Bonjour. Nous sommes le lundi 16 janvier 2023 et voici votre condensé utile d’actualité européenne.
Assouplissement des règles relatives aux aides d'État, renforcement des contrôles des subventions étrangères, promotion du "made in Europe" — le Vieux Continent a changé sa vision du monde.
QUE PASA • Alors qu’Emmanuel Macron et Thierry Breton sont à la manoeuvre pour promouvoir une nouvelle politique industrielle européenne, les rangs semblent se resserer au plus haut niveau après les déclarations récentes de Michel, von der Leyen et Vestager. En ligne de mire? Un Conseil européen programmé les 9 et 10 février à Bruxelles.
MICHEL TRIBUN • Le président du Conseil européen, Charles Michel, a pris la plume pour défendre l'idée d'un "grand projet pour l'industrie européenne". L'éditorial, publié dans les tribunes de Politico le 15 janvier, constitue sans nul doute un saut en terre inconnue pour l'UE, traditionnellement réticente à l’idée.
Le positionnement concurrentiel de l'UE, notamment vis-à-vis des États-Unis, a "fondamentalement" changé, dixit Michel. Les règles de l'UE en matière d'aides d'État, qui visent à garantir que les États membres de l'UE ne s’engagent pas dans une course sans fin aux subventions, reposent sur l'existence d'un système commercial international fonctionnel. Ce monde n'est plus.
Alors que la Chine n'a pas tenu les promesses faites lors de son adhésion à l'OMC, les États-Unis ont fini par tourner le dos au système même qu'ils ont créé. L’UE se rend compte que le “America is Back" de Biden a fini par ressembler au “Make America Great Again” de son prédécesseur.
Avec la loi sur la réduction de l'inflation (IRA), "notre allié américain a également adopté une politique d'aide publique massive pour favoriser sa transition verte" en injectant de l'argent public dans les technologies vertes, "les mêmes technologies que celles dans lesquelles l'UE investit", note Michel.
FORTERESSE EUROPE • Dans cette tribune, Michel présente un programme en quatre points:
Assouplir les règles relatives aux aides d'État. L'UE doit renforcer le "soutien aux entreprises industrielles stratégiques" et aux PME.
Flexibilité dans l'utilisation des fonds européens. L'objectif est de tirer pleinement parti des fonds non cépensés du programme NextGenEU.
Plus d'emprunts communs. Michel appelle à étendre SURE, un fonds commun financé par des obligations lancé au début du Covid pour fournir une aide financière aux États membres qui luttent pour faire face à l'augmentation des dépenses publiques pour la préservation de l'emploi.
Créer un fonds européen de souveraineté. Il financerait "des projets d'importance stratégique dans les domaines de l'énergie verte, de la technologie numérique et de la défense".
DES PAROLES ET DES ACTES • En matière commerciale, les protestations verbales de l’UE ont rarement été suivies d’effet, mais les mots utilisés et le timing de la tribune de Charles Michel constituent un signal important.
N'oubliez pas que Michel ne peut pas totalement improviser, puisqu'il parle au nom des 27 chefs d’Etat de l’UE et ne peut rien faire sans leur mandat. Cette initiative signifie qu'il existe un certain soutien au niveau du Conseil pour son plan.
Cette tribune est sans aucun doute une victoire pour Macron. Alors que les appels de la France en faveur d'une politique industrielle européenne ont souvent été tournés en dérision — souvenez-vous des yaourts stratégiques — les positions de Macron ont gagné en popularité depuis le choc économique provoqué par le Covid et la crise énergétique.
LOBBYING • La semaine dernière, la France a envoyé une lettre aux 27 pays de l'UE, dans laquelle elle demande une révision des règles de l'UE en matière d'aides d'État et la création d'un fonds de souveraineté d'urgence. Macron et Breton tentent de rallier le plus grand nombre d'alliés à la stratégie "Made in Europe" — désormais opportunément présentée comme une croisade contre l'IRA.
Le commissaire au marché intérieur, Thierry Breton, a été un allié politique clair du Président Macron. Le “fonds européen de souveraineté” est l’une des marottes du commissaire. Son plaidoyer pour une politique industrielle renforcée et sa campagne vigoureuse contre les éléments protectionnistes de l'IRA sont alignés sur les priorités européennes de Paris.
FRONT UNI • La commissaire chargée de la concurrence, Margrethe Vestager, s’est souvent opposée aux projets trop ‘protectionnistes’ de Thierry Breton, insistant sur le fait que le soutien aux entreprises européennes ne doit jamais se faire au détriment d'une concurrence effective au sein du marché intérieur.
Les règles relatives aux aides d'État, qui encadrent la manière dont les États membres peuvent utiliser l'argent public pour soutenir leurs propres entreprises, ont été mises en veilleuse depuis le début de la pandémie de Covid-19. Une consultation sur la réforme des aides d'État est ouverte jusqu'au 25 janvier 2023.
Le 13 janvier, Margrethe Vestager a envoyé une lettre aux ministres des finances de l'UE, reconnaissant que l'IRA "risque d'inciter certaines de nos entreprises européennes à transférer leurs investissements aux États-Unis". Les réformistes font pression pour que les industries stratégiques bénéficient d'exemptions plus importantes.
Lors d'une conférence de presse en Suède la semaine dernière, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a également defendu un "global playing field".
TOUT DOUX • Avec toutes ces démonstrations d'unité, on pourrait se laisser aller à penser que ces discussions se dérouleront sans accrocs. L'assouplissement des règles relatives aux aides d'État effraie de nombreux "petits" États membres qui craignent que les “grands” pays n’écrasent toute concurrence interne à l’UE grâce à leur moyens plus importants.
Ces craintes sont fondées. Au titre de l’encadrement temporaire des aides d'État COVID, l'Allemagne a notifié pour 356 milliards d'euros d'aides d'État. Soit plus que le reste des Etats membres de l'UE, qui ont injecté un total de 316 milliards d'euros dans leurs économies au titre de l’encadrement temporaire.
Certains voient dans le fonds de souveraineté un moyen de compenser par la solidarité fiscale les effets potentiellement distorsifs de l'assouplissement des règles relatives aux aides d'État. Mais il ne faut pas s'attendre à ce que cette discussion soit facile. Le soutien politique à un emprunt plus commun est inconstant.
Sur le plan juridique, la Cour constitutionnelle allemande a clairement indiqué, dans un arrêt du 6 décembre, qu'elle ne laisserait pas l'UE utiliser ses pouvoirs d'urgence pour mettre en place un emprunt commun permanent.
Inter Alia
TIKTOK • Le PDG de TikTok Shou Zi Chew s'est rendu à Bruxelles le 10 janvier afin de rencontrer plusieurs hauts-responsables de la Commission européenne.
TikTok fait actuellement l’objet de deux enquêtes pour violation du règlement général sur la protection des données (RGPD). Celles-ci concernent des transferts allégués de données vers la Chine ainsi que des violations de la vie privée des enfants. En vertu du guichet unique, ces enquêtes sont menées par le régulateur irlandais de la protection des données (DPC) — la plupart des Big Tech ont en effet leur siège social européen à Dublin.
Le 12 janvier, TikTok a d’ailleurs déjà été condamné à une amende de 5 millions d'euros par la CNIL, celle-ci avançant que “les utilisateurs de tiktok.com ne pouvaient pas refuser les cookies aussi facilement que les accepter et ils n’étaient pas informés de façon suffisamment précise des objectifs des différents cookies.”
Récemment, ByteDance, la société mère de TikTok, a également admis que certains employés avaient accédé aux données privées de deux journalistes, alimentant ainsi les accusations d'espionnage qui visent l'entreprise.
"I count on #TikTok to fully execute its commitments to go the extra mile in respect EU law and regaining trust of European regulators", a tweeté la commissaire aux valeurs et à la transparence, Vera Jourova, qui lui a fait part de ses préoccupations concernant la publicité politique, la sécurité des enfants, les données des utilisateurs et la désinformation russe.
L’attitude de TikTok quant au respect des règles du DSA et du DMA sera décisive pour son futur en Europe, où les dirigeants de certains États membres ont déjà fait part de leur scepticisme quant à l’application chinoise. Celle-ci a d’ailleurs récemment été bannie de tous les téléphones portables des fonctionnaires fédéraux américains.
POLOGNE • La Pologne semble plus que jamais déterminée à accéder à ses fonds européens. Touché par une inflation record et craignant une perte de crédibilité sur les marchés financiers, le pays dispose d’une faible marge de manœuvre économique.
Pour rappel, la Commission européenne retient 36 milliards d'euros de prêts et de subventions attribués à la Pologne dans le cadre de Next Generation EU. Les fonds ont été retenu en raison d’inquiétudes de Bruxelles concernant l'indépendance du système judiciaire polonais.
Début novembre, le président polonais Andrzej Duda avait déclaré qu'il était opposé à toute nouvelle concession pour accéder aux fonds. Mais les prochaines élections à l'automne ainsi que l’inflation galopante ont changé la donne pour le parti Droit et Justice (PiS). "
We don’t have time for tug-of-war [with the Commission]. I have appealed to the opposition to start working on the proposed law as fast as possible", a déclaré le Premier ministre Mateusz Morawiecki le 14 décembre.
Le même mois, un projet de loi visant à revenir sur certaines des réformes controversées du système judiciaire polonais a été présenté. S'il se concrétise, ce texte mettra fin aux sanctions infligées aux juges remettant en cause l'indépendance de leurs collègues et transférera les questions disciplinaires du judiciaire à un tribunal plus indépendant.
Le 11 janvier, le projet de loi a été voté au Parlement polonais où Unite Right, la coalition de droite dirigée par le PiS, détient la majorité. La plupart des membres de l'opposition se sont abstenus de voter après que leurs amendements visant à rendre le projet de loi plus ambitieux ont tous été rejetés.
La loi doit maintenant être votée au Sénat où le PiS aura plus de difficultés à la faire passer sans encombre, l'opposition détenant la majorité. Le ministre polonais de l'Europe a notamment demandé à l'opposition de "ne pas essayer de modifier" le texte de la proposition. S'il est approuvé par le Sénat, le projet de loi devra encore être signé par le président polonais — ce qui est incertain, étant donné son hostilité à l'égard de nouvelles concessions aux demandes de l’UE.
Il est également difficile de dire si la réforme même serait en mesure de convaincre la Commission : La Pologne avait déjà tenté de convaincre Bruxelles par des réformes superficielles, en vain.
IRLANDE DU NORD • Selon plusieurs médias, le Royaume-Uni et l'UE avancent dans la résolution des différends liés au commerce post-Brexit en Irlande du Nord. Les négociations devraient s'intensifier au cours de la semaine à venir, les deux parties s'efforçant de trouver une solution à un différend juridique concernant les contingents tarifaires (Tariff-rate quota, TRQs), qui ont empêché l'Irlande du Nord de bénéficier de la réduction des droits de douane britanniques sur des produits tels que l'acier.
Les représentants des deux parties mènent actuellement un "exercice de cadrage" pour évaluer les positions de chacun et rechercher des solutions techniques aux questions pour lesquelles aucun accord n'a été trouvé. Cet exercice pourrait être suivi d'un "tunnel", une période de discussions intensives entre hauts fonctionnaires.
Si les relations entre l'UE et le Royaume-Uni s'améliorent, les diplomates européens restent préoccupés par l'opposition interne potentielle que le Premier ministre britannique Rishi Sunak pourrait encore rencontrer au sein du Parti conservateur.
Le Premier ministre doit également faire face aux dysfonctionnements politiques en Irlande du Nord : les négociations visant à résoudre le différend actuel sur le protocole commercial ont été perturbées le 11 janvier, lorsque la dirigeante du Sinn Féin, Mary Lou McDonald, s'est vue interdire de participer à une réunion avec le ministre britannique des affaires étrangères, James Cleverly, ce qui a entraîné le boycott du meeting par le Sinn Féin et le Parti social-démocrate et travailliste (SDLP).
Nos lectures de la semaine
Les démocraties devraient-elles préférer commercer entre elles ? Pour le Peterson Institute, Marcus Noland commente les propositions de Chrystia Freeland, vice-première ministre et ministre des Finances du Canada, pour l'avenir de la mondialisation.
Dans les colonnes de Bloomberg, Max Hastings attire notre attention sur le nombre grandissant de réfugiés dans le monde, avec les conséquences politiques, sociales et économiques que cela entraîne.
Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !