Revue européenne | 6 avril 2021
Data Governance Act • vaccins • mécanisme d'ajustement carbone aux frontières • État de droit • Allemagne
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne ! Nous éditons chaque mardi une newsletter documentée, précise et lisible pour vous informer sur l’actualité européenne de la semaine.
DATA GOVERNANCE ACT – Peut mieux faire !
Le Contrôleur européen et le Comité européen de la protection des données ont rendu le 10 mars dernier un avis commun concernant la proposition de règlement sur le gouvernance des données (le « Data Governance Act » ou DGA) publiée par la Commission européenne le 25 novembre 2020. Le DGA a pour ambition de favoriser la disponibilité des données, notamment dans le secteur public, tout en renforçant la confiance dans les intermédiaires de données et les mécanismes de partage de données au sein de l’UE. Si cet avis commun reconnaît la légitimité de cet objectif – l’amélioration des conditions de partage des données dans le marché intérieur – il émet toutefois des réserves.
Les deux instances invitent en ce sens le législateur européen à s’assurer de la conformité du DGA avec la législation européenne déjà en vigueur (dont notamment la directive PSI sur l’open data) et soulignent l’importance du RGPD en tant que socle pour tout modèle européen de gouvernance des données. Le règlement, dont la proposition s’inscrit dans le contexte plus général de la stratégie européenne pour les données, doit en effet garantir efficacement les droits fondamentaux à la protection des données personnelles. L’avis commun pointe ainsi des incohérences entre le RGPD et la proposition de DGA et incite enfin à désigner les CNIL comme principales autorités compétentes pour veiller à l’application du texte.
En parallèle, la procédure législative continue et la rapporteure Angelika Niebler a déposé le 26 mars un projet de rapport dans lequel est prévue la labellisation des « intermédiaires de données reconnue dans l’Union » pour les entreprises dont les services seraient certifiés conformes aux dispositions du DGA. Ce projet précise par ailleurs ce qu’est un « intermédiaire » et ce qu’il n’est pas (un fournisseur de cloud n’en serait pas un par exemple). Est également proposée une nouvelle obligation d’interopérabilité incombant à ces intermédiaires avec les autres services de partages de données « dans la mesure où cela est techniquement raisonnable ».
On regrette toutefois de ne pas trouver de nouvelles précisions sur les notions de « data altruism » et d’« intérêt général » sur lesquelles se fonde pourtant le don gratuit des données prévu par la proposition de règlement et demandées par l’avis commun du Contrôleur et du Comité européen de la protection des données. On retrouve néanmoins de nouvelles garanties pour révoquer son consentement. Ce texte doit encore être débattu le 13 avril et les clarifications attendues seront sûrement discutées à cette occasion.
LA BONNE IDÉE — Une consultation franco-allemande
Porté par un collectif de jeunes français et allemands, l’association Voix franco-allemandes de la Jeunesse (VFAJ) cherche à recueillir et faire entendre les points de vue de la jeunesse sur les grands défis bilatéraux et européens contemporains.
Ces recherches doivent aboutir à la publication d'un livre blanc et les grandes tendances émanant de la consultation pourront ensuite servir de base de réflexion pour des propositions pour l'avenir du partenariat franco-allemand. Cela passera notamment par une conférence rassemblant des jeunes, des partenaires du projet et des personnalités politiques. Si vous êtes intéressés, n’hésitez pas à nous écrire.
► Je participe à la consultation des Voix franco-allemande de la jeunesse.
VACCINS — Comment se partager des miettes ?
Alors que la troisième vague de l’épidémie ne faiblit pas sur le continent européen, les problèmes liés à l’approvisionnement et la livraison des vaccins continuent, et la tension monte entre les États membres au sujet de la répartition des doses.
La livraison anticipée d’un lot de dix millions de doses du vaccin BioNTech/Pfizer a fait resurgir les divergences entre les vingt-sept. Au conseil, la majorité des pays a accepté par solidarité de donner une part de ses doses à la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, la Lettonie et la Slovaquie. En revanche, l’Autriche, la Slovénie et la République Tchèque ont refusé d’aider ces cinq pays en difficulté. C’est la République Tchèque qui semble la grande perdante de cette décision, car, en acceptant l’accord, elle aurait bénéficié de 70.000 doses supplémentaires du vaccin Américain. Cette situation souligne l’équilibre fragile sur lequel repose la stratégie vaccinale européenne entre solidarité régionale et priorité nationale.
Le mécanisme de distribution actuel prévoit une répartition des doses de vaccins au prorata de la population de chaque État membre. Ce système laisse également la possibilité aux gouvernements de renoncer à une partie de leurs allocations, qui peuvent ainsi être acquises par d’autres pays. Si l’ambition première était de garantir un accès équitable à la vaccination, ce dispositif fait défaut sur deux points :
L’accessibilité aux doses sécurisées par la Commission dépend fortement de la capacité des pays à faire face aux contraintes techniques (température de conservation, mode d’administration, etc.) et à leur pouvoir d’achat compte tenu du prix des différents vaccins ;
La situation épidémiologique de chaque pays ne fait pas partie des critères de distribution des vaccins. L’intégration de cette variable permettrait probablement de répondre avec davantage d’efficacité à la situation sanitaire de chaque pays ;
À ce jour, malgré les difficultés d’Astra Zeneca à respecter ses obligations contractuelles, l’enjeu majeur pour l’Union européenne consiste à renforcer sa capacité de production et accompagner l’ouverture de l’ensemble des 53 sites identifiés pour la fabrication des quatre vaccins d’ores et déjà autorisés par l’Agence Européenne des Médicaments. La montée en charge de la production vaccinale européenne est aujourd’hui la condition sine qua non pour apaiser les relations entre Londres et Bruxelles et atteindre l’objectif de 70% d’adultes vaccinés d’ici à cet été.
TAXE CARBONE AUX FRONTIÈRES — Ajustement difficile entre l’Union européenne et les États-Unis
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) continue d’être la pierre d’achoppement des velléités environnementales européennes et américaines. Mi-mars, l’envoyé spécial des États-Unis pour le climat, John Kerry, mettait en garde l’Union européenne qu’une telle taxe carbone ne devrait être qu’une solution de dernier recours. Un message peu apprécié par Bruxelles, qui souhaitait éviter un scénario à la taxe numérique où les deux puissances campent sur des positions opposées. Le Tsar Vert de la Commission, Frans Timmermans, prévenait la semaine dernière que l’Union n’hésiterait pourtant pas à protéger ses industries d’une concurrence déloyale par des pays ne souscrivant pas aux mêmes objectifs de neutralité environnementale. Et ce, par une taxe carbone aux frontières.
Si Washington plaide pour reporter le débat à la COP26 de novembre prochain, les États membres poussent la Commission européenne à boucler le dossier d’ici l’été. Les raisons de cette pression sont doubles. La première tient à la viabilité économique, politique et sociale du Green Deal européen. Sans ce mécanisme d’ajustement, la perte de compétitivité des entreprises européennes soumises à des règles environnementales strictes, combinée aux « fuites carbones » des productions délocalisées avantageusement en dehors du marché intérieur, porterait un coup fatal au tissu industriel européen. Un risque pointé du doigt le 23 mars dernier dans une tribune cosignée par la France, l’Espagne, les Pays-Bas et six autres États Membres. Le FT relève que de telles conséquences économiques, sans réels bénéfices contre la crise climatique qui plus est, mineraient la légitimité des politiques vertes et déclencherait un contre-coup politique et social d’une ampleur jamais vue.
L’importance du MACF concerne aussi les 750 milliards d’euros empruntés sur les marchés par la Commission pour financer le Plan de relance européen. Pour obtenir le soutien du Club des Frugaux en juillet dernier, le Conseil avait instruit von der Leyen d’augmenter les ressources propres de la Commission d’ici 2023. Trois pistes : une taxe sur les plastiques à usage unique, une taxe numérique et une taxe carbone aux frontières. Si les deux premières ne rapporteraient que 5 à 8 milliards chaque année, une taxe carbone permettrait d’engranger entre 27 et 84 milliards par an en fonction du prix de la tonne carbone. Une manne non négligeable. Problème identique, solutions différentes, les États-Unis tentent quant à eux de financer le grand plan d’infrastructure de l’administration Biden par l’instauration d’un taux minimum mondial d’imposition des sociétés. À vous de choisir votre club.
ÉTAT DE DROIT – See you in Court!
Le 31 mars, la Commission européenne a introduit, devant la Cour de justice de l’Union (CJUE), un recours en manquement à l’encontre de la Pologne au sujet de la « muzzle law » (voir notre édition spéciale), estimant que cette dernière « porte atteinte à l’indépendance des juges et est incompatible avec la primauté du droit de l’Union ». Dans son communiqué de presse, la Commission a réitéré son inquiétude concernant le fonctionnement de la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise. Celle-ci, bien que son indépendance ait été remise en cause, continue à se prononcer dans le cadre « d'affaires touchant à la levée de l'immunité des juges », comme celle du juge Igor Tuleya, devenu véritable figure de proue de la défense de l’État de droit en Pologne.
Cette annonce, qui précise que la Commission a également demandé à la Cour d’ordonner des mesures provisoires, intervient quelques jours après que, dans une lettre ouverte adressée à la Présidente de la Commission ainsi qu’aux commissaires Didier Reynders et Věra Jourová, plusieurs dizaines d’associations et d’universitaires aient urgé la gardienne des Traités à agir. Pour autant, il ne faut pas crier victoire trop tôt.
D’une part, si la Commission a demandé des mesures provisoires, rien ne garantit qu’en cas de non-respect de ces dernières elle franchira un pas supplémentaire en requérant que la Pologne soit condamnée au paiement d’astreintes ou de sommes forfaitaires. D’autre part, il faut garder à l’esprit que les ordonnances ou arrêts de la Cour sont susceptibles de rester lettre morte dans l’ordre juridique polonais. En effet, la primauté du droit de l’Union y est constamment remise en question. Récemment, le Premier ministre polonais a ainsi introduit un recours devant le Tribunal constitutionnel afin que ce dernier se prononce sur la primauté de la Constitution polonaise sur le droit européen.
DETTE — Le dialogue franco-allemand privilégié pour la réforme des règles budgétaires
Paris a annoncé son intention d’ouvrir un dialogue franco-allemand sur la réforme du Pacte de stabilité et de croissance qui devrait être l’un des hot topics de la présidence française du Conseil de l’UE au premier semestre 2022. Cet échange ne pourra en revanche pas avoir lieu avant le renouvellement du Bundestag en septembre 2021, alors que l’incertitude autour de l’identité du successeur de Merkel grandit — une affaire de corruption ayant entre autres causes conduit à de mauvais résultats pour la CDU dans son fief régional du Bade-Wurtemberg. En bref, les enjeux de cette réforme sont d’éviter une consolidation des budgets trop brutaux post-crise et de définir de nouvelles règles plus claires que l’encadrement actuel (dont le vade-mecum dépasse les 100 pages) fondées sur des variables observables telles que l’évolution des dépenses publiques.
En attendant, les vannes de l’endettement public sont grandes ouvertes : le premier trimestre 2021 a établi un record d’émission depuis 2000 selon le FT. 373 milliards d’euros ont été émis par les gouvernements européens (Royaume-Uni inclus) sur ces derniers trois mois à un taux moyen de 0,75% contre 0,94% sur la même période en 2020 alors que la dette moyenne des émetteurs souverains européens est passée de 83% du PIB à 97% au cours de l’année 2020. Une partie importante de cette nouvelle dette est labellisée “verte” avec notamment une émission italienne de 8,5 milliards d’euros de green bonds, qui a recueilli 80 milliards de souscriptions, montrant l’appétit actuel des investisseurs pour ce genre de produits.
De telles conditions de financement justifient pour certains (parmi lesquels le Président Macron) un nouveau volet de relance à l’échelle européenne. D’autres cependant s’inquiètent d’une remontée des taux et soulignent que le coût de l’endettement supplémentaire ne se limite pas au taux apparent de la nouvelle dette mais inclut l’augmentation du risk premium alourdissant à terme la charge sur l’ensemble du stock de dette (ce point technique est exposé en détail ici). La trajectoire de remontée des taux du récent rapport Arthuis concernant la situation française paraît toutefois pessimiste.
LES POTINS MONDAINS EUROPÉENS
Élargissement aux Balkans — L’Albanie, le Kosovo, Macédoine du Nord et Serbie (carte ci-dessous) ont reçu jeudi dernier le plein soutien du Parlement européen pour entrer dans l’Union européenne, à condition de poursuivre les réformes fondamentales, “durables, profondes et irréversibles” réalisées dans des domaines fondamentaux tels que l’État de droit et le bon fonctionnement des institutions démocratiques.
Les eurodéputés ont souligné l’importance “de renforcer la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, ainsi que les bonnes relations de voisinage et la coopération régionale”.
Un livre — Michel Barnier prend la plume pour “La grande illusion”, un journal secret du Brexit rédigé par le négociateur européen et qui paraît ce 6 avril chez Gallimard.
De bons conseils — Les sommes facturées par les sociétés de conseil au gouvernement français dans le cadre de sa stratégie contre le Covid-19 ont fait jaser, c’est désormais aux Big Four de faire parler d’eux pour leurs honoraires facturés à la Commission européenne (462 millions d’euros entre 2016-2019) comme le rapporte Euractiv.
La mer est toujours agitée entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Le Premier ministre irlandais redemande un reset entre Bruxelles et Londres sur le protocole nord irlandais, dans l’espoir qu’une tabula rasa évite qu’on renverse la table à chaque nouvelle négociation (FT).
Cette édition de la Revue européenne a été rédigée par deux nouveaux rédacteurs : Charlotte Véron et Antoine Corporandy (bienvenue !) mais aussi Hugues de Maupeou, Ghislain Lunven, Alexandra Philoleau, Thomas Harbor (Rédacteur en chef) et Agnès de Fortanier (Directrice de la publication). Pour en savoir plus sur les rédacteurs de What’s up EU!, c’est par ici.
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