Les hésitations de l'UE sur l'énergie et les Etats-Unis
Mais aussi — Hongrie, Politique migratoire, Michel en Chine, Brexit
Bonjour. Nous sommes le lundi 28 Novembre 2022, et voici votre condensé d’actualité européenne pour démarrer la semaine. Ne gardez pas cette newsletter pour vous, partagez-la à vos collègues et amis ! N’hésitez pas non plus à nous suivre sur Twitter ou Linkedin.
Alors que la tension monte avec les Etat-Unis, le Conseil peine à s’entendre sur la réponse à la crise énergétique
L'UE a du mal à résoudre son casse-tête énergétique et à s’entendre avec les États-Unis. Les ménages et l'industrie en Europe paient les conséquences de la flambée des prix de l'énergie — une situation qui ne touche que très modérément les Etats-Unis.
L’Inflation Reduction Act (IRA), politique phare de l’administration Biden, suscite également de vives inquiétudes en Europe, où les efforts visant à soutenir le tissu industriel et à financer la transition écologique pourraient être fortement contrariés par des subventions massives de l’autre côté de l’Atlantique.
COUNTDOWN • L'IRA, dévoilé par Joe Biden cet été, totalise 369 milliards de dollars sonnants et trébuchants pour de multiples secteurs stratégiques aux Etats-Unis. Ce fonds inquiète l'UE et ses États membres au plus hauts niveaux depuis des mois, car il pourrait faire pencher considérablement le marché en faveur de l'industrie américaine, notamment par le biais de généreux allégements fiscaux pour l'achat de véhicules électriques fabriqués aux États-Unis —avec des pertes potentielles d’attractivité et de compétitivité pour l'UE.
"L'IRA est en train de déplacer la dynamique de l'Europe vers les États-Unis", a déclaré Peter Carlsson, directeur général de Northvolt, au FT. Plusieurs entreprises ont mis en veilleuse leurs investissements dans l'UE, voire fermé leurs activités européennes —comme le sidérurgiste ArcelorMittal, qui a fermé certaines de ses usines en Allemagne.
Malgré les protestations européennes, aucun accord avec les États-Unis n'est en vue, malgré le lancement d'une task force États-Unis-UE sur le sujet fin octobre. L'IRA doit entrer en vigueur dans moins de six semaines.
PARIS-BERLIN • L'Allemagne est de plus en plus préoccupée par l’entrée en vigueur imminente de l’IRA, que le commissaire au marché intérieur Thierry Breton a qualifié de “menace existentielle” pour l’économie européenne.
Berlin était initialement opposé à toute mesure trop protectionniste pour soutenir l'industrie européenne, mais a évolué ces derniers mois et semaines. Libre-échangiste et atlantiste dans l'âme, l'Allemagne n'en reste pas moins la locomotive de l'UE en matière d'industrie automobile —l’un des secteurs qui pourraient pâtir le plus de l’IRA.
Dans une déclaration commune, les ministres français et allemand de l'économie, Bruno le Maire et Robert Habeck, ont appelé à un "nouvel élan de la politique industrielle européenne", s'engageant à "coordonner étroitement une approche européenne face à des défis tels que la loi américaine sur l'inflation", tout en veillant "à ce que les règles de l'OMC soient respectées par tous".
JUSQU'OÙ ? • L'incertitude demeure toutefois quant à savoir jusqu'où l'Allemagne sera prête à aller. Olaf Scholz veut éviter une guerre commerciale et privilégie un accord commercial limité avec les États-Unis.
Contrairement à l'Allemagne, la France est depuis le début favorable à un "Buy European Act" pour contrer les menaces américaines sur les produits nationaux. Les propos de Bruno Le Maire résument la position de la France sur la question :
"Nous sommes entrés dans une nouvelle mondialisation (...) La Chine est dans cette mondialisation depuis très longtemps avec des aides publiques massives qui sont réservées exclusivement aux produits chinois, le fait est que les États-Unis viennent d'entrer dans cette nouvelle mondialisation sous nos yeux pour développer leur capacité industrielle sur le sol américain. L'Europe ne doit pas être le dernier des Mohicans".
DILEMMES • Prendre fait et cause pour un Buy European Act, s’engager dans une voix diamétralement opposée aux principes fondateurs de l’OMC et s’opposer frontalement aux Etats-Unis n’est pas une décision facile à prendre pour l’UE.
Malgré l’évolution récente de l’Allemagne, cela reviendrait à "franchir le Rubicon" selon Elvire Fabry, de l’Institut Jacques Delors —il sera plus difficile pour le bloc de défendre de manière crédible un agenda commercial ouvert à l'avenir. Les enjeux sont également plus importants de ce côté de l’Atlantique: le commerce international représente une part plus importante du PIB de l’UE que des Etats-Unis.
CONSEIL COMMERCE • Le 25 novembre, les ministres du commerce de l’UE se sont réunis pour discuter des réponses possibles à la situation. Le commissaire européen au commerce, Valdis Dombrovskis, a mis l'accent sur l'inefficacité et le coût élevé des courses aux subventions, et a souligné que le bloc devait utiliser les subventions vertes de manière "plus ciblée et plus efficace".
Valdis Dombrovskis a déclaré que la Chine pourrait finalement être le gagnant en cas de guerre commerciale entre l'UE et les États-Unis : "Le vainqueur pourrait alors se trouver sur un autre continent — pas en Europe, ni sur le continent américain", rapporte Politico.
Les pays libre-échangistes tels que les Pays-Bas et la Suède ont également exprimé leurs inquiétudes quant à une éventuelle guerre commerciale avec les Etats-Unis, qu'ils souhaitent éviter. Les solutions pourraient inclure une approbation facilitée et plus rapide des subventions publiques dans le cadre des projets importants d'intérêts européens communs (PIEEC), notamment sur l'hydrogène, les batteries et la santé — une mesure suggérée par Le Maire et Habeck dans leur déclaration commune.
C’est d’ailleurs la voie que les Etats-Unis suggèrent à l’UE de suivre. L'Europe devrait "renforcer le soutien à ses fabricants" au lieu de s'engager dans une guerre commerciale à coups de mesures unilatérales, a déclaré la représentante américaine au commerce, Katherine Tai, au FT début novembre.
CONSEIL ÉNERGIE • En outre, les États membres doivent encore trouver un consensus sur le débat apparemment sans fin sur l'introduction d'un plafond de prix pour le gaz russe. Le 24 novembre, les ministres de l'énergie se sont réunis à Bruxelles pour discuter des propositions actualisées de la Commission. Le 22 novembre, la Commission a présenté sa nouvelle proposition de plafonnement des prix, qui ne serait activée que sous deux conditions strictes — plus d'informations ici si vous voulez entrer dans le vif du sujet.
Les pays en faveur d'un plafonnement des prix — dont la Belgique, l'Italie et l'Espagne — ont fait valoir que le mécanisme a été conçu pour ne jamais être utilisé, tandis que les opposants ont souligné les risques pour la stabilité financière et l'approvisionnement. À ce sujet, le commissaire à l'énergie, Kadri Simson, a exprimé sa frustration face aux instructions apparemment contradictoires des États membres : "Il n'est pas possible de concevoir des plafonds de prix n'entraînant aucun risque significatif pour la stabilité énergétique et financière", a-t-elle déclaré.
WHAT NEXT • Le prochain Conseil Énergie aura lieu le 13 décembre. En ce qui concerne l'IRA, Valdis Dombrovskis a déclaré que la prochaine réunion du Trade & Technology Council le 5 décembre — qui réunit l’UE et les États-Unis — sera "un bon moment pour faire le point sur les résultats de la task force et décider ensuite des prochaines étapes". D'ici là, les États membres devront se faire une idée plus précise de ce sur quoi ils peuvent et ne peuvent pas se mettre d'accord.
En partenariat avec le cabinet de communication stratégique CommStrat, nous avons le plaisir de vous convier à une table ronde sur la régulation et le financement des infrastructures internet en Europe le 29 novembre de 18h à 20h. Inscriptions et informations ici.
Inter alia — Hongrie, Politique migratoire, Michel en Chine, Sunak en Suisse
HONGRIE • Le Parlement européen accentue la pression sur la Commission pour qu'elle ne débloque pas les fonds de cohésion de l'UE destinés à la Hongrie, sur fond d'accusations de corruption. Une résolution, adoptée par 416 voix pour, 124 contre et 33 abstentions le 23 novembre, reproche à la Commission d'être trop douce avec M. Orban.
Les mesures correctives négociées entre Bruxelles et Budapest pour débloquer les fonds ne sont "pas suffisantes pour faire face au risque systémique existant pour les intérêts financiers de l'UE", affirment les députés. Quelques heures avant le vote de la résolution, il a été rapporté que la Commission recommanderait au Conseil de retenir les fonds, étant donné que la Hongrie n'a pas respecté les étapes qu'elle avait fixées comme condition pour le déblocage.
En septembre 2022, la Commission a proposé que 7,5 milliards d'euros de fonds de cohésion de l'UE soient gelés au titre du mécanisme de conditionnalité, un règlement qui permet de retenir des fonds lorsque des problèmes d'État de droit menacent les intérêts financiers de l'UE. Ce mécanisme a été déclenché contre la Hongrie en avril. L'UE retient également 5,8 milliards d'euros de subventions du plan NextGenEU pour des raisons similaires.
La Hongrie a bloqué plusieurs initiatives majeures de l'UE au Conseil, comme le paquet d’assistance macrofinancière de 18 milliards d'euros à l'Ukraine et l'accord de l'OCDE sur un taux d'imposition minimum mondial. Le Parlement européen craint que la Commission ne cède aux manœuvres de chantage de la Hongrie.
Ce n'est pas la Commission qui prend la décision finale, mais le Conseil, sur la base d'une proposition de la Commission — qu'il peut adopter, modifier ou rejeter. Le Conseil a jusqu'au 19 décembre pour prendre une décision. Le vote se fera à la majorité qualifiée.
MIGRATION • Le 25 novembre, les ministres de l'Intérieur se sont réunis en session d'urgence pour discuter de la situation actuelle le long des routes migratoires. La réunion a été convoquée dans un contexte d'escalade des tensions entre l'Italie et la France concernant l'accueil de 234 migrants à bord de l’Ocean Viking.
En début de semaine, la Commission européenne a présenté son plan d'action pour la Méditerranée centrale. Ce plan propose de renforcer encore les capacités des pays d'Afrique du Nord d’empêcher les migrants de traverser la Méditerranée illégalement et d'accroître la coopération entre les États membres, Frontex et les ONG participant aux activités de recherche et de sauvetage. Il vise également à accélérer la mise en œuvre du mécanisme de solidarité volontaire.
Les ministres ont accueilli favorablement le plan et ont suggéré d'élaborer une proposition similaire pour la route des Balkans occidentaux. Certains experts ont toutefois qualifié le plan de "nouveau remaniement de vieilles idées qui ne fonctionnent pas" et l'ont critiqué pour son externalisation renforcée de la gestion des migrations vers des États répressifs.
Les ministres compétents poursuivront leurs discussions lors d'un conseil qui se tiendra le 8 décembre. L'objectif est de s'accorder sur "un cadre unique fondé sur le droit européen", selon le vice-président Margaritis Schinas.
MICHEL A PÉKIN • Le 1er décembre, Charles Michel se rendra à Pékin pour rencontrer Xi Jinping, a annoncé le Conseil européen le 24 novembre. Il sera le deuxième dirigeant — après Olaf Scholz — à se rendre en Chine après la réouverture partielle des frontières du pays.
Beaucoup ont été très étonnés par cette annonce, faite dans un délai aussi court. Les États membres ont été "tenus dans l'ignorance" de cette visite, comme le rapporte Politico. Michel se rendra en Chine alors même que d'importantes manifestations ont lieu contre la politique de "zéro-Covid" du gouvernement, ce qui augmente les risques d'incident diplomatique, les États membres ayant eu peu de temps pour définir une position commune — difficile à définir — avant la visite de Michel.
Ce voyage a lieu alors que l'UE tente de définir sa position et son attitude future vis-à-vis de la Chine. En préparation du sommet commémoratif UE-ANASE du 14 décembre 2022, le Conseil de l'UE a déjà tenu une discussion stratégique sur les relations de l'UE avec la Chine les 20 et 21 octobre.
SUNAK • Les relations avec l’UE ont de nouveau enflammé la scène politique britannique après un article du Sunday Times, révélant que des membres importants du cabinet Sunak envisagent de négocier un relation à la Suisse avec le bloc européen pour accroître la fluidité des échanges commerciaux.
L’Office for Budget Responsibility (OBR) s’inquiète dans une étude de novembre du “significant adverse impact” qu’a eu le Brexit sur le volume des échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et le reste du continent.
La révélation a fait bondir les eurosceptiques du European Research Group (ERG). Le Trade & Cooperation Agreement est appliqué depuis très peu, et une solution à la Suisse signifie moins de contrôle sur l’immigration et une compétence accrue de la Cour de justice de l’UE.
Nos lectures de la semaine
À l'Institut Montaigne, Michel Duclos se demande si le temps des négociations avec la Russie est venu.
Dans Notes from Poland, Samuel Tchorek-Bentall s'interroge sur la signification historique du soutien polonais à l'Ukraine, avec en toile de fond les souvenirs douloureux de leur histoire partagée au siècle dernier, souvent méconnue en Europe de l’Ouest.
Dans une note pour Bruegel, Thorsten Beck et al. proposent de continuer les efforts de construction de l’union bancaire européenne.
Pour l'ECIPE, Fredrik Erixon et al. ont publié un rapport offrant une feuille de route pour la restauration de la compétitivité et de la croissance européenne.
Cette édition a été préparée par Judith Benk, Marine Sévilla, Maxence de La Rochère et Augustin Bourleaud. À la semaine prochaine !