Ce qu'il faut savoir sur le Critical Raw Materials Act
Mais aussi — Moteurs, BCE, Net-Zero Industry Act, Electricité
Bonjour. Nous sommes le lundi 20 mars 2023 et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez nous également sur Twitter et LinkedIn. Pour cinq euros par mois, vous pouvez nous aider à continuer d’être votre fil d’Ariane dans le labyrinthe réglementaire et politique européen.
Le Briefing
Le 16 mars, la Commission présentait son très attendu Critical Raw Materials Act. À travers ce règlement, la Commission cherche à améliorer l’approvisionnement du bloc en matières premières critiques et à limiter sa dépendance de pays exportateurs tels que la Chine.
L’enjeu est de taille pour l’UE, qui tente actuellement de maintenir la compétitivité de son industrie tout en atteignant les objectifs climatiques du Green Deal.
CONTEXTE • “Sans un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques, il n’y aura pas de transition écologique et industrielle”, résume Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence.
Pourtant, l’UE dépend presque exclusivement d’importations pour son approvisionnement en matières premières critiques. L’UE achète 97 % de son magnésium en Chine. 63 % du cobalt mondial, utilisé dans les batteries, est extrait en République démocratique du Congo, tandis que 60 % est raffiné en Chine. La liste est encore longue.
En parallèle, la demande pour ces matières premières explose. La Commission estime par exemple que la demande mondiale de lithium — indispensable pour produire certaines batteries — sera multipliée par 89 d’ici 2050.
La sécurité d’approvisionnement est donc extrêmement incertaine, ce qui pousse l’UE à chercher à minimiser les risques de pénurie. Fin 2021, une baisse des exportations de magnésium de la part de la Chine avait suffi à faire trembler l’ensemble de l’industrie automobile européenne.
OBJECTIFS • Le règlement proposé par la Commission établit donc une liste d’objectifs à atteindre d’ici 2030 afin de sécuriser l’approvisionnement :
L’extraction dans l’UE devra permettre de fournir au moins 10% de sa consommation annuelle.
La transformation opérée dans l’UE devra permettre de produire 40% de sa consommation annuelle.
Le recyclage réalisé dans l’UE devra permettre de produire au moins 10% de sa consommation annuelle.
En plus de ces objectifs, la Commission actualise sa liste de matières premières critiques et dresse une liste de matières premières dites “stratégiques”, car cruciales dans certains secteurs clés.
MOYENS • Pour atteindre ces objectifs, la Commission souhaite limiter les délais pour les autorisations de projets relatifs aux matières premières critiques dans les Etats membres. Obtenir une autorisation d’exploitation minière dans l’UE prend en moyenne 10 ans actuellement, contre les 2 ans envisagés par la Commission dans sa proposition de règlement.
L’exécutif européen mise également sur le recyclage. Les consommateurs devront par exemple être mieux informés sur la recyclabilité des aimants permanents — produits à partir de “terres rares lourdes” exclusivement raffinées en Chine.
CRISPATIONS • La perspective du déploiement d’activités extractives dans l’UE n’est cependant pas au goût de tous. Si l’extraction locale de matières premières stratégiques semble indispensable pour assurer la transition énergétique, certains y voient un couteau à double tranchant, car l'ouverture de mines pourrait contribuer à l’érosion de la biodiversité.
Pour la députée suédoise Sara Skyttedal (PPE), l’arbitrage semble plus évident : “De nombreux objectifs importants sont en conflit les uns avec les autres, et nous, en tant que législateurs, devons avoir le courage de faire des choix. L'Europe doit à présent choisir l'autonomie stratégique et l'accès aux matières premières critiques. Nous devons admettre que c'est plus important que d'autres choses et, oui, c'est plus important que Natura 2000 ou l'intérêt d'un seul village indigène Sami.” Les débats s’annoncent donc animés.
Du côté de l’industrie, les fédérations Euromines et Eurométaux estiment que la proposition de la Commission va dans le bon sens. Cependant, les objectifs chiffrés avancés restent purement incitatifs et les moyens mis en oeuvres pour les atteindre restent vagues.
CHINE • En filigrane, c’est en particulier de la Chine que l’Europe souhaite gagner son indépendance. Le règlement pose l’objectif suivant à l’horizon 2030 : “pas plus de 65 % de la consommation annuelle de l'Union de chaque matière première stratégique à n'importe quel stade de transformation pertinent ne doit provenir d'un seul pays tiers”.
PARTENAIRES • En conséquence, l’exécutif européen se veut pragmatique : l’UE ne pourra pas sécuriser son approvisionnement et réduire sa dépendance à la Chine si elle reste dans son coin.
La Commission mise donc sur la création d’un “club des matières premières critiques”, déjà évoqué par Ursula von der Leyen lors de sa récente rencontre avec Joe Biden. Sur le sujet, les accords bilatéraux ont également le vent en poupe, en particulier avec le Chili — dont 78% du lithium consommé par l’UE provient — et l’Australie.
LA SUITE • Ce n’est que le début du processus législatif. Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne doivent désormais établir leur position respective. Les deux co-législateurs devront ensuite s’entendre sur une version commune du texte.
La Commission espère que le règlement sera adopté avant les élections européennes de mai 2024. Cela laisse donc moins d’un an aux législateurs. Un facteur est cependant à prendre en compte : sur l’énergie, l’agenda est déjà particulièrement chargé. Il n’est donc pas certain que les négociations aboutissent avant les élections.
PLAYLIST • D’ici là, n’hésitez pas à consulter la nouvelle playlist du Commissaire au marché intérieur, dont l’équipe s’est efforcée de trouver un titre pour chaque matière première critique pour annoncer le nouveau règlement. On ne vous garantit rien sur la cohérence musicale du produit final.
Inter alia
ALLEMAGNE • Depuis le début du mois de mars, les Etats membres se divisent sur l’adoption finale de l’interdiction de la vente de nouvelles voitures et vans à moteurs à combustion d’ici 2035.
L’Allemagne — qui a rallié l’Italie, la Bulgarie et la Pologne à sa cause — bloque l’adoption finale du texte. Berlin souhaite que la Commission autorise l’utilisation des “e-fuels”, carburants synthétiques réalisés à partir d’hydrogène et de CO2, et qui peuvent être utilisés dans les véhicules traditionnels. Le parti social-démocrate d’Olaf Scholz a perdu en popularité et craint notamment des pertes d’emplois liées à l’interdiction de la vente de nouvelles voitures thermiques.
Concrètement, l’Allemagne souhaite la création d’un système de crédit pour les producteurs de voitures utilisant ces carburants alternatifs, qui serait entériné par l’adoption d’un acte délégué de la part de la Commission. Pascal Canfin, président de la Commission environnement du Parlement européen, a cependant déclaré ne pas voir de base légale pour que la Commission puisse proposer ce type de mesures, qualifiant la requête allemande d’illégale.
Dans l’autre camp, la France, l’Espagne, la Belgique, le Danemark, l’Irlande et les Pays-Bas soutiennent le plan initial. Le 16 mars, Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, a appelé l’Allemagne et ses alliés à respecter l’accord qui avait été convenu l’année dernière sur le texte.
Le blocage allemand pourrait non seulement mettre en péril la fin de la vente de voitures à moteurs thermiques d’ici 2035, mais également retarder l’adoption du texte dont la négociation a déjà pris plus de deux ans.
BCE • Le 16 mars, la BCE a décidé d'augmenter ses trois taux d'intérêt directeurs de 50 points de base (0,5%). Le taux de dépôt de la zone euro s'établit désormais à 3 %, conformément à ce que l'institution de Francfort avait prévu le mois dernier. Quelques décideurs de haut niveau craignaient qu'une hausse des taux ne jette de l'huile sur le feu des marchés financiers, après la chute de la Silicon Valley Bank et la récente acquisition par l’UBS du Crédit Suisse.
"Le Conseil des gouverneurs surveille attentivement les tensions actuelles sur les marchés et se tient prêt à prendre les mesures nécessaires pour préserver la stabilité des prix et du système financier dans la zone euro. Le secteur bancaire de la zone euro est résilient et dispose de positions de capital et de liquidité solides. En toute hypothèse, la BCE possède une panoplie complète d’instruments de politique monétaire lui permettant de soutenir, le cas échéant, la liquidité du système financier de la zone euro et de préserver la transmission harmonieuse de la politique monétaire.", a déclaré la BCE dans un communiqué de presse.
NET ZERO INDUSTRY • Le 16 mars, la Commission européenne a dévoilé sa proposition de Net-Zero Industry Act visant à soutenir l’industrie verte européenne dans le cadre du Green Deal Industrial Plan. Le plan est l’une des réponses de l’UE à l’Inflation Reduction Act (IRA) des Etats-Unis, qui fait de l'œil aux entreprises européennes, dont certaines menacent de se relocaliser de l’autre côté de l’atlantique pour bénéficier de subventions et crédits d’impôts.
L’objectif du Net-Zero Industry Act est de créer de meilleures conditions pour les projets liés à la transition énergétique en Europe et d’attirer les investissements étrangers. La Commission vise à ce que les technologies stratégiques net-zero de l’UE — qui incluent les panneaux photovoltaïques, les éoliennes, la capture carbone et les électrolyseurs entre autres — atteignent 40% des besoins de déploiement du bloc d’ici 2030.
La place du nucléaire et des carburants alternatifs au sein du Net-Zero Industry Act est cependant ambiguë. Les deux technologies sont mentionnées dans le plan de la Commission, mais restent absentes la liste des technologies stratégiques net-zero en annexe. Cette ambiguïté fait suite à des divisions au sein du collège des commissaires sur la place à donner à ces technologies.
Ce Net-Zero Industry Act signe un tournant pour l’UE, qui, devant les mesures prises par les Etats-Unis et la Chine, n’a d’autre choix que de s’engager — à reculons — sur le chemin peu familier de la politique industrielle.
ÉLECTRICITÉ • Le 14 mars, la Commission européenne a présenté les grandes lignes de sa future réforme du marché de l'électricité, destinée à protéger les consommateurs contre les hausses de prix de l'électricité.
Les premières ébauches indiquent que l'inclination initiale — soutenue par la France et l'Espagne — à s'engager dans une réforme majeure du marché de l'électricité a apparemment été remplacée par une série de mesures plus ciblées et moins audacieuses.
La Commission souhaite avant tout garantir un accès plus sûr à l'électricité pour les consommateurs et les entreprises en encourageant l'utilisation de contrats d'électricité à long terme, les accords d'achat d'électricité et l'introduction de "fournisseurs de dernier recours" nationaux.
Malgré la chute des prix depuis août dernier et la baisse de la pression sur les ménages et les entreprises, les représentants de l'industrie affirment que la volonté de proposer une réforme rapide a conduit la Commission à négliger des aspects clés de ce marché en constante évolution, tels que les mécanismes de capacité, jugés essentiels pour assurer une transition énergétique plus durable. La proposition est considérée comme une solution rapide face à des problèmes plus profonds, accentués par l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et qui nécessiteraient une révision plus poussée à long terme.
Nos lectures de la semaine
Pour l’Institut Montaigne, Bernard Chappedelaine analyse les lentes évolutions de la politique et de l’opinion publique allemandes depuis le début de la guerre en Ukraine.
Adriaan Schout et Daniel Gros ont écrit un rapport pour le CEPS, l'Institut Clingendael et le groupe des CRE qui évalue la performance de l'euro depuis sa création et se penche sur ses perspectives d’avenir.
Alan Wm. Wolff, du Peterson Institute, appelle l'UE à jouer un rôle de premier plan dans la défense des échanges commerciaux internationaux.
Dans sa newsletter Trade Secrets, le journaliste du FT Alan Beattie critique les conditions commerciales imposées par l'UE aux pays moins riches comment étant souvent mal conçues, ce qui suscite la colère légitime de ses partenaires commerciaux.
Cette édition a été préparée par Julie Houillon-Leonis, Maxence de La Rochère et Augustin Bourleaud. À lundi prochain !