Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne du mardi, un condensé de l’actualité utile de la semaine. Bonne lecture !
POLOGNE • Morawiecki s’adresse à l’UE, semaine explosive en perspective
Ce mardi (19/10), le Premier ministre polonais est attendu au Parlement européen à Strasbourg, où il s’exprimera pour défendre sa vision de l’État de droit. Il croisera enfin ses collègues au Conseil à Bruxelles jeudi.
LETTRE OUVERTE • Mateusz Morawiecki a pris la plume lundi (18/10) pour s’adresser au Conseil, à la Commission et au Parlement européen, une dizaine de jours après la décision K 3/21, rendue par le Tribunal constitutionnel.
CONTRE-ATTAQUE • Dans un signe de provocation, le ministre polonais de la justice a indiqué, également lundi, qu’il demanderait au gouvernement d’introduire une recours en manquement contre l’Allemagne devant la Cour de justice de l’UE (FT).
Zbigniew Ziobro, qui n’est pas membre du parti du Premier ministre, affirme ainsi douter de l’indépendance des juges en Allemagne, ce qui justifierait selon lui le fait d’attraire Berlin devant la CJUE selon la procédure prévue à l’article 259 du TFUE.
NO POLEXIT • Dans sa lettre — disponible ici en anglais — Morawiecki commence par assurer que la Pologne demeure un « membre loyal » de l’Union européenne, reconnaissant la primauté du droit de l’Union sur les lois internes et l’autorité des décisions de la CJUE.
Cette clarification intervient alors que certains commentateurs évoquent déjà — un peu trop vite comme le souligne René Repasi pour EU Law Live — un Polexit implicite du seul fait du jugement.
MORAWIECKI GLOSSATEUR • Le Premier ministre polonais livre son analyse juridique et s’inquiète de la tendance des institutions de l’Union à « usurper » des compétences que les États membres ne lui ont pas confiées dans le cadre des traités.
L’article 5 du TUE prévoit en effet que l’Union n’agit que dans les limites des compétences attribuées par les États membres dans les traités. Les institutions de l’UE, avec la bénédiction de la Cour, s’éloignent parfois du principe d’attribution, avec pour conséquence le transfert implicite de compétences à l’Union.
“Unfortunately, today we are dealing with a very dangerous phenomenon whereby various European Union institutions usurp powers they do not have under the Treaties and impose their will on Member States per fas et nefas. This is particularly evident today as financial tools are being used for such a purpose.”
— Mateusz Morawiecki, le 18 octobre 2021
RELATIVISME CONSTITUTIONNEL • La décision du Tribunal constitutionnel polonais est inédite en ce qu’elle « signifie la volonté expresse de la Pologne de ne pas respecter les valeurs communes sur lesquelles l’Union européenne est fondée et que chaque État membre de l’Union partage avec tous les autres États membres », selon Francesco Martucci pour Le Club des Juristes. Cependant, l’anxiété de Morawiecki devant l’érosion de compétences n’a rien de nouveau ni de spécifiquement polonais.
L’introduction du principe de subsidiarité dans le traité de Maastricht (1992) comme le resserrement par le traité de Lisbonne (2007) de la clause de flexibilité — qui permet à l’UE d’intervenir là où elle n’a pas de compétence explicite — participent de cette volonté des États membres de limiter les transferts de compétences.
Certaines cours constitutionnelles ont développé des instruments de défense à l’égard du droit de l’Union : la Cour constitutionnelle fédérale allemande au nom des droits garantis par la Loi fondamentale, ou encore le Conseil constitutionnel lorsqu’est en cause un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France.
“The principle of the primacy of EU law covers all legal acts up to the level of statutory rank in the areas of Union competence. This principle, however, is not unlimited. In every country, the Constitution retains its primacy (…) The Polish Constitutional Court does nothing today that the courts and tribunals in Germany, France, Italy, Spain, Denmark, Romania, the Czech Republic or other EU countries have not done in the past. It is a well-trodden path of jurisprudence, which is by no means a novelty.”
— Mateusz Morawiecki, le 18 octobre 2021
Le hasard du calendrier veut d’ailleurs que le Conseil constitutionnel identifie pour la première fois un tel principe « inhérent à l’identité constitutionnelle de la France » dans une décision QPC du 15 octobre. Cette décision est importante, souligne Me Nicolas Hervieu, « elle manifeste la volonté du Conseil constitutionnel de contrôler les lois même lorsqu’elles sont dans le champ du droit de l’Union. En ces temps où le principe de primauté du droit de l’Union est âprement discuté, ce n’est pas anodin ».
ET MAINTENANT ? • La Commission n’a toujours pas approuvé l’enveloppe de 36 milliards d’euros destinée à la Pologne dans le cadre du plan de relance Next Generation EU (NGEU).
Bruxelles pourrait mettre en œuvre le mécanisme de conditionnalité voté en décembre dernier par le Parlement européen, qui permet de retenir des fonds européens en cas de méconnaissance de l’État de droit. À Berlin, on appelle au dialogue avant tout gel de fonds, alors qu’Amsterdam mène la charge pour une position dure vis-à-vis de Varsovie.
Le Parlement européen menace d’engager une action en justice si la Commission ne fait pas usage du mécanisme de conditionnalité. Les groupes PPE, S&D, Verts et Renew au Parlement européen ont préparé un projet de résolution, que s’est procuré Politico, demandant une action “urgente et coordonnée” de la Commission et du Conseil.
Pour rappel, la CJUE n’a pas encore rendu sa décision définitive sur la légalité du mécanisme, attaqué par la Hongrie et la Pologne (EU Observer).
ÉCOFIN • Les guerres de religion budgétaires
C’est une semaine importante pour les règles budgétaires européennes. La Commission doit lancer ce mardi une consultation sur la réforme du Pacte de stabilité et de croissance (PSC), qui impose aux États membres un déficit à 3% et une dette publique à 60% du PIB. Une fois la consultation terminée, la Commission devrait proposer une réforme des règles budgétaires au premier semestre 2023.
DETTE COVID • Les règles budgétaires sont suspendues depuis mars 2020 et l’activation par la Commission de la clause dérogatoire générale du PSC. En raison de la pandémie de Covid-19, les règles budgétaires ne seront pas appliquées de nouveau avant 2023. La dette publique a augmenté de 15 points par rapport à 2019 (FT).
Le Covid fut l’occasion pour les opposants historiques du Pacte de stabilité de pousser pour une réforme du Pacte de stabilité et de croissance. La consultation lancée cette semaine par le commissaire aux affaires économiques et monétaires Paolo Gentiloni doit être clôturée le 31 décembre, ce qui laisse peu de temps pour le débat budgétaire (POLITICO).
SIMPLIFICATION • Sur un plan technique, la consultation pourrait conduire à abandonner certains indicateurs trop compliqués à utiliser, comme l’output gap — écart entre le niveau observé du PIB et le PIB potentiel.
TOTEMS ET TABOUS • Le patron du Mécanisme européen de stabilité, Klaus Regling, se prononçait la semaine dernière dans les colonnes du Spiegel pour le maintien du critère des 3% de déficit budgétaire annuel mais pour une révision du critère de 60% de dette publique sur PIB. Ce dernier indicateur a perdu sa pertinence et doit être ajusté pour prendre en compte des circonstances économiques nouvelles, assure Klaus Regling.
La Commission n'entend évidemment pas réimposer aux États membres de tendre vers 60% de dette publique, au risque de casser la reprise économique et les investissements publics nécessaires à cette sortie de crise. La dernière crise financière nous a appris qu’une contraction budgétaire précoce pouvait faire bien plus de mal que de bien.
GUERRE DE RELIGIONS • Tout le monde n’en conclut pas pour autant qu’une révision du Pacte soit la conséquence nécessaire de la période économique actuelle. Les frugaux, tenants de l’orthodoxie budgétaire, considèrent que les flexibilités du Pacte, dont la clause générale dérogatoire mobilisée en mars 2020, suffisent.
L’Autriche, les Pays-Bas, le Danemark ou encore la Suède s’opposent aux velléités plus hétérodoxes de la France, de l’Italie ou de l’Espagne qui espèrent profiter de la pandémie de Covid-19 rebattre les cartes.
QUID DE BERLIN • Ces débats ont lieu alors que le FDP a formellement accepté, en fin de semaine dernière, de rejoindre les Verts et le SPD pour des négociations en vue de former une coalition traffic light après les élections du 26 septembre. Les trois partis ont fait campagne sur des promesses différentes en matière de fiscalité : discipline budgétaire et moins d’impôts pour le FDP, plus d’impôts et d’investissement public pour les Verts et le SPD.
Le FDP a vu ses desiderata fiscaux pris en compte. L’accord entre les hypothétiques partenaires de coalition opte pour conserver le debt brake, qui limite constitutionnellement la dette publique à 60% en Allemagne, ce qui était une promesse de campagne du FDP (Euractiv).
Le fait que le FDP ait la main haute sur la politique économique de la future coalition au pouvoir en Allemagne laisse penser que les frugaux, dirigés par l’Autriche depuis le coming-out fiscal d’Angela Merkel, auront de nouveau un allié à Berlin, ce qui devrait peser dans les négociations sur le Pacte de stabilité et de croissance.
TECH • Breton met le paquet sur les chips
Ces derniers jours, le commissaire au marché intérieur, Thierry Breton a mené un “tech & chip tour” dans quelques Etats tiers stratégiques, à savoir les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud (mais pas Taiwan), une première étape pour rattraper le retard industriel de l’UE sur la production des très stratégiques semi-conducteurs (les chips).
Cette tournée s’inscrit dans la stratégie annoncée dans le discours sur l’Etat de l’Union le 15 septembre de la Présidente de l’Exécutif européen, Ursula von der Leyen de renforcer la compétitivité, mais aussi la “souveraineté technologique” de l’Europe.
“Je m’inscris en faux contre ceux qui voudraient que l’Europe se concentre uniquement sur la recherche et le design, laissant la production aux acteurs asiatiques et américains. Une autonomie stratégique sans usine de production est vouée à l’échec. C’est ce que nous enseigne la pénurie actuelle. Transférer ou atténuer une dépendance asiatique vers une dépendance américaine – même si nous sommes des alliés – n’apporte aucune garantie quant à la sécurité d’approvisionnement. Nous l’avons vu dans les vaccins : les chaines d’approvisionnement ont été coupées au nom de l’America First.”
— Thierry Breton, sur Linkedin le 11 octobre 2021 (le lien est ici)
Malgré ces bonnes intentions, le European Chip Act que propose le commissaire Breton est loin de faire l’unanimité ; comme le souligne Contexte le projet aurait pour effet de “subventionner des entreprises internationales” - américaines ou asiatiques - comme Intel ou Samsung.
CONSULTATION • Les discussions du commissaire européen avec les autorités américaines s’inscrivent dans le cadre du Tech and Trade Council (TTC) qui fait l’objet, depuis lundi (18/10), d’une consultation publique en ligne pour “donner forme à la coopération transatlantique”, sur le site dédié Futurium.
Les parties prenantes (autorités publiques, entreprises, ONG, associations, chercheurs…) sont invitées à prendre part au débat par groupes de travail sur les dix sujets mis sur la table — parmi lesquels le climat, la data, ou encore le contrôle des investissements étrangers.
BREXIT • L’UE se prépare à riposter contre le Royaume-Uni sur le Protocole nord-irlandais
À la demande de la France, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Italie et de l’Espagne, la Commission européenne prépare un plan d’urgence en cas de suspension du Protocole irlandais (FT). Ces plans interviennent après une semaine d’escalade du conflit entre Bruxelles et Londres et une rencontre entre Maroš Šefčovič et David Frost à Bruxelles (communiqué).
CONTEXTE • Négocié et adopté avec l’accord du Brexit, le Protocole nord irlandais visait à orchestrer la sortie de l’Irlande du Nord de l’UE tout en évitant le retour d’une frontière physique avec le Sud de l'île, disparue depuis l’Accord du Vendredi Saint. Alors que le reste de la Grande-Bretagne a opté pour le Hard Brexit, Belfast est restée dans le marché unique européen afin de continuer de commercer librement avec Dublin.
Les produits arrivant en Irlande du Nord depuis le Royaume-Uni doivent donc respecter les standards européens. En pratique, cela crée une frontière douanière au sein du Royaume-Uni et les unionistes critiquent ce coup porté à l’intégrité du pays (Les Échos).
SECOND THOUGHTS • Depuis le mois de juillet 2021, le gouvernement britannique demande la renégociation du Protocole. Maros Šefčovič, Vice-Président de la Commission européenne, a accepté de réfléchir à des solutions, mais tout en restant dans le cadre du Protocole.
ET LA POLITESSE? • Grillant la priorité à la Commission qui devait présenter son plan pour réduire de 50% les contrôles douaniers et de 80% les formalités administratives (texte disponible ici), David Frost, chargé des relations avec Bruxelles côté britannique a proposé un nouvel accord mardi dernier (12/10) devant un parterre de diplomates réunis à Lisbonne (texte disponible ici).
LIGNES ROUGES • Il demande notamment la création d’un système d’arbitrage international, remplaçant la CJUE aujourd’hui compétente pour veiller à la bonne exécution du Protocole.
Pour Bruxelles, la compétence de la CJUE pour connaître de contentieux à propos du marché intérieur européen est une condition sine qua non (POLITICO).
The nub of the problem is that the EU rejects any treaty amendments, while the UK has said that it wouldn’t agree to anything less. For a compromise, one side has to move. Either the EU accepts that some textual changes are necessary, or the UK accepts that the jurisdiction of the ECJ is to stay in the Protocol. Neither side seems ready to back down on this point at present.
— Anton Spisak (Tony Blair Institute)
ET ARMES NUCLÉAIRES • Le Royaume-Uni envisage d’activer l’article 16 du Protocole, qui prévoit sa suspension en cas de “graves difficultés économiques”. L’UE se tient prête à riposter et envisage la restriction des approvisionnements énergétiques, l’augmentation des droits de douane, ou encore de mettre fin à l’accord de libre-échange conclu au lendemain du Brexit.
Nos remerciements aux rédacteurs de cette édition : Marine Sévilla, Agnès de Fortanier et Thomas Harbor.
À voir quand même pour la mainmise des "frugaux" du FDP, le SDP et les Verts ne vont pas non plus laisser Lindner seul sur ces enjeux là, surtout au vu des débats à travers l'Europe sur l'exclusion des dépenses vertes des critères tu PSC.
La zone Euro a besoin du pacte de stabilité pour avoir un objectif commun de politique économique si elle veut survivre dans le temps. Les pays d'Europe du Nord l'ont bien compris et en effet, lever la contrainte dans des périodes hors normes comme celle du COVID suffit. Si le pacte de stabilité devait être définitivement abandonné, c'est la porte ouverte au maintein des déficits et de la dette dans des pays comme la France où la théorie de l'argent magique remporte un vif succès... très dangereux!