RevUE du 24 novembre 2020
Crise du budget, Brexit, BCE, conquête de l’espace 🛰, paquet d’automne 🍂, Antitrust, politique industrielle, LGBTQ et Green Deal (et un bonus)
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne. Nous éditons chaque mardi une newsletter documentée, précise et lisible pour vous informer sur l’actualité européenne de la semaine.
RULE OF LAW OR RULING BY VETO? — Le budget européen à l’arrêt. Fermement opposés à l’adoption définitive de l’accord provisoire conditionnant l’accès aux fonds européens au respect de l’État de droit — un “chantage politique”, les Premiers ministres hongrois et polonais ont fait usage de leur droit de veto, bloquant l’adoption du prochain Cadre Financier Pluriannuel (“CFP”).
Cette décision a déclenché une crise politique sans précédent. La cause polono-hongroise a même été ralliée par la Slovénie, qui s’est depuis ravisée. Son Premier Ministre, Janez Jansa, qualifiait le mécanisme de conditionnalité de “discrétionnaire” et l’accusait de reposer sur des critères politiques. De son côté, le secrétaire d’État chargé des affaires de l’UE en France, Clément Beaune, a affirmé que la France ne renoncerait “ni à la relance, ni à ses valeurs”. Věra Jourová, vice-présidente de la Commission en charge des valeurs et de la transparence, a pour sa part tenu à rappeler que le mécanisme de conditionnalité controversé ne visait aucun État membre en particulier et qu’il ne s’agissait en aucun cas d’une proposition idéologique.
Le sujet n’a été abordé que brièvement par les chefs d’États par vidéoconférence jeudi soir et sera probablement abordé à nouveau lors des réunions des 10 et 11 décembre. Malgré l’impasse, Angela Merkel compte sur le dialogue pour convaincre ses homologues hongrois et polonais. Manfred Weber (PPE) s’est exprimé en début de semaine dernière pour tenter de rassurer les États les plus sceptiques en soulignant qu’en tout état de cause, la CJUE serait l’instance de décision finale en cas de mise en œuvre du mécanisme de conditionnalité.
BREXIT DIARIES 🇬🇧 — “Connection instable”. Un négociateur européen a été testé positif à la Covid-19. Préméditée ou non, cette infection force à des discussions par visioconférence. Lundi soir, le FT révélait que les négociateurs réfléchissaient à introduire des “review clauses” pour sortir de l’impasse. Ces clauses permettraient de signer l’accord, en gardant la possibilité de renégocier certaines clauses du deal.
Depuis plusieurs semaines, le discours est le même : des progrès substantiels ont été effectués mais des divergences importantes persistent (pêche, aides d’État, règlement des différends). Si un accord est trouvé, il devra être traduit dans les 24 langues officielles de l’UE, et voté en Grande-Bretagne comme au Parlement européen, en session plénière lors de la semaine du 14 décembre. Certains députés européens n’entendent pas que le vote ne soit qu’un “coup de tampon”comme l’a souligné Manfred Weber (PPE), ou Rishi Sunak, le Chancelier de l’Échiquier, qui mettait en garde ce dimanche contre l’acceptation d’un compromis à tout prix.
Les commentateurs soulignent que passé le 30 novembre, les chances de ratifier l’accord avant le 31 décembre seront quasiment nulles. En toute hypothèse, une application provisoire, évoquée vendredi dernier, pourrait permettre d’attendre la ratification du texte. Ce week-end, le Canada et le Royaume-Uni ont signé un accord commercial calqué sur les termes du CETA conclu entre l’UE et le Canada, qui entrera en vigueur le 1er janvier...
BCE - Lagarde dit non aux annulations de dette, Weidmann refuse la neutralité carbone. La présidente de la Banque Centrale était questionnée par les eurodéputés jeudi dernier au sujet d’une potentielle annulation des dettes gouvernementales détenues par la BCE, une proposition avancée par certains États membres si les déficits budgétaires largement creusés par la crise du Covid venaient à atteindre un niveau insoutenable. Clairement, Christine Lagarde a rejeté cette possibilité, l’article 123 du TFUE interdisant à la BCE de financer le déficit budgétaire des États Membres.
À part ça, la BCE peut-elle jouer un rôle plus politique ou doit-elle rester neutre ? Certains la verraient soutenir la réduction des inégalités (helicopter money), d’autres la voient lutter contre le changement climatique. Un rapport publié récemment par Greenpeace a souligné l’un des effets secondaires de la neutralité appliquée par la BCE dans le cadre de ses achats d’obligations d’entreprises (CSPP). Les “gros pollueurs” étant de gros acteurs du marché obligataire, les achats de la BCE ont tendance à financer des activités à forte empreinte carbone.
Au directoire de la BCE, l’idée de la neutralité carbone a fait quelques partisans. Ce n’est pas le cas de Jens Weidmann, le président de la Bundesbank qui rappelle dans le FT que c’est aux gouvernements de combattre le changement climatique. Pas question de changer la politique d’achats de titres obligataires pour leur assigner un objectif climatique, la neutralité des interventions devant primer. Tout au plus, il privilégie d’utiliser la réglementation prudentielle pour amener du vert dans le système financier, en écho au programme annoncé par la Banque d’Angleterre en 2019.
CONQUÊTE DE L'ESPACE - Un satellite européen pour surveiller la montée des océans. L'Agence spatiale européenne (“ESA”, pour European Spatial Agency) a lancé ce week-end en coopération avec la NASA et à bord d'un lanceur Falcon-9 de Space-X un satellite de dernière génération, Sentinel-6A Michael Freilich, conçu pour surveiller la montée des océans. Sa mission est d'informer les populations situées dans des zones à risque de la montée des eaux et de proposer ces données en libre accès.
Organisation intergouvernementale, l’ESA est largement financée par l'Union et entretient avec elle des liens étroits. En témoigne le dixième "Conseil espace" ce vendredi (20 novembre) qui a réuni les ministres européens de l'économie et l'ESA, avec pour objectif de renforcer l'industrie spatiale européenne et de développer l'autonomie stratégique de l'Europe.
Depuis 2014, dans le cadre de sa politique spatiale, l'UE a investi plus de 12 milliards d’euros. Côté privé, dans le cadre de Corpernicus et Galileo, deux des programmes mis en œuvre par l'Union, l'ESA a signé le 13 novembre dernier trois contrats d'une valeur de 1,4 milliards d'euros avec Airbus Defense & Space et Thales Alenia Space (société détenue par le groupe français Thales et l'italien Leonardo) comme le rapportait dernièrement le Figaro.
SEMESTRE EUROPÉEN – La Commission met le paquet ! La Commission a sorti son “paquet d’automne” le 18 novembre. Il est publié dans le cadre du Semestre européen, un cycle de coordination des politiques économiques et budgétaires de l’UE.
En substance, le Conseil recommande le maintien de politiques expansionnistes et la poursuite de réformes structurelles, notamment fiscales. Le commissaire chargé de l’économie, Paolo Gentiloni, a déclaré que “la plupart des mesures prévues dans les budgets des pays de la zone euro pour 2021 soutiennent à juste titre l'activité économique”. Cependant, les États membres doivent s’assurer que les mesures de stimulation demeurent à la fois temporaires et ciblées. La Commission s’inquiète des mesures trop généreuses, au-delà des mesures d’urgence et de relance, notamment en France et en Italie. Les recommandations du paquet d’automne doivent être approuvées par les États membres avant d’être validées. Il s’agit donc, en l’état, d’une “recommandation de recommandation”. L'environnement n’est pas absent du paquet avec le Green Deal et les objectifs de développement durable de l’ONU.
Ces éléments sont expliqués plus en détail ici 👉 Semestre européen, la Commission met le paquet !
ANTITRUST & TECH — Le gendarme de la concurrence épinglé par le gendarme des finances. Gardienne des intérêts financiers de l'Union et de ses citoyens en vertu des Traités, la Cour des comptes de l'Union européenne s'est emparé du sujet de la réforme du droit de la concurrence et a publié jeudi dernier (19 novembre) un rapport d'audit approfondi sur l'application du droit de la concurrence par la Direction Générale de la Concurrence.
Trop lente, manquant de détermination, obsolète et donc incapable de dompter les Big Tech en temps utiles, la Commission n'est pas épargnée par le rapport de l'institution de Luxembourg. De la lecture de cet audit, nous retenons trois grands axes : la réforme du contrôle du concentration, l'amélioration de la gestion des contentieux et le renforcement du Réseau européen de concurrence.
Nous avons décortiqué pour vous ce rapport dans un article dédié 👉 Concurrence : publication du rapport de la Cour des comptes européenne.
POLITIQUE INDUSTRIELLE - Des mots, toujours des mots ? Si les industriels reconnaissent la pertinence des constats formulés à l’occasion de la Stratégie industrielle de mars 2020 (voir aussi le rapport de France Stratégie), ils se montrent plus réservés quant à sa traduction concrète. Dernièrement, le European Round Table for Industry s'est interrogé sur les défauts dans l’exécution des plans industriels européens.
La part de marché de l’industrie européenne est passée de 25% à 15,5% entre 2005 et 2018, en-deçà du poids de l’économie européenne dans l’économie mondiale (18,7%). Or, le secteur secondaire présente plusieurs spécificités qui rendent sa préservation essentielle dans une économie : il représente 80% des exportations (l’essentiel du commerce international consiste encore en l’échange de biens, les services étant plus difficilement exportables) ; il concentre les dépenses de R&D (78% en France) ; et sa productivité augmente nettement plus rapidement que dans les autres secteurs (3% contre 1,3% par an pour les services en France). Globalement, l’industrie a un effet d’entraînement sur le reste de l’économie qui la rend indispensable.
ÉGALITÉ - La stratégie LGBTIQ de la Commission. Alors qu’en Pologne les "LGBT-Free Zones”, pourtant pointées du doigt par le Parlement européen, se multiplient et que la Hongrie a récemment fait part de son intention d’inscrire dans sa Loi Fondamentale les principes selon lesquels l’identité des enfants est déterminée par leur sexe à la naissances, la Commission européenne a déployé sa première stratégie en faveur de l’égalité des personnes LGBTIQ dans l’UE.
Cette dernière s’inscrit dans la lignée des objectifs mentionnés par la Présidente de la Commission dans son discours sur l'État de l’Union. Elle vise à prendre en compte les discriminations subies par les communautés LGBTIQ dans l’ensemble des politiques de l’Union et à faire en sorte que leurs droits y soient garantis de façon homogène dans les différents États membres.
Quelle sera la traduction concrète de cette stratégie ? Les moyens d’action de l’UE sont limités en la matière dans la mesure où sa compétence est limitée : elle ne peut intervenir en matière de droits fondamentaux que lorsque les États membres mettent en œuvre le droit de l’Union ou place la Cour de justice en position de statuer.
GREEN DEAL – Une multiplication par 25 d’ici 2050. Telle est l’objectif énoncé jeudi par la Commission concernant la capacité de production de l’éolien en mer de l’UE. Aujourd’hui de 12 gigawatts (GW), il s’agit de la faire grimper à 300 GW en 30 ans, avec un objectif intermédiaire de 60 GW à l’horizon 2030. En complément, 40 GW d’énergie marine non éolienne, de type marémotrice ou provenant de bio-fuels d’algues par exemple, devront avoir été ajoutés. Les nouvelles technologies qui s’appuient sur le potentiel du monde marin devront aussi être encouragées. Un dernier défi (budgétaire cette fois) : réunir les 800 milliards d’euros nécessaires pour concrétiser ces ambitions via notamment des capitaux privés.
En cherchant à décarboner le secteur de l’énergie, ce plan répond donc directement à l’objectif de neutralité carbone du Green Deal, il est aussi prometteur pour l’emploi puisqu’il génère déjà 62 000 postes européens. L’UE a le plus grand espace maritime mondial et Virginijus Sinkevičius, commissaire en charge de l’environnement, des océans et de la pêche, a tenu à rappeler que ces projets seront réalisés dans le cadre d’une promotion d’une “coexistence harmonieuse” dans l’espace maritime et de la protection de la biodiversité.
Tout en encourageant les coopérations interétatiques et sans négliger les disparités entre pays, les objectifs du plan devront s’intégrer dans les plans nationaux de planification de l’espace maritime transmis à la Commission en mars 2021. Une adaptation réglementaire est également prévue au cours de la réforme de la régulation sur les infrastructures énergétiques trans-européennes, dite régulation TEN-E, en incluant les systèmes électriques offshore dans la planification de l’espace maritime.
Pour finir, le défi est aussi industriel car, même si 93 % des capacités éoliennes offshore installées en 2019 dans les eaux européennes étaient produites sur le continent, la Chine continue de rattraper son retard à vitesse grand v.
BONUS+ – “You know that you have been jumping into a secret conference?”. Un journaliste néerlandais a fait irruption dans une visioconférence des ministres de la Défense européen, après que le ministre néerlandais ait accidentellement partagé les identifiants de la réunion. Moment de comédie évident, l’incident questionne sur la sécurité informatique de ces réunions...
Cette édition de la RevUE a été rédigée par Alexandra Philoleau, Hélène Gorsky, Ghislain Lunven, Pierre Pinhas, Thomas Harbor et Agnès de Fortanier. Vous voulez en savoir plus ? C’est par ici ▼
Vous aimez la Revue européenne ?
Ne la gardez pas pour vous et partagez-la ou laissez un commentaire. Vous pouvez aussi rattraper maintenant les dernières nouvelles européennes :
RevUE de mardi dernier,
RevUE du mardi 10 novembre.
N’hésitez pas à nous écrire si vous avez des idées à propos de cette newsletter.
À bientôt !