Devant la Chine, l’UE tente de garder la face
Mais aussi — ChatGPT, Matières premières critiques, Nucléaire, Semi-conducteurs
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Le Briefing
Les Européens peinent à trouver un point d’équilibre vis-à-vis de Pékin. Après la visite d’Emmanuel Macron en Chine, c’était au tour de l’Allemagne de s’adonner à l’exercice diplomatique.
Sur la question taïwanaise et la sécurité, la ministre des affaires étrangères allemande Annalena Baerbock a présenté une ligne plus stricte que celle de la France, s’efforçant d’atténuer les conséquences diplomatiques des récents propos d’Emmanuel Macron.
FERMETÉ • En visite à Pékin du 13 au 15 avril, la cheffe de la diplomatie allemande a adopté un ton ferme vis-à-vis de la Chine. Lors d’une conférence de presse, celle-ci n’a pas hésité à s’opposer frontalement à son homologue chinois Qin Gang sur la question taïwanaise, la guerre en Ukraine et les droits de l’homme.
Sur Taiwan, Annalena Baerbock a déclaré que l’usage de la force par la Chine serait “inacceptable” pour l’UE. Elle a qualifié de “scénario d’horreur” l’éventualité d’une escalade militaire dans le détroit de Taiwan, rappelant que 50% du commerce mondial y transite chaque jour.
Qin Gang lui a répondu que la Chine défend sa souveraineté au même titre que d’autres pays et qu’elle ne tolérera aucune intervention étrangère, Taïwan étant un problème interne.
Concernant la guerre en Ukraine, la ministre des affaires étrangères allemande s’est également montrée critique. Elle a invité la Chine à utiliser son influence sans égal sur la Russie pour demander à Vladimir Poutine de tout simplement mettre un terme au conflit.
Elle a également réitéré que la Chine ne doit pas procurer d’armes à la Russie. Cependant, de récentes négociations entre la Russie, la Chine et l’Iran pourraient signifier que la Chine est prête à aider la Russie à obtenir les matériaux nécessaires à la fabrication de missiles de la part de l’Iran.
Enfin, sur les droits de l’homme, Annalena Baerbock a fait part de son inquiétude quant au sort des Ouïghours, ce à quoi Qin Gang a répondu qu’il n’acceptera pas de leçon de l’ouest sur le sujet, d’autant plus qu’il n’existe selon lui pas de standards universels sur les droits de l’homme.
FRANCE • “Impressive clarity. Macron could learn something from Baerbock”, a commenté Ian Bond, du Centre for European Reform, sur Twitter. En effet, l’impression qui ressort de la visite de Baerbock tranche avec l’écho que les propos d’Emmanuel Macron ont eu dans les sphères européennes.
Cependant, il est important de noter que les deux visites n’étaient pas de la même nature. Là où Emmanuel Macron était en visite d’État en Chine — où il a échangé avec Xi Jinping — Anna Baerbock n’a pas rencontré le chef d’État chinois, mais son ministre des affaires étrangères.
Pour rappel, le Président français avait tenu les propos suivants lors de son vol retour : “Avons-nous intérêt à une accélération sur le sujet de Taïwan ? Non. La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise”.
CRITIQUES • Les déclarations du président français ont créé une onde de choc en Europe. Pour beaucoup de pays d’Europe l’est, ce questionnement de l’unité transatlantique arrive au mauvais moment, l’aide américaine étant extrêmement précieuse dans le conflit Ukrainien.
Le 11 avril, le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a d’ailleurs qualifié l’alliance avec les États-Unis de “fondement absolu” de la sécurité de l’Europe. “Certains leaders rêvent d’une coopération avec tout le monde, avec la Russie et certaines puissances de l’extrême orient”, a-t-il déclaré, visant implicitement Emmanuel Macron.
Il en va de même pour le ministre des affaires étrangères lituanien, dont le pays a subi des sanctions commerciales de la part de la Chine pour avoir permis à Taiwan d’ouvrir une “ambassade”. “Malheureusement, notre aveuglement géopolitique n’a pas été encore guéri. Nous avons choisi de ne pas voir la menace d’une agression russe, et nous choisissons de ne pas voir la menace d’une agression chinoise”, a tweeté le ministre.
Les critiques se sont fait sentir à travers toute l’UE, notamment au sein de la Inter-Parliamentary Alliance on China.
Les déclarations du président français ont coïncidé avec des exercices militaires chinois d’encerclement autour de Taiwan, en réaction à la visite de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen aux États-Unis et en Amérique centrale.
DIVISION • Emmanuel Macron ne semble donc pas être parvenu à préserver l’unité européenne qu’il avait prévu de projeter lors de sa visite avec Ursula von der Leyen, qui avait d’ailleurs présenté sa ligne de conduite dans un discours un devant le Mercator Institute for China Studies (MERICS) et le European Policy Center (EPC) le 30 mars.
Le président français semble cependant maintenir sa position, sur laquelle il a été questionné lors d’une conférence de presse à Amsterdam. “Ce n’est pas parce que nous sommes les alliés des États-Unis que nous devons être contre la Chine. Nous voulons bâtir l’indépendance européenne”, a également déclaré le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire sur Europe 1.
ÉQUILIBRE • Depuis quelques mois, l’UE semble donc avoir des difficultés à formuler une ligne claire sur la Chine, après les multiples visites individuelles de leaders européens comme Charles Michel, Olaf Scholz et Pedro Sanchez.
De nombreux pays restent soucieux de maintenir des liens industriels avec la Chine tout en réduisant leur dépendance au leader asiatique sur d’autres sujets. Les débats sur l’Instrument Anti-Coercition (ACI) — sur lequel le Parlement et le Conseil ont récemment trouvé un accord — témoignent de la complexité de cet exercice.
En effet, l’Allemagne fait partie des États ayant fait pression pour que les États membres gardent la main sur l’ACI : une majorité qualifiée au sein du Conseil est à présent nécessaire pour qu’une “coercition économique” soit reconnue, contrairement à la proposition de la Commission dans laquelle celle-ci pouvait unilatéralement l’identifier.
Dans une tribune pour le FT, Alan Beattie explique : “Berlin instinctively shies away from confrontation that might damage German exports and investments abroad. There were also more principled objections from liberal member states including Sweden and the Czech Republic, suspicious of attempts to politicise trade policy.”
Dans le même temps, l’Allemagne tente de mettre en balance ses intérêts en matière de sécurité : l’année dernière, à l’approche d’une visite en Chine, Olaf Scholz avait encouragé l’entreprise chinoise Cosco à devenir actionnaire minoritaire dans un terminal du port de Hambourg. Mais il y a quelques jours, ce dernier a été classé “installation critique” par l’Agence fédérale de la sécurité des technologies de l’information, ce qui pourrait empêcher l’investissement chinois.
EN BREF • L’UE est donc bel et bien à un croisement vis-à-vis de son rival chinois. Les évolutions à venir permettront de mieux comprendre comment l’UE compte ajuster le curseur dans sa politique de “de-risking”.
Inter alia
CHATGPT • Le 13 avril, le Comité européen de protection des données a annoncé le lancement d’un groupe de travail sur OpenAI, l’entreprise derrière ChatGPT.
La création de ce groupe fait suite à l’interdiction temporaire de ChatGPT en Italie par l’agence de protection des données italienne. ChatGPT a jusqu’au 30 avril pour se conformer aux demandes de l’agence en matière de protection des données personnelles.
L’Italie souhaite notamment plus d’informations sur la manière dont ChatGPT utilise les données personnelles de ses utilisateurs et à quelles fins.
Pour OpenAI, ce n’est que le début de l’aventure dans le labyrinthe réglementaire européen. Actuellement l’entreprise n’a pas implanté de siège local au sein d’un des pays de l’UE, ce qui signifie qu’elle est susceptible d’être la cible d’enquêtes et de mesures restrictives de la part de toutes les agences de protection des données nationales.
En parallèle, les députés européens sont à quelques jours d’un accord sur leur position vis-à-vis du Artificial Intelligence Act. Ces derniers pourraient proposer une obligation pour les développeurs de logiciels d’IA de déclarer si des données protégées par des droits d’auteur ont été utilisées pour entrainer l’IA.
Un désaccord semble cependant persister sur l’utilisation de la reconnaissance faciale, qui souhaite être interdite dans tous les lieux publics par certains parlementaires.
MATIÈRES 1ÈRES • Selon le FT, plusieurs officiels européens ont demandé à la Commission européenne d’explorer les possibilités d’extraction de matières premières critiques dans les pays et territoires d’outre-mer européens (OCTs).
L’UE en possède 13, dont le Groenland (Danemark), six îles dans les Caraïbes (Pays-Bas) et les six départements d’outre-mer français. Parmi les territoires français, la Nouvelle-Calédonie possède environ 10% des ressources de nickel mondiales et la Polynésie française pourrait abriter des réserves considérables de terres rares.
Pour rappel, dans le cadre du Critical Raw Materials Act, l’UE souhaite extraire sur son territoire 10% des matières premières critiques utilisées au sein de l’UE à l’horizon 2030. La réouverture de mines au sein de l’UE pose cependant de nombreuses questions environnementales, qui seront un réel défi pour le bloc dans la construction de son autonomie stratégique.
NUCLÉAIRE • Le 5 avril, en conférence à Sciences Po Paris, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie a déclaré que les États membres de l’UE opposés au nucléaire “devront s'asseoir et faire une auto-critique sérieuse” lorsque la guerre en Ukraine sera terminée.
Ses remarques visent particulièrement l’Allemagne, dont la dépendance au gaz russe constitue une faiblesse au sein de l’UE depuis le début de la guerre en Ukraine.
Ces remarques arrivent au moment symbolique où l’Allemagne s'apprête à fermer sa dernière centrale nucléaire, ce qui ravive les débats sur les décisions passées du pays en matière de mix énergétique.
CHIPS • Toujours en Allemagne, le gouvernement d’Olaf Scholz pousse Intel à se montrer plus ambitieux pour sa nouvelle usine de semi-conducteurs (‘chips’) en Allemagne.
Le groupe américain devrait recevoir 6,8 milliards d'euros de subventions de Berlin pour construire une usine d’une valeur 17 milliards d'euros. Mais Intel aurait demandé que les subventions atteignent un minimum de 10 milliards d'euros, invoquant l'augmentation des coûts de l’énergie et de construction. Selon le FT, le gouvernement allemand affirme que les subventions ne pourront être revues à la hausse seulement si Intel accepte d'investir davantage — ce qui pourrait être très couteux pour l’entreprise.
Les négociations ont pour toile de fond la course à la construction de capacités de fabrication de semi-conducteurs entre la Chine, les États-Unis et l'Europe. La réponse de l'UE à la décision américaine de subventionner le secteur à hauteur de dizaines de milliards de dollars a été le European Chips Act, qui définit un cadre juridique pour l'octroi d'aides d'État à la construction d'usines de fabrication de semi-conducteurs.
Bien qu'il alloue 3,3 milliards d'euros à l'investissement dans la R&D, il s'appuie sur les États membres pour accorder des subventions aux fabricants. L'usine d’Intel en Allemagne est donc essentielle pour permettre à l'UE de réaliser son ambition d'accroître sa part du marché mondial des semi-conducteurs de moins de 10 % actuellement à 20 % d'ici à 2030.
Nos lectures de la semaine
Dans un article pour l'ECIPE, Matthias Bauer affirme que l'incapacité de l'Europe à trouver le chemin d'une croissance forte et durable est largement due à la fragmentation de son marché intérieur et à une politique de la concurrence inadaptée.
Pour Bruegel, Christophe Carugati jette un regard critique sur la stratégie offensive adoptée par l'autorité allemande de la concurrence, le Bundeskartellamt (BKartA), dans la régulation des grandes entreprises technologiques, qui transforme l'exercice en une compétition avec Bruxelles一 conduisant exactement à la situation d'incertitude réglementaire et de fragmentation dénoncée par Matthias Bauer.
Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud et Maxence de la Rochère. À lundi prochain !