deux coups: “accomplir des avancées majeures vers la neutralité climatique” et garantir “des conditions de concurrence équitable à nos industries” (communiqué).
ÉCOLOGIE • L’accord doit permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur de l’acier et de l’aluminium par l’imposition de standards environnementaux plus stricts. Les États-Unis et l’UE ont vocation à être rejoints par d’autres pays aux préoccupations environnementales similaires (like-minded countries).
FAIR TRADE • L’accord doit aussi promouvoir une concurrence loyale, en restreignant la réexportation d’acier dont le processus de fabrication est fortement polluant. Le président Biden parlait à Rome du “dirty steel” chinois (Politico).
Dans la veine du TTC, cette nouvelle initiative transatlantique vise clairement, mais sans le nommer, le régime de Pékin. En ligne de mire, la surproduction d’acier chinoise, entretenue par les subventions du gouvernement, qui alimente les difficultés structurelles d’un secteur qui emploie 3,6 millions de personnes au sein de l’UE.
POLOGNE • juges, astreintes et amendes
Pour un aperçu chronologique du dossier polonais, retrouvez les revues du 12 octobre, du 19 octobre et du 26 octobre.
Mercredi dernier (27/10), la CJUE a condamné la Pologne à une astreinte d’un million d’euros par jour pour se conformer à son arrêt du 14 juillet dernier, ordonnant la suspension des activités de la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise (notamment à l’encontre des juges défavorables au PiS).
RAPPEL À L’ORDRE • Pour rappel, la chambre disciplinaire de la Cour suprême a été créée par le Gouvernement PiS peu après son arrivée au pouvoir. Cette dernière ayant été considérée par les juges européens comme n’étant pas une juridiction indépendante, elle aurait dû cesser de fonctionner dès juillet.
Pourtant, elle est encore régulièrement saisie d’affaires disciplinaires concernant des juges connus pour s’être opposés aux réformes judiciaires du Gouvernement actuel.
RÉACTIONS • Du côté des États membres, certains perdent patience, dont le Premier ministre belge Alexander de Croo. Au cours d’un discours à Bruges devant les étudiants du collège d’Europe, ce dernier avait mis en garde son homologue polonais en l’accusant de “jouer avec le feu” en “partant en guerre contre ses collègues européens”.
L’ADDITION MONTE • L’astreinte imposée par la Cour intervient peu après celle qui condamnant la Pologne au paiement de 500.000 euros par jour pour ne pas avoir fermé la mine de Turów. Au total donc, 1,5 millions d’euros d’astreinte à payer tous les jours et un plan de relance toujours bloqué par la Commission européenne.
NGEU • En marge du dernier Conseil européen, le Président du principal parti d’opposition, Donald Tusk, semblait, semblait avoir obtenu de la présidente de la Commission la promesse de l’approbation prochaine du plan de relance. Ce qui aurait permis de mitiger l’impact sur la Pologne de son manque de discipline juridictionnelle. Pourtant les fonds n’ont toujours pas été libérés.
LA SUITE • Le gouvernement polonais peut mobiliser les récents arrêts du Tribunal constitutionnel en considérant les arrêts de la CJUE contraires à la Constitution et refuser de payer. Mais en cas de refus de payer une amende par un Etat membre, les sommes peuvent être directement retenues… sur les fonds européens.
Deuxième solution : supprimer la controversée chambre disciplinaire de la Cour suprême. Cette dernière ne constitue finalement qu’un rouage du système judiciaire mis en place par le PiS, sa suppression et son remplacement par une autre entité “apparemment indépendante” pourrait donc satisfaire Bruxelles et Luxembourg — dans un premier temps du moins.
Après l’escalade verbale de la semaine dernière, le Premier ministre Morawiecki a promis de se débarrasser de la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise d’ici la fin de l’année
COMMERCE • présidence française • CTEO
Vent de protectionnisme pour la présidence française du Conseil de l’UE
La France entend ralentir les négociations commerciales à l’échelle de l’UE. L’objectif, selon Bloomberg, étant de repousser la conclusion d’accords commerciaux après les élections présidentielles.
KIDNAPPING • Les diplomates français poussent fort pour geler les négociations avec la Nouvelle-Zélande et l’Australie, ouvertes en mai 2018, ainsi que la révision de l’accord avec le Chili, lancée en novembre 2017 (DG Trade).
Après la crise diplomatique provoquée par la conclusion de l’alliance AUKUS, Paris a déjà essayé de torpiller les discussions avec Canberra. Le G20 de Rome n’arrangera rien à l’inimité franco-australienne. Interrogé par un journaliste en marge du sommet dimanche (31 octobre), Emmanuel Macron a affirmé que le Premier ministre australien lui avait menti quant au contrat avec Naval Group (The Guardian).
COMPÉTENCES • Il ne faut pas surestimer l’influence que donne la présidence du Conseil de l’UE soulignait Pascal Lamy en juillet dernier. Lorsqu’un État membre préside le Conseil de l’UE, le ministre compétent dispose de pouvoirs procéduraux dans le cadre des discussions à 27, comme la maîtrise de l’agenda.
Pour rappel, l’UE dispose d’une compétence exclusive pour la conclusion d’accords commerciaux avec des pays tiers à l’UE (art. 3, TFUE) et les États membres de l’UE ne sont pas habilités à légiférer en la matière et les négociations sont conduites par les services de la Commission européenne (DG Trade).
SACRÉS FRANÇAIS • La présidentielle est un facteur explicatif important : entre crise énergétique et remise en cause de la primauté du droit européen, l’heure n’est manifestement pas à un agenda libre-échangiste.
Protéger les agriculteurs français de la concurrence de grandes nations agricoles telles que la Nouvelle-Zélande ou l’Australie ne pourra pas faire de mal à l’approche d’une élection présidentielle.
À Bruxelles, la plupart des États membres s’attendent à ce que la présidence française du Conseil marque un frein à l’agenda commercial des présidences allemande, portugaise et slovène.
La dynamique politique autour de l’autonomie stratégique a été perçue comme une percée protectionniste d’inspiration française dans de nombreuses capitales européennes plus ouvertes au libre-échange (Politico).
Publication du premier rapport sur la mise en oeuvre et l’application des accords commerciaux de l’UE
La Commission européenne a publié mercredi dernier (27 octobre) son premier rapport annuel sur la mise en œuvre et l’application des accords commerciaux (ici).
NEW JOB • Ce rapport fait suite à la création en 2020 d’un poste de responsable européen du respect des règles du commerce — ou CTEO, Chief Trade Enforcement Officer en English. Le premier CTEO engagé est M. Denis Redonnet (depuis juillet 2020 - communiqué ici).
L’objectif du CTEO : faire des accords commerciaux une réalité concrète, alors que les gouvernements signataires débordent toujours d’imagination pour contourner leurs obligations et favoriser leurs entreprises. Bruxelles entend faire en sorte que ses partenaires commerciaux appliquent bien les règles en usant de sa puissance commerciale.
FREE TRADE • Alors que les tarifs douaniers baissent grâce à la conclusion d’accords commerciaux, les barrières non-tarifaires sont dans le viseur de la Commission européenne.
Selon le premier rapport du CTEO, 66 pays ont érigé ou maintiennent 462 mesures constituant des barrières commerciales injustifiées, notamment des contrôles sanitaires et phytosanitaires (24%), des obstacles techniques au commerce (17%) ou des contrôles administratifs (9%). Ces barrières concernent à 43% les secteurs de l’agriculture et de la pêche.
Les pays les plus pointés du doigt sont la Chine, la Russie, l’Indonésie, les États-Unis, suivis par l’Inde et la Turquie.
RÉSULTATS • En 2020, la Commission européenne se félicite d’avoir utilisé ses instruments commerciaux pour obtenir le retrait de barrières au commerce. Sont citées en exemples des restrictions quantitatives affectant la feta en Egypte, ou encore d’une redevance douanière de traitement pour l’importation de nourriture en Jordanie.
GUICHET UNIQUE • La mise en place d’un guichet unique en 2020 (le SEP, ou Single Entry Point) permet aux entreprises européennes de s’adresser directement à la Commission lorsqu’elles sont lésées par le non-respect, par des pays tiers à l’UE, de leurs obligations dans le cadre des traités commerciaux qui les lient à l’UE. Le SEP permet un traitement rapide des différends qui peuvent naître, et d’engager rapidement des négociations avec les partenaires commerciaux de l’UE.
ÉCO • Bâle III, sursis stratégique ou calendes grecques ?
L’accord atteint en 2017 par le Comité de Bâle, qui est chargé de renforcer la solidité du système financier mondial ainsi que l’efficacité du contrôle prudentiel et la coopération entre régulateurs bancaires, devait permettre un effort réglementaire important pour sécuriser le système financier et empêcher une nouvelle crise de 2008. Son application progressive, qui devait s’étaler entre 2022 et 2028, vient d’être repoussée par l’Union européenne à 2025 après un décalage initial d’un an (portant l’application à 2023, donc) pour cause de Covid.
UN CADRE EXIGEANT • Le paquet réglementaire a vocation à réviser les exigences et le mode de calcul en matière de risque crédit, de risque opérationnel et de risque de marché. Il vise aussi à créer un “plancher en capital” (output floor), dispositif sur lequel les discussions se sont concentrées et qui limite les avantages que les banques peuvent tirer de l'utilisation de modèles internes pour le calcul des exigences minimales de fonds propres.
Dans les faits, dès 2010 un premier paquet de Bâle III (parfois qualifié de « Bâle 2.5 ») a été mis en œuvre, menant à augmenter considérablement la qualité et la quantité des fonds propres des banques européennes, avec une attention particulière portée aux institutions présentant un risque systémique.
REPORT CONCURRENTIEL • Lors d’une conférence de presse le 27 octobre, la commissaire européenne aux services financiers Mairead McGuinness, affirmait que les ambitions européennes n’ont pas diminué mais que la crise induit la nécessité de laisser aux banques, en particulier les plus petites, des marges pour financer l’économie. Un autre argument, technique, expliquerait ce report : le temps laissé aux banques pour adapter leurs systèmes d’information à la nouvelle réglementation d’ici 2025 serait insuffisant.
D’autres raisons plus fondamentales peuvent éclairer cette décision. D’une part, la Commission souhaiterait profiter de l’intervalle pour faire avancer la réforme menant à une union des marchés de capitaux, en difficulté. D’autre part, les Américains n’ont pas davantage traduit en droit interne le paquet de Bâle III finalisé, et l’UE ne voudrait pas désavantager son secteur bancaire face à la concurrence internationale. La balle est désormais dans le camp de la FED.
BREXIT • Escalade et désescalade sur les quotas de pêche
À Glasgow, Emmanuel Macron et Boris Johnson ont parlé environnement certes, mais également pêche et Brexit.
CONTEXTE • Dans le conflit larvé sur la mise en oeuvre de l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’UE, la question des quotas de pêche est un point de désaccord important. Les Britanniques semblent avoir une lecture bien plus restrictive de ce à quoi ils se sont engagés, alors que le gouvernement français entend bien montrer son soutien à un secteur fortement affecté par la sortie Royaume-Uni de l’UE.
ULTIMATUM • Face au refus britannique d’accorder des licences de pêche aux petits navires français, le gouvernement français devait mettre en oeuvre des mesures de rétorsion importantes ce lundi à minuit — interdiction faite aux navires britanniques d’accoster en France et multiplication des contrôles douaniers.
ET REPORT • Ces mesures ont été reportées au dernier moment par le gouvernement français, qui attendra d’en discuter ce jeudi avec les représentants du gouvernement britannique.
Nos remerciements aux rédacteurs de cette édition : Léo Amsellem, Hugues de Maupeou, Agnès de Fortanier, Thomas Harbor et tous ceux qui nous ont aidé pour cette revue. A mardi prochain !