Revue européenne | 20 avril 2021
Intelligence artificielle • avenir de l'Europe • budget • criminalité organisée • Monténégro et Chine • Brexit • euro digital • Les Surligneurs
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INTELLIGENCE ARTIFICIELLE — Éviter un “2021 : l’odyssée de l’espace”
La Commission européenne, qui doit présenter une proposition de règlement sur l’intelligence artificielle (IA) le 21 avril prochain, a vu son texte publié par Politico avant d’avoir pu le dévoiler au public. Celui-ci s’inscrit dans la continuité du livre blanc sur l’intelligence artificielle publié en février 2020 et poursuit deux objectifs principaux : d’une part, élaborer un cadre juridique harmonisé pour inciter au développement de l’IA et d’autre part rassurer les citoyens européens concernant les dérives éventuelles liées à son utilisation.
En ce sens, certaines utilisations de l’IA menaçant les droits fondamentaux seront tout simplement interdites. Tel est le cas des systèmes de surveillance généralisée, de la notation sociale des individus ou encore de la manipulation du comportement, des opinions ou des décisions des personnes. En outre, les applications de l’IA, dites “à haut risque”, seront soumises à des dispositions plus strictes. Certaines, comme les systèmes d’identification biométrique à distance dans les lieux publics, devront ainsi faire l’objet de tests de conformité aux normes européennes avant d’arriver sur le marché.
Est également prévue la création d’un Conseil européen de l’intelligence artificielle composé de représentants des 27 pays de l’UE, de la Commission et du Contrôleur européen de la protection des données. Ce Conseil aura pour mission de publier des recommandations et de superviser l’application du futur règlement. Au même titre que le RGPD, les sanctions s’élèveraient jusqu’à 4% du chiffre d’affaires mondial d’une entreprise ou 20 millions d’euros, preuve de l’importance qu’attache l’UE au respect de ces dispositions.
Le 29 mars dernier, Ursula von der Leyen rassurait des eurodéputés inquiets en affirmant que des règles obligatoires seraient applicables à tous les systèmes d’IA présentant un risque élevé pour les droits ou la sécurité des personnes et que la Commission pourrait « aller plus loin » concernant les cas d’application simplement incompatibles avec les droits fondamentaux. Le processus législatif n’est toutefois pas encore fini et il reste à confirmer si l’UE choisira véritablement cette « troisième voie » qui se dessine entre le libre marché américain et la Chine autoritaire.
CITOYENNETÉ — Lancement de la plateforme sur l'avenir de l'Europe
Dans le cadre de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, les institutions ont mis en ligne la plateforme qui doit permettre d’instaurer un débat entre les citoyens et les institutions européennes en vue de la publication d’un rapport qui orientera les politiques européennes en fonction des sujets jugés importants pour l’avenir de l’Union. Pour assister ou organiser un événement et partager vos idées, c'est là : futureu.europa.eu.
BUDGET EUROPÉEN — Rien de facile dans la facilité pour la reprise et la résilience européenne
En juillet dernier, l’accord sur l’instrument européen de relance économique avait été qualifié de moment hamiltonien de l’Europe. Huit mois après, le Plan de relance est toujours embourbé. Les États membres doivent présenter leurs plans de relance nationaux à la Commission avant le 30 avril, objectif difficilement atteignable pour de nombreux pays. Ils doivent aussi, avant que le moindre euro puisse être déboursé, ratifier la décision sur les ressources propres de la Commission. À ce jour, seuls 13 des 27 États membres l’ont fait. Si certains parlements nationaux traînent, en Allemagne c’est la Cour constitutionnelle qui a suspendu la procédure, au grand dam de la Chancellerie.
L’augmentation des ressources propres de la Commission européenne, limitées pour l’instant aux droits de douane et à une fraction de TVA, est un champ de mines politiques. Elle doit permettre de lever les 13-15 milliards d’euros annuels nécessaires au remboursement de la dette levée pour la Facilité pour la reprise et la résilience européenne (FRR). Trois pistes sont étudiées: une extension du système européen de quota d’émissions (SEQE) dont les recettes d'adjudication abondent pour l’instant les budgets nationaux, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), et une taxe sur les entreprises du numérique. La discussion s'annonce ardue compte tenu des effets distributifs de chaque mesure. L’extension du SEQE serait particulièrement préjudiciable à la Pologne tandis que la taxe sur le numérique pèserait davantage sur l’Irlande. Il faut ajouter à cela que la mise en place d’une taxe sur le numérique est conditionnelle à la réussite des négociations à l’OCDE sur le sujet et que le MACF suscite une forte opposition de la part de l’administration américaine.
Autant dire que le feuilleton des nouvelles ressources propres va se poursuivre. En août, la Commission mettait en place une task force d’une centaine de personnes spécialement dédiée à la FRR et rattachée au Secrétariat général sous la coupe d’une Française, Céline Gauer. Et DG BUDG étoffe ses rangs de spécialistes de l'émission d’obligations souveraines. Pas vraiment les signes d’un instrument purement temporaire comme le veulent les conclusions du Conseil européen de juillet. L’acte II d’une union fiscale européenne est encore loin d’être écrit.
CRIMINALITÉ ORGANISÉE — Europol au rapport
La semaine dernière (12/04), l'agence européenne de police criminelle Europol a publié un rapport préoccupant sur la criminalité sur le territoire européen : le EU SOCTA 2021. Elle traite, par thèmes, du trafic d'armes, de drogues, de la traite des êtres humains, des passeurs de migrants, de faux médicaments... et fait le constat que la criminalité organisée est un problème d'envergure européenne : 70 % des groupes criminels sont actifs dans plus de trois États membres, d'après Ylva Johansson, commissaire aux affaires intérieures.
S'agissant par exemple, des trafics de drogues, on apprend qu'en Europe, le marché de l'héroïne est resté stable ces dernières années, contrairement à ceux de la cocaïne et du cannabis — en pleine expansion. D'après le rapport, la culture européenne du cannabis est d'ailleurs “innovante en termes de méthodes de croissance, d'éclairage et de contrôle” et elle fait de plus en plus appel à des “technologies de laboratoire” pour extraire et tester le cannabis. Le cannabis cultivé à l'intérieur de l'UE reste donc la principale source d'herbe de cannabis distribuée dans l'Union (carte ci-dessous).
À l'instar des affaires d'une rare sophistication comme "Encrochat", Europol s'attend à ce que les réseaux criminels gagnent en complexité. L'agence européenne anticipe l'augmentation des trafics via les services de colis, l'expansion du commerce de drogue en ligne, en particulier sur le dark web, et l'utilisation des crypto-monnaies pour rendre plus attractives les transactions de nature criminelle.
Pour répondre à ces constats, la Commission a présenté le 14/04, ses stratégies pour lutter contre la criminalité organisée — dont elle estime les revenus à 139 milliards d'euros — et contre la traite des êtres humains. Elle veut avant tout renforcer la coopération policière et judiciaire en proposant un "code de coopération policière de l'UE" pour permettre d'unifier les outils de coopération entre États membres.
AUTOROUTES DE LA SOIE — Le Monténégro à la recherche d’une bande d’arrêt d’urgence européenne
Le Monténégro (qui n’est pas encore dans l’Union européenne) a formellement demandé à l’UE une aide financière afin de pouvoir honorer sa dette auprès de l’Export-Import Bank of China (Exim Bank), et lancé dans la presse européenne un appel à la solidarité. Contracté en 2014, ce prêt de 800 millions d’euros, soit 17% de l’endettement monténégrin, est destiné à financer une section de 41 km d’autoroute. En cas de défaut de paiement, le contrat prévoit la possibilité pour Pékin de saisir des terres en guise de compensation. Justement, le Monténégro fait face à des difficultés financières liées à la chute du tourisme, sa première source de revenus.
Si l’incident n’est pas sans rappeler certains scandales ou inquiétudes impliquant des prêts chinois au Sri Lanka, en Malaisie ou au Pakistan, il n’est pas uniquement le signe d’une intensification de la mainmise chinoise en Europe de l’Est. Conclu en 2014, le prêt s’inscrivait dans le contexte du démarrage des Nouvelles Routes de la Soie. Mais l’ambitieuse initiative de Xi Jinping a depuis été largement revue à la baisse. Si les prêts chinois (China Development Bank & Exim Bank) ont excédé ceux de la Banque Mondiale de 2012 à 2017, ils se sont depuis écroulés, sous les effets combinés de la guerre commerciale avec les États-Unis mais aussi de la méfiance croissante des pays concernés envers les promesses chinoises, les business cases douteux et la gouvernance peu scrupuleuse des projets concernés.
L’enjeu n’en reste pas moins de taille pour l’UE, dont il reste à savoir si elle accédera à la demande monténégrine après le refus initial de la diplomatie européenne, qui n’a pas hésité à rappeler les réserves pourtant émises dès 2014 concernant ce projet. Si plusieurs voix, dont Paris, se sont exprimées positivement, la Commission a refusé de rembourser les prêts « contractés auprès de pays tiers »sans pour autant s’opposer à une aide pour le pays, dont la forme resterait à préciser. Répondre à l’appel à l’aide monténégrin représenterait une victoire géopolitique facile et peu coûteuse pour Bruxelles qui déplore depuis longtemps l’action du “cheval de Troie” chinois sur son flanc est. Qui plus est, l’UE a depuis plusieurs années désigné le Monténégro comme l’un des candidats favoris pour un élargissement communautaire, le pays ayant reçu encore récemment le soutien de parlementaires européens.
THE BREXIT DIARIES — Désescalade et réveil des troubles en Irlande
Les mises en garde semblaient assez théoriques. La flambée de violences qui touche Belfast depuis début avril a montré qu’il ne s’agissait pas d’un énième project fear. Si l’incendie a été allumé par la décision de ne pas poursuivre les politiciens du Sinn Féin, parti en faveur de la réunification de l'Irlande, pour avoir assisté aux funérailles de leur ancien leader Bobby Storey en temps de Covid-19, ces troubles sont bien une conséquence directe du Brexit, sur lequel des divisions politico-religieuses se sont greffées. Londres et Bruxelles ont cependant promis de faire un effort, et la coopération est de nouveau de mise depuis la semaine dernière (FT).
Le nœud de la discorde concerne le protocole nord irlandais, signé en 2019, qui institue une frontière maritime entre l’Irlande du Nord (britannique) et le reste de la Grande-Bretagne, afin d’éviter le retour à une frontière terrestre avec la République d’Irlande. Les règles européennes du marché unique s’appliquent donc de part et d'autre de la mer d'Irlande. Mais les unionistes d’Irlande du Nord y voient une rupture de leur union avec la Grande-Bretagne. Une période de grâce était prévue jusqu’au 1er avril 2021 et la Commission européenne était prête à l'étendre avant que Londres ne le décide unilatéralement début mars. Le 15 mars, l’exécutif européen a mis en demeure Londres de se conformer au protocole nord-irlandais et a posé les bases d’une procédure formelle d’infraction dans le cadre de l’accord du Brexit.
Vendredi (16/04), Maros Sefcovic et David Frost se sont rencontrés à Bruxelles pour un dîner, après huit nuits consécutives de violences en Irlande du Nord. Ils ont échangé leurs numéros de téléphone afin d’ établir une “hotline” en cas de problèmes urgents. La Commission souligne ainsi des progrès dans les négociations malgré la persistance de points de désaccord (ici). Faute de compromis, le différend pourrait être porté jusqu’à une procédure judiciaire et conduire à l’imposition de tarifs douaniers punitifs, aux conséquences inconnues étant donné le niveau de tension actuel. A ce stade, Bruxelles n’entend pas suspendre sa procédure d’infraction entamée le 15 mars (FT).
EURO DIGITAL — Ce que veulent les Européens
Mercredi dernier (14/04), la Banque centrale européenne (BCE) a publié une analyse complète des résultats de sa consultation publique sur un euro numérique (disponible ici), qui a rassemblé plus de 8.200 contributions. L’étude permet de mettre en lumière les préoccupations principales des sondés, la protection de la vie privée (43%) et la sécurité des transactions (18%) arrivant en tête.
Les Européens interrogés veulent une monnaie digitale de banque centrale (CBDC - central bank digital currency) partageant l'anonymat du cash. Si les inquiétudes autour de la gestion des données personnelles expliquent les difficultés d’initiatives privées comme le Libra et la patience de la BCE, le lancement de monnaies digitales de banque centrale représente un enjeu monétaire et technologique. Monétaire d’abord car il s’agit potentiellement de renforcer l’utilisation de la devise qui sert de support. Technologique ensuite car elle donnera un avantage à ceux qui seront amenés à décider de l'architecture future des paiements digitaux.
Dans la course mondiale opposant acteurs privés (Diem - l’ex Libra, Bitcoin, Ether) et publics, la BCE prend son temps. Le Conseil des gouverneurs se prononcera sur l’opportunité de lancer un euro digital alors que la banque centrale chinoise (PBoC) teste déjà un yuan digital et vise un déploiement d’ici les jeux olympiques d’hiver de 2022 (Siècle Digital). En tout état de cause, le lancement d’un euro digital passera par une phase d’expérimentation qui pourrait durer jusqu’à deux ans, et le lancement ne devrait pas avoir lieu avant 2026, selon Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE (FT). Entre les initiatives publiques chinoises et la Big Tech américaine, l’Union risque de pécher par excès de précaution.
SANTÉ — Quelles sont les compétences de l'Union européenne ?
Par Les Surligneurs
Selon Hervé Juvin, député européen interrogé sur CNEWS, la Commission européenne se serait approprié la capacité de commander des doses de vaccins sans compétence pour le faire. Qu’en est-il vraiment ? L’Union européenne n’a certes qu’une compétence limitée en matière de santé, c’est-à-dire qu’elle n’intervient en principe que pour coordonner et appuyer l’action des États membres.
Mais le TFUE ouvre tout de même la possibilité pour la Commission européenne de prendre des “mesures appropriées” en cas de graves difficultés dans l’approvisionnement de certains produits. Cette action est possible si le Conseil, c'est-à-dire, les États membres – le décide. Pour en lire plus, l'article est publié ici dans le média Les Surligneurs.
WHAT’S UP?
Fiscalité — L'Europe se dit prête à coopérer avec Washington qui a proposé un taux minimum mondial d'imposition des sociétés de 21 % (The Irish Time).
Politique monétaire — À la BCE, le verdissement de la politique monétaire passe aussi par l’installation de ruches d’abeilles, de nichoirs à oiseaux et d'hôtels à insectes, pour une politique monétaire verte et inclusive (Bloomberg).
Lobbying — Le Décaméron a été traduit de l’italien vers l’anglais, avec comme personnage principal David, ancien premier ministre et chantre de la transparence, embourbé dans le scandale de lobbying pour une société financière, Greensill (Politico).
Cette édition de la Revue européenne a été préparée par Laura Denis (bienvenue !), Charlotte Véron, Ghislain Lunven, Hugues de Maupeou, Alexandra Philoleau, Blaise Mérand, Thomas Harbor (rédacteur en chef) et Agnès de Fortanier (directrice de la publication). Pour en savoir plus sur les rédacteurs de What’s up EU!, c’est par ici.
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Le "retard" de la BCE sur l'Euro numérique révèle la réticence des Européens à l'égard des cryptomonnaies. La BCE s'est lancée parce qu'elle ne veut pas être totalement hors course au cas où le Digital Yuan soit un succès. En même temps, c'est le premier arrivé qui capte les effets de réseau donc si le Digital Yuan remporte l'adhésion, il sera difficile pour l'Euro digital de le concurrencer. Ceci dit, la BCE n'est pas la seule a traîné des pieds... la FED aussi mais pour des raisons différentes, le dollar domine toujours la scène internationale, la menace semble plus lointaine... à tort ou à raison...