Divisions sur la réforme des règles budgétaires européennes
Mais aussi — Chine, Conseil sur l’énergie UE/USA, Pollinisation
Bonjour. Nous sommes le mercredi 12 avril 2023 et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez nous également sur Twitter et LinkedIn. Pour cinq euros par mois, vous pouvez nous aider à continuer d’être votre fil d’Ariane dans le labyrinthe réglementaire et politique européen.
Le Briefing
Quelques semaines à peine avant que la Commission européenne ne présente sa proposition de réforme des règles budgétaires de l’UE, les divisions entre Etats membres sur le sujet restent importantes. La semaine dernière, la divulgation d’une note allemande a suffi à relancer le débat sur les détails de la réforme du fameux pacte de stabilité et de croissance (PSC).
RAPPEL • Le pacte de stabilité et de croissance — la règle de 60% de dette publique et du ratio de déficit de 3% — a été temporairement mis de côté à la suite du Covid-19, qui a causé l’explosion de la dette publique au sein de l’UE. En 2020, la “clause dérogatoire générale” du pacte a permis de lever ces obligations afin de faire face à la crise sanitaire et d’éviter de soumettre un État membre à la procédure épuisante des déficits excessifs.
En raison de la guerre en Ukraine et de la situation économique actuelle, la clause dérogatoire a été prolongée et devrait à présent s’étendre jusqu’à la fin 2024, ce après quoi la Commission espère voir la naissance d’un PSC revisité.
RÉFORME • En novembre dernier, la Commission avait publié une communication de 28 pages esquissant les grandes lignes de la réforme à venir :
La règle des 3% de déficit et 60% de dette publique serait conservée.
La Commission proposerait des trajectoires d’ajustement budgétaire de référence tous les 4 ans, ensuite déclinées au cas par cas dans des plans nationaux.
Les pays les plus endettés auront une période de 4 ans avant de devoir commencer à diminuer leur dette, contre 7 ans pour des pays moyennement endettés.
Dans le cas où un pays s’écarterait de la trajectoire budgétaire approuvée par la Commission ou dépasserait les 3% de déficit, les sanctions financières seraient d’une valeur plus faible comparée au système précédent.
En bref, l’exécutif européen souhaite aller vers des règles plus flexibles et adaptées à chaque pays, s’éloignant ainsi de l’orthodoxie budgétaire qui caractérisait sa position sur le sujet jusqu’à présent.
DIVISIONS • Mais cette position n’est pas du goût de tous les Etats membres, en particulier l’Allemagne, qui s’est montrée très critique vis-à-vis de la Commission. Entre autres, Berlin craint que des règles plus flexibles ne nuisent à la réduction de la dette publique au sein de l’UE. “A single monetary union also needs single fiscal rules”, avait notamment déclaré Christian Lindner, ministre des finances allemand, en novembre dernier.
Le 14 mars, lors d’une réunion des ministres des finances de l’UE, ce dernier a insisté pour que la Commission consulte une dernière fois les Etats membres avant de faire sa proposition de réforme. “The train cannot leave the station until its destination is clear”, a-t-il expliqué à la presse.
NON-PAPER • La semaine dernière, un non paper (document non-officiel) allemand vu par Euractiv révèle que les critiques de Christian Lindner sont toujours d’actualité.
D’une part, l’Allemagne souhaite que les États membres commencent à réduire leur dette dès l’entrée en vigueur de la réforme. Cela va à l'encontre de la période d’ajustement de quatre à sept ans initialement proposée par la Commission européenne.
D’autre part, l’exécutif allemand souhaite une réduction annuelle du ratio dette/PIB de 1 point de pourcentage pour les pays très endettés et de 0.5 point de pourcentage pour les pays moyennement endettés.
INQUIÉTUDES • Ce deuxième point a fait réagir de nombreux économistes. Qualifiant cette proposition de potentiellement “catastrophique”, Olivier Blanchard a mis en garde sur Twitter contre les effets pro-cycliques que pourrait avoir cette mesure.
En effet, lors d’une crise économique, la réduction du PIB entraîne une augmentation du ratio dette/PIB, ce qui, dans le cas de la proposition allemande, augmenterait le niveau de l’obligation de réduction minimum de la dette. Dans ce cas, si la mise en place d’une politique d’austérité peut permettre de réduire la dette, celle-ci risque cependant de ralentir encore plus l’activité économique déjà affectée par la crise en question.
Sur Twitter, l’économiste Sander Tordoir se veut plus rassurant, soulignant que ces pourcentages restent à déterminer : “These numbers are an opening bid in the non-paper (“could for example be foreseen…”) (...). I read it more as making commitments to reduce debt in the ex ante planning process.”
Le non-paper allemand prévoit également que les règles puissent être suspendues lors d’une crise, ce que la Commission européenne souhaite éviter.
SCEPTIQUE • Mais la principale critique de l’Allemagne reste l’approche individualisée de la Commission vis-à-vis des objectifs de réduction de la dette.
En bref, Berlin a du mal à se faire à l’idée que la Commission puisse être en mesure d’ajuster le curseur des règles budgétaires pour chaque pays. L’Allemagne craint des largesses de la part la Commission et estime que l’approche individualisée pourrait nuire à la transparence des règles budgétaires et à l’égalité entre les Etats membres.
WHAT NEXT? • La Commission européenne devrait présenter sa proposition législative d’ici fin avril. D’ici là, nous vous recommandons deux articles d’opinion sur les débats précédemment évoqués, l’un par Rebecca Christie — que nous avons d’ailleurs interviewée fin 2022 sur le même sujet — pour Reuters, l’autre de Sander Tordoir et Jasper Van Dijk pour Politico.
Inter alia
CHINE • Le 8 avril, Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, ont achevé une visite d'État en Chine. Dans une interview pour Politico et Les Echos, le président français a défendu sa vision d’une “autonomie stratégique” de l’Europe face aux Etats-Unis — qu’il ne faudrait pas suivre aveuglément — et à la Chine — à laquelle il ne faudrait pas être trop dépendant.
Les propos du chef de l’Etat sur Taiwan ont cependant eu l’effet d’une onde de choc, tant sur le vieux continent qu’aux Etats-Unis. “Avons-nous intérêt à une accélération sur le sujet de Taïwan ? Non. La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise”, a déclaré Emmanuel Macron.
En réaction, plusieurs élus nationaux européen aux positions plus sceptiques face au rival chinois ont signé une déclaration publiée par la Inter-Parliamentary Alliance on China. “It should be emphasized that the president’s words are severely out of step with the feeling across Europe’s legislatures and beyond”, indique cette dernière, ajoutant “Monsieur le Président, you do not speak for Europe”. Le ton est donné.
Les déclarations du président français interviennent alors que la Chine réalise actuellement des exercices militaires d’encerclement autour de Taiwan, en réaction à la visite de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen aux États-Unis et en Amérique centrale.
De son côté, Charles Michel, président du Conseil européen, semble prendre la défense d’Emmanuel Macron sur l’autonomie stratégique de l’Europe et l’importance de ne pas “suivre aveuglément” les Etats-Unis.
Si Ursula von der Leyen et Emmanuel Macron ont tenté de montrer un front européen uni, le président français s’est montré plus conciliant que la cheffe de l’exécutif européen envers le rival chinois. Ursula von der Leyen a déclaré que le recours à la force pour modifier le statu quo entre la Chine et Taiwan était inacceptable, là où Emmanuel Macron estime qu’il est en réalité illusoire de penser pouvoir influencer la Chine sur le sujet.
ENERGIE • Le 4 avril avait lieu le dixième Conseil de l’énergie UE/Etats-Unis. Cette initiative a été créée en 2009 pour faciliter la coopération entre l’UE et les Etats-Unis sur les problématiques liées à l’énergie. C’est la première fois que le Conseil se rassemblait depuis le début de la guerre en Ukraine.
Lors du sommet, les Etats-Unis se sont engagés à poursuivre l’approvisionnement de l’Europe de gaz naturel liquéfié (LNG), avec un objectif de 50 bcm — milliards de mètres cubes — pour 2023. Les exportations de LNG des Etats-Unis vers l’UE ont presque doublé en 2022 afin de soutenir les efforts de diversification d’approvisionnement européens dans le contexte de la guerre en Ukraine.
Les Etats-Unis et l’UE ont également réitéré leur volonté de “confronter directement” toute tentative de déstabiliser les marchés de l’énergie, à l’instar de la Russie lors du conflit en Ukraine.
POLLINISATION • Le 5 avril 2023, la Commission européenne a publié une réponse à l'initiative citoyenne européenne (ICE) "Sauvez les abeilles et les agriculteurs ! Vers une agriculture respectueuse des abeilles pour un environnement sain".
Pour rappel, si l’ICE ne donne pas de pouvoir d'initiative législative aux citoyens européens, elle permet toutefois de matérialiser une préoccupation commune et de presser les institutions à agir en conséquence. Sur les neuf ICE soumises depuis 2012, c'est la septième à laquelle la Commission répond.
L'initiative citoyenne européenne "Sauvez les abeilles et les agriculteurs !" reflète les inquiétudes du public concernant la soutenabilité écologique et socio-économique du système agricole européen. Elle appelle la Commission à :
Éliminer progressivement les produits phytosanitaires de synthèse d'ici à 2035;
Restaurer la biodiversité dans l'agriculture ; et
Soutenir les agriculteurs dans leur transition vers une agriculture durable.
Dans sa réponse, la Commission fait explicitement le lien entre la crise de la perte de biodiversité et la sécurité alimentaire de l’Europe. Au sein de l’UE, 80% des espèces de plantes cultivées et sauvages à fleurs dépendent d’ailleurs de la pollinisation animale.
Si la Commission ne compte pas faire de nouvelle proposition législative sur le sujet, elle enjoint les co-législateurs à rapidement trouver un accord ambitieux sur les propositions législatives déjà à l’étude — notamment le règlement sur l’utilisation durable des pesticides et la nouvelle Politique Agricole Commune (2023-2027).
En janvier, la Commission avait également présenté son initiative révisée sur les pollinisateurs, appellant le Conseil et le Parlement à s’investir pleinement sur le sujet.
Nos recommandations de la semaine
Le CEPS a publié un rapport de Doina Postica et al. sur la convergence entre États membres de l'UE, dans lequel les auteurs soulignent la faiblesse persistante de la croissance dans le sud de l’Europe.
Dans une note pour l'ECFR, Jeremy Shapiro et Jana Puglierin analysent le déclin relatif de l'Europe et les conséquences qui en découlent pour la nature de la relation transatlantique.
Trois lectures sur l'UE et la course aux ressources minérales : dans le FT, Patricia Nilsson et Harry Dempsey tirent la sonnette d'alarme sur le risque de pénurie de lithium en Europe, Marie Le Mouel et Niclas Poitiers écrivent pour Bruegel sur la nécessité d'internationaliser la stratégie de l'Europe pour les matières premières critiques, et Cecilia Malmström du Peterson Institute se demande si la ruée vers les terres rares débouchera sur un accord commercial UE-EUA.
Nous vous recommandons également une conférence organisée le 18 avril par Confluence sur la guerre en Ukraine et ses conséquences pour l’UE — avec Bruno Alomar, économiste et enseignant à Sciences Po ; Xavier Follebouckt, diplomate belge à la représentation permanente de la Belgique auprès de l’UE ; et Aude Merlin, chercheuse en science politique.
Cette édition a été préparée par Ysabel Chen, Marwan Ben Moussa, Maxence de La Rochère et Augustin Bourleaud. À lundi prochain !