RevUE du 1er décembre 2020
Data Governance Act - Brexit 🇬🇧 - Mécanisme européen de stabilité - Dividendes - Libra - Dette - Asie - Chiffre de la semaine.
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne. Nous éditons chaque mardi une newsletter documentée, précise et lisible pour vous informer sur l’actualité européenne de la semaine.
DATA GOVERNANCE ACT — La Data sans frontières.
Libérer et valoriser en toute sécurité les données industrielles et publiques, pour mener les prochaines décennies de croissance économique en Europe, tel est l’ambitieux projet que décrit le Commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, lors de la conférence sur “le futur de la data” organisé par le think tank Bruegel. Dans le cadre de la stratégie européenne pour les données, le commissaire a dévoilé mercredi (25/11), une proposition de règlement sur la “gouvernance des données”, le Data Governance Act, qui fait désormais l’objet d’une consultation publique (à laquelle vous pouvez participer ici).
Fondé sur l'article 114 du TFUE, le texte propose d’harmoniser le cadre juridique du transfert de données au sein de l’UE et de limiter la propension des États membres à réglementer ces questions en ordre dispersé. Quatre mesures phares sont proposées pour “tirer partie de l'échelle du marché unique” :
la possibilité pour les entreprises de réutiliser facilement les données en provenance du secteur public pour répondre à leurs besoins commerciaux (ou non). Cela concernerait en particulier les données publiques, non personnelles (dont les données personnelles anonymisées), comme les données de santé anonymisées des hôpitaux sur le Covid-19 ou bien les données migratoires. Le texte ne prévoit pas de limites concernant le transfert de données en dehors de l'Union européenne ni d'obligation pour les sociétés de stocker leurs data sur le territoire européen. C'est ce que prévoit la Commission dans les Q&A (articles 3 et s. du règlement proposé) ;
le renforcement de la confiance dans les mécanismes de transferts de données en B2B : la Commission veut construire un modèle alternatif aux pratiques de traitement des données des Big Tech et propose un modèle fondé sur la "neutralité et la transparence" de "courtiers en données" (c'est l'expression consacrée). Ces derniers seraient soumis à une procédure de notification auprès des autorités avant tout transfert de données (articles 9 et s.) ;
la protection du Data Altruism : le texte proposé veut encourager “l'altruisme” en matière de données, c'est-à-dire le fait de mettre volontairement à disposition des données recueillies pour des projets d'intérêt général. Le texte prévoit un statut pour crédibiliser ces organisation data altruist (articles 15 et s.) ;
la mise en place d'une autorité, le European Data Innovation Board, et d'autant d'autorités nationales, pour coordonner le tout (articles 23 et s.).
Le prochain texte de la série règlementaire de Thierry Breton sur le numérique sort le 15 décembre et concerne la cybersécurité, le "European Cyber Shield". À suivre.
THE BREXIT DIARIES 🇬🇧 — Aucun accord sur un désaccord.
Mercredi dernier (25/11), la Présidente de la Commission européenne déclarait aux eurodéputés ne pas savoir s’il y aurait un accord à temps. Les négociations sur la pêche, les aides d’État, et le règlement des différends bloquent encore et toujours, alors qu’un accord doit être trouvé et ratifié avant le 31 décembre.
Désormais, les négociateurs sont en désaccord sur la façon de remettre à demain leurs désaccords, comme le souligne le FT. En cause, la mise en place d’une clause de revue, qui permettrait la mise en œuvre du Deal en l’état dès le 1er janvier, remettant à plus tard la négociation des clauses débattues. Les Britanniques proposent une période de 4 ans, à l’issue de laquelle l’UE examinerait si le Royaume-Uni s’est comporté de manière déloyale par rapport à ses engagements en matière de concurrence, pour le cas échéant, répliquer avec des tarifs douaniers. Pas question pour l’UE, qui considère que des tarifs douaniers ex-post sont une bien modeste contrepartie par rapport au risque de divergence réglementaire.
Rappelons que les services financiers, grands oubliés des négociations (ce ne sont que des accords ad hoc, et donc en dehors du fameux Deal) contribuent au PIB britannique à hauteur de 132 milliards d’euros, soit 200 fois ce que représente la pêche des bateaux européens dans les eaux britanniques (650 millions d’euros). Pour les travailleurs des docks, admettons-le, un accord ad hoc irait mieux aux pêcheurs qu’aux traders 👀.
MÉCANISME EUROPÉEN DE STABILITÉ — Là, il y a un accord.
Les ministres des finances de l’Eurogroupe ont finalisé, ce lundi (30/11) la réforme du Mécanisme européen de stabilité (“MES”), après un an de négociations perturbées par l’opposition de l’Italie et la Covid-19.
L’accord fait du MES le filet de sécurité (“backstop”) au Fonds de résolution unique (FRU) qui doit intervenir en cas de faillites bancaires, et alimenté par le système bancaire. Cette réforme permettra de débloquer des fonds supplémentaires (publics) du MES au cas où le FRU serait à sec. Créé en 2012 par les 19 États Membres de l’eurozone, le MES peut faire deux choses : accorder des prêts aux États en difficulté et acheter des obligations souveraines. Pré-Covid, la réforme butait sur les réticences de l’Italie, dont le gouvernement voyait d’un mauvais œil la conditionnalité attachée aux déboursements du MES.
Le backstop devrait être effectif en 2022, soit deux ans plus tôt que prévu. L’accord doit encore être ratifié par les parlements des États membres pour entériner la refonte du traité MES. Il s’agit d’une étape importante dans la construction de l’Union bancaire.
MONNAIES DIGITALES — Coup d’envoi de la course des monnaies digitales
Alors que les Européens développent leur euro digital, en vue duquel une consultation publique a été lancée par la BCE jusqu'en janvier 2021, les 27 entreprises fondatrices de l’association Libra, entendent lancer leur monnaie digitale (le Libra) en janvier 2021.
À son lancement en juin 2019, cette monnaie digitale devait être garantie par des actifs (au sein de la réserve Libra) composée à 50 % d’actifs libellés en dollars et, entre autres, à 18 % en euros. La version révisée ne mentionne que le dollar américain comme devise de réserve. Dans sa première mouture, les régulateurs européens s’étaient émus du risque de “substitution de monnaie” que la réserve Libra faisait peser sur l’euro. Imaginez 2 milliards d’utilisateurs utilisant la nouvelle devise Libra, et l’association Libra achetant pour 18% du total des actifs libellés en euros au sein de la Réserve...
La course des monnaies digitales est ouverte, et les Banques centrales entendent faire partie du jeu, sous l’impulsion de la Banque centrale chinoise (PBoC) l’analyse l’économiste Nathalie Janson dans cette note pour l’Institut Sapiens. Avec cette dernière annonce, le Libra laisse un peu de répit à la BCE pour consulter et tester avant de déployer son euro digital, dont les plans ont été précipités par l’annonce au printemps 2019.
SECTEUR BANCAIRE — Dividendes ou pas ? 💸
Yves Mersch, membre du Directoire de la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé mercredi dernier l’assouplissement de l’interdiction des dividendes bancaires à partir de 2021 (FT). Pour le Luxembourgeois, l’interdiction générale ordonnée par la BCE le 27 mars 2020 manque de base légale et un examen au cas par cas devrait reprendre, en fonction de la solidité financière de chaque institution. Alors que d’autres autorités prudentielles ont d’ores et déjà annoncé la reprise des dividendes (Suisse et Suède), des avis divergents s’expriment au sein de la BCE, Luis de Guindos (Vice-Président) ayant exprimé des réserves tandis que François Villeroy de Galhau a annoncé y être favorable.
La suspension des dividendes a permis de préserver 30 milliards d’euros de fonds propres bancaires. Elle avait été décidée en parallèle d’un assouplissement des exigences de fonds propres par la libération des « coussins » prudentiels constitués en haut de cycle. Le régulateur voudrait éviter que les banques ne se servent de ces capitaux libérés pour servir leurs actionnaires alors que la revue de stabilité financière de novembre souligne les risques d’une multiplication des prêts non performants à venir, en particulier lorsque les garanties d’État seront levées.
La BCE devrait prendre une décision vers le 10 décembre, après la publication de ses prévisions économiques. Dans le cas d’un assouplissement, les modèles internes des banques seront au centre de l’attention : c’est leur examen par le régulateur qui déterminera le cas échéant si la banque peut verser un dividende. Or, Yves Mersch avertit que ces modèles utilisent des hypothèses macroéconomiques encore trop “roses” (rosy scenarios). Plus largement, la complexité et la dépendance de ces modèles aux agences de notation est un problème structurel de la régulation bancaire.
DETTE — Free Lunch 🍔
La semaine dernière et pour la troisième fois depuis la mise en place du programme SURE, les “social bonds” émis par la Commission ont suscité une forte demande, dépassant de nouveau largement l’offre (AGEFI). En parallèle de ces emprunts communs réalisés par l’Union, les États Membres ont considérablement augmenté leurs émissions nationales afin de financer le reste des politiques économiques mises en place depuis le début de la crise sanitaire.
Malgré de tels niveaux de dette, les taux d’intérêt auxquels empruntent les États européens sont restés relativement stables, traduisant la demande soutenue des investisseurs obligataires. Les obligations à 10 ans de l’Italie sont ainsi aujourd’hui à 0,6%, contre 2,3% au maximum au mois de mars. Qui achète cette dette ? Selon un rapport publié par la Banque de France, l’essentiel des emprunts a été absorbé par la BCE dans le cadre des programmes d’achat d’actifs (CSPP, PSPP et PEPP), suivi des investisseurs institutionnels. En comparaison avec la crise financière, les investisseurs étrangers n’ont qu’assez peu participé aux ventes. Ils représentent 10,4 % du total, contre 18 % en 2008.
En termes d’émissions de dette, 2021 s’annonce chargée pour financer les plans de relance européen et nationaux. L'UE est en passe de devenir l’un des plus gros émetteurs mondiaux comme souligné par le FT, avec 196 milliards d’euros émis rien qu’en 2021, juste derrière la France, l’Allemagne et l’Italie en Europe. Les États Membres devront continuer à émettre de la dette nationale pour financer leurs dépenses courantes. Dans un tel contexte, le maintien de conditions favorables d’emprunt est une question stratégique. La BCE devrait se prononcer sur la poursuite de l’expansion de son bilan lors de la réunion du Conseil des gouverneurs, prévue le 10 décembre.
RCEP — Renouveau stratégique en Asie-Pacifique.
L’UE pourrait-elle être une gagnante indirecte du Partenariat régional économique global (RCEP) ? Ce traité de libre-échange, signé par quinze pays d’Asie-Pacifique, a été présenté comme une victoire pour la Chine et le Japon, et comme une défaite pour l’Inde et les États-Unis. Il est aussi important de rappeler que cette initiative est le fruit d’un engagement initial des dix pays de l’ASEAN. Mais quid de l’UE ?
Même si les effets semblent modestes pour l’UE, Josep Borrell n’a pas hésité à se réjouir d’un nouvel accord faisant la promotion d’un “commerce libre et juste”. Une diminution des tarifs douaniers, hors produits sensibles, une protection des droits de propriété intellectuelle et une uniformisation des règles d’origine commune sont à saluer. Mais aucun des vingt chapitres n’est consacré à la protection des travailleurs ou de l’environnement, nouveaux porte-étendards des traités commerciaux défendus par Bruxelles. En outre, le Haut Représentant rappelle que l’UE a déjà signé des accords de libre-échange plus ambitieux avec la Corée du Sud, le Japon, Singapour et le Vietnam, et que des négociations sont en cours avec l’Australie, l’Indonésie ou la Nouvelle-Zélande.
De ces observations découle le sentiment d’une présence européenne indispensable dans un espace “Indo-Pacifique” qualifié de “région d’importance stratégique” par le commissaire espagnol. Un engagement européen dans l’Indo-Pacifique paraît donc essentiel afin de ne pas transformer le RCEP en sanctuaire de la puissance industrielle et commerciale chinoise. Un tel défi réintroduit aussi en filigrane l’idée d’autonomie stratégique, toujours au coeur des débats européens, alors que les États-Unis s’étaient éclipsés de la région sous la présidence Trump. Dès lors, l’accord servira-t-il de catalyseur pour renforcer la coopération transatlantique, comme le souhaite Manfred Weber, ou d’argument en faveur d’une plus grande autonomie stratégique ? La balance semble pencher vers la première option au regard de la main tendue par la Commission à Joe Biden vendredi.
LA CLASSE (ACTION) EUROPÉENNE
Le 24 novembre dernier, le Parlement Européen a annoncé que les consommateurs européens pourront bientôt intenter leurs “class actions”. Aujourd’hui, seuls 19 membres de l’UE (dont la France) disposent du mécanisme de l’action collective. Désormais, chaque États qui devra mettre en place des procédures permettant de protéger les intérêts collectifs des consommateurs. A minima, les législations nationales devront permettre que des entités qualifiées, satisfaisant à des critères d’indépendance et poursuivant un but non-lucratif, soient en mesure de défendre les droits des consommateurs. Ces actions collectives auront pour objectif d’obtenir une injonction en vue de la cessation d’une pratique ou une indemnisation du préjudice de masse. La directive a également vocation à favoriser les recours “transfrontières”.
Depuis le Traité de Maastricht, l’Union européenne, partage sa compétence en matière de protection des consommateurs avec les États membres. Elle y a considérablement contribué s’agissant de la protection des passagers, de la consommation de médicaments, de services médicaux ou encore s’agissant de la sécurité des aliments. Avec cette nouvelle directive, c’est l’accès à la justice des consommateurs qui est visé.
Le rapporteur du texte, Geoffroy Didier (PPE), a tenu à préciser que la directive ne venait pas importer dans l’Union “les dérives du système américain” et que des garde-fous étaient prévus, comme le principe du “perdant-payeur” en vertu duquel le perdant au procès devra prendre en charge les frais de procédure de la partie gagnante. Il faudra cependant s’armer de patience avant de pouvoir bénéficier de ces nouvelles règles. À partir de la publication du texte au Journal Officiel de l’Union, les États membres ont deux ans pour transposer la directive.
BUDGET — La guerre de tranchées continue. Aucune percée cette semaine s’agissant de l’adoption du Cadre financier pluriannuel (“CFP”) et du Plan de relance (“NGEU”), alors qu’Angela Merkel appelle ce lundi (30/11) au compromis.
Le 26 novembre, les Premiers Ministres Orbán et Morawiecki ont solidairement réaffirmé leur volonté d’user de leur droit véto si le règlement conditionnant le bénéfice des fonds européens aux respect de l’État de droit n’était pas revu. Récemment, le Commissaire Reynders évoquait “plusieurs solutions” pour sortir de l’impasse, soulignant que ni la Commission ni le Parlement n’avaient l’intention de revenir sur le mécanisme de conditionnalité. C’est à la présidence allemande du Conseil européen qu’il appartient de trouver une solution, à défaut d’abandon des prétentions polono-hongroises.
L’Allemagne serait-elle en train de vaciller ? Lundi soir, la Chancelière allemande appelait à un compromis, admettant que par le passé le mécanisme de conditionnalité avait pu comporter “un certain nombre d’ambiguïtés” rendant l’accord difficile aujourd’hui. La stratégie des autorités hongroises et polonaises pourrait s’avérer dangereuse : elle décrédibilise les deux États sur la scène européenne tandis que sur le plan interne, le Fidesz et le PiS risquent d’aliéner une partie de leur électorat, durement touché par la crise du Covid, et ce alors que les fonds européens retenus en otage représentent 4,5 % et 3 % de leurs PIB respectifs.
LE CHIFFRE DE LA SEMAINE — Le chômage des jeunes au sein de l’UE. Bruegel s’intéresse (ici) au chômage des 15-24 ans dans le cadre de la pandémie de Covid-19. En août 2020, il était de 20 % en France (19 % en 2019), 6% en Allemagne (5 % en 2019), 42 % en Espagne (32 % en 2019). Le taux de chômage des 15-24 ans est trois fois supérieur au taux de chômage des plus de 55 ans au sein de l’UE.
Cette édition de la RevUE a été rédigée par Alexandra Philoleau, Hélène Gorsky, Ghislain Lunven, Pierre Pinhas, Thomas Harbor et Agnès de Fortanier. Vous voulez en savoir plus ? C’est par ici ▼
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