Bruxelles hausse le ton face à Pékin
Mais aussi — RED, Instrument Anti-Coercition, Concurrence, Gaz
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Le Briefing
Le 30 mars, la présidente de la Commission a prononcé un discours devant le Mercator Institute for China Studies (MERICS) et le European Policy Center (EPC) sur le futur des relations entre l’UE et la Chine, en amont d’une visite officielle en Chine.
IN BREVIS • Dans son discours, la présidente de la Commission prend une position ferme en proposant la réduction des risques — derisking — de la relation sino-européenne. Si l’UE hausse le ton, c’est sans toutefois aller jusqu’à s’aligner sur les États-Unis, plus friands du concept de découplage.
CONTEXTE • Ursula von der Leyen se rendra le 4 avril en Chine, en compagnie d’Emmanuel Macron. Le 24 mars, Emmanuel Macron a annoncé qu’Ursula von der Leyen accompagnerait “une partie” de la visite d’État française en Chine.
Pour rappel, Olaf Scholz s’est rendu à Pékin l’automne dernier, s’attirant les critiques de leaders frustrés d’un voyage organisé sans véritable concertation européenne.
Le président du Conseil européen, Charles Michel, s’est également rendu en Chine en décembre 2022. Son voyage s’est déroulé en pleine vague de manifestations contre la politique sanitaire du gouvernement chinois.
MERICS NON GRATA • Le Mercator Institute for China Studies fait partie des quatre institutions sanctionnées par la Chine en mars 2021, après que l’UE a imposé des sanctions sur des individus et entités accusés de violations des droits de l’homme au Xinjiang. Parmi les individus sanctionnés par la Chine figure l’eurodéputé Raphaël Glucksmann.
La conclusion d’un important accord d’investissement a été mis au placard peu de temps après l’imposition de ces sanctions par Pékin, malgré un accord de principe trouvé au niveau européen à la toute fin de la présidence allemande du Conseil de l’UE en décembre 2020.
CONSTATS • Dans son discours, von der Leyen met en garde contre les liaisons dangereuses de Pékin avec Moscou :
“Tout plan de paix qui consacrerait les annexions russes n'est tout simplement pas viable. Nous devons être francs à ce sujet. La manière dont la Chine continuera de réagir face à la guerre menée par Poutine sera un facteur déterminant de l'avenir des relations entre l'UE et la Chine.”
Von der Leyen prend acte de l’utilisation plus musclée par la Chine de sa puissance économique à des fins géopolitiques :
“Nous l'avons vu lorsque la Chine a réagi à l'ouverture d'un bureau taïwanais à Vilnius, en prenant des mesures de rétorsion à l'encontre de la Lituanie et d'autres entreprises européennes. Nous l'avons vu avec les boycotts contre des marques de vêtements qui avaient pris position sur la question des droits de l'homme, ou avec les sanctions prises à l'encontre de députés européens, de fonctionnaires et d'institutions universitaires en raison de leurs opinions sur les actions de la Chine.”
PLAN D’ACTION • La réponse proposée par la présidente de la Commission à cette nouvelle Chine est triple.
Réduire les risques. L’UE introduit une nouvelle notion clé dans ses relations avec la Chine — le derisking. “Nos relations ne sont ni noires ni blanches, et notre réponse ne peut l'être non plus. C'est pourquoi nous devons nous concentrer sur la réduction des risques, et non sur la distanciation”.
Réduire les dépendances économiques. L’UE doit devenir plus “résiliente”, notamment en diversifiant ses approvisionnements en terres rares et en lithium, pour lesquels la dépendance à la Chine est quasi-totale. Les biens à double usage sont également visés, et plus largement les secteurs dans lesquels les relations avec la Chine présentent des risques pour la sécurité économique de l’UE.
Dans ce contexte, la Commission étudie la mise en place d’un mécanisme de contrôle des investissements sortants. “Cet instrument concernerait un petit nombre de technologies sensibles pour lesquelles les investissements peuvent conduire au développement de capacités militaires présentant des risques pour la sécurité nationale.”Utiliser les instruments juridiques existants. L’UE s’est récemment dotée d’un arsenal juridique important — que ce soit en matière de contrôle des investissements étrangers (règlement FDI), de prise en compte des distorsions induites par les subventions extra-européennes (règlement sur les subventions étrangères), ou encore en matière de coercition économique (instrument anti-coercition). L’UE doit désormais utiliser ces instruments.
LIGNE DE CRÊTE • Le message européen à l’égard de Pékin se durcit — à la fois par rapport aux positions passées de la Commission et par aux sensibilités de certains États membres.
Dès 2019, la Commission et le Service européen d’action extérieure avaient dans une communication conjointe qualifié la Chine de “partenaire, concurrent économique, rival systémique”, mais il a fallu attendre le Covid-19, la guerre en Ukraine, et la (forte) pression des États-Unis pour que la troisième partie du tryptique gagne en épaisseur.
Il est en effet difficile de trouver une ligne commune entre sociaux-démocrates allemands, sinophiles car bien conscients de l’importance de la Chine pour l’industrie allemande ; les lithuaniens, pris pour cible par le boycott économique chinois ; les pays d’Europe du Sud tributaires d’importants investissements chinois ; ou encore les Pays-Bas qui ont récemment suivi les États-Unis en interdisant l’exportation vers la Chine de composants essentiels aux semiconducteurs.
PEKIN VOIT ROUGE • Si l’approche adoptée par l’UE (derisking) est plus douce que celle des Etats-Unis (decoupling), Pékin ne l’entend pas de la même manière. Washington dicte à Bruxelles sa conduite, selon les dires de l’ambassadeur chinois auprès de l’UE.
Fu Cong ajoute que l’UE devrait s’opposer — au nom de son autonomie stratégiques — aux demandes américaines, ajoutant au passage que les pays qui dégraderont leurs relations commerciales avec le Chine le feront à leur propre péril.
Inter Alia
ENERGIE • Le 30 mars, le Parlement et le Conseil ont trouvé un accord provisoire sur la révision de la directive de l’UE sur les énergies renouvelables (RED). L’accord renforce l’ambition du texte original, faisant passer de 32% à 42,5% l’objectif d’énergies renouvelables dans le mix énergétique de l’UE pour 2030 — avec des sous-objectifs par secteur.
Pour favoriser le développement des renouvelables, la révision vise à accélérer et simplifier les procédures d’octroi de permis éoliens et photovoltaïques. Les énergies renouvelables seront ainsi considérées comme relevant d’un “intérêt public supérieur”. Pour les zones qui ont un fort potentiel en matière d’énergies renouvelables et où les risques environnementaux sont faibles, les procédures d’octroi de permis seront particulièrement simples et rapides.
La France a globalement échoué à convaincre les États membres d’intégrer le nucléaire dans la directive RED. Elle a cependant obtenu une concession : l’hydrogène produit à partir d’énergie nucléaire pourra être comptabilisé dans un sous-objectif lié à l’industrie.
Cependant, cette concession ne pourra bénéficier qu’aux pays ayant un très grand parc nucléaire comme la France et la Suède. La France s’est donc aliénée plusieurs États membres faisant partie de la coalition qu’elle mène depuis plusieurs semaines pour obtenir l’inclusion du nucléaire dans les textes européens relatifs au Green Deal — et qui ne bénéficieront pas de la concession obtenue.
Plus généralement, il semble y avoir une frustration de la part de certains États membres vis-à-vis du lobbying de la France et de l’Allemagne, respectivement sur le nucléaire et les moteurs à combustion.
L’accord doit maintenant être adopté formellement par le Parlement et le Conseil, puis la législation sera ensuite publiée au Journal officiel de l’UE et entrera en vigueur.
COMMERCE • Le Parlement et le Conseil ont également trouvé un accord sur l’instrument anti-coercition (Anti-coercion instrument — ACI), qui vise spécifiquement la "coercition économique" — lorsqu'un pays tiers cherche à faire pression sur l'UE ou l’un de ses États membres en appliquant ou en menaçant d'appliquer des mesures affectant le commerce ou les investissements. Cet instrument se veut une contribution importante au renforcement de l’autonomie stratégique ouverte de l'UE.
L’ACI vise surtout à répondre aux pressions chinoises. Fin 2021, la Chine avait par exemple mis en place un embargo sur toutes les importations de produits provenant de Lituanie ou ayant des composants issus de Lituanie. Cette décision avait été prise à la suite de l’ouverture à Vilnius d’une ambassade taïwanaise, perçue comme une insulte à la politique de la Chine unique.
Avant d’entrer en vigueur, l’accord doit d’abord être formellement adopté par le Conseil et le Parlement.
COMP • Margrethe Vestager, Commissaire européenne à la concurrence, a déclaré à la presse que les entreprises bénéficiaires du Inflation Reduction Act — le plan de 369 milliards de dollars des Etats-Unis pour accélérer la transition énergétique — pourraient avoir à notifier leurs subventions à la Commission européenne, conformément au règlement relatif aux subventions étrangères.
Ce règlement est entré en vigueur le 12 janvier 2023. À partir du 12 juillet, la Commission pourra ouvrir des enquêtes sur les subventions étrangères faussant le marché intérieur. Dès le 12 octobre, ces entreprises auront l’obligation de notifier ces subventions.
GAZ • Le 30 mars, le Conseil a adopté un règlement prolongeant pendant 1 an l’objectif volontaire de réduction de consommation de gaz de 15% pour chaque État membre. Entre aout 2022 et mars 2023, l’UE a déjà réduit sa consommation de gaz de 19%.
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