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Retour sur le Conseil européen des 20–21 Octobre
Jeudi et vendredi derniers, les 27 se réunissaient au Bâtiment Europa afin d’avancer sur la question brûlante : l’hiver qui s’annonce. Après des débats difficiles, un accord a été trouvé sur les orientations à prendre. Cependant, une grande partie du travail reste à faire avant que des politiques concrètes puissent voir le jour.
PROPOSITION • Le 18 Octobre, en amont du Conseil, la Commission européenne a publié une proposition très attendue contenant de nouvelles mesures pour lutter contre les prix élevés de l'énergie. Cette proposition prévoit l'achat conjoint de gaz pour au moins 15 % des stocks de gaz de l'UE, des règles de solidarité par défaut en cas de pénurie d'approvisionnement, et un mécanisme de correction des prix — plus précisément, un plafonnement temporaire et "dynamique" des prix pour les transactions sur la bourse du gaz TTF.
Pour rappel, le TTF (Dutch Transfer Facility Title) est le prix de référence européen du gaz naturel. Jusqu'à présent, il était considéré comme un proxy suffisant pour le GNL (gaz naturel liquéfié) livré en Europe, mais avec la réduction des approvisionnements en gaz russe, il est devenu extrêmement volatile. Ainsi, nombreux sont ceux qui soutiennent que l'indice TTF n'est plus représentatif du prix du GNL et qu'un nouvel indice de prix distinct devrait être adopté.
Si un plafonnement dynamique était mis en place, les prix resteraient cependant légèrement supérieurs à ceux que les importateurs paient pour le GNL afin d'éviter d’irriter les producteurs de GNL de l'Europe — ce qui est l'une des principales préoccupations de l'Allemagne concernant le “price cap”. Cette solution temporaire aiderait l'UE à contenir les prix du gaz jusqu'à ce que le bloc mette en place un nouvel indice des prix pour compléter le TTF et mieux refléter l'importance croissante du GNL sur le marché de l'énergie.
La Commission souhaite que le nouvel indice des prix du GNL soit prêt pour mars 2023.
CONSEIL • La proposition de la Commission a été discutée par les dirigeants de l'UE lors du Conseil. Ce dernier a été marqué par la frustration d’un certain nombre de pays qui estiment que la solidarité ne doit pas seulement s'appliquer à l'approvisionnement mais aussi aux prix. "On nous demande de faire preuve de solidarité dans le partage de l'énergie, mais il n'y a pas de solidarité sur nos appels à contenir les prix", a déclaré le premier ministre italien sortant, Mario Draghi.
Malgré ses réserves, Olaf Scholz a fini par accepter l’idée d’un price cap. Cependant, le paquet final contient de nombreuses conditions : le "corridor de prix dynamique" (alias le plafonnement dynamique des prix) devra rester "temporaire" et sera limité aux "épisodes de prix excessifs du gaz", tandis que les interventions sur le marché ne seront possibles que dans des conditions strictes, afin de protéger l'approvisionnement en gaz.
Les Pays-Bas et la Hongrie ont également réussi à obtenir des concessions sur le paquet final. Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte — qui était réticent aux nouveaux emprunts conjoints pour lutter contre la hausse des prix — a réussi à obtenir une formulation vague sur le sujet. Pour sa part, Viktor Orbán cherche déjà à obtenir une exemption à un hypothétique plafonnement des prix de l'UE sur le gaz importé, car cela mettrait en péril les livraisons de gaz russe à la Hongrie.
“All in all, this is a package that brings the EU response to the energy crisis a step further, and it is important that countries found consensus with this regard. Unity is the only way for Europe to defeat Putin’s energy blackmail” — Simone Tagliaprietra, du think tank Bruegel.
RÉSULTAT DES COURSES • Dans leurs conclusions, les dirigeants de l'UE ont seulement convenu d'appeler la Commission européenne et les États membres à "soumettre d'urgence des décisions concrètes" sur la série de mesures supplémentaires qu'ils ont identifiées. En d'autres termes, la plupart des détails doivent encore être éclaircis avant que des mesures concrètes puissent voir le jour.
BARMAR • En marge du Conseil, les dirigeants de la France, de l'Espagne et du Portugal ont fait une annonce concernant un nouveau gazoduc offshore reliant Barcelone à Marseille (BarMar), mettant ainsi un terme au projet MidCat — source de discorde entre la France et l'Allemagne durant ces derniers mois. Le nouveau gazoduc transportera du gaz naturel "en tant que source d'énergie temporaire et transitoire" avant d'être adapté pour transporter de l'hydrogène et "d'autres gaz renouvelables", précise la déclaration. Les trois dirigeants ont convenu de se réunir à nouveau le 9 décembre à Alicante pour décider du calendrier et du financement du projet.
TCEXIT • Après la Pologne, de l'Espagne et des Pays-Bas, la France s'est engagée à se retirer se retirer du Traité sur la Charte de l'énergie (TCE). En vigueur depuis 1998, le TCE — qui compte plus de 50 signataires dont l'UE — a été conçu pour sécuriser les approvisionnements énergétiques et accorder une protection aux entreprises qui investissent dans le secteur de l'énergie. Toutefois, ces dernières années, il a été utilisé par les entreprises du secteur pour poursuivre les gouvernements en cas de changements réglementaires menaçant le rendement de leurs investissements.
"Nous avons vu dans plusieurs cas récents que ce TCE a conduit à un mécanisme spéculatif et à des compensations importantes pour certains acteurs. En sortant, nous devons concentrer nos investissements sur les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique et le nucléaire", a expliqué Emmanuel Macron lors de la conférence de presse qui a suivi le Conseil européen vendredi.
L'Allemagne envisage également de se retirer du TCE, a confirmé mercredi à Investigate Europe un porte-parole du ministère fédéral de l'Économie. Une proposition est actuellement examinée par les ministères et devrait être finalisée avant la fin du mois de novembre – avant que les parties au traité ne décident de la modernisation du TCE.
En réponse au mécontentement croissant à l'égard du TCE, la Commission a "pris note" de la décision de certains pays de l'UE de se retirer du TCE, mais a insisté sur le fait qu'il est plus logique de réformer que de quitter le traité, rapporte Euractiv”.
Inter alia — Infra, Iran, Chine, Télécoms, Amazon, Google
INFRA • Le cadre réglementaire qui entoure entités critiques est déjà en pleine évolution. Avec la directive visant à renforcer la résilience des infrastructures critiques (directive CER) et la directive révisée sur la sécurité des réseaux et des systèmes d'information (directive NIS2), l'UE disposera bientôt d'un cadre actualisé pour favoriser la résilience physique et informatique des infrastructures critiques. Cependant, la guerre en Ukraine et les récents sabotages d'infrastructures énergétiques clés ont encouragé le Parlement et le Conseil à demander une action plus rapide sur le sujet.
La proposition se concentre sur trois domaines (préparation, réponse et coopération internationale) et cinq secteurs prioritaires (énergie, numérique, infrastructures, transport et espace). "Les infrastructures critiques sont de plus en plus interconnectées et dépendantes les unes des autres", a déclaré le vice-président chargé de la promotion du mode de vie européen, Margaritis Schinas, soulignant que la proposition met l'accent sur la coopération entre États membres et avec les partenaires clés de l’UE (tels que l'OTAN). Si la proposition encourage les États membres à effectuer des “stress tests” sur les entités qui contrôlent les infrastructures critiques, elle envisage également la création d'un plan directeur sur les incidents et les crises des infrastructures.
IRAN ET CHINE • Le 20 octobre, le Conseil a adopté de nouvelles sanctions à l'encontre de trois personnes et d'une entité iraniennes responsables de la mise au point et de la livraison de drones à l'armée russe. Cette décision fait suite à l'utilisation présumée de drones iraniens par la Russie contre des infrastructures civiles en Ukraine. Si la Russie et l'Iran nient ces accusations, l'UE et les États-Unis affirment que des preuves ont été recueillies par les services de renseignement. Cette décision intervient quelques jours après que l'UE a ajouté de nouvelles sanctions contre des individus et entités iraniennes dans le contexte de la répression des manifestations actuelles en Iran.
Le Conseil européen a également tenu une discussion stratégique sur les relations de l'UE avec la Chine en vue du sommet commémoratif UE-ASEAN du 14 décembre 2022. Dans un document envoyé préalablement à tous les États membres, le Service européen pour l'action extérieure a suggéré de recentrer la stratégie de l'UE avec la Chine sur la concurrence et la rivalité, tout en préservant la coopération sur certains sujets.
Au cours de la discussion, il a été convenu que l'UE devrait s'engager avec la Chine de manière plus pragmatique et faire valoir plus efficacement les intérêts européens dans des domaines de coopération limités. La plupart des dirigeants de l'UE ont souligné l'importance d'agir de manière plus ferme et plus unie envers Pékin et de réduire les vulnérabilités, notamment en matière de technologies, de sécurité et d'innovation. Toutefois, les États membres ont affiché des divisions internes entre les partisans d'un retour en arrière et ceux qui s'opposent à un découplage potentiel avec la Chine, notamment l'Allemagne.
TÉLÉCOMS EN FUSION • L'avocat général de la Cour de justice de l’UE, Juliane Kokott, a rendu ses conclusions dans l'affaire Commission contre CK Télécoms. Si l’on met de côté les spécificités juridiques de l'affaire, qui concerne la charge de la preuve qui incombe à la Commission pour démontrer des effets non coordonnés sur des marchés oligopolistiques, les conclusions de l’AG Kokott sont d'un grand intérêt pour le secteur des télécommunications dont la soif de consolidation pourrait être entravée si la Cour devait suivre l'avis de l'AG Kokott. Le secteur des télécommunications estime que les fusions sont la clé pour rester compétitif et continuer à investir dans les infrastructures. Plusieurs transactions très médiatisées — comme Orange/VOO ou Orange-MasMovil en Espagne — sont actuellement examinées par les autorités de concurrence européennes.
En 2020, le Tribunal de l’UE a annulé la décision prise par la Commission en 2016 de bloquer la fusion entre le fournisseur de télécommunications britannique CK Hutchinson et O2. Selon le Tribunal, la Commission n'avait pas réussi à démontrer que la fusion entraînerait une entrave significative à la concurrence, relevant ainsi la barre du test juridique que la Commission doit passer pour bloquer les fusions qui entraînent une réduction du nombre de concurrents. L'interprétation de l'affaire par l'AG Kokott donnerait à la Commission une plus grande marge de manœuvre pour bloquer les fusions dans des secteurs consolidés tels que les télécommunications. La Cour suit généralement l'avis de l'AG.
BUY BOX • L'UE veut refaire une beauté au site web d'Amazon, afin de le rendre plus équitable pour ses concurrents. Les engagements proposés en juillet 2022 par Amazon pour mettre fin à l’investigation dans Amazon Marketplace, entamée en 2020, sont insuffisants, selon Margrethe Vestager. L'enquête porte sur (i) l'utilisation par Amazon des données des vendeurs tiers, qu'il récolte et utilise ensuite pour concurrencer directement les vendeurs tiers sur sa place de marché; et (ii) les pratiques d'Amazon avec sa "Buy Box", qui favoriserait les entreprises qui ont des accords avec Amazon. Les concurrents s'étaient déjà prononcés contre ces engagements, appelant la Commission à être plus sévère avec Amazon. Le 19 octobre, Margrethe Vestager, est intervenue en faisant circuler une offre de règlement révisée, selon Samuel Stolton de Politico. Au Royaume-Uni, Amazon est poursuivi pour 900 millions de livres de dommages et intérêts en raison de ses pratiques "Buy Box".
PUBLICITÉS DE GOOGLE • L'UE devrait refaire le design du site web de Google, selon plus de 40 concurrents, dont Kelkoo, LeGuide et PriceRunner. Ils demandent à la Commission d'interdire à Google d'afficher ses propres comparateurs d'achats dans les résultats de recherche, explique Natasha Lomas de TechCrunch. Les signataires font valoir que Google ne se conforme pas à la décision historique Google Shopping (2017), dans laquelle la Commission a estimé que Google avait abusé de sa position dominante pour afficher de manière proéminente ses boîtes de recherche, au détriment des petits services de comparaison de prix (CSS). Bien qu'elle ait infligé à Google une amende de 2,4 milliards d'euros, la Commission n'a pas imposé de mesures correctives à Google, qui a dû proposer sa propre voie pour se conformer à la décision. La prochaine loi sur les marchés numériques (DMA) prévoit l'interdiction de l'auto référencement pour les services de base de la plateforme (tels que Google Search) exploités par des gardiens probables (tels que Google).
Nos lectures de la semaine
Dans un papier pour l’Institut Open Diplomacy, Jean Comte, journaliste chez Contexte, se penche sur la réglementation — plutôt le “manque manifeste de régulation — du lobbying auprès des institutions.
Après le tollé provoqué par son discours au Collège d’Europe à Bruges, le HRVP Josep Borrell revient sur la métaphore du jardin européen entouré par la jungle, dans un post de blog.
Alors que certains opérateurs télécoms veulent que les grandes entreprises de la tech paient pour leur utilisation du réseau, le COO de Netflix prend la plume dans le FT pour y développer ses arguments.
Ce papier de Bruegel, par Giovanni Sgaravatti, Simone Tagliapietra et Georg Zachmann, qui compare les dispositifs de soutien nationaux à la crise énergétique au sein de l’UE.
Cette édition a été préparée par Matteo Gorgoni, Marianna Skoczek-Wojciechowska, et Augustin Bourleaud. À la semaine prochaine !