Revue européenne du 16 février 2021
Liberté de la presse (Hongrie et Pologne) • Brexit Diaries • Eprivacy • Next Gen EU • Eurozone • Marché des capitaux • Directive droits d'auteur • BCE
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LIBERTÉ DE LA PRESSE – Frappes simultanées en Hongrie et en Pologne
Dimanche 14 février, la dernière et « principale radio privée indépendante » hongroise, Klubrádió, a cessé d’émettre (Le Monde). Une décision du Conseil des Médias hongrois lui a en effet refusé une prolongation de licence, arguant de multiples violations de la réglementation relative aux médias. Selon une alerte du Conseil de l’Europe, ces récents développements « reflètent la stratégie du gouvernement qui consiste à abuser du contrôle des institutions et des ressources de l’État pour biaiser le marché des médias contre les médias indépendants ou les en expulser complètement ».
Quelques jours auparavant en Pologne, une cinquantaine de groupes de presse indépendants ont manifesté contre la volonté du gouvernement d’introduire une taxe publicitaire, appelée « taxe de solidarité », qui affecterait de facto les médias privés. Pour montrer l’importance de bénéficier de médias libres et indépendants, ces médias ont, pendant toute la journée du mercredi (10/02), accueilli leurs lecteurs et téléspectateurs avec un écran noir. Ces évènements interviennent quelques mois après le rachat controversé par le groupe public polonais PKN Orlen, dont le conseil d’administration est largement pro-PiS, du géant Polska Press. Le Professeur Kim Lane Scheppele, au cours d’une conférence organisée par Reconnect le 11 février 2021, a considéré que de telles interventions pourraient être considérées comme contraires au droit de la concurrence.
Le Parlement européen n’a pas tardé à réagir par la voix de 80 députés, appelant la Commission à agir et à renforcer son plan d'action visant à soutenir la relance et la transformation des secteurs des médias et de l'audiovisuel de l'UE.
THE BREXIT DIARIES – Aller simple pour Amsterdam
Londres-Amsterdam est l’une des lignes directes opérées par Eurostar, et c’est également le voyage que font les flux financiers qui se détournent de la City, en l’absence d’équivalence réglementaire pour le Royaume-Uni de la part de l’Union. Amsterdam est désormais la première place de marché européenne, détrônant Londres de sa place de leader historique.
Il s'agit d'un « petit tremblement de terre » symbolique pour Nicolas Véron (Bruegel). En effet, 9,2 milliards d’euros étaient échangés par jour en moyenne en janvier sur les places de marché néerlandaises, contre 8,6 milliards d’euros à Londres (FT). En décembre, 14 milliards d’euros journaliers étaient échangés à Londres contre environ 9 milliards à Amsterdam. La part de marché de la City dans les produits dérivés de taux en euro est passée de 40% à 10%. Cette fuite de capitaux est en grande partie une conséquence du Brexit, ou plus précisément de ce que le Brexit a ignoré. Comme nous l’expliquions dans notre édition spéciale, l’Accord du 24 décembre 2020 ne couvre pas les services financiers. L’accès des prestataires de services financiers au marché unique doit être décidé ultérieurement dans le cadre d’une procédure par laquelle l’Union accorde unilatéralement l’équivalence (et vice-versa). Le Royaume-Uni est donc tributaire des décisions d’équivalences accordées unilatéralement par l’Union, et de nombreux prestataires de services ont, dans l’incertitude, décidé d’ouvrir un établissement à Amsterdam pour servir leurs clients européens. À ce stade, Bruxelles n’a accordé que deux équivalences, notamment pour les chambres de compensation où Londres demeure la référence. A titre de comparaison, la plupart des pays-tiers à l’Union se sont vus attribuer une vingtaine d’équivalences par l’Union.
Le peu d’entrain de l’Union à accorder ces équivalences a provoqué l’ire du gouverneur de la Banque d’Angleterre qui a qualifié d’inacceptable l’attitude de Bruxelles, accusée de faire de cette question un enjeu uniquement politique. Du côté du FT, le ton est dur à l’égard de la classe politique britannique qui s’est trop peu préoccupée du « joyau dans la couronne » de l’économie britannique et d’avoir déjà abattu ses cartes en accordant l’équivalence à l’Union. La balle est du côté du Berlaymont, qui dispose d’un solide levier de négociation.
E-PRIVACY — Recette de cookies pour 27
Grand apport du droit de l'Union européenne dans le paysage normatif mondial depuis le RGPD (vous pouvez lire à ce sujet The Brussels Effect de la juriste américaine Anu Bradford), la protection de la vie privée connaît un nouveau rebondissement avec l'approbation la semaine dernière (10/02) du très attendu mandat de négociation "en vue de la révision des règles règles en matière de protection de la vie privée et de la confidentialité dans l'utilisation des services de communications électroniques" (ou Règlement E-privacy).
► Le projet du Conseil du règlement e-privacy est disponible ici.
“Dimension essentielle du droit au respect de la vie privée” des personnes comme des entreprises, la protection de la confidentialité en matière de communication électronique vient compléter le fameux RGPD, certaines de ses dispositions s'appliqueront à la fois aux personnes physiques et aux personnes morales. Refonte de la directive de 2002, le texte a vocation à protéger le contenu même des communications électroniques et les métadonnées liées à la communication (par exemple : la géolocalisation, l'heure des messages ou le destinataire) qui sont autant de données sensibles. A l'instar du RGPD, e-privacy s'appliquera dès lors que l'utilisateur final du service de communication électronique se trouve au sein de l'Union européenne : il devrait concerner aussi les entreprises qui n'ont pas d'établissement en Europe.
Une limite matérielle notable peut être soulevée : les communications électroniques interceptées pour des raisons de sécurité et de défense nationale des États membres n'entreront pas dans le champ d'application matérielle du Règlement E-privacy. S'il y a un procureur qui nous lit, qu'il soit rassuré : les écoutes téléphoniques seront toujours possibles.
Et après ? Le projet doit encore être approuvé au Parlement européen et ce n'est pas gagné d'avance (info Contexte). La position de l'hémicycle, et en particulier de la rapporteure du texte, Birgit Sippel, est notoirement plus stricte que celle des États membres sur la protection des données.
EUROZONE - Nouvel agenda pour la gouvernance économique de l’Union
Dans un papier publié le lendemain de l'approbation par le Parlement européen de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR), le Centre Jacques Delors (Berlin) tire cinq leçons du tournant hamiltonien de l’Union que la pandémie a rendu nécessaire. Le plan de relance de la Commission prévoit en effet de financer les 672,5 milliards d’euros de subventions et de prêts aux États membres via l'endettement souverain européen. Si l’endettement commun devrait rester temporaire, il n'en perturbe pas moins la gouvernance économique de l’Union en actant un nouveau paradigme budgétaire. Le FT, qui s’est fait l'écho de la note du Centre Delors, parle d'un “point de non-retour.”
Les auteurs notent d’abord qu’il est peu probable que l’Union retire ses obligations souveraines des marchés financiers a l'issue du programme de relance. La création de ces valeurs sûres (ou “safe asset”) présente en effet de nombreux avantages collatéraux. La dénationalisation des portefeuilles d’actifs devrait en effet garantir davantage de stabilité financière. Elle participe en outre à renforcer le rôle international de la devise européenne comme outil stratégique, un objectif que la Commission a réitéré en janvier. La facilité pour la reprise et la résilience met surtout fin au débat portant sur les contours d’une capacité budgétaire européenne. Elle démontre que l’Union dispose des bases juridiques et de la volonté politique pour mutualiser l’endettement souverain et ainsi mieux contrôler la politique budgétaire des Etats membres, une nécessité rendue évidente à la suite de la crise des dettes souveraines et l’objet d’un débat qui s'enlisait autour d’un axe Nord-Sud.
Reste à pérenniser cette ambition budgétaire européenne en la rendant viable économiquement et politiquement souligne le Centre Delors. La Facilité pour la reprise et la résilience éclipse pour un temps le rôle du semestre européen, le cadre de coordination des politiques budgétaires des États membres destiné à faire respecter le Pacte de stabilité et de croissance. Mais la stricte discipline budgétaire ne reste pas moins importante aux yeux des "frugaux" (Pays-Bas, Danemark, Suède et Autriche) qui se sont opposés à l'idée de l’endettement commun pour financer la relance budgétaire. Le Pacte est suspendu depuis le mois de mars 2020, ce qui a permis aux États membres de s’endetter encore (et outre mesure) depuis le début de la pandémie. Un “problème” qu’il “faudra affronter,” selon le Commissaire Vladis Dombrovskis.
NEXT GEN EU — Le Parlement européen approuve la Facilité pour la reprise et la résilience
Le Parlement européen s’est prononcé en faveur de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR) la semaine dernière, une étape importante pour l’activation de l’accord politique qui avait été conclu en décembre dernier au sein du triangle institutionnel de l’Union.
Bien que cette ratification ne marque pas la fin des formalités, le Conseil devant également approuver l’accord avant signature, on peut maintenant s’attendre à une publication officielle du règlement au Journal Officiel de l’UE d’ici la fin du mois de février. C’est à l’entrée en vigueur que les États membres pourront officiellement soumettre leur plan de relance qui sera ensuite revu par la Commission et approuvé par le Conseil, une condition nécessaire aux premiers versements des fonds Next Generation EU, prévus pour juin 2021. Officieusement, la plupart des pays de l’Union ont déjà commencé les discussions avec la Commission autour des réformes et investissements envisagés dans le cadre du programme, tandis que certains tels que l’Autriche, les Pays-Bas, et la Pologne travaillent encore à l’élaboration d’une première version. Bien que l’échéance ne soit qu’en avril, le plus tôt sera le mieux afin d’éviter tout retard dans le versement des subventions européennes en 2021 qui se fera à hauteur de 13% du total des fonds alloués à chaque pays. Avec une contraction économique estimée à 6.3% sur l’année 2020 et la plupart des pays de l’Union en confinement depuis novembre, des retards attribuables aux exigences de la Commission quant à l’utilisation des fonds pourraient renforcer les critiques existantes qui qualifient le processus d’excessivement bureaucratique.
En plus des incertitudes touchant sur les plans de relance, les 27 parlements nationaux doivent encore ratifier les décisions sur les ressources propres pour permettre à la Commission européenne d’emprunter les 750 milliards d’euros qui financeront une partie de la FRR. Une mission accomplie dans seulement six des pays de l’Union jusqu’à présent.
MARCHÉS DE CAPITAUX - UMC que choisir ?
Le mécanisme de stabilité européen (MES) a publié un post le 12/02 appelant à une relance de l’intégration des marchés de capitaux européens à travers les organes de supervision à l’échelle européenne, c’est-à-dire l’AEMF (autorité européenne des marchés financiers, ESMA en anglais) et l’AEAPP (assurances et pensions professionnelles, ou EIOPA). En effet, du fait du no-deal Brexit en matière financière, la place de Londres dans la finance européenne semble appelée à décroître (comme l’illustre l’annonce récente d’une relocalisation des échanges du système européen de quota d’émissions - SEQE - à Amsterdam), et il devient par conséquent pressant d’assurer l’unification réglementaire des places financières européennes. Une véritable Union des marchés de capitaux (UMC) permettrait une fluidification des financements dans la zone, une meilleure stabilité financière et un marché plus profond de titres en euro, première étape vers l’accession au statut de monnaie de réserve pour l’euro. À noter que la préférence pour les titres nationaux (ou biais souverain) en zone euro empêche un lissage de la conjoncture économique comme aux Etats-Unis.
Réaliser l’UMC implique une harmonisation des réglementations nationales (par exemple les règles relatives aux faillites) pour faciliter les investissements transnationaux. Or, les organes de supervision (AEMF et AEAPP) ont un rôle important pour unifier les différentes pratiques de chaque régulateur national. Le papier du MES recommande par conséquent de renforcer leurs attributions sur le modèle des organes de supervision des activités bancaires. L’AEMF et l’AEAPP pourraient superviser les institutions systémiques de la même manière que le Mécanisme de surveillance unique (MSU) supervise les établissements bancaires systémiques de la zone euro: les chambres de compensation, les plus grands fonds d’investissement ou gestionnaires d’actifs par exemple. Par ailleurs, ces deux régulateurs pourraient être chargés à terme de l’application de la taxonomie verte et socialement responsable, colossal chantier pour l’heure encore en construction à la Commission.
L’unification de la régulation financière suscite (entre autres) deux interrogations. Premièrement (et ce qui explique que l’UMC, un des serpents de mer de la construction européenne ait tant de mal à voir le jour), chaque Etat défend ses intérêts en matière de régulation financière, et nous aurions en France peu intérêt à une harmonisation des standards à la baisse. Deuxièmement, l’argument souvent avancé de donner un statut de monnaie de réserve à l’euro se heurte au principe de réalité de l’opposition allemande. Comme expliqué dans ce papier du European council on foreign relations, le statut de monnaie de réserve provoque des effets pernicieux connus sous le nom de Paradoxe de Triffin. Notamment, la monnaie de réserve s’apprécie (du fait de la demande de placement de l’extérieur) et détruit la production manufacturière (ce qui toucherait particulièrement l’économie allemande). L’UMC ne devrait pas jouer démesurément sa justification sur cet argument de monnaie de réserve, qui a peu de chance de convaincre Outre-Rhin.
DIRECTIVE DROIT D'AUTEUR – la saga continue
La Commission européenne a pris part à une rencontre à huis clos avec des eurodéputés vendredi 12 février, pour discuter de la mise en œuvre de la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Elle vise notamment à obliger les plateformes numériques à rémunérer les titulaires de droits d’auteur, pour la publication en ligne de leurs contenus. Les critiques de la directive considèrent que le filtrage de contenu que cela implique fragiliserait la liberté d’expression.
Le texte, fruit de difficiles négociations et d’un lobbying intense jusqu’à son adoption en 2019, doit maintenant être transposé avant juin 2021. La Commission était tenue par le texte de la directive d’organiser des consultations avec les parties prenantes pour produire des orientations sur la mise en œuvre du texte, jugé flou et techniquement difficile à mettre en place. L’exécutif européen a ainsi dévoilé fin juillet l’ébauche d’un document d’orientation sur la mise en œuvre de la directive. À ce document non législatif, la Croatie, le Danemark, la France, la Grèce et l’Italie ont répondu par un non-document (ounon-paper). Selon ces pays, les lignes directrices présentées par la Commission vont bien au-delà de leur but initial, en introduisant de nouveaux concepts à la directive.
La Commission s’est toujours défendue de rouvrir les négociations sur un texte adopté. Toutefoisl’Exécutif européen s’est permis d’émettre des doutes sur une transposition française qui laisserait une place disproportionnée aux ayants-droit. De son côté, la France acritiqué la proposition allemande, qui complexifierait les recours pour les ayants droits et ferait pencher la balance excessivement du côté des internautes. On relève quand mêmeune avancée notable sur l’autre aspect majeur de la directive : la signature par Google fin janvier du premier accord cadre avec l’une des principales associations de la presse d’information, qui concrétise la mise en place d’un droit voisin pour la rémunération des contenus de presse.
ROMANTISME — Le prix décerné à la BCE
Cette édition de la RevUE a été rédigée par Paul-Angelo dell’Isola, Alexandra Philoleau, Tim Caron, Ghislain Lunven, Hélène Gorsky, Thomas Harbor et Agnès de Fortanier. Pour en savoir plus sur les rédacteurs de What’s up EU!, c’est par ici ➤ Qui sommes-nous ?
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