RevUE du 15 décembre 2020
Brexit 🇬🇧 no deal? • Digital Services Act • Budget • Banque centrale 💸 • Green Deal • Dette • Europe numérique • Bonus+ 🇺🇸
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne. Nous éditons chaque mardi une newsletter documentée, précise et lisible pour vous informer sur l’actualité européenne de la semaine.
THE BREXIT DIARIES 🇬🇧 — No deal, and maybe no no-deal?
Après un entretien téléphonique ce dimanche (13/12), Ursula von der Leyen et Boris Johnson ont décidé “de poursuivre les discussions et de voir si un accord peut encore être atteint, même à cette étape tardive”, sous les applaudissements du marché des changes, où la Livre était en forte augmentation ce lundi (FT). Londres considère désormais le no-deal comme un “potential outcome”, et non plus comme “the most likely”.
Le discours officiel est identique chaque semaine : des progrès, mais des divergences importantes. Dans son briefing hebdomadaire aux ambassadeurs des États membres ce lundi, Michel Barnier gardait l’espoir d’un deal. Les discussions autour de la pêche se sont envenimées la semaine dernière, lorsque l’on imaginait la Royal Navy venir défendre The English Channel (la Manche) en cas de no-deal (Le Monde). Le négociateur européen a souligné des avancées en matière de concurrence : le Royaume-Uni aurait accepté l’idée d’un mécanisme de garantie d’une concurrence juste et équitable entre les sociétés européennes et britanniques permettant d’imposer des droits de douane en cas de déviation réglementaire ou d’aides d’État indues. Sur le plan économique, il va sans dire que des concessions britanniques sur le level playing field sont plus cruciales encore que celles qui pourraient être accordées par l’UE sur la pêche, et ce alors qu’un important syndicat de pêcheurs écossais a pressé le Premier ministre à trouver un accord commercial ce lundi (FT).
Les deadlines continuent d’être repoussées, et certains négociateurs britanniques laissent entendre que Noël pourrait ne pas être chômé, tant aux Communes et à Downing Street qu’au Parlement européen et au Berlaymont. Pour prendre de la hauteur, nous vous recommandons ce papier d’Adam Tooze, historien et professeur à Yale.
DIGITAL SERVICES ACT — C'est le D-Day ! 🧨
☛ Le texte leaké par Euractiv est disponible ici : DSA draft.
Après vingt ans d’inertie de la part de l'Union européenne dans le secteur, coincée dans un sommeil dogmatique depuis la directive E-commerce de 2000 (quand les plateformes n’existaient pas), après des semaines de lobbying virtuel intense, un couac du géant Google qui prévoyait de “mettre à bas” Thierry Breton, un changement de calendrier et de multiples annonces, le titanesque double projet de la Commission européenne sur le Digital Services Act (DSA) et le Digital Market Act (DMA) sort aujourd’hui, 15 décembre 2020. Sous forme de règlements, ces textes seront d'application directe au sein de l'Union dès leur entrée en vigueur.
L’Internet, ou “espace informationnel mondial” dans le langage du régulateur, ne devrait plus être une “zone de non-droit” dans laquelle, selon le Commissaire européen, on tolère ce qu’on interdit dans le monde physique : désinformation, opacité, terrorisme, pratiques anticoncurrentielles et loi du plus fort. Invité hier matin au micro de Léa Salamé, Thierry Breton a explicité la philosophie du DMA et du DSA : tout ce qui est autorisé dans l’espace physique devrait l’être sur Internet et, par réflexion, tout ce qui est interdit dans le monde physique, doit l’être aussi online.
Le DMA prévoit que les entreprises considérées comme des “plateformes systémiques” ou gate keepers (notamment les GAFA) devront respecter des règles strictes pour être autorisées à pénétrer le marché européen. Les règles de concurrence existantes se doubleront donc d’un instrument coercicif ex-ante permettant à l’autorité de contrôle européenne, dès lors que les entreprises ne se conforment pas aux standards européens, d’imposer des sanctions à hauteur de 10 % du chiffre d’affaires, et des engagements comportementaux. Elle pourrait même forcer le démantèlement desdits gate-keepers. Ces entreprises étant, du point de vue du régulateur européen too big to care … ou simplement, incapables de contrôler le contenu qui transite sur leurs plateformes.
BUDGET — La relance se fera (bien) à 27 👯👯
Jeudi dernier (10/12), les chefs d’État et de gouvernement européens, dont Emmanuel Macron, se sont félicités d'avoir pu s'entendre sur le Cadre financier pluriannuel (CFP), le Plan de relance (NGEU), ainsi que sur un “accord robuste sur le mécanisme à mettre en œuvre, dans le respect de l’État de droit”.
Comment les États sont-ils parvenus à convaincre la Pologne et la Hongrie de renoncer à leur véto ? La solution sous forme de déclaration qui était déjà évoquée la semaine dernière par plusieurs hauts dignitaires polonais a été privilégiée. En vertu de cette dernière, le Conseil européen a donné des garanties aux États Membres, en s’engageant à ce que le mécanisme de conditionnalité à l’origine du blocage soit “appliqué d'une manière objective, équitable, impartiale et fondée sur des faits, qui garantisse le respect de la légalité, la non-discrimination et l'égalité de traitement des États membres”. La déclaration impose également que la Commission adopte des lignes directrices établissant une méthodologie pour l’application du mécanisme. Il est également prévu que si d’aventure un État membre demandait à la Cour de Justice de l’Union Européenne l’annulation du règlement conditionnalité, la Commission devrait attendre son jugement avant de publier ses lignes directrices.
Si le compromis semble satisfaisant pour certains, pour d’autres, il l’est uniquement en apparence. En effet, de nombreuses critiques ont été émises à son encontre. De façon modérée Politico a attribué la victoire à la Hongrie et la Pologne, le financier hongrois George Soros a fustigé l’accord, arguant que ce dernier “constitutes the worst of all possible worlds”. La déclaration qui a pour premier effet de retarder considérablement la mise en œuvre du mécanisme comporte en outre plusieurs incohérences.
BANQUE CENTRALE — Extension du stimulus et autorisation de verser des dividendes 💸
La Banque centrale européenne a annoncé jeudi 10 décembre une rallonge du Pandemic emergency purchase program (PEPP) de 500 milliards d’euros, portant celui-ci à un total de 1 850 milliards d’euros. La fin du programme a aussi été repoussée à mars 2022 tandis que les profits du portefeuille seront réinvestis en totalité au moins jusqu’à la fin 2023. Le TLTRO III offrant un financement aux banques de l’Eurosystème à -1% a de même été repoussé à juin 2022. L’organe de supervision de l’institution devrait quant à lui annoncer aujourd’hui (15/12) l’autorisation pour les banques de reprendre le versement des dividendes, à des conditions toutefois plus strictes que celles imposées par la Bank of England (BoE).
Ces annonces sont concomitantes de la publication des projections macroéconomiques semestrielles de l’eurosystème (10 décembre 2020). Celles-ci anticipent une croissance plus faible que prévue en 2021 (3,9%) mais une accélération en 2022 (4,2%), tandis que l’inflation resterait durablement en-dessous de 2% (entre 0,2% en 2020 et 1,4% en 2023). Les projections sont réalisées en prenant une hypothèse d’absence d’accord entre l’UE et le Royaume-Uni.
Plusieurs commentateurs ont considéré ces annonces décevantes ou comportant une tonalité inutilement sévère (hawkish), Christine Lagarde ayant précisé que l’extension du programme n’aurait pas forcément à être utilisée dans sa totalité. En tout état de cause, elles montrent une politique monétaire désormais dans le siège passager de la relance budgétaire (notamment à travers le volet européen NGEU). Qualifiant le niveau de l’inflation de “décevant”, Christine Lagarde aurait accrédité pour certains observateurs l’hypothèse d’une perte d’efficience des leviers monétaires conventionnels comme non-conventionnels et la responsabilité du levier budgétaire pour ré-accélérer l’inflation.
GREEN DEAL 🌱 — Accord sur les réduction des gaz à effet de serre.
En effet, le Président du Conseil, Charles Michel a annoncé vendredi qu’un accord a été trouvé sur une réduction a minima de 55 % des émissions européennes de gaz à effet de serre d’ici 2030. Pour honorer les engagements de l’accord de Paris et atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, l’objectif de 40 % fixé en janvier 2014 sous la commission Barroso était indéniablement devenu obsolète.
Deux points de friction ont pourtant grippé les négociations. D’une part, et poussée par la République tchèque notamment, la définition du mix énergétique se devait d’intégrer le nucléaire et le gaz. Concession obtenue avec l’introduction du concept de « technologies de transition ». D’autre part, le Premier ministre polonais a campé jusqu’à la dernière minute sur sa demande de garanties financières à l’approche de la réforme du système d’échange de quotas d’émission. Aucune décision définitive n’est prise sur ce point et les 27 ont accepté un rendez-vous dans quelques semaines pour fixer une position commune.
L’accord a été rapidement salué par les différents commissaires. Les parlementaires européens et les organisations environnementales ont fait preuve d’un enthousiasme plus contenu alors qu’ils défendaient respectivement des baisses de 60 % et 65 % des émissions. La partie est donc loin d’être gagnée avec une mise à jour encore possible des lignes directrices climatiques d’ici juin. À cette date débutera la révision de 12 directives européennes sur des thématiques telles que le marché carbone, les véhicules automobiles, les logements ou les énergies renouvelables.
DETTE — Pour Luigi di Maio, pas question d’annuler la dette italienne 🇮🇹
Dans un interview au FT la semaine dernière, le ministre italien des affaires étrangères Luigi Di Maio a réaffirmé l’intention de l’État italien de rembourser l’intégralité de ses dettes, qui devraient atteindre 160 % du PIB l’année prochaine en raison de la forte contraction économique et des dépenses additionnelles liées à la pandémie. Des suggestions de la part de certains conseillers au gouvernement avaient ravivé les inquiétudes vis-à-vis d’une potentielle demande d’annulation de la dette italienne détenue par la BCE.
Les règles du Traité européen visant à conserver une certaine discipline budgétaire, telles que la limite d’endettement à 60 % du PIB et un maximum de 1 % pour le déficit structurel, ont été levées en mars afin de permettre aux pays membres de répondre à la situation d’urgence. La dette publique au sein de la zone euro dépasse les 100 % du PIB pour 2021, une tendance qui devrait se poursuivre en 2022 selon les prévisions économiques d’automne de la DG ECFIN. La pandémie a frappé les pays de l’UE de manière inégale. Ses effets économiques seront également diachroniques, malgré une réponse budgétaire européenne synchronisée qui se fait attendre. Le retour au statu quo ante est donc source de tensions multiples dans une UE marquée par ses déséquilibres macroéconomiques.
M. di Maio a déclaré que ces règles n’étaient plus “fit for purpose”, tandis que le président de l’European Fiscal Board, Niels Thygesen a appelé les gouvernements européens à lancer les discussions autour de la réforme du pacte de stabilité dès à présent, et ce avant la réactivation des règles afin de profiter de cette situation pour adresser les problèmes structurels du pacte.
L'EUROPE NUMÉRIQUE — Un plan à 7,5 milliards d'euros
Le Parlement européen et les États membres se sont mis d'accord hier (14/12) sur un programme de "transformation numérique de l'Europe" à 7,5 milliards d'euros. Les textes juridiques doivent encore faire l'objet d'une approbation définitive par le Parlement européen et le Conseil. Le programme "Europe numérique" financera des projets dans cinq domaines : calcul à haute performance, intelligence artificielle, cybersécurité, "compétences numériques avancées" (advanced digital skills) et déploiement d'infrastructure du numérique (comme la 5G).
Bonus 🇺🇸 — Comme les Européens, les États-Unis sont prêts à couper Facebook en deux.
Comme le rapportent les médias américains (dont Variety), la Federal Trade Commission (FTC) et plus de 40 états américains ont ouvert mercredi dernier (9/12) une enquête contre Facebook. L'acteur dominant des réseaux sociaux (avec plus de 3 milliards d'utilisateurs) aurait maintenu sa position de monopole en rachetant Whatsapp et Instagram et en imposant des politiques restrictives entravant de manière injustifiée les concurrents que Facebook n'acquiert pas ou ne peut pas acquérir. La plainte du FTC est disponible ici et celle des avocats généraux là.
“Today, we are taking action to stand up for the millions of consumers and many small businesses that have been harmed by Facebook’s illegal behavior.”
— Letitia James, Avocat général de l'état de New-York
Voilà une approche qui ressemble de plus en plus à celle de la Commission européenne : c'est-à-dire qu'elle est “au service du consommateur”, quitte à porter préjudice à la politique industrielle.
Cette édition de la RevUE a été rédigée par Alexandra Philoleau, Hélène Gorsky, Ghislain Lunven, Pierre Pinhas, Thomas Harbor et Agnès de Fortanier. Si vous voulez en savoir plus sur les rédacteurs de What’s up EU!, c’est par ici ▼
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