Rentrée à haut risque pour l'économie européenne
Mais aussi — Pologne, NGEU, Travel Ban, Scholz, Boone
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne, votre condensé d’actualité européenne utile. Nous sommes ravis de vous retrouver après quelques semaines de pause estivale pour la rédaction.
Focus — la fin de l’abondance
Après un été d’incendies et de chaleurs records, l’automne ne devrait pas manquer de donner des sueurs froides aux décideurs européens. Si le Président Macron prépare déjà les français à la fin de l’abondance, l’énergie, l’inflation, et le sort de l’Italie domineront l’agenda économique européen dans les mois à venir.
L’ÉNERGIE • Les ministres européens de l’énergie se retrouvent le 9 septembre pour une réunion extraordinaire du Conseil de l’UE, sous présidence tchèque.
La situation est exceptionnelle : le prix du gaz à un an a augmenté de plus de 25% en Allemagne et en France le 26 juillet, dépassant la barre des 1 000 euros par mégawattheure, alors que Gazprom réduit encore ses livraisons de gaz. Le PDG de Shell a déclaré le 29 août que la crise énergétique pourrait durer au-delà de l’hiver prochain, même si les objectifs fixés par la Commission en termes de stockage pour l’hiver 2023 sont en voie d’être atteints.
La baisse de l’offre de gaz se répercute sur celle de l’électricité. D’une part, 20% de l’électricité en Europe est produite grâce à du gaz. D’autre part, le marché européen de l’électricité fonctionne selon une tarification marginale, où le prix de l’électricité suit celui du gaz. Les difficultés d’EDF à produire de l’énergie nucléaire, dont 24 réacteurs sont opérationnels sur 56, n’aident pas le marché à se calmer.
L’envolée des prix pousse de nombreux États membres à militer en faveur d’une réforme du fonctionnement du marché de l’électricité, qui sera à l’agenda des discussions le 9 septembre. La présidence tchèque du Conseil de l’UE plaide pour une dissociation entre les marchés du gaz et de l’électricité. D’autres, comme l’Italie, la Belgique ou l’Espagne, militent pour un plafonnement des prix. Des pays traditionnellement réticents soutiennent l’idée d’une réforme, comme le ministre allemand de l’économie Robert Habeck ou encore le chancelier autrichien Karl Nehammer.
Le 29 août, Ursula von der Leyen a préparé le terrain lors du forum stratégique de Bled, déclarant :
“La flambée des prix de l'électricité met aujourd'hui en évidence les limites de notre organisation actuelle du marché de l'électricité. Cette organisation avait été conçue pour une situation complètement différente. C'est la raison pour laquelle nous travaillons actuellement à une intervention d'urgence et à une réforme structurelle du marché de l'électricité”.
L’INFLATION • La prochaine réunion de la BCE a lieu le 8 septembre.
Avec une inflation au plus haut, un euro au plus bas et la menace d’une récession,la BCE est sous pression. Isabelle Schnabel, membre du directoire de la BCE déclarait à Jackson Hole qu’un “sacrifice” — en termes de croissance et d’emploi — plus important que lors des dernières crises serait nécessaire pour réduire le taux d’inflation. En clair, la BCE choisit de maintenir les taux élevés pour faire descendre l’inflation, au prix d’une croissance moins élevée et d’un chômage en hausse.
La BCE fait écho au résolument hawkish de Jerome Powell, président de la Fed, qui a confirmé à Jackson Hole la nécessité de maintenir des taux d’intérêt élevés, plus longtemps que ce que les marchés n'anticipaient jusqu’alors. La différence majeure entre les États-Unis et l’Europe tient au fait que la Fed a déjà significativement remonté ses taux d’intérêt, fixés entre 2,25-2,50%. Ce n’est pas le cas de la BCE qui a procédé en juillet à sa première augmentation de taux de 0,5%, pour atteindre un taux de 0%, mettant fin à une décennie de taux négatifs au sein de la zone euro.
Ces différences de taux euro-dollar ont contribué à la chute vertigineuse de la monnaie commune face au greenback. La baisse de l’euro reflète également l’impact plus important de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique sur l’économie européenne comparée aux États-Unis. La baisse de l’euro contribue, à son tour, à l’inflation au sein de la zone euro en raison — conséquence du renchérissement des importations, notamment énergétiques. Les marchés internationaux parient sur une poursuite de la baisse de l’euro, puisque les positions short sur la monnaie commune ont atteint leur plus haut niveau depuis le début de la pandémie de Covid-19, en mars 2020.
La hausse des taux est un exercice substantiellement plus compliqué en Europe qu’aux États-Unis, du fait des fortunes économiques divergentes des différents membres de la zone euro. La BCE applique en effet un taux d’intérêt unique à des pays aux niveaux d’endettement et aux perspectives de croissance divergents. Une hausse trop brutale des taux pourrait provoquer une crise, par exemple en Italie. Une hausse trop modérée pourrait faire perdre à la BCE la bataille de l’inflation.
Pour éviter une catastrophe dans les pays les plus endettés, la BCE a dévoilé en juillet un instrument de protection de la transmission (IPT). L’IPT permet à la BCE d’intervenir de façon ciblée sur les marchés obligataires en cas de détérioration significative et soudaine des conditions d’emprunt, mesurée par l’écart (spread) entre le taux d’emprunt du pays concerné et celui de l’Allemagne, pays considéré comme "sûr" par les investisseurs obligataires.
L’ITALIE • Les marchés ont pris des positions short contre l’euro. L’Italie, en particulier, est visée. Les hedge funds ont pris leur plus grosse position short contre les obligations italiennes depuis la crise de 2008, avec plus de 39 milliards d’euros d’obligations italiennes achetées à découvert selon les données de S&P.
La tenue d’élections législatives le 25 septembre pour décider de la succession de Mario Draghi ajoute du risque politique aux fondamentaux économiques déjà fragiles de la péninsule. Sa dépendance au gaz russe et son niveau d'endettement sont devenus plus problématiques avec le départ annoncé de Mario Draghi, dont l’agenda réformiste et la crédibilité aux yeux de la communauté financière et européenne représentaient un plus.
Melloni ou pas, le prochain gouvernement doit continuer l’agenda réformiste sur lequel s’était engagé Draghi pour obtenir les financements du plan de relance NextGenEU, dixit Draghi lui-même depuis Rimini le 24 août. Les partis en tête des intentions de vote — Forza Italia, Fratelli d’Italia et la Ligue — ne sont pas exactement sur la même longueur d’onde.
En mai 2018, le président Sergio Mattarella avait mis son véto à la nomination d’un ministre du budget eurosceptique dans le cadre du gouvernement de coalition M5S/Ligue présidé par Giuseppe Conte. En Octobre 2018, la Commission européenne avait rejeté le projet de budget pour 2019 par le même gouvernement de coalition. Il est certain que les marchés comme la Commission auront la dent plus dure si ce scénario se présente de nouveau avec un gouvernement Melloni.
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In Case You Missed It
POLOGNE • Le 28 août, quatre associations de juges de l’UE — l’Association des juges administratifs européens (AEAJ), l’Association européenne des juges (EAJ), Rechters voor Rechters (Juge pour les juges) et Magistrats Européens pour la Démocratie et les Libertés (MEDEL) — ont porté plainte contre le Conseil de l’UE devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).
Leur action en justice concerne une décision de Juin dans laquelle le Conseil a approuvé l’évaluation faite par la Commission du plan national de relance de la Pologne.
Cette décision permet à la Pologne d’avoir accès aux fonds de l’UE une fois que des “jalons” en matière d’indépendance du pouvoir judiciaire auront été atteints. Selon les quatres associations, ces “jalons”, en plus d’être insuffisants, ne sont pas alignés avec les précédentes décisions de la CJUE sur le sujet.
TRAVEL BAN • Le Conseil de l’UE se penche ce mercredi 31 août sur la suspension des accords de facilitation de visa avec la Russie. Alors que certains États membres demandent purement et simplement un travel ban européen, la question divise.
Certains États membres ont unilatéralement cessé d’accorder des visas de tourisme aux Russes non frappés par les sanctions, à l’instar de la République Tchèque ou la Pologne.
Sous pression du Président Zelensky, des voix se faisaient entendre pour mettre en place un travel ban européen, ce qui n’était pas pour plaire à Josep Borrell, Emmanuel Macron et Olaf Scholz. Paris et Berlin font entendre leur opposition à cette mesure soutenue par les pays de l’Est.
SCHOLZ À PRAGUE • Le 29 août, Olaf Scholz était en Autriche pour prononcer un discours à l’université Charles de Prague. Il y a développé sa vision pour le futur d’une UE à 30, voire 36 États membres. Il y a également pris parti pour l'abandon du vote à l’unanimité au Conseil pour les affaires fiscales, de politique étrangère et les procédures liées à l’état de droit.
Scholz se prononce également en faveur de la Communauté Politique Européenne proposée par le Président Macron. Ce discours reprend pour l’essentiel des propositions déjà formulées par le chancelier allemand cette année. Pour un résumé des points clés de ce discours, on vous conseille ce thread de Thu Nguyen, du Centre Jacques Delors à Berlin.
SAN FRANCISCO • La Commission européenne ouvre le 1er septembre un bureau à San Francisco. Gérard de Graaf, précédemment à la DG CNECT — réseaux de communication, contenu et technologie — dirigera l’antenne californienne de la Commission, au plus près des Big Tech qui verront d’ici peu s’appliquer le Digital Markets Act et le Digital Services Act.
Le développement d’une diplomatie digitale européenne s’inspire de la nomination d’ambassadeurs de la tech par de nombreux pays, à l’instar du Danemark ou de l’Autriche, soucieux d’envoyer leurs diplomates au plus près des géants du numérique. Les Etats-Unis et l’UE ont par ailleurs créé l’année dernière le Trade and Technology Council (TTC) pour discuter de coopération en matière de commerce et de technologies.
Nos lectures de la semaine
Avant la rentrée, la secrétaire d’État aux affaires européennes Laurence Boone prend la plume dans le Financial Times, pour appeler l’Europe à devenir une puissance politique globale. Elle y passe en revue les grands chantiers : défense, souveraineté industrielle, démocratie, géopolitique.
Charles Grant, du CER, prend au sérieux le projet de Communauté politique européenne d'Emmanuel Macron. Malgré le manque d'enthousiasme dont font preuve les capitales européennes, la nouvelle communauté pourrait devenir un lieu de discussions entre les États de l'UE et leurs voisins.
Pour le Financial Times, Ben Hall dresse le portrait de Giorgia Meloni et son parti, Fratelli d’Italia, actuellement en tête des sondages pour diriger la prochaine coalition gouvernementale en Italie avec Silvio Berlusconi et Matteo Salvini.
Toujours au CER, John Springford nous rappelle que l'Europe est bien plus dépendante de la mondialisation que les États-Unis ne le sont. Selon lui, la voie à suivre n'est pas un repli vers le mercantilisme, mais un mélange de régulation et de constitution de stocks stratégiques pour garantir l'approvisionnement en biens essentiels, ainsi que la diversification des partenaires commerciaux, pour réduire la dépendance à la Chine.
Pour Le Grand Continent, Pierre Mennerat vous propose une traduction commentée du discours de Scholz à l’Université de Prague.
Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud et Maxence de La Rochère.