L’UE avance sur le Green Deal
Mais aussi — IRA, Chine, Hongrie, Twitter, Inflation, Drones 2.0, Semi-conducteurs, Price Cap
Bonjour. Nous sommes le lundi 5 décembre 2022, et voici votre condensé d’actualité européenne pour démarrer la semaine. Ne gardez pas cette newsletter pour vous, partagez-la à vos collègues et amis ! N’hésitez pas non plus à nous suivre sur Twitter ou Linkedin.
Semaine riche pour les réglements environnementaux
L'UE peaufine son nouvel ensemble de régulations environnementales. Dans le cadre du paquet législatif Fit for 55, le bloc est déterminé à réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Cela passe par des mesures nombreuses, des emballages verts à la finance, en passant par les puits de carbone.
EMBALLAGES • Après avoir interdit la plupart des plastiques à usage unique en 2019, la Commission européenne s’attaque désormais aux déchets d'emballages, qui ont augmenté de plus de 20 % au cours des dix dernières années. La Commission a présenté ses nouvelles règles en la matière, avec pour objectif global de réduire les déchets d'emballages de 15% d'ici 2040.
Selon la législation proposée, certaines formes d'emballage seraient interdites, y compris les emballages miniature dans l’hôtellerie — "say goodbye to mini shampoo bottles", ironise Politico — tandis que d'autres devront suivre des règles strictes pour éviter les emballages inutiles. Par exemple, le secteur du commerce électronique devra veiller à ce que l'espace vide dans les emballages ne dépasse pas 40 % de la taille des produits.
La Commission souhaite également faciliter le recyclage et la réutilisation. Les entreprises seront tenues de proposer un certain pourcentage de leurs produits dans des emballages réutilisables. En ce qui concerne le recyclage, l'UE veut dissiper la confusion en uniformisant les catégories de déchets dans toute l'UE, entre autres.
RÉUTILISER VS. RECYCLER • Les industriels ont déjà exprimé un certain nombre de réserves concernant les règles proposées. Les versions précédentes de la proposition de la Commission comportaient des objectifs plus ambitieux en matière d'emballages réutilisables, qui ont été fortement critiqués, notamment par l'industrie des boissons gazeuses. Ces réactions ont conduit la Commission à présenter une proposition édulcorée, avec des objectifs réduits en matière d'emballages réutilisables et une position plus favorable envers les emballages recyclés.
Des organisations environnementales accusent à présent la Commission de donner un signal trop positif sur les bienfaits du recyclage. Selon elles, idéaliser le recyclage affaiblit les efforts en matière de lutte contre la surconsommation en déculpabilisant les consommateurs sur l’impact environnemental de leurs achats.
RSE • Les emballages sont loin d’être la seule question qui préoccupe Bruxelles. Le 1er décembre, le Conseil a adopté son approche générale sur la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDD). LA CSDD “établit des règles relatives aux obligations des grandes entreprises en ce qui concerne les incidences négatives réelles et potentielles sur les droits de l'homme et l'environnement, à l'égard de leurs propres activités, des activités de leurs filiales et de celles de leurs partenaires commerciaux.”
La position du Conseil de l’UE exempte les banques et les fonds d’investissement du champ d'application de la législation. La députée européenne Anna Cavazzini (Les Verts) a qualifié l'exemption de "scandaleuse et incompréhensible". "The financial sector has an enormous steering effect and the EU should no longer tolerate investments in human rights violations and environmental destruction", a-t-elle déclaré.
La décision d'exclure les organisations financières du règlement aurait été notamment influencée par la France, qui a préconisé une approche fondée sur les "chaîne d'activités" plutôt que sur les "chaîne de valeurs". La notion de “chaîne d’activité”, qui est plus étroite et plus axée sur les chaînes d'approvisionnement, ne permet pas d’envisager des obligations substantielles en matière de due diligence pour les banques et les fonds d’investissement.
Plusieurs États membres, dont les Pays-Bas, ont partagé leur scepticisme sur le compromis final. La Lituanie a également fait part de ses inquiétudes quant au fait de "laisser aux États membres le pouvoir discrétionnaire de décider de l'application de cette directive aux entreprises financières".
ÉLIMINATION DU CO2 • L'UE avance également dans le domaine de l'élimination du carbone (“carbon removal”). Devant l’impossible tâche d'éliminer toutes les émissions, l'Europe devra retirer du carbone de l'atmosphère afin d'atteindre la neutralité carbone. Le 30 novembre, la Commission a présenté sa proposition de cadre permettant de certifier de manière fiable les absorptions de carbone de haute qualité à l’échelle européenne.
Afin de rendre les certificats transparents, crédibles et comparables, la Commission établit quatre critères : la quantification de l'élimination du CO2, le stockage à long terme, la durabilité et la préservation des frontières planétaires, et l'additionnalité — qui consiste à s'assurer que les activités d'élimination du carbone vont "au-delà des pratiques existantes et de ce qui est requis par la loi".
TROP VAGUE ? • Certains experts estiment que le nouveau règlement manque de précision et pourrait conduire à des situations de greenwashing. "It’s a framework, it’s very vague, it’s very non-committal, we are lacking a lot of very crucial wording", a déclaré au FT Wijnand Stoefs, chargé de mission chez Carbon Market Watch.
Les débats concernent également ce qui constitue un "retrait à long terme" ou un “retrait permanent" de CO2 de l'atmosphère — en d'autres termes, les puits de carbone ne sont pas immuables, comme en témoignent les feux de forêt de l'été dernier.
SEQE • Enfin, le Parlement et le Conseil règlent actuellement les détails de la réforme du SEQE (système d'échange de quotas d'émission). Le 29 novembre, les deux institutions ont officiellement convenu d'inclure progressivement le transport maritime dans le SEQE, ce qui signifie que, pour la première fois, le secteur du transport maritime devra payer pour ses émissions de carbone.
"This will not only help the climate but also improve air pollution in cities close to rivers and the coastline", a déclaré Peter Liese, le négociateur du Parlement sur la réforme du SEQE, après la réunion. "We are ready", a répondu Jim Corbett, représentant du secteur maritime et directeur environnemental pour l'Europe du World Shipping Council.
L'accord préliminaire va au-delà de la proposition de la Commission sur plusieurs points : en plus du CO2, il couvrira également les émissions de méthane et de NO2, ce qui signifie que les navires fonctionnant au GNL devront également payer pour leurs émissions. En outre, le champ d'application du règlement a été élargi et couvre désormais tous les navires offshore d'une jauge brute (gross tonnage) supérieure à 5000 tonnes.
LENTEURS • Si le Parlement et le Conseil ont réussi à se mettre d'accord sur le secteur maritime, plusieurs aspects clés de la réforme du SEQE restent encore incertains. Le transport maritime “is the only small negotiating success from this night. (...) The negotiations on Europe’s largest climate law are only progressing at a snail’s pace”, a expliqué le député européen Michael Bloss (Les Verts). La fin des permis d'émission gratuits, la création d'un Fonds social pour le climat et l'extension du SEQE aux secteurs du bâtiment et du transport routier doivent encore être clarifiés.
WHAT NEXT ? • Le dernier cycle de négociations sur la réforme du SEQE aura lieu le 16 décembre, mais beaucoup craignent déjà que les délais soient trop courts pour régler tous les détails. Certains s'inquiètent également de la manière dont la prochaine présidence de l'UE — suédoise — pourrait traiter la question si celle-ci n’est pas résolue avant la fin de l’année. Le gouvernement suédois compte actuellement sur le soutien des démocrates suédois d'extrême droite, qui ne sont pas très favorables à un agenda climatique réformiste.
Les propositions de la Commission sur les déchets d'emballages et la suppression du carbone vont maintenant être examinées par le Parlement européen et le Conseil, conformément à la procédure législative ordinaire. En ce qui concerne la responsabilité sociale des entreprises, le Parlement européen ne devrait pas adopter sa position de négociation avant mars.
Inter alia —
INFLATION REDUCTION ACT • Prêt à entrer en vigueur aux Etats-Unis, l'Inflation Reduction Act (IRA) provoque des remous de l’autre côté de l’atlantique, où l'UE cherche une solution pour protéger son industrie face à ce plan favorisant l’industrie américaine. Lors de sa visite à Washington, Emmanuel Macron a abordé le sujet avec Joe Biden, qui a adopté une position rassurante : "We can work out some of the differences that exist, I’m confident", a déclaré le président américain.
Du côté européen, il est désormais clair que l'Allemagne évalue le potentiel de mesures plus interventionnistes afin de protéger l'industrie locale. Lors d'une conférence à Berlin, le ministre de l'économie Robert Habeck a parlé d'un "plan de réponse" qui pourrait inclure des exigences de "contenu local". De son côté, Ursula Von Der Leyen considère que l’UE devrait "simplifier et adapter" ses règles en matière d'aides d'État pour résister aux pressions américaines sur l'industrie.
Après avoir esquivé le dernier EU-US Trade and Technology Council (TTC) en raison du manque de temps consacré à la résolution du problème de l'IRA, le commissaire Thierry Breton a appelé à la création d'un fonds de souveraineté européen destiné à soutenir les projets industriels.
La commissaire à la concurrence Margrethe a quant à elle adopté une approche différente : "To do what the Americans are doing, and that we criticize them for, would be a response that would put us in the same position, so that we would also be criticized", a-t-elle déclaré lors d'une conférence de l'OCDE à Paris.
MICHEL À PÉKIN • Le 1er décembre, Charles Michel s’est rendu à Pékin, pour une visite que nous avons évoquée dans la dernière édition de What’s up EU. Entre les tentatives de l'UE de repenser ses relations avec le géant chinois et les manifestations anti-zéro-Covid à travers la Chine, le climat politique de la visite était pour le moins tendu. Quelques semaines auparavant, les dirigeants européens avaient tenu une "discussion stratégique" sur l'avenir de leurs relations avec la Chine et sur la nécessité d'adopter une position plus ferme avec le pays.
L’Ukraine a été un sujet central lors de la réunion de trois heures du Président du Conseil avec Xi Jinping. Réitérant les points soulevés lors du sommet UE-Chine d'avril, Michel a demandé à Xi d'”user de son influence sur la Russie" pour mettre fin à la guerre en Ukraine, soulignant les responsabilités de la Chine en tant que membre permanent du Conseil de sécurité.
Michel a également insisté sur "le droit de l'homme à se réunir pacifiquement", reconnaissant les protestations sans précédent contre la politique zéro-Covid qui ont eu lieu dans toute la Chine. Le Président du Conseil a également mis l'accent sur le succès des vaccins à ARNm en Europe — une question cruciale, compte tenu de l’obstacle que représente le faible taux de vaccination des personnes âgées pour la politique chinoise de zéro Covid.
Les préoccupations du Président chinois étaient essentiellement économiques. Ce dernier a insisté sur l’importance du maintien des investissements européens en Chine, en réponse aux tensions croissantes autour de l’IRA et à la volonté de l’UE de diversifier ses importations afin de limiter sa dépendance à la Chine.
HONGRIE • Le 30 novembre, la Commission a rendu son avis sur les progrès réalisés par la Hongrie dans le cadre du mécanisme de conditionnalité, un règlement qui permet de retenir des fonds lorsque des problèmes d'État de droit menacent les intérêts financiers de l'UE. En avril, l'exécutif européen a déclenché ce mécanisme à l'encontre de la Hongrie.
La Hongrie n'a pas atteint les 17 objectifs en matière d'État de droit fixés en septembre par la Commission pour débloquer 7,5 milliards d'euros de fonds de cohésion. La Commission retient également 5,8 milliards d'euros de fonds NGEU pour des raisons similaires. Depuis le déclenchement du mécanisme de conditionnalité, Budapest tente de négocier sur les réformes en matière de système judiciaire mais aussi d’intimider Bruxelles en dégainant son véto au Conseil sur des textes d’importance majeure.
Le Conseil a jusqu'au 19 décembre pour décider de bloquer ou non les fonds. Le vote aura lieu à la majorité qualifiée, juste après deux votes sur un taux minimum d'imposition des sociétés multinationales et sur l'octroi d'une assistance macrofinancière à l'Ukraine — deux sujets sur lesquels la Hongrie a utilisé son veto.
TWITTER • Twitter a publié un communiqué le 30 novembre, quelques jours avant qu’Emmanuel Macron ne rencontre Elon Musk, en marge d'une visite d'État aux États-Unis. Twitter veut assurer aux législateurs de l'UE et des États-Unis qu'aucune de ses politiques n'a (encore) changé, et qu'à l'avenir, "policy enforcement will rely more heavily on de-amplification of violative content: freedom of speech, but not freedom of reach".
Après sa rencontre avec Musk, Macron a souligné — sur Twitter — que Twitter devrait respecter des règles strictes en matière de modération des contenus et de désinformation, conformément au Digital Services Act (DSA) récemment publié au Journal Officiel. Twitter a besoin de "plus de réglementation", a déclaré le président français dans une interview accordée à Good Morning America.
Les commentaires du président français interviennent après un appel vidéo entre Musk et le commissaire au marché intérieur Thierry Breton, qui a prévenu que le non-respect des règles pourrait entraîner des amendes pouvant atteindre 6 % du chiffre d'affaires annuel mondial, voire une interdiction pure et simple dans l'UE. Musk a déclaré à plusieurs reprises qu'il trouvait les obligations et les interdictions de l'AVD "très raisonnables".
INFLATION • L'inflation dans la zone euro a ralenti le mois dernier pour la première fois en 17 mois. L'inflation s'est établie à 10 % en novembre (contre 10,6 % en octobre), selon les données d'Eurostat. La décrue des prix de l'énergie et des services a fait baisser l'inflation plus que prévu, ce qui laisse espérer certains commentateurs que le pic d'inflation est déjà derrière nous dans la zone euro.
Après deux hausses substantielles — 75 points de base (0,75 %) —, la BCE pourrait ralentir le rythme de ses hausses de taux d'intérêt.Certains analystes pensent que le Conseil des gouverneurs de la BCE ne relèvera les taux (que) de 50 points de base lors de sa prochaine réunion, le 15 décembre.
Lors d'une audition publique de la commission ECON du Parlement européen, le 28 novembre, Christine Lagarde s'est toutefois gardée de toute déclaration trop dovish : "Les taux d'intérêt sont, et resteront, le principal outil de lutte contre l'inflation", a-t-elle déclaré, tout en soulignant que la politique budgétaire doit rester "ciblée, adaptée et temporaire" afin de ne pas ajouter de pression inflationniste.
DRONES 2.0 • La Commission européenne a adopté le 29 novembre sa stratégie 2.0 pour les drones, qui vise à créer un "marché européen des drones à grande échelle". La communication s'appuie sur le "cadre de sécurité pour l'exploitation et la fixation des exigences techniques des drones" de l'UE afin de soutenir le secteur.
Depuis 2018, les drones sont soumis à un ensemble harmonisé de règles de sécurité au niveau de l'UE. L'UE veut maintenant aller plus loin et prendre des mesures législatives pour soutenir un marché qui pourrait représenter 14,5 milliards d'euros et employer jusqu'à 145 000 personnes en 2023. Les nombreuses possibilités d'utilisation des drones — surveillance d’infrastructure, livraison de médicaments, taxi volants, défense — représentent une opportunité économique considérable. L'Union européenne se prépare à lancer le "U-space", un système européen de gestion du trafic des drones, dès janvier 2023.
Les préoccupations des régulateurs concernant leur utilisation malveillante, les déplacements transfrontaliers et les implications juridiques du trafic aérien sans pilote ont accru la pression pour élaborer des règles à l'échelle de l'UE. Si vous voulez tout savoir à ce sujet, le document de travail des services de la Commission de 86 pages qui accompagne la stratégie offre un état des lieux complet.
SEMI-CONDUCTEURS • Le Conseil de l'UE a adopté sa position sur le Chips Act. Ce règlement vise à mobiliser 43 milliards d'euros de capitaux privés et publics pour réduire la dépendance de l'UE à l'importation de nanopuces produites en Asie du Sud-Est et aux États-Unis — utilisées partout, des voitures aux smartphones. La part de l'UE sur le marché mondial des puces est passée de 24 % en 2000 à 9 % en 2020.
Une pénurie mondiale a perturbé les chaînes de valeur mondiales ces dernières années, tandis que les tensions géopolitiques liées à l'approvisionnement en métaux rares utilisés pour fabriquer les semi-conducteurs ont renforcé l'appel à réduire la dépendance de l'UE vis-à-vis de ses rivaux stratégiques. Les gouvernements du monde entier sont déjà engagés dans une guerre de subventions pour attirer les "méga-fabs", les usines qui produisent des nanopuces. En vertu du Chips Act, les États membres seraient autorisés à fournir des fonds publics pour financer de nouvelles usines. Certains craignent que cela ne donne un avantage aux États membres les plus riches, qui sont en mesure de payer la facture.
PRICE CAP • Après de longues discussions, G7 s'est mis d'accord sur un plafonnement des prix du pétrole russe transporté par voie maritime. Le Conseil a approuvé sa mise en œuvre au sein de l'UE : le prix du pétrole russe sera plafonné à 60 dollars le baril, malgré la volonté de certains pays d’instaurer un plafond plus bas afin de causer des dommages additionnels aux forces militaires de Poutine. "This is the best compromise we could get today. (...) We will have the first review of the price already in mid-January", a écrit la Première ministre estonienne Kaja Kallas sur Twitter.
Nos lectures de la semaine
L'économiste Sander Tordoir étudie la manière dont le Mécanisme européen de stabilité pourrait être réformé pour préparer la zone euro à sa prochaine crise, dans une publication pour le Center for European Reform.
Dans un article de blog pour le Center for European Policy Studies, Milan Elkerbout, chercheur en politique climatique, explique pourquoi l'UE ne devrait pas imiter les États-Unis dans une course aux subventions vertes.
Pour l'Institut Montaigne, Mathieu Duchâtel, directeur du programme Asie, détaille les éléments qui pourraient faire de l'instrument européen de lutte contre la coercition un succès.
Cette édition a été préparée par Ysabel Chen, Maxence de La Rochère et Augustin Bourleaud. À la semaine prochaine !