Revue européenne | 16 mars 2021
Brexit • BCE • État de droit • aides d'État dans le football espagnol • transports • UE/Chine • LGBTQ
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne ! Nous éditons chaque mardi une newsletter documentée, précise et lisible pour vous informer sur l’actualité européenne de la semaine.
THE BREXIT DIARIES — Rule Britannia! Britannia wa(i)ves the rules.
par Thomas Harbor
Alors que le Royaume-Uni se déchire sur le Megxit et que les premières négociations entre le Royaume-Uni et l’Union se transforment en panier de crabes, c’est sur la frontière (maritime) entre l’Irlande du Nord et la Grande Bretagne que le torchon brûle. Ce lundi (15/03). La Commission a envoyé deux missives à Londres (communiqué). La première met Londres en demeure de se conformer au protocole nord-irlandais. La seconde pose les bases d’une procédure formelle d’infraction dans le cadre de l’accord de retrait du 24 décembre.
Dans sa lettre de mise en demeure (disponible ici), Bruxelles enjoint Londres de s’abstenir de mettre en œuvre l’extension unilatérale de la période de grâce décidée unilatéralement début mars (FT). Cette décision constitue selon Bruxelles une double violation : celle de l’obligation de bonne foi requise par l’Accord du 24 décembre 2020 d’une part et celle du protocole nord-irlandais d’autre part. Cette période de grâce, qui prévoit des procédures douanières allégées à la frontière entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord pour éviter les pénuries alimentaires, devait s’étendre jusque début avril. La Commission était ouverte à une extension concertée de cette période de grâce, mais n’a pas goûté à l’unilatéralisme britannique, que Londres a justifié face aux difficultés logistiques à la frontière.
Londres a désormais un mois pour présenter ses observations à Bruxelles. La Cour de justice de l’UE, en vertu du protocole nord-irlandais, peut le cas échéant imposer le paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte au Royaume-Uni. Sur la bonne foi, Bruxelles enjoint Londres à entamer des négociations dans le cadre du comité mixte mis en place par l’Accord du 24 décembre. En cas de léthargie britannique, Bruxelles pourra soumettre le différend à arbitrage, ce qui pourrait aboutir à l’imposition de tarifs douaniers. À peine sorti de l’Union, Londres pourrait se retrouver devant la CJUE et frappé de tarifs douaniers.
BCE — “Fermer les spreads”
par Ghislain Lunven
Réagissant à la soudaine hausse des taux des pays de la zone euro, le Conseil des gouverneurs de la BCE a décidé une accélération du rythme d’achats d’actifs au titre du Pandemic emergency program (PEPP) et de l’Asset purchase program (APP). La BCE dispose d’une marge confortable de 1.000 milliards d’euros mobilisable au titre du PEPP (dont le plafond a été porté à 1.850 milliards) et a annoncé que le rythme d’achats nets au titre de l’APP serait porté à 20 milliards par mois. Des anticipations d’inflation à la hausse outre-atlantique - notamment du fait de l’approbation du plan de relance de 1900 milliards de Joe Biden - avaient en effet entraîné un basculement important de capitaux vers le marché américain.
Cette décision est une preuve de plus de la nouvelle orientation de la politique monétaire européenne depuis 2015. Si Christine Lagarde avait eu le mot malheureux (mais doux aux oreilles allemandes) que la BCE n’était “pas là pour fermer les spreads” (écarts de taux d’emprunt) entre États européens, il semble désormais acquis, à moyen terme, que l’institution de Francfort restera attentive aux conditions de financement de chacun. Les apparences importent cependant alors que la Cour de Karlsruhe a accueilli un nouveau recours de 16 universitaires et hommes d’affaires contre les programmes d’achat d’actifs menés par la BCE. La résolution du précédent - et violent - conflit entre Karlsruhe et Francfort par une motion votée au Bundestag reste encore être en travers de la gorge de la Cour constitutionnelle allemande…
Alors que la BCE semble s’être alignée sur les pratiques souples de la Fed en matière de soutien aux politiques budgétaires nationales, la question se pose de la nouvelle frontière pour la politique monétaire. Comme l’historien de l’économie Barry Eichengreen le souligne, c’est peut-être la neutralité monétaire au regard du changement climatique ou des inégalités qui pourraient être les prochains “blocages mentaux” à surmonter (selon l’expression employé par Mario Monti, raisonnablement orthodoxe pourtant, à propos du quantitative easing).
CONDITIONNALITÉ À L’ÉTAT DE DROIT — La saga continue
par Alexandra Philoleau
Chose promise, chose due. Jeudi dernier (11/03), la Hongrie et la Pologne ont chacune introduit un recours devant la Cour de justice de l’UE en annulation du Règlement 2020/2092 instaurant le système de « conditionnalité à l’État de droit ».
Pour rappel, c’est pour empêcher l’adoption de ce dernier que les deux États membres avaient, en décembre 2020 menacé d’opposer leur veto au plan de relance Next Generation EU et au Cadre Financier Pluriannuel. La sortie de crise avait finalement pu avoir lieu grâce à l’adoption, lors des Conseils européens des 10 et 11 décembre, d’une déclaration offrant des garanties aux gouvernements hongrois et polonais s’agissant de la mise en œuvre du règlement conditionnalité en prévoyant notamment que la Commission entendait adopter des lignes directrices précisant la manière dont elle allait appliquer ses dispositions. La déclaration précisait par ailleurs qu’en cas de recours introduit à l’encontre du règlement, la Commission devrait attendre l’arrêt final de la Cour de justice pour achever ses lignes directrices. La stratégie était simple : faire perdre du temps à la Commission et retarder au maximum l’application du texte litigieux.
Ces recours interviennent cependant alors que les efforts de la Hongrie et de la Pologne pour mettre à mal l’État de droit s’intensifient, que ce soit en attaquant le pouvoir judiciaire ou le pluralisme des médias. L’attention est donc plus que jamais rivée sur Bruxelles. Le Parlement, qui a récemment renoncé à remettre en question la légalité des déclarations du Conseil européen, va-t-il demander à la Cour de soumettre l’affaire à une procédure accélérée ? La Commission, qui en dépit de la déclaration a annoncé qu’elle appliquerait le règlement dès le 1er janvier va-t-elle effectivement prendre ses responsabilités ou va-t-elle attendre l’arrêt de la Cour pour le mettre en œuvre ? Le comportement des institutions au cours des prochaines semaines indiquera en effet si le mécanisme nouvellement introduit a vocation à rester un “tigre de papier” ou à devenir une arme efficace pour protéger l’État de droit.
AIDES D’ÉTAT — Carton jaune pour les clubs espagnols ⚽️
par Nabil Lakhal
Il y a quelques jours, la Cour de Justice de l’Union européenne (04/03) a donné raison à la Commission européenne en considérant que le taux d’imposition spécifique dont avait bénéficié pendant plus de 25 ans, et en tant qu’ “entité sans but lucratif” à titre dérogatoire le FC Barcelone, le Real Madrid et deux autres clubs de football espagnols constitue une aide d’État illégale de la part de l’Espagne, incompatible avec l’article 107 du TFUE.
Pour la Cour, la difficulté des juges du premier degré (Tribunal de l’UE) pour évaluer le montant des avantages économiques conférés aux clubs ne doit pas rendre impossible l’application des règles en matière d’aide d’État. La Commission peut effectivement se contenter d’une analyse globale et ex-ante du régime de l’aide, sans prendre en compte la situation individuelle du bénéficiaire (notamment les obligations dont ils peuvent être assujettis en contrepartie de l’aide). Cette démonstration de force menée par la Cour de Justice expose avec pédagogie les visées poursuivies par la législation européenne relative aux aides d'État : la Commission doit seulement prouver que le régime de l’aide, au moment de sa mise en place, a permis de fournir un taux d’imposition privilégié aux bénéficiaires.
En “taclant” le Tribunal, l’arrêt marque une véritable remontada de la Commission après l’annulation des décisions concernant les rescrits fiscaux accordés à Apple et Starbucks.
TRANSPORTS — Accord sur le Mécanisme pour l’interconnexion en Europe
par Hélène Procoudine-Gorsky
La semaine dernière le conseil de l’Union et le Parlement européen ont trouvé un accord de principe pour le renouvellement du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE ou Connecting Europe Facility), qui voit son enveloppe totale augmenter de 30,4 milliards (2014-2020) à 33,7 milliards d’euros dans le cadre du Cadre financier pluriannuel 2021-2027.
Ce mécanisme s’inscrit dans le cadre de la politique du réseau transeuropéen de transport (RTE-T) adoptée en 2013, qui vise à assurer le développement des infrastructures à l’échelle européenne notamment dans le domaine du transport, de l’énergie et du digital afin de renforcer la cohésion sociale, économique et territoriale entre les États membres. L’allocation de capital aux projets transeuropéens se fait essentiellement sous la forme de subventions via l’Agence exécutive pour l'innovation et les réseaux, le reste via l’intermédiaire de la Banque européenne d’investissement (BEI) au travers de prêts garantis et d’émissions obligataires liées à des projets spécifiques afin de mobiliser l’investissement privé. La première itération du MIE (2014-2020) a permis le lancement d’initiatives telles que le WiFi4EU, la construction du tunnel Brenned Base connectant l’Autriche et l’Italie, ainsi que Rail Baltica qui vise à améliorer la connectivité entre l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie et l’Europe continentale. La portée transnationale de ces investissements n'exclut pas certaines tensions politiques, les 3 pays baltes ayant récemment menacé de bloquer l’adoption de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) si une partie des fonds européens n’étaient pas fléchés vers l’avancement du projet Rail Baltica.
Ces évènements témoignent de l’importance stratégique des financements accordés dans le cadre du MIE. Ces fonds peuvent également être un outil indispensable pour atteindre les objectifs prioritaires de l’Union, notamment sur le plan environnemental grâce à la modernisation et l’expansion des réseaux ferroviaires connectant les pays d’Europe, ainsi que la décarbonisation des infrastructures de transport.
ACCORD UE-CHINE — Je concède, moi-non plus
par Pierre Pinhas
Alors que l’Union européenne et la Chine étaient parvenus dans les derniers jours de la présidence allemande à trouver un accord d’investissement, et ce malgré les doutes suscités en termes d’engagements environnementaux et de droit du travail, les nouveaux détails communiqués par la Commission ce vendredi 12 mars ne risquent pas de rassurer les sceptiques.
En effet, les compromis en termes d’accès au marché chinois paraissent pour le moins modestes. Entre autres, la non-obligation d’une joint-venture dans l’automobile sera finalement limitée à certaines provinces, et seulement à partir de 2022, tandis que les services de soins privés seront eux aussi bornés à certaines villes. Les investissements européens dans les secteurs stratégiques que sont les terres rares ou l’énergie atomique sont quant à eux tout simplement exclus.
Par ailleurs, les pays européens avec lesquels la Chine échangeait fortement durant la décennie passée sont aussi ceux avec lesquels les relations se sont le plus tendues au cours des dernières semaines : accusation britannique de non-respect de l’accord de 1984 sur Hong-Kong (FT), motion non-contraignante du parlement néerlandais qualifiant la situation au Xinjiang de génocide (Reuters) ou interdiction de Huawei en Suède (The Economist). Un doux commerce avec la Chine suffira-t-il réellement à renverser la tendance ? Contrats à suivre...
GRAPHIQUE DE LA SEMAINE — Qu’est-ce que l’UE exporte en Chine ?
LIBERTÉS — L’Union européenne, zone de liberté « LGBTIQ ».
par Tim Caron
Les députés européens ont appelé la Commission européenne à utiliser tous les outils à sa disposition pour lutter contre les violations des droits fondamentaux LGBTIQ. Dans une résolution (ici) proposée par l’eurodéputé français Pierre Karleskind et adoptée jeudi (11/03) le Parlement alerte sur le recul des droits LGBTIQ dans l’ensemble de l’Union. La même semaine, le secrétaire d’Etat français Clément Beaune avait été empêché de se rendre dans des « zones anti-LGBT » lors de son séjour en Pologne.
Depuis mars 2019, plus de 100 régions, comtés et municipalités polonaises ont adopté des résolutions enjoignant les gouvernements locaux à s’abstenir d’actions qui encourageraient la tolérance envers les personnes LGBTIQ et à supprimer les aides financières aux organisations promouvant la non-discrimination et l’égalité. En réaction, la Commission a rejeté les demandes par ces mêmes communes de financements européens dans le cadre de programmes de jumelages. Le parlement hongrois s’est quant à lui illustré en décembre dernier par l’adoption d’amendements constitutionnels qui limitent davantage les droits des personnes LGBTIQ.
Le Parlement européen souhaite désormais que la Commission use des procédures d’infraction au droit de l’Union, de l’article 7 du TFUE et du règlement adopté récemment sur la protection du budget de l’UE, afin de sanctionner ces violations aux valeurs fondamentales de l’Union.
LES POTINS MONDAINS EUROPÉENS
de la rédaction
Politico s’inquiète de la tendance des officiels européens à privilégier les échanges policés avec les think-tanks aux questions gênantes des journalistes.
Enrico Letta quitte la direction de l’École d’affaires internationales de Sciences Po pour celle du Parti démocrate italien, au sein duquel il sera sans doute confronté à des camarades de classe plus dissipés (Le Monde).
Selon le FT, les enquêteurs de la DG Concurrence sont incapables de comprendre le fonctionnement des algorithmes d’Amazon et ne parviennent pas à trouver les preuves nécessaires pour condamner le géant américain.
L’Espagne va donner un statut aux travailleurs des plateformes (FT), ce qui risque de mettre de l’eau au moulin de la Commission qui a déjà lancé une consultation sur le sujet.
Un peu de lecture, avec ce texte de Margrethe Vestager et Josep Borrell pour Project Syndicate sur la vision de la Commission pour la “décennie numérique”.
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À bientôt !
La politique monétaire est sur une pente glissante à vouloir s'occuper de tout. Elle va sans continuer à beaucoup énervé nos amis d'outre Rhin. Elle se rapproche de plus en plus du modèle de la FED. il est intéressant de voir que le mandat hiérarchique de la BCE n'a pas suffi à l'empêcher d'être activiste en raisons malheureusement des crises traversées... Les statuts ne suffisent donc pas garantir le rôle de la banque centrale, on l'avait déjà appris avec le sujet de leur indépendance qui va au-delà de ce qui est écrit!