Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne. Nous éditons le mardi (et le vendredi quand l’agenda des institutions est chargé) une newsletter documentée et lisible pour vous informer sur l’actualité européenne de la semaine.
JOE BIDEN — “Une occasion unique pour les Européens”, selon Enrico Letta, président de l’Institut Jacques Delors et ancien Président du conseil italien. L’arrivée de Biden à la Maison Blanche devrait signaler le retour d’un climat transatlantique plus apaisé après quatre années turbulentes. L’administration qui succédera à celle de Donald Trump est susceptible d’être en rupture en terme de politique étrangère et de coopération internationale sur le changement climatique, plus en ligne avec les objectifs européens et l’accord de Paris.
Cependant, un retour au statu quote ante-Trump est peu probable. Entre 2016 et 2020, le Président des États-Unis a traité l’UE d’ennemi (“foe”) et imposé des tarifs douaniers sur de nombreux produits européens, de l’acier au vin. Si le Commissaire européen au commerce envisage un “reboot” de la relation commerciale avec les États-Unis, il reste que l’UE doit encore imposer des tarifs douaniers sur 4 milliards de dollars de produits américains, dans le cadre de son contentieux à l’OMC sur la dispute entre Airbus et Boeing. Il est un peu tôt pour penser que des avancées significatives auront lieu sur la régulation des GAFAM, que ce soit en matière de protection des données, d’antitrust ou de fiscalité, vu les différences fondamentales de perceptions sur ces sujets.
Dans son message de félicitations au président-élu Biden, la chancelière Angela Merkel a déclaré que les européens devaient se prendre en main. Le message européen demeure bien que l’UE doit se doter d’une “autonomie stratégique”. Avec les turbulences du Trumpisme, la nouvelle rivalité systémique avec la Chine, l’émergence d’une volonté de souveraineté sanitaire européenne, et l’amorce d’une mutualisation de la dette, l’UE sort de la période 2016-2020 changée.
ANTITRUST — Amazon fait figure de premier de la classe en matière de RGPD mais ne passe pas sous les radars lorsqu’il s’agit de droit de la concurrence. Depuis juillet 2019, le géant fait l’objet d’une enquête de concurrence de la part de la Commission européenne et devrait recevoir aujourd’hui une communication des griefs signée par la Commissaire en charge de la concurrence, Margrethe Vestager, comme le révèle le FT ce matin (10 novembre).
En procédure européenne, la communication des griefs clôt la phase d’enquête menée par la Commission, fixe les accusations sur lesquelles l’entreprise devra se défendre in fine et ouvre la phase d’instruction. Comme a pu le préciser la Cour de justice de l’Union, c'est seulement après l'envoi de la communication des griefs, lors de la phase d’instruction, que l'entreprise concernée peut se prévaloir utilement de son droit à se défendre et avoir accès à tous les éléments sur lesquels la Commission fonde ses accusations. C’est donc à partir d'aujourd’hui, et dans le contexte délicat d’une réflexion européenne sur la régulation des Big Tech, qu’Amazon peut commencer à préparer sa défense.
D’après les révélations du FT, l'affaire porte sur le double rôle du détaillant en ligne, à la fois comme marché pour les vendeurs tiers et comme concurrent qui vend ses propres produits. Amazon pourrait abuser de sa position dominante en utilisant les données qu'elle recueille sur les commerçants, pour leur faire concurrence.
La dernière fois que la Commission européenne a mené une enquête de concurrence sur un GAFA, les sanctions pécuniaires se sont élevées à 8 milliards d’euros. Il s’agissait de Google, dans trois affaires distinctes. Cette communication de griefs devrait donc renforcer encore la réputation de notre Tax Lady, Margrethe Vestager.
BUDGET EUROPÉEN — L’épilogue du trilogue ? Verrait-on le bout du tunnel des négociations pour le paquet de 1 800 milliards d’euros sur lequel planchent les institutions et les États membres ? Le plan de relance, Next Generation Europe (NGEU), que l’on vous présentait la semaine dernière, est lié au budget à proprement parler, le cadre financier pluriannuel pour 2021-2017 (CFP). Autrement dit, pour que la Commission européenne puisse débloquer le plan de relance, il faut qu’Etats membres et Parlement européen se mettent également d’accord sur le CFP.
Le Parlement demandait jusqu’ici 39 milliards d’euros supplémentaires pour le CFP, lorsque le Conseil européen n’était disposé à accorder qu’un peu moins de 10 milliards d’euros. Cette semaine, il semble qu’un consensus émerge sur une rallonge 10 à 15 milliards d’euros supplémentaires, sur 7 ans. Les eurodéputés entendent obtenir des engagements précis sur la création de nouvelles ressources propres, c’est à dire d’impôts européens, qui viendront rembourser les 750 milliards d’euros levés dans le cadre du plan de relance européen (NGEU). Il a ainsi été convenu d’un calendrier précis pour la mise en place du travail législatif de ces ressources propres. Devront faire l’objet d’une proposition de la Commission d’ici l’été 2021 les propositions de taxes sur les géants du numérique et la taxe sur le marché du carbone.
Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, a annoncé ce lundi, dans une lettre aux dirigeants européens qu’il opposerait son veto au paquet si étaient maintenues les mesures de conditionnalité des versements de plan de relance au respect de l’État de droit, ce sur quoi un accord avait été trouvé jeudi dernier. Il est trop tôt pour espérer voir de la fumée blanche sortir des bâtiments officiels de Bruxelles.
THE BREXIT DIARIES – Hail the Lords ! Le Premier ministre britannique et la Présidente de la Commission européenne se sont entretenus par téléphone samedi, alors que la presse britannique avance que le Royaume-Uni pourrait se retrouver bien seul après l’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis (The Guardian, BBC News).
Toujours les mêmes deux sujets au menu de ces négociations : les poissons et le « safety net » en matière de concurrence. Malgré quelques annonces enthousiastes, les désaccords persistent. Le 1er janvier, le Royaume-Uni doit perdre les bénéfices des 44 traités commerciaux préférentiels conclus par l’UE, couvrant 77 pays en tout. Les négociations commerciales du Royaume-Uni avec le Canada et Singapour sont toujours en cours, alors que le gouvernement a déjà signé de tels accords avec le Japon et la Suisse.
Les négociations entrent dans une période critique, alors qu’un bras de fer britannico-britannique est engagé entre le Gouvernement et la Chambre des Lords sur le projet de loi sur le marché intérieur. Ce texte devait permettre au gouvernement de se défaire des dispositions relatives à la frontière irlandaise – le fameux backstop – signées dans le cadre de l’accord de l’année dernière avec l’UE. Les Lords votent ce lundi pour empêcher le gouvernement de faire ce volte-face contraire aux engagements internationaux du Royaume-Uni.
Lundi soir, le gouvernement semblait toujours jouer le bras de fer, annonçant qu’il réintroduirait les clauses en question si celles-ci étaient retirées de l’accord par les Lords. Mais cette attitude risque de compromettre la position britannique vis-à-vis du président-élu des États-Unis, fier de ses origines catholiques irlandaises et très attaché à la préservation de l’accord du Vendredi Saint.
SCHENGEN — Pour donner une réponse politique européenne aux enjeux de sécurité intérieure liés aux actes terroristes qui ont touché la France puis l’Autriche ces dernières semaines, Emmanuel Macron a remis au goût du jour le débat sur la réforme de Schengen — réforme qui est d’ailleurs en cours. Il propose en substance de créer un nouveau format de réunion pour assurer une coordination entre les ministres en matière de sécurité à l’intérieur de l'espace Schengen. Un format qui ressemblerait à celui de l’Eurogroupe sur le sujet de l’euro… et qui renforcerait l’“Europe politique”, un vieux projet schumanien.
Parallèlement, pour renforcer l’autonomie stratégique de l’Union, le 5 novembre, le Conseil de l’UE a défini les conditions générales selon lesquelles les pays tiers pourraient être invités, à titre exceptionnel, à participer à certains projets de la “coopération structurée permanente” (CSP). Cette ouverture annonce une coopération “plus ambitieuse” en matière de défense, main dans la main avec des États tiers.
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