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Le Briefing
Certains Etats membres conduisent une véritable offensive politique en vue d’une réunion du Conseil européen prévue les 9 et 10 février à Bruxelles sur la réaction à l’Inflation Reduction Act (IRA). Un consensus interventionniste semblait émerger, mais les divisions se font jour après la récente offensive médiatique des frugaux.
MARCHE ARRIERE • Il y a deux semaines, les soutiens affluaient en faveur d’une politique industrielle européenne en réaction à l’IRA. Le président du Conseil Charles Michel publiait une tribune dans Politico et la commissaire à la concurrence Margrethe Vestager envoyait une lettre aux 27 en faveur d’une révision des règles relatives aux aides d’Etat.
Dans la foulée, le chancelier allemand se montrait très critique des effets protectionnistes de l’IRA à Davos. Thierry Breton semblait avoir gagné la bataille politique — un “IRA Européen” et un “fonds de souveraineté européen” verraient le jour et le droit des aides d’Etat serait réformé.
Mais la donne a clairement changé. Les trois vice-présidents exécutifs de la Commission européenne — Dombrovskis, Timmermans, Vestager — ont rédigé une tribune dans le Financial Times du 26 janvier. Tout en reconnaissant les incitations à la délocalisation créées par l'IRA, la tribune met en garde contre les risques qu’une course aux subventions ferait peser sur l’économie européenne.
Le trio européen avance que l’essentiel réside dans la compétitivité des Etats membres. La réponse européenne à l’IRA passe aussi par des réformes, la formation professionnelle, et l’approfondissement de l’union des marchés de capitaux.
G7 FRUGAL • Un groupe de sept États membres a fait part de ses inquiétudes — le jour même de la publication de la tribune au FT. Dans une lettre adressée à Valdis Dombrovskis, la République tchèque, le Danemark, la Finlande, l'Autriche, l'Irlande, l'Estonie et la Slovaquie ont fait savoir leur opposition à de nouveaux emprunts communs et à un relâchement du droit des aides d’Etat.
L'Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique s'opposent également à cette initiative — mais ne sont pas signataires de la lettre. En tout, dix Etats membres s’opposent donc à une poussée intégrationniste comme réponse à l’IRA.
Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a fait remarquer que le coût d'emprunt de l'UE est désormais plus élevé que celui de l'Allemagne ou (même) de la France — ce qui rend plus intéressant pour certains pays d'emprunter seuls plutôt que par le biais d’obligations européennes.
CONTEXTE • Cette séquence est un revers pour le commissaire au marché intérieur. Thierry Breton s'est fait le champion d'une réponse européenne ferme, et semblait avoir gagné des alliés clés au-delà d’Emmanuel Macron. Thierry Breton était à Washington pour une conférence au Center for Strategic and International Studies (CSIS) le 27 janvier — le lendemain de l’offensive médiatique des frugaux.
La tribune des commissaires est un signal politique adressé aux récalcitrants. La marche arrière de la Commission a certainement irrité quelques capitales européennes, notamment Paris et Madrid.
Emmanuel Macron pourrait craindre de voir s’effriter le soutien à une politique industrielle européenne avant le Conseil des 9-10 février. L'Italie a récemment mis en garde contre les effets négatifs d'un assouplissement des règles relatives aux aides d'État, qui pourrait permettre aux pays riches de dépenser davantage que les pays endettés. Sur le sujet, une coalition des frugaux et des endettés pourrait ainsi émerger et tuer dans l’oeuf toute réforme plus ambitieuse.
Si ce que dit la Commission est important, ce sont les États membres qui plancheront sur la réaction à l'IRA lors du Conseil européen. La position de la Commission doit être considérée comme une tentative pour trouver un point d’équilibre entre les États membres.
S'il est vrai que l'UE pourrait encore utiliser des fonds de relance inexploités, le défi posé par l'IRA est bien plus vaste. La réponse de l’UE au plan vert de 369 milliards de dollars de Biden ne peut être liliputienne. La crise énergétique et l’IRA sont clairement des risques pour la base industrielle européenne, sans parler des ambitieux du vieux continent en matière de nouvelles technologies vertes.
FOOD FOR THOUGHT • Nous vous recommandons vivement de lire l'article passionnant de Martin Sandbu dans le FT, où il affirme que l'UE devrait favorablement accueillir une course aux subventions vertes. "Le travail des dirigeants de l'UE est de faire en sorte que les entreprises aient confiance en un marché important et croissant pour les solutions vertes. Il n'y a aucune raison pour que l'IRA rende cela plus difficile", conclut-il.
Nous recommandons également vivement l'article d'Eric Levitz dans le New York Magazine, où il demande à l'UE d'arrêter de pleurnicher sur le fait que les États-Unis lui volent ses emplois. Une citation notable : “Il est inconcevable que le Congrès révise l'IRA pour le rendre moins favorable aux intérêts commerciaux américains. L'ère de l'OMC est terminée ; l'ère de la politique industrielle verte a commencé”.
Inter alia
TANKS • "Free the Leopards!", scandaient les manifestants devant la chancellerie fédérale allemande en début de semaine dernière. Berlin était jusqu’à présent hésitante à fournir de nouvelles armes à l’Ukraine, craignant une confrontation entre la Russie et l'OTAN.
Dans un discours prononcé devant le Bundestag le 25 Janvier, le chancelier Scholz a cependant confirmé que son gouvernement allait envoyer 14 chars Léopard à l'Ukraine, à la suite d'intenses négociations. Les États-Unis se sont également engagés à fournir 31 M1 Abrams, la Pologne 14 Leopard supplémentaires et le Royaume-Uni 14 de ses Challengers.
"A ce jour, de nombreux pays ont officiellement confirmé leur accord pour livrer 321 chars lourds à l'Ukraine", déclarait vendredi dernier l'ambassadeur de l’Ukraine à Paris, Vadym Omelchenko. Les dates de livraison seront variables et restent pour le moment incertaines — elles dépendent en effet des pays expéditeurs et des différents modèles de chars.
Ces chars sont plus performants et mobiles que les chars T72 de l'ère soviétique, sur lesquels l’armée ukrainienne a beaucoup compté jusqu’à présent. Selon Politico, Kiev a renouvelé ces derniers jours une demande d'avions de combat F-16.
MIGRATIONS • La politique migratoire fait son retour au centre des préoccupations institutionnelles européennes. Le 13 janvier, Frontex — l'agence des frontières de l'UE — a signalé un total de 330 000 d’entrées irrégulières dans l’espace Schengen en 2022, soit le niveau le plus élevé depuis 2016.
Le 24 janvier, la Commission a présenté son plan visant à augmenter le nombre de migrants retournant dans leur pays d'origine. Parmi les 342 100 personnes ayant reçu une obligation de quitter le territoire de la part d’un État membre en 2021, seules 24 % sont retournées dans un pays extérieur au bloc, selon Eurostat. Le plan présenté à la Commission vise à augmenter ce pourcentage, notamment en renforçant le programme de réintégration de Frontex.
Le 26 Janvier, la question migratoire a été abordée lors d'une réunion informelle des ministres de l'intérieur de l'UE à Stockholm. La commissaire aux affaires intérieures, Ylva Johansson, y a souligné l'augmentation du nombre de migrants en provenance de pays "sûrs", parmi lesquels elle a cité le Maroc, l'Égypte, la Tunisie et l'Inde — ce qui selon elle justifie une approche centrée sur les retours.
La réunion a révélé un large consensus sur l’utilisation d’outils politiques et diplomatiques afin de renforcer la coopération avec les pays d'origine des migrants. Ylva Johansson a notamment évoqué la possibilité d’utiliser l'article 25a de manière plus extensive. Pour rappel, l'article 25a du code des visas permet à l'UE d'appliquer des restrictions en matière de visas aux pays qui ont un faible taux de retour des migrants, afin de les inciter à coopérer davantage sur ce sujet.
PÉTROLE RUSSE • Le 5 février, le plafonnement des prix — price cap — de carburant raffiné russe entrera en vigueur dans l’UE. Selon plusieurs analystes, les différents price caps mis en place par l'UE portent leurs fruits et contribuent à aggraver le déficit budgétaire de la Russie.
Ce nouveau price cap — qui sera accompagné par un price cap mondial coordonné par le G7 — risque de perturber les marchés pétroliers, particulièrement en Europe, où l'offre de gazole est actuellement sous pression. Les États membres de l'UE, qui sont parmi les plus gros consommateurs de gazole, étaient jusqu'à présent particulièrement dépendants du diesel russe. L'Europe se prépare à l’entrée en vigueur du price cap en diversifiant ses importations — notamment en provenance des États-Unis et de l'Arabie saoudite.
Une diminution des exportations de pétrole raffiné russe en pourrait coïncider avec une forte demande du côté de la Chine — dont la réouverture renforce les besoins en pétrole —, renforçant ainsi les pressions inflationnistes.
ABEILLES • Le 24 janvier, la Commission a présenté son “nouveau pacte en faveur des pollinisateurs sauvages”, afin de lutter contre leur déclin en Europe. Ce pacte fait suite à l'initiative européenne sur les pollinisateurs de 2018, et vise à mettre en place une politique plus ambitieuse sur le sujet.
Les pollinisateurs sauvages — tels que les abeilles, les syrphes et les papillons — jouent un rôle crucial dans la pollinisation, puisque 80% des cultures et des fleurs sauvages en dépendent. La Commission considère la disparition des pollinisateurs comme un risque pour la nature, le bien-être humain et la sécurité alimentaire.
Le nouvel accord concerne non seulement les abeilles, mais aussi les autres pollinisateurs sauvages. À travers ce nouveau pacte, les plans de conservation pour les espèces menacées seront finalisés et la Commission travaillera avec les États membres pour établir des corridors protégés pour les pollinisateurs — des “Buzz Lines”. L’impact de l'utilisation des pesticides sur les pollinisateurs sera également prise en compte — l’UE souhaite réduire de moitié l'utilisation des pesticides d'ici 2030.
Le Parlement européen et le Conseil sont invités à approuver cette initiative, qui viendra compléter les plans nationaux de protection des États membres. Le texte contient un objectif juridiquement contraignant : inverser le déclin des populations de pollinisateurs d'ici 2030. Le commissaire à l'environnement, aux océans et à la pêche, Virginijus Sinkevičius, estime que le pacte pourrait inspirer des politiques volontaristes au-delà de l'UE.
Nos lectures de la semaine
Pour mieux comprendre les tergiversations de Berlin sur le dossier russo-ukrainien, lisez l'article de Matthew Karnitschnig dans Politico consacré aux années qui ont formé l’actuel Chancelier allemand.
“La stagnation séculaire n'est pas terminée”, affirme Olivier Blanchard, dans une chronique pour le Peterson Institute.
Cette édition a été préparée par Gautier Parthon de Von, Maxence de la Rochère et Augustin Bourleaud. À lundi prochain !