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Focus — coup de froid dans les chaumières, coup de chaud au Conseil
Suite à une interruption de trois jours, Gazprom a annoncé la suspension des livraisons de gaz via le gazoduc Nord Stream le 2 septembre, citant des raisons techniques. Le 30 août, le géant gazier russe annonçait la suspension de ses livraisons de gaz à Engie à compter du 1er septembre, citant un défaut de paiement de la part du groupe français. Les ministres européens de l’énergie doivent se réunir vendredi 9 septembre à Bruxelles pour un sommet extraordinaire du Conseil de l’UE.
CONTEXTE • Peu après que le G7 a pris parti pour l’introduction d’un plafonnement du prix des exportations de pétrole russe, la Russie a annoncé l’interruption des livraisons de gaz transitant par le premier des gazoducs Nord Stream, passant par la mer Baltique. Les motifs techniques invoqués par Gazprom sont contestés par Siemens, qui fabrique et maintient les turbines en question. Gazprom a également annoncé que l’augmentation des livraisons de gaz passant par l’Ukraine.
« L'annonce faite cet après-midi par Gazprom de fermer une nouvelle fois Nord Stream 1 sous des prétextes fallacieux est une nouvelle confirmation de son manque de fiabilité en tant que fournisseur. C’est aussi une preuve du cynisme de la Russie, qui préfère torcher le gaz plutôt que d'honorer les contrats », a réagi Eric Mamer, porte-parole de la Commission (notre trad.).
CONSÉQUENCES • Si l’UE est en bonne voie pour remplir ses stocks à 80% comme l’avait prévu le plan REPowerEU présenté au printemps 2022, le scénario d’un hiver sans aucun gaz russe pourrait tout de même compliquer la donne. Vivre sans gaz russe obligerait l’UE à couper de 15% sa consommation par rapport à la demande moyenne entre 2019-2021, selon une note de Ben McWilliams et Georg Zachmann, du think tank Bruegel.
Couper le robinet portera un coup de massue supplémentaire à l’Allemagne, fortement dépendante au gaz acheminé via Nord Stream, et dont l’industrie — forte consommatrice d’énergie — tourne déjà en sous-régime malgré des stocks pleins à 84%. En France, c’est l’état du parc nucléaire qui inquiète, alors que 32 réacteurs sur 56 sont en maintenance. La faible production d’électricité par EDF pèse à la hausse sur les prix de l’électricité et jette des doutes sur la capacité de la France à passer l’hiver sans rationnements ni coupures grâce au nucléaire.
CONSEIL • Les ministres de l’énergie de l’UE se retrouvent donc le 9 septembre pour une réunion extraordinaire à Bruxelles, consacrée à la crise énergétique. De nombreux sujets seront sur la table : stocks de gaz, price caps, réforme du marché de l’électricité, ou encore taxes sur « superprofits ».
RÉFORME ? • Le Conseil, sous présidence tchèque, pourrait potentiellement voir l’annonce d’un futur découplage du prix de l’électricité et du gaz, mais la question divise toujours. La Commission a agi rapidement sur ce sujet, après les déclarations d’Ursula von der Leyen le 29 août au forum stratégique de Bled.
Les déclarations du ministre allemand des finances Christian Lindner en faveur du découplage des prix de l’électricité et du gaz ont sans doute mis de l’huile dans le moteur européen sur ce sujet très sensible. La réforme a longtemps été soutenue par des pays du Sud tels que l’Espagne, mais faisait face à l’opposition résolue de l’Allemagne ou de l’Autriche.
Pour rappel, la flambée du prix du gaz a un effet direct sur celui de l’électricité, en raison de la tarification marginale au niveau européen. Le prix de l’électricité est fixé selon prix de la dernière unité produite — en fonction du gaz par exemple, qui est utilisé pour 20% de la production d’électricité au sein de l’UE.
QUELLES MESURES ? • S’il est improbable qu’une réforme opérationnelle du fonctionnement du marché européen de l’énergie voie le jour à l'issue de ce Conseil, des mesures à court terme seront néanmoins discutées. Comme révélé par le Financial Times, les recommandations faites par la Commission européenne aux ministres de l’énergie incluent l’idée d’une “windfall tax” – un impôt sur les “bénéfices imprévus” ou “superprofits” – appliqué à tous les producteurs d’électricité excepté ceux dont les unités de production fonctionnent au gaz. Cet ensemble de producteurs – qui bénéficie de prix artificiellement élevés en raison du fonctionnement du marché européen – se verrait attribuer des prix plafonds, et la différence entre ces prix et le prix actuel de l’électricité serait ponctionné par les Etats membres afin d’être redistribué aux consommateurs pour alléger leur facture énergétique.
Si l’Allemagne et la France semblent devoir soutenir cette mesure, il faudra que des pays comme l’Italie, l’Espagne et la Grèce renoncent aux taxes similaires qu’ils ont eux même précédemment adoptées, afin de laisser place à une harmonisation à l’échelle européenne – un potentiel point de tension. Des mesures visant à réduire la demande énergétique seront également discutées lors du Conseil.
NOUVELLES SOURCES • Les États membres de l’UE sont également encouragés à trouver de nouveaux partenaires commerciaux pour leur gaz naturel et à investir dans les énergies renouvelables. En visite à Alger, le Président du Conseil Européen Charles Michel a insisté sur la fiabilité de l’Algérie comme partenaire en matière d’énergie – un pays sur lequel la France et l’Italie comptent déjà pour diversifier leurs importations de gaz. Ces mesures de diversifications n’échappent pas aux controverses : alors que les projets de pipelines reliant la péninsule ibérique à la France font l’objet de nombreuses dissensions, scientifiques et activistes critiquent le bien-fondé des investissements dans les terminaux flottants de gaz liquéfié prévus par de nombreux pays de l’UE.
In Case You Missed It
CHÔMAGE & INFLATION • Le 8 septembre, le Conseil des gouverneurs de la BCE se réunit à Francfort. Les marchés attendent de savoir si Christine Lagarde annoncera une hausse des taux de 0,5% (50bps) ou de 0,75% (75bps). L’inflation annuelle s’établit à 9,1% au sein de la zone euro en août, selon les données d’Eurostat. Une hausse de 75 points de base donnerait un signal clair que la BCE entend lutter contre l’inflation, quitte à causer des dommages collatéraux dans certaines économies plus endettées.
Le chômage au sein de la zone euro a atteint 6,6% en juillet 2022, selon les dernières statistiques d’Eurostat. Ce faible taux de chômage met encore plus la pression sur la BCE, pressée d’augmenter ses taux d’intérêt directeurs pour rester crédible dans sa lutte contre l’inflation, et afin d’éviter le déclenchement d’une boucle prix-salaire difficile à contrôler.
Le taux de chômage au sein de la zone euro est en baisse continue depuis un pic à 12% en 2013-2014, à la suite de la crise des dettes souveraines.
PIÈCES DÉTACHÉES • Après les chargeurs USB-C, l'effet Bruxelles s’attaque aux pièces détachées de smartphones. La Commission européenne a publié une proposition d’acte législatif, qui obligerait les fabricants à fournir au moins 15 pièces détachées aux réparateurs professionnels jusqu’à cinq années après la commercialisation de l’appareil.
Pour la Commission, dont l’initiative s’inscrit dans le cadre du Plan d’action économie circulaire de 2020, il s’agit d’améliorer la durabilité des smartphones et des tablettes en s’assurant que les objets soient réparés, et donc utilisés plus longtemps.
Une étude du European Environmental Bureau, citée par le FT, estime qu’une extension de la durée de vie de 5 ans de tous les smartphones vendus dans l’UE équivaut, en termes de Co2, au retrait de la circulation de 5 millions de voitures. Pour donner votre avis à la Commission, vous avez jusqu’au 28 septembre.
POUVOIRS EXCEPTIONNELS • Des informations sur «l’instrument du marché unique pour les situations d’urgence» (IUMU) de la Commission ont fuité. Annoncé en 2021, il donnerait à la Commission, dans une situation d’urgence, le pouvoir d'intervenir dans la production et l'approvisionnement de biens essentiels. Ce nouvel outil est la réponse des technocrates du Berlaymont à l’impuissance ressentie au plus fort de la crise du Covid-19, lorsque les chaînes d'approvisionnement furent plongées dans le chaos et que les États membres furent confrontés à des pénuries de biens de première nécessité.
L'instrument permettrait à la Commission de solliciter les données internes des entreprises afin d'évaluer l’étendue de leurs stocks et, si nécessaire, de décider directement de l’ordre de priorité des commandes. Le non-respect de ces règles pourrait entraîner des amendes allant jusqu'à "1,5 % du chiffre d'affaires quotidien moyen de l'exercice précédent pour chaque jour ouvrable de non-conformité", selon un projet de proposition cité par Bloomberg News.
La Commission cherche également à protéger la liberté de circulation, en limitant plus strictement le droit des États membres à fermer leurs frontières, comme cela s'est produit à plusieurs reprises pendant la pandémie.
La proposition de règlement devrait être dévoilée le 13 septembre. Bloomberg rapporte que neuf capitales européennes, dont Copenhague et La Haye, ont fait part de leurs inquiétudes au cours de l'été, craignant que l'instrument ne donne trop de pouvoir à la Commission.
Interview
Nous avons discuté de la place des pesticides dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC) avec Tatiana Nemcova (BirdLife) et Eva Corral (European Environmental Bureau), qui ont rédigé un policy briefing sur le sujet. À retrouver ici.
Nos lectures de la semaine
Dans les colonnes d’EU Law Live, Guillermo Íñiguez commente le discours d’Olaf Scholz prononcé à l'Université Charles le 29 août, dans lequel le chancelier a posé les bases d’un programme pour réformer les institutions européennes. L'auteur salue les ambitions affichées, mais estime que les propositions ne constituent pas une réponse convaincante au défi de la sauvegarde de l’État de droit face aux gouvernements hongrois et polonais.
Pour le CEPS, Daniel Gros explique les raisons de son opposition aux gels des prix du gaz et aux subventions aux consommateurs, qui ne font que renchérir le prix de l’énergie pour tous. Il estime que les gouvernements devraient plutôt inciter les consommateurs à réduire leur consommation.
Qui est en tête dans la course à la transition énergétique ? Bloomberg, Ira Boudway, Fritz Habekuss et Todd Woody opposent les États-Unis à l'Europe et désignent le meneur incontesté.
Zach Meyers, du CER, prévient que les instruments juridiques dont la Commission a été dotée ces dernières années pour protéger le marché intérieur de l'UE pourraient facilement décourager les investissements. Ils peuvent être utilisés comme levier dans les négociations commerciales, mais ne doivent pas devenir un outil de protectionnisme injustifié.
Cette édition a été préparée par Maxence de la Rochère et Augustin Bourleaud. À la semaine prochaine !