RevUE du 8 décembre 2020
Brexit 🇬🇧 • Budget 💶 • Plan d'action pour la démocratie • BCE • Asie • Green Deal 🌿 • Geoblocking
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne. Nous éditons chaque mardi une newsletter documentée, précise et lisible pour vous informer sur l’actualité européenne de la semaine.
THE BREXIT DIARIES 🇬🇧 — “Make or Break”.
La conversation téléphonique d’une heure et demie entre le Premier Ministre britannique et la Présidente de la Commission européenne hier (07/12) n’a débouché sur aucun accord. Les négociations vont donc se poursuivre à Bruxelles jusqu'à mercredi, veille d'un sommet européen stratégique. Dans le FT, le Vice-Premier ministre irlandais se prépare à un no-deal alors que l’eurodéputée Nathalie Loiseau décrit une situation “acrobatique”.
Hier, alors que la Livre Sterling décrochait, le Premier ministre britannique a annoncé, sous condition d’accord sur le Brexit, la désactivation de la controversée Internal market bill. Ce texte aurait autorisé le Royaume-Uni à contrevenir à l’accord de retrait signé avec l’UE en janvier 2020, notamment à la frontière nord-irlandaise. La renonciation des Britanniques à violer les dispositions de ce traité international était peu susceptible de faire bouger les lignes, comme l’a démontré l’absence de compromis entre Johnson et Von der Leyen lundi.
Après les menaces de veto de Jean Castex à Boulogne-sur-Mer la semaine dernière, un groupe, ou “banc de pays” devrait-on dire, se détache : celui des États membres qui refuse qu’un agenda serré ne conduise à de trop généreuses concessions envers le Royaume-Uni. On y trouve la France, les Pays-Bas, le Danemark, l’Italie et l’Espagne, qui partagent la crainte que l’Allemagne, nageant à contre-courant, ne pousse à consentir à des concessions trop importantes (FT). À moins que celle-ci ne joue le “good cop”, auquel cas on assistera à un numéro de natation synchronisée devant le Conseil européen de jeudi (10 et 11/12).
Pour faire ratifier un accord de plus de 700 pages par les Parlements européen et britannique, la date fatidique demeure le 31 décembre. Si nous évoquions la semaine dernière la possibilité d’une extension via les “review clauses” (voir ici), Downing Street semble désormais exclure cette option, préférant brandir la menace d’un “no-deal”.
BUDGET — Orban, seul contre tous ?
Une semaine après l’appel d’Angela Merkel au compromis sur le paquet budgétaire, la Pologne semble prête à retirer son veto. Le Vice-Premier ministre polonais, Jarosław Gowin a en effet indiqué que son gouvernement serait disposé à accepter une déclaration contraignante, approuvée par les 27 chefs d’États, visant à assurer que le mécanisme de conditionnalité des fonds à l’État de droit soit utilisé « de manière transparente et équitable ».
Cette avancée est encourageante, mais la crise de l’État de droit n’est pas résolue :
Premièrement, le gouvernement polonais avance en ordre dispersé, comme le rapporte le quotidien polonais Gazeta Wyborcza. Certes, lit-on, le Vice-Premier ministre a reçu le feu vert du leader de facto de la Pologne, Jarosław Kaczyński, mais au sein du gouvernement polonais, certaines personnalités campent toujours sur leurs positions. En particulier, le Ministre de la justice a affirmé que “la déclaration du Vice-Premier ministre n’était pas compatible avec les intérêts polonais”.
Ensuite, il manque encore l’accord de la Hongrie. Or, comme le relève Le Figaro, Viktor Orban a rejeté cette éventualité en rappelant que “les Polonais se sont également engagés, nos deux pays ont signé une déclaration affirmant que la Hongrie et la Pologne se soutiendront mutuellement”.
Enfin, si les 27 parviennent à se mettre d’accord sur l’adoption d’une “déclaration contraignante” sur l’État de droit, on peut encore douter de l’efficacité d’un tel texte, les déclarations étant, en principe, dépourvues de tout caractère contraignant dans l’ordre juridique européen.
Si la réunion des chefs d’État et de gouvernements prévue cette semaine ne débouche pas sur un accord sur le paquet budgétaire, une des pistes privilégiées pour sortir de l’impasse serait la mise en place d’un “plan de relance à 25” par la voie de la coopération renforcée. Séduisante au premier abord, la procédure peut “alimenter le risque de désunion après le Brexit”, comme le rapporte La Libre Belgique.
DÉMOCRATIE - Nouveau plan d’action de la Commission.
Jeudi dernier (03/12), la Commission a communiqué son plan d’action pour la “démocratie européenne”, pour tirer des leçons de la crise liée au Covid-19. La pandémie a vu naître des “mesures d’urgence exceptionnelles” qui ont nui “au processus politique et, à certains endroits, ont suscité des inquiétudes quant à l’incidence sur la démocratie”. La Commission prévoit donc un arsenal de mesures pour protéger l’intégrité des élections, la liberté et le pluralisme des médias, ainsi que lutter contre la désinformation, à l’ère du numérique.
Quelles en sont les principales propositions ? S’agissant de l’intégrité des élections, la Commission indique notamment qu’elle entend présenter en 2021 une proposition législative sur “la transparence et le contenu politique sponsorisé” pour lutter contre le “microcriblage” et le profilage comportemental obtenus en violation des réglementations sur les données personnelles. Par ailleurs, la Commission souhaite élargir la liste des infractions pénales de l’UE contenues à l’article 83 du Traité (TFUE) pour juguler les discours de haine en ligne. S’agissant de la protection des médias, la Commission prévoit de soumettre une initiative pour “protéger les journalistes et la société civile contre les poursuites-bâillons”. Le texte prévoit enfin de lutter contre la désinformation liée au Covid-19, en réduisant notamment la monétisation de la désinformation liée à des contenus sponsorisés et en surveillant l’efficacité des politiques de modération des plateformes.
Certaines mesures font écho à de délicats débats nationaux — celui de la loi “Avia” en France qui a été invalidée par le Conseil constitutionnel — et semblent se chevaucher avec d’autres textes européens à venir : le Digital Services Act et le Data Governance Act. Affaire à suivre donc…
DOUTEUSES CRÉANCES - La BCE s’inquiète des prêts non performants 💸
Le président du Conseil de surveillance de la BCE, Andrea Enria, a fait part de son inquiétude face à une préparation inégale du système bancaire européen en raison de l’augmentation pendante des prêts non performants. Il a distingué lors de son intervention au Financial Times Global Banking Summit trois groupes de banques : un groupe ayant procédé à une évaluation par client des risques de défaut, un autre ayant seulement pris une provision générale, le troisième ayant adopté une approche “wait and see”.
Après Yves Mersch (membre du Directoire de la BCE) qui jugeait que les modèles internes des banques comportaient des hypothèses trop “roses” (25/11), la sortie d’Andrea Enria est un nouvel avertissement sur la solidité à moyen terme du système bancaire européen. Selon les modélisations de la BCE, un scénario particulièrement adverse ferait monter le total de non-performing loans à 1 400 milliards d’euros, soit plus que lors de la crise de 2008.
De manière générale, le superviseur européen pointe que les provisions bancaires en Europe sont pour le moment inférieures au niveau de 2008 et à celui d’autres systèmes bancaires, notamment le système américain. La décision d’autoriser à nouveau les banques à verser des dividendes (et de procéder à des rachat d’actions) qui devrait intervenir vers le 10 décembre promet d’être très discutée.
ACCORDS COMMERCIAUX - Nos amis de l’ASEAN 🌏
Lors la 23ème assemblée ministérielle entre l’Union européenne et l’Association des Nations de l’Asie du Sud-est (ASEAN) qui a eu lieu la semaine dernière, Josep Borrell (Haut Représentant pour les Affaires Étrangères) a officiellement annoncé le commencement d’un nouveau chapitre de collaboration entre les deux blocs, en élevant le statut de leur relation à celui de “partenaires stratégiques”.
Cette prise de parole intervient deux semaines après la conclusion d’un accord commercial entre les pays membres de l’ASEAN et 5 de leurs partenaires régionaux dont la Chine et le Japon: le Regional Comprehensive Economic Partnership (“RCEP”), l’un des plus importants ratifiés et représentant près de 30 % de l’économie mondiale. La Chine ressort tout particulièrement gagnante de cet effort de coordination, réaffirmant le rôle et l’influence du pays dans cette région tandis que les États-Unis s’étaient retirés des négociations sous l’administration de Donald Trump. L’UE est depuis longtemps en “dialogue” avec l’ASEAN, son troisième partenaire commercial en termes d’échanges de biens après la Chine et les États-Unis. Après que les négociations d’un accord sur le commerce et les investissements de région à région aient été interrompues en 2009, l’UE n’a conclu que des accords de libre échange bilatéraux avec les États de la région.
Avec une position envers la Chine qui reste floue et l’appel récent à un renforcement des relations transatlantiques avec les États-Unis, l’annonce de ce partenariat stratégique avec l’ASEAN souligne une certaine volonté de la part de l’Union européenne de se positionner au sein d’un ordre mondial en pleine mutation.
GREEN DEAL 🌱 – E(CT)xit?
Par la voix de Valdis Dombrovskis, et même si l’option réforme est privilégiée, l’éventualité d’un retrait européen du Traité sur la charte de l’énergie (Energy Charter Treaty) a été mise sur la table. Tel sera le cas si un alignement avec les objectifs du Green Deal et des accords de Paris n’est pas garanti suffisamment rapidement. Ce texte des années 1990 et l’espace de coopération qui lui est rattaché sont considérés comme trop protecteurs des énergies fossiles. Depuis longtemps, la gauche unitaire européenne et verte nordique encourage donc une sortie ; cette demande est portée aujourd’hui par un groupe de 169 scientifiques et leaders climatiques.
La Commission a donc publié en mai 2020 une proposition pour moderniser cet accord d’investissement international, afin de revoir la protection de certains investissements et le mécanisme de résolution des différends qui sont à présent considérés comme obsolètes. Plus largement, cette initiative témoigne d’une adaptation de la politique énergétique de l’UE enclenchée dès 2018 avec le paquet « énergie propre ».
En effet, et alors que la question climatique sera à l’ordre du jour du Conseil européen (10 et 11 décembre), l’objectif de réduction des émissions de 55% à l’horizon 2030 passera par une modernisation des politiques énergétiques, modernisation elle aussi source de tensions avec les pays d’Europe centrale et orientale. Qui plus est, ce processus d’adaptation s'inscrit nécessairement dans la durée car un retrait unilatéral de l’UE entraînerait l’activation de la sunset clause. En vertu de cette dernière, le traité décrié s’appliquerait encore pendant 20 ans pour les investissements en cours.
GEOBLOCKING — Netflix, bientôt au même prix en France et en Hongrie 🎬
Pour le régulateur européen, il n'y a aucune raison d'acheter ses chemises en ligne plus cher à Bucarest qu'à Paris. Cette pratique avait coûté 40 millions d’euros à la marque de prêt-à-porter Guess? en 2018, quelques mois après l'entrée en vigueur du règlement Geoblocking. Depuis ce règlement, l’Union européenne interdit les “restrictions géographiques injustifiées” à l'accès aux biens et services au sein de l'UE.
Aujourd’hui, l’interdiction concerne un grand nombre de biens sur le marché unique, qu’ils soient neufs ou d’occasion comme des vêtements ou les appareils électroniques, mais ne concerne pas les contenus protégés par des droits d’auteur, comme les films, les jeux ou les livres électroniques. Pour remédier à cela, la semaine dernière (30/11), la Commission a publié un rapport et un projet de révision du règlement européen sur le Geoblocking. Dans la droite ligne des projets de Thierry Breton pour un marché unique du numérique, la Commission envisage d’étendre le champ d'application du texte au secteur audiovisuel. Ce ne sera donc plus en France qu’on aura l’un des abonnements Netflix les moins chers d’Europe (comme l’avait remarqué Les Numériques).
BONUS+ — Une insoutenable envie de savoir ce qu’il va se passer au Conseil européen du 10 et 11 décembre? Les chefs d’État parleront notamment du vaccin, de réductions d’émissions de CO2, de lutte contre le terrorisme (vous pourrez suivre et retrouver ça ici). 👀
Cette édition de la RevUE a été rédigée par Alexandra Philoleau, Hélène Gorsky, Ghislain Lunven, Pierre Pinhas, Thomas Harbor et Agnès de Fortanier. Si vous voulez en savoir plus sur les rédacteurs de What’s up EU!, c’est par ici ▼
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