Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne du mardi, un condensé de l’actualité utile de la semaine. Bonne lecture !
POLOGNE • les euro-panzers à Varsovie
Pour un aperçu chronologique du dossier polonais, retrouvez les revues du 12 octobre et du 19 octobre.
Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki accuse ce lundi (25/10), dans un entretien au FT, l’Union européenne de lui mettre un “revolver sur la tempe”, au risque de démarrer une “troisième guerre mondiale” dans le conflit qui l’oppose aux institutions européennes.
AMBIANCE • Cette nouvelle boutade polonaise intervient alors que Bruxelles se demande comment sanctionner la Pologne après la crise ouverte par la décision K 3/21 (07/10) du Tribunal constitutionnel polonais. Le porte-parole du gouvernement polonais a tenu à préciser qu’il s’agissait d’une “hyperbole” et ne devait pas être prise littéralement.
Le lexique martial est en vogue. Vendredi (23/10), la ministre de la justice hongroise faisait le parallèle entre les tanks de l’armée rouge et les “ambitions impériales de Bruxelles” à l’occasion de l’anniversaire du soulèvement de Budapest en 1956 (Twitter).
CAROTTE OU BÂTON • La semaine dernière, le PM polonais affrontait un Parlement européen très hostile (19/10) avant d’enchainer sur un Conseil européen (21 et 22/10). L’atmosphère était bien plus électrique à Strasbourg que dans les couloirs du Conseil européen. En effet, l’escalade verbale ne doit pas éclipser le fait que les européens ont clairement préféré le dialogue à la confrontation.
“Nous mesurons que nous avons à notre disposition des instruments juridiques, des instruments institutionnels qui soit sont déjà activés, soit qui peuvent l’être. Nous avons aussi considéré que le dialogue politique était nécessaire, qu'il devait se poursuivre avec l'objectif de trouver des solutions et de faire des progrès sur ce sujet essentiel.”
— Charles Michel, remarques après la réunion du Conseil européen
CONCESSIONS POLONAISES • Le PM Morawiecki a promis de se débarrasser de la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise, dont l’illégalité au regard du droit de l’Union avait engendré une guerre judiciaire entre la CJUE et les juridictions polonaises. Le PM polonais a réaffirmé maintes fois depuis la semaine dernière que la Pologne n’avait pas vocation à quitter l’UE.
PATIENCE EUROPÉENNE • Les chefs d’État européens, réunis en Conseil les 21 et 22 octobre, ont modéré les ardeurs de ceux qui voudraient que Bruxelles emploie la méthode forte contre Varsovie. La Commission européenne a annoncé vendredi (22/10) qu’aucune sanction financière ne serait prise avant que la Cour de justice de l’UE n’ait pu se prononcer sur la légalité du mécanisme de conditionnalité à l’Etat de droit créé en décembre 2020, qui permet de retenir les fonds européens en cas de méconnaissance de l’état de droit par un État membre. La Hongrie et la Pologne en contestent la légalité devant la CJUE.
LIGNES ROUGES • Le mécanisme de conditionnalité pourrait permettre à Bruxelles de suspendre les fonds de cohésion régionale qui bénéficient très fortement à la Pologne.
Question adjacente mais distincte du mécanisme de conditionnalité à l’état de droit, la Commission n’a toujours pas validé le plan de relance de 36 milliards d’euros dont la Pologne doit bénéficier dans le cadre du plan de relance Next Generation EU (NGEU). Pour Morawiecki, le retard de la Commission pour débloquer les fonds est une preuve de la discrimination dont fait l’objet la Pologne, alors que son Plan de relance a été soumis en mai. Pour rappel, la Pologne est le premier bénéficiaire net de fonds européens depuis son entrée dans l’UE en 2004, avec un total d’environ 200 milliards d’euros versés (Bloomberg).
En guise de réplique au blitzkrieg bruxellois, la Pologne pourrait utiliser son véto pour bloquer le paquet législatif phare de la Commission en matière environnementale (Fit for 55), alors que le pays est un important producteur de charbon.
La Commission avait laissé entendre, par la voix de Didier Reynders, son commissaire à la justice, qu’elle pourrait faire usage du mécanisme de conditionnalité sans attendre la décision de la Cour, sous la pression du Parlement européen qui menaçait d’engager une action en justice si la Commission ne faisait pas usage du mécanisme de conditionnalité.
DIALOGUE • La Commission a préféré le dialogue à une confrontation directe. De nombreux États membres se montraient plus réservés quant aux effets politiques de l’utilisation prématurée de ce bazooka financier — Berlin et la Paris appellaient de concert au dialogue avec Varsovie. Le ton était moins conciliant à Amsterdam, où le Premier ministre — surnommé le “Sheriff Rutte” (NRC) — a une ligne plus dure à l’égard de Varsovie.
Dans le même entretien au FT, le PM Morawiecki s’est dit très satisfait de ses discussions avec Emmanuel Macron, Angela Merkel et Ursula von der Leyen la semaine dernière en marge du Conseil européen sur la répartition des compétences entre l’UE et ses États membres, en cause dans la décision K 3/21 du Tribunal constitutionnel polonais. Angela Merkel a souligné, en amont du Conseil, que la question des compétences de l’UE ne se posait pas qu’en Pologne (FT).
ÉNERGIE • les prix et la taxonomie
Le prix de l’énergie au menu du Conseil européen
La hausse des prix de l’énergie était en haut de l’agenda du Conseil européen ce jeudi vendredi (21 et 22 octobre), mais les dirigeants des Etats Membres ne sont pas parvenus à un accord sur les réponses à apporter.
RIEN À SIGNALER • Les conclusions du Conseil européen se contentent de demander à la Commission une évaluation du fonctionnement des marchés du gaz et de l’électricité et de l’existence (ou non) de manipulations spéculatives sur le marché carbone (marché de l’ETS).
Cette nuit, un déclaration conjointe a été publié par neuf États membres, dont l’Allemagne, l’Autriche et Luxembourg — se positionnant contre une réforme des marchés européens de l’électricité et du carbone, alors que l’Espagne et la France poussent pour une réforme.
Therefore, we cannot support any measure that conflicts with the internal gas and electricity market, for instance an ad hoc reform of the wholesale electricity market.
Déclaration conjointe sur les prix de l’énergie — Publiée le 25 octobre
WHAT NEXT ? • Les chefs d’Etats sont donc ressortis avec un “accord minimal”, mettant en avant la diversité et les situations spécifiques des systèmes énergétiques de chaque pays. Le sujet est encore à l’ordre du jour aujourd’hui (26 octobre) au Conseil des ministres de l’UE à Luxembourg.
Les atomes crochus du nucléaire et de la taxonomie verte européenne
Les discussions sur le prix de l’énergie auront néanmoins permis de mettre en lumière le soutien d’une partie importante des pays européens à l’énergie nucléaire. Alors que la Commission se montrait plutôt indécise voire réticente à inclure le nucléaire dans l’acte délégué complémentaire de la la taxonomie verte de l’UE, la présidente de la Commission à lancé un signal positif pour la filière à l’issu du Conseil européen des 21 et 22 octobre.
EXPLICATIONS • La taxonomie vise à harmoniser la définition du terme “activité verte et durable” au sein de l’UE, et donc à distinguer ce qui est vert de ce qui ne l’est pas. Ces critères communs qui doivent permettre de savoir dans quelle mesure des activités économiques peuvent être considérées comme écologiquement durables, ce qui a des conséquences considérables à l’heure du green investing. Ces critères sont établis dans des actes délégués complémentaires, qui visent à mettre en œuvre le Règlement de juin 2020 sur la taxonomie verte de l’UE.
En juillet 2020, la Commission avait volontairement laissé de côté la question de la classification du nucléaire et du gaz qui soulève des contentieux politiques au sein des États membres en excluant ces activités du premier acte délégué. Au vu des oppositions de principe entre États membres, la Commission a lancé en 2020 des travaux approfondis visant à déterminer s’il convient ou non d’inclure l’énergie nucléaire dans la taxonomie des activités durables sur le plan environnemental dans l’UE.
COMMISSION SOUS PRESSION • Depuis lors, les pays pro-nucléaires, dont la France, font pression pour que cet acte soit publié. Alors que la semaine dernière, la Commissaire McGuiness annonçait un report de la publication à au moins 2022, la Commission européenne semble avoir changé de cap à l’occasion du sommet extraordinaire de jeudi 21 et vendredi 22 octobre.
Mais surtout, la présidente de la Commission s’est pour la première fois affirmée comme défenseur du nucléaire comme “énergie stable” et du gaz comme “énergie de transition”. En effet, une grande majorité d’États membres se sont positionnés en faveur de l’atome lors de ce sommet.
Le Président Emmanuel Macron a d’ailleurs déclaré : “Jamais au Conseil européen un soutien aussi clair et aussi large depuis 4 ans n’a été manifesté pour soutenir le recours à l'énergie nucléaire afin d’atteindre nos objectifs”. Des pays comme la Grèce, l’Irlande, les Pays-Bas, voire même l’Italie, qui ne font pas partie des affinitaires du nucléaire, ont fait connaître leur soutien.
BCE • auf wiedersehen Weidmann • hallo les stress-test climatiques
Un faucon quitte la Buba
À la tête de la Bundesbank depuis 2011, Jens Weidmann a décidé de présenter sa démission, mercredi dernier (20/10). Si celle-ci est officiellement pour “raisons personnelles”, elle donne à Weidmann l’occasion de marquer une dernière fois son désaccord avec la BCE quant à sa politique monétaire.
Dr. NO • Opposant historique d’une politique monétaire souvent jugée trop laxiste outre-Rhin, Jens Weidmann a particulièrement combattu la politique de taux d’intérêt négatifs pratiqués par la BCE, les achats d’obligations à grande échelle (le PEPP — 1 850 milliards d’euros) lors de la crise du Covid-19, le verdissement de la politique monétaire, et alerté sur les risques d’un retour de l’inflation. En démissionnant avant la fin de son mandat, Weidmann s’inscrit dans les pas de son prédécesseur, Axel Weber, qui a démissionné en 2011 en signe de protestation contre la politique monétaire de la BCE (Bloomberg).
WHO NEXT ? • Le président de la Bundesbank est proposé par le gouvernement et nommé par le président fédéral. En laissant son siège vacant avant la fin de son mandat, Jens Weidmann laisse à la prochaine coalition au pouvoir le soin de lui trouver un successeur pour un poste stratégique, tant les implications de la politique monétaire sont grandes pour le continent européen.
L’Allemagne se dirige vers une coalition inédite entre les sociaux-démocrates, les libéraux du FDP et les Verts, ce qui pourrait compliquer la nomination de son successeur. Le FDP s’est déjà prononcé pour la continuité avec Weidmann sur une ligne orthodoxe. Le SPD ou les Verts auront sans doute plus à cœur de proposer une ligne plus accommodante.
WHAT NEXT ? • La BCE doit décider en décembre de l’avenir de son gigantesque plan d’achats d’obligations PEPP, destiné à lutter contre la pandémie de Covid-19. Certains à la BCE veulent maintenir un rythme d’achat d’obligations soutenu une fois l’expiration du PEPP, ce qui ne plait pas du tout chez les plus orthodoxes (FT).
Quel que soit le nom du successeur de Weidmann à la Bundesbank, il est probable que les relations avec la BCE resteront tendues si l’institution dirigée par Christine Lagarde poursuit une politique monétaire trop expansive.
La BCE veut mettre les banques européennes au vert
La Banque centrale européenne (BCE) plaide pour l’adoption de plans de transition climatique juridiquement contraignants pour les banques de la zone euro.
ACCORD DE PARIS • Dans un discours prononcé le 20 octobre à l’occasion de la conférence de l'Autorité de surveillance des marchés financiers autrichienne, Frank Elderson, membre du directoire de la BCE et vice-président du conseil de surveillance de la BCE, a appelé le législateur à contraindre les banques de la zone euro à adopter des plans de transition climatique compatibles avec l’accord de Paris.
Néanmoins, il est peu probable que le législateur accède à ces requêtes. Les pouvoirs de la BCE sont limités par le droit européen et les droits nationaux. Et les législateurs n’ont pas communiqué sur leur souhait d’imposer de pareilles exigences aux banques.
STRESS TEST • Les problématiques environnementales s’invitent de façon croissante dans le secteur financier. Ces propos font écho au lancement des phases préparatoires la semaine dernière du stress test climatique de la BCE prévu pour 2022.
Cette évaluation aura notamment pour but d’évaluer l’exposition des banques aux entreprises polluantes, et la quantité de gaz à effet de serre financé par les banques. La BCE demande également aux prêteurs d’estimer l’impact d’une hausse importante du prix de la tonne de carbone sur une période de trois ans.
FISCALITÉ • la guerre transatlantique n’aura pas lieu
Suite à l’accord signé à l’OCDE concernant la taxation minimale internationale à hauteur de 15% des surprofits des multinationales, avalisé par 136 États, les Européens et les Américains sont parvenus à résoudre leur différends fiscaux nés de l’introduction d’une taxe digitale dans cinq pays européens de taxes sur le numérique — ou “taxe GAFA”. Ces États, dont la France, ont accepté de supprimer leurs taxes GAFA dès l’entrée en vigueur de la taxation minimale mondiale.
FRENCH TOUCH • La taxe GAFA française, votée en 2019, avait fait des émules puisqu’elle avait été suivi par des initiatives similaires en Italie, Espagne, Royaume-Uni et Autriche, voire en Inde et en Turquie. Au grand dam des Américains, qui la considéraient discriminatoire à l’encontre des entreprises américaines. La taxe française concernait ainsi 26 entreprises, dont une seule française (Criteo).
SANCTIONS UNILATÉRALES • Les États-Unis avaient alors sorti l’arme redoutée des sanctions commerciales à l’encontre de ces pays, tant pour solder le différend que pour prévenir une propagation à d’autres pays. Et ce alors même que le rendement de la taxe s’avérait modeste : en France, il représentait 3% du chiffre d'affaires, induisant des recettes d’environ un demi-milliard d’euros par an.
SÉQUENÇAGE • Les Européens étaient à la manœuvre depuis l’arrivée de l’Administration Biden aux affaires. Les mesures de rétorsion américaines sont levées avec effet rétroactif, alors que les taxes européennes resteront en vigueur jusqu’à la mise en œuvre de la taxation internationale négociée à l’OCDE. Tout au plus, les Européens devront rembourser rétroactivement (l’éventuel) excès perçu entre le niveau de la taxe GAFA et le niveau de la fiscalité minimale mondiale. Soit finalement l’exacte requête que le Président Macron avait négociée avec Donald Trump au G7 de Biarritz à l’été 2019, avant que ce dernier ne revienne brutalement sur sa décision.
Nos remerciements aux rédacteurs de cette édition : Battiste Murgia (bienvenue!), Léo Amsellem, Hélène Procoudine-Gorsky, Agnès de Fortanier et Thomas Harbor.