Revue européenne | 27 avril 2021
Vaccins • Plan de relance en Allemagne et en Italie • Huawei • compétences sociales • Russie • environnement 🌱 • primauté du droit de l'UE
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SANTÉ — Commission c./ AstraZeneca
Le conflit très médiatisé entre la Commission européenne et le laboratoire AstraZeneca change de terrain. La Commission, soutenue par les 27, a décidé ce lundi de poursuivre en justice le groupe pharmaceutique suédo-britannique devant le tribunal de première instance belge, comme le prévoyait le contrat en cas de litige. La commissaire en charge de la santé, Stella Kyriakides, lui reproche de ne pas avoir réalisé un plan suffisamment fiable pour garantir la livraison des 120 millions de doses prévues au premier semestre de 2021.
Avec ce rebondissement, la campagne de vaccination pourrait à nouveau s’enliser. En effet, bien que la responsabilité du laboratoire semble indéniable, il est peu probable que cette action en justice accélère la livraison des 90 millions de doses manquantes du vaccin AstraZeneca. Si la Commission soutient que son objectif principal est d’assurer la livraison rapide de ces doses aux citoyens européens, la bataille juridique qui s’engage pourrait avoir l’effet contraire.
Cette crainte est également partagée par certains États membres, comme l’Allemagne et la France (Le Monde), qui ne seraient pas entièrement convaincus de l’intérêt de cette action. En plus des possibles retards supplémentaires, le risque de dégrader davantage la perception du vaccin aux yeux des Européens pose un enjeu majeur pour accélérer la vaccination sur le continent. Ces doutes sont loin d’être injustifiés : malgré un nombre de nouvelles contaminations qui se stabilise en Europe, la menace épidémique subsiste avec l’apparition de nouveaux variants et des situations hors de contrôle dans certains pays. Devant l’importance de cette troisième vague, l’opportunité d’une action juridique ne va pas de soi...
PLAN DE RELANCE (ALLEMAGNE) — Karlsruhe donne son feu vert
L’Union retenait son souffle devant un nouveau blocage initié par les juges allemands, après celui du plan d’achats d’actifs de la BCE en mai 2020. Mercredi dernier (21/04), la Cour constitutionnelle fédérale a rejeté le recours de l'Allemagne qui visait à faire échouer la ratification du Plan de relance européen (NGEU) (communiqué ici, en anglais).
Ce faisant, les juges de Karlsruhe enlèvent une épine du pied de la Commission qui fait tout pour que les fonds du Plan soient débloqués d'ici juillet (FT). Comme l’expliquait Yoan Vilain dans notre édition du 13 avril, dans l’attente d’une décision de la Cour, le Président de la République fédérale devait s’abstenir de signer le texte, bloquant la ratification du Plan par l’Allemagne. Bien qu’elle ne se soit pas prononcée au fond, la cour de Karlsruhe a considéré le 21 avril que la ratification n’a pas à être suspendue, arguant que l’émission obligataire de la Commission ne constituait pas "une charge directe" pour le budget fédéral allemand.
Pour pouvoir lever les 750 milliards d’euros du Plan, la Commission doit attendre que chacun des États membres ratifient la décision sur les ressources propres, ce que seuls 10 d'entre eux ont fait à ce jour. Time is money...
PLAN DE RELANCE (ITALIE) — Super Mario sur la ligne de départ
Le gouvernement de Mario Draghi a présenté hier (26/04) les détails du plan de relance italien, en ligne avec l’échéance du 30 avril préconisée par la Commission pour l’ensemble des plans de relance nationaux. Près de 250 milliards d’euros seraient alloués pour la reconstruction et la transformation de l’économie italienne dans les prochaines années, dont 192 provenant des fonds du Plan de relance européen (plus de 14% du PIB).
Après un week-end de négociations informelles avec Bruxelles, Mario Draghi a obtenu le feu vert des institutions européennes. Le texte est maintenant à l'étude du Parlement italien, où la médiation avec les forces politiques de majorité a déjà eu lieu. Parmi les priorités annoncées, la transformation digitale et la transition écologique , l’éducation, la santé, l’inclusion sociale et le développement des infrastructures du pays, notamment celui du réseau ferroviaire. Certains éléments jugés insatisfaisants par la Commission risquent de retarder l’adoption du plan. En particulier le manque de clarté quant à l’organisation nécessaire au bon déploiement des fonds versés, ainsi qu’un manque d’ambition dans les réformes structurelles.
Plus large bénéficiaire de la Facilité pour la reprise et la résilience, tout retard dans les premiers serait nuisible à l’économie italienne qui a été l’une des plus touchées par la Grande Pandémie . Bien que l'Italie ait retrouvé une place centrale sur l'échiquier européen grâce au crédit accordé à son nouveau premier ministre, la reprise post-covid et les réformes qui l'accompagneront seront fondamentales pour que le pays puisse regagner un rôle de moteur économique et de partenaire fiable au sein de la zone euro, alors que de nombreux États membres ont déjà annoncé qu’ils ne seraient pas à même de respecter la date butoir du 30 avril.
UE/CHINE — Le réseau (Huawei) ne passe plus
Le dialogue entre Pékin et Bruxelles risque de tourner encore plus au vinaigre après les révélations de Politico. Une note interne de la Commission s’inquiète du “virage autoritaire” et des progrès “minimes” sur les promesses économiques ou commerciales, notamment dans les secteurs agricoles et digitaux. Ajoutez à cela un retour de la question de la 5G et vous obtiendrez un cocktail électrique.
Le 15 avril, c’est en Roumanie qu’un projet de loi visant à exclure certains équipementiers « en cas de risques, de menaces ou de vulnérabilités envers la sécurité nationale » faisait son apparition. Le journal néerlandais De Volkskrant dévoilait le 17 avril dernier les failles techniques chez l’opérateur téléphonique KPN, qui permettaient à Huawei d’écouter les conversations de ses usagers. Le Bundestag allemand adoptait le 23 avril une loi sur la sécurité des systèmes d’information autorisant le gouvernement à interdire l’acquisition de matériel destinés au réseaux 5G provenant de fournisseurs “non fiables”.
Les positions des États européens s’alignent progressivement, conformément aux objectifs de l’Union européenne et de sa boîte à outils pour la cybersécurité de la 5G présentée début 2020. Dans son dernier rapport du 15 avril, le cabinet spécialisé Light Counting dénombrait plus de 40 contrats pour des équipements 5G perdus par Huawei en Europe contre ses concurrents Ericsson et Nokia qui sont repassés devant Huawei sur le marché européen des stations de base que la firme de Shenzhen dominait encore en 2019.
Huawei ne perd pas espoir pour le moment. Complètement interdit d’utilisation dans les réseaux 5G en Suède, le géant chinois a contesté le 21 avril la décision de l’autorité suédoise. Huawei compte sur le soutien inattendu de son concurrent Ericsson dont le Senior Vice President Chris Houghton défendait le principe d’une concurrence libre avec les opérateurs chinois dans les colonnes du South China Morning Post. Une posture de conciliation pour l’acteur européen qui réalise 8% de son chiffre d’affaires en Chine.
INSTITUTIONS — Pas touche aux compétences sociales
Alors que le sommet de Porto doit se tenir les 7 et 8 mai prochain, l’Autriche, la Bulgarie, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie, Malte, les Pays-Bas et la Suède ont diffusé une déclaration commune informelle insistant sur la nécessité de respecter l’autonomie nationale en matière de politique sociale.
Adressée au Portugal, qui assure la présidence du Conseil de l’UE, la déclaration sonne aussi comme un camouflet envers la gestion de la crise sanitaire par Bruxelles. Les États membres insistent sur la répartition des compétences, soulignant que l’action de l’Union ne peut que compléter celle des États en matière sociale, dans le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité (Politico). Ces États souhaitent conserver des prérogatives fortes dans les domaines du droit du travail et de l’emploi, des retraites, de l’éducation et de la politique familiale.
Le Premier ministre Antonio Costa a fait de la protection sociale et de la réduction des inégalités une priorité de sa présidence de l’UE. Sous son impulsion, le Conseil européen avait déjà adopté en 2017 le socle européen des droits sociaux. Cet ensemble de 20 principes et droits doit désormais se concrétiser à travers un plan d’action de la Commission européenne, qui a fixé des objectifs à atteindre pour l’UE d’ici 2030. Dans cette optique, le Commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux, Nicolas Schmit, doit participer mercredi 28 avril à un débat sur le plan d’action au Conseil économique et social européen.
UE/RUSSIE — Atmosphère sibérienne
Lundi dernier s’est tenu le Conseil des Affaires étrangères de l’Union, consacré aux relations avec la Russie. Confrontée à une relation de nature tantôt conflictuelle, tantôt coopérative, l’Union n’envisage aucune détente à l’Est. Le déploiement de 100 000 soldats russes à la frontière ukrainienne, ainsi que l’expulsion de dix-huit diplomates russes accusés d’espionnage en République tchèque, ont été débattus. Un nouveau document de travail sur la situation en Géorgie suite à la guerre avec la Russie en 2008, est en cours d’élaboration par le Conseil. L’état de santé d’Alexeï Navalny, principal opposant à Vladimir Poutine, a enfin fait l’objet de vives préoccupations, sa tentative d’empoisonnement ayant été le motif de deux volets de sanctions européennes depuis octobre dernier.
De manière générale, “les relations avec la Russie ne s’améliorent pas. Au contraire, la tension s’accroît dans différents domaines”, a pu regretter le haut représentant de l’Union, Josep Borrell. De nouvelles sanctions ne sont toutefois pas à l’ordre du jour : le communiqué a seulement rappelé les positions européennes, notamment sur le règlement du conflit en Ukraine et l’illégalité de l’annexion russe de la Crimée en 2014. Le blog du haut représentant confirme le soutien européen à l’Ukraine, notamment dans l’élaboration de réformes internes, gages d’un rapprochement juridique confirmant l’éloignement du pays de la sphère d’influence russe.
En l’état actuel, il n'y a plus que le réchauffement climatique qui peut aboutir à un certain dégel des relations : la politique environnementale demeure un axe de coopération possible, dans la lignée du sommet tenu vendredi auquel ont participé MM. Michel et Poutine. Si les réactions russes ont incité l‘UE à inscrire son objectif d’ “autonomie stratégique” en prenant de la distance avec les États-Unis, une interview du chef du MI6 britannique souligne que les démonstrations de force par la Russie ne sont que le symptôme d’un pouvoir en déclin, économiquement et démographiquement.
ENVIRONNEMENT — Bon climat pour les objectifs de neutralité en 2050
Le Sommet pour le Climat, organisé jeudi dernier à l’initiative des États-Unis et réunissant 40 dirigeants mondiaux, a électrisé les ambitions climatiques transatlantiques. La veille, les co-législateurs de l’Union arrivaient enfin à un accord sur la loi européenne sur le climat après 5 mois de négociations. 24 heures plus tard, l’Administration Biden, soucieuse de faire bonne figure alors que John Kerry continue sa tournée diplomatique pour le climat, emboitait le pas à Bruxelles en présentant des objectifs similaires : neutralité climatique d’ici 2050 et réduction de 50-52% des émissions de C02 d’ici 2030.
Bruxelles se revendiquant depuis longtemps comme leader mondial de l’action climatique, l’annonce de Biden a fait l’effet d’un ego boost dans la capitale européenne. Et il se trouve qu’elle en avait bien besoin. La semaine précédente, la présentation par la Commission de sa nouvelle taxonomie verte, un ensemble de règles destinées à encadrer la création de produits financiers “verts”, avait reçu un accueil glacial. Les ONG et scientifiques impliqués dans sa conception l’avaient taxée de “greenwashing”. Cette classification des investissements durables est pourtant un candidat à “l’effet Bruxelles”, qui désigne le soft power réglementaire de l’Union européenne. Désireuse de garder une longueur d’avance sur ses concurrents outre-Manche et outre-Atlantique, la Commission avait accéléré la cadence des négociations fin 2020. Mais le lobbying des industriels et des acteurs énergétiques, souvent soutenus par les capitales désireuses de protéger leurs fleurons nationaux, risque de rendre impossible la prise de risque pour supporter une telle ambition. Le projet présenté par la Commission le 21 avril est volontairement à moitié-fini, laissant la question du traitement taxonomique du nucléaire et du gaz naturel pour fin 2021.
Cette annonce incomplète de la Commission ouvre un boulevard pour les États-Unis pour frapper vite et fort. John Kerry, l’envoyé spécial de Biden pour le climat, insinuait déjà le mois dernier que Washington pourrait bien développer ses propres standards d’investissements verts. Comme toujours, la force de frappe de l’économie américaine inquiète. En Europe, 277 des 750 milliards d’euros de la FRR seront dédiés à la transition verte. Outre-atlantique, le chiffre monte à 500 milliards pour le Plan Biden, et ce sans compter le récent plan d’investissement massif dans les infrastructures qui prévoit de moderniser la production d'électricité pour atteindre une réduction de 80% des émissions du secteur d’ici 2030. Prochain rendez-vous de la diplomatie climatique: la COP 26 à Glasgow au mois de novembre.
DONNÉES — Le Conseil d’État au secours de la primauté du droit de l’UE
Contrairement aux juridictions suprêmes allemandes, tchèques ou encore danoises, en France, le Conseil d’État s’est refusé à opérer un contrôle ultra vires d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), c'est-à-dire un contrôle fondé sur le dépassement par une institution européenne de ses compétences. L’affaire en cause l’obligation française faite aux opérateurs télécom de conserver les données de leurs utilisateurs de manière générale et indifférenciée à des fins de lutte contre le terrorisme.
Cette décision (21/04) s’appuie sur une interprétation extensive de la position de la CJUE pour préserver dans ses grandes lignes le système français de conservation des données. En effet, le Conseil d'État juge conforme au droit de l’UE la conservation générale et indifférenciée du fait de l’état de menace pesant sur la France depuis les attentats de 2015 et enjoint simplement le Gouvernement à constater régulièrement que de telles justifications restent réunies. Le Conseil d'État a saisi l'occasion pour formaliser la “clause de sauvegarde constitutionnelle” qui lui permet d’apprécier si la mise en œuvre du droit européen satisfait les exigences constitutionnelles françaises et donc de placer la Constitution au-dessus du droit européen dans l'ordre juridique national.
Si la juridiction française évite de donner de l’eau aux moulins polonais et hongrois en matière de contestation de la primauté du droit de l’UE, cette décision n’en reste pas moins un avertissement à la CJUE. On considère au Conseil d'État que s’il y a un désaccord entre l’Union et ses États membres, "ce n’est pas la guerre des juges qui permettra de le résoudre", c’est aux politiques "de se mettre autour d’une table et de négocier un nouvel équilibre". Cet équilibre pourrait être trouvé dans le règlement e-privacy en gestation.
WHAT'S UP?
OFFRE D'EMPLOI À BERCY — Pour les spécialistes de la régulation numérique, on nous a prévenus qu’au sein de la Direction Générale des Entreprises, le service de l’économie numérique recrutait un/une chargé(e) de mission régulation des plateformes numériques, pour suivre le DSA. Pour en savoir plus, c’est ici et vous pouvez écrire là.
TRANSPARENCE — Vincent Couronne, fondateur des Surligneurs et Tania Racho, chercheuse en droit, ont sorti cette semaine un podcast sur le thème de la transparence de l'UE et de ses institutions, avec Hélène Michel professeure de sciences politiques spécialiste de la question. On vous le conseille !
Cette édition a été préparée par Hélène Procoudine-Gorsky, Ghislain Lunven, Hugues de Maupeou, Guillaume Thibault, Tim Caron, François Hemelsoet, Zachary Pascaud, Antoine Corporandy, Alexandra Philoleau, Gabriele Buontempo, Marceline Doucet, , Pierre Pinhas, Paul-Angelo Dell’Isola, Thomas Harbor (rédacteur en chef) et Agnès de Fortanier (directrice de la publication). Pour en savoir plus, c’est par ici.
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