Négociations transatlantiques sur l’énergie
Mais aussi — Politique fiscale, Sécurité, Mercosur, Migration, Efficacité énergétique
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Le Briefing
C’est une semaine chargée sur le plan de l’énergie. Après une visite au Canada, Ursula von der Leyen s’est rendue à Washington pour échanger avec Joe Biden sur l’Inflation Reduction Act (IRA) et l’indépendance stratégique vis-à-vis de la Chine. De l’autre côté de l’Atlantique, la Commission s’empresse de mettre en place son Green Deal Industrial Plan avec une réforme des aides d’Etat.
CONTEXTE • Enième épisode des négociations tendues entre l’UE et les Etats-Unis sur l’IRA, la visite de la présidente de la Commission européenne aux Etats-Unis était pour le moins attendue.
Pour rappel, l’IRA est le plan — de 369 milliards de dollars — des Etats-Unis visant à accélérer la transition énergétique à travers des subventions et crédits d’impôts massifs, notamment dans le domaine de la mobilité électrique et des énergies renouvelables.
Depuis plusieurs mois, l’UE alarme les Etats-Unis sur les risques que le plan fait courir à l’industrie européenne. Le vieux continent craint que les aides fiscales de Washington n’incitent les entreprises européennes à relocaliser leur production aux Etats-Unis.
Après des mois de négociations — notamment à travers le Trade and Technology Council — les États membres se sont résolus à adopter un équivalent européen de l’IRA, le Green Deal Industrial Plan.
ENJEUX • Pour autant, les négociations avec les États-Unis sont loin d’être terminées. Et l’anxiété européenne ne désemplit pas : le 8 mars, l’entreprise Volkswagen a déclaré mettre en pause son projet d’usine de batteries électriques en Europe, attendant les détails de la réponse européenne à l’IRA.
Pendant leurs discussions à la Maison Blanche, Ursula von der Leyen (UVDL) et Joe Biden ont trouvé un terrain d’entente sur plusieurs sujets.
ACCORDS • Ils ont tout d’abord convenu d’entamer des négociations sur un accord concernant les matières premières critiques. Celui-ci viserait à ce que les matières premières critiques extraites ou transformées au sein de l’UE et à destination de véhicules électriques puissent bénéficier des crédits d’impôts américains.
Les deux leaders ont également acté la création du Clean Energy Incentives Dialogue qui visera à coordonner les mécanismes de soutien à l’industrie des deux côtés de l’Atlantique. L’objectif est d’assurer au maximum la complémentarité de ces mécanismes.
“We are working against zero-sum competition”, ont déclaré les deux leaders dans une déclaration commune. Le Clean Energy Incentives Dialogue fera partie intégrante du Trade and Technology Council.
Conformément aux demandes de Bruno le Maire et de son homologue allemand Robert Habeck, les Etats-Unis et l’UE s’engagent également à communiquer en totale transparence sur le niveau des subventions et des crédits d’impôts des deux côtés de l’Atlantique.
Enfin, UVDL et Joe Biden souhaitent parvenir à un accord sur l’aluminium et l’acier d’ici octobre 2023. Cet accord visera à lever les barrières tarifaires des Etats-Unis pour les exportations européennes d’aluminium et d’acier, et sera ouvert à d’autres pays.
Ces mesures viennent s’ajouter aux concessions des Etats-Unis sur l'accès des véhicules utilitaires de l’UE au régime de subventions américain.
CHINE • Le signal envoyé par les deux leaders est donc le suivant : leurs objectifs communs l’emportent sur leurs divergences, ce qui contraste fortement avec la position défensive de l’UE ces derniers mois.
Parmi ces objectifs communs, la rivalité avec la Chine sur l’industrie et les matières premières est centrale. Ces dernières semaines, les Etats-Unis ont d’ailleurs alarmé l’UE sur les risques d’un envoi d’armes à la Russie de la part de la Chine. Les Etats-Unis semblent vouloir un alignement de l’UE sur la position à adopter vis-à-vis du leader asiatique, moyennant des concessions sur l’IRA.
Dans leur déclaration commune, les deux leaders ont d’ailleurs pointé du doigt leur rival asiatique, s’engageant à partager leurs renseignements sur les “non-market policies and practices” chinoises.
Mais le découplage avec la Chine est un sujet sensible au sein du bloc européen, notamment du côté de l’Allemagne qui est fortement dépendante du marché chinois pour ses exportations.
Si l’UE souhaite développer son indépendance stratégique sur les terres rares — dont 98% proviennent de la Chine — la Présidente de la Commission européenne privilégie une “réduction des risques de dépendance” plutôt qu’un “découplage” vis-à-vis de la Chine. C’est du moins ce qu’elle a suggéré à Davos en Janvier dernier.
À certains égards, la campagne américaine contre la Chine semble cependant porter ses fruits. Le 8 mars, l’Allemagne a déclaré être en train de reconsidérer sa politique vis-à-vis des équipements de Huawei et ZTE. Le même jour, les Pays-Bas ont décidé de limiter les exportations de semi-conducteurs vers la Chine.
AIDES D'ÉTAT • En parallèle de cette visite nord-américaine, la Commission s’empresse de mettre en œuvre son Green Deal Industrial Plan. Cette semaine, deux mesures concernant les aides d'État ont été adoptées.
D’une part, la Commission a adopté un nouvel “encadrement temporaire de crise et de transition”, qui modifie et prolonge en partie “l’encadrement de crise” adopté en mars 2022 pour permettre aux Etats-membres de soutenir l’économie dans le contexte de la guerre en Ukraine.
Ce nouveau cadre — qui s’étendra jusqu’à fin 2025 — vise à permettre aux États membres de continuer à soutenir les mesures nécessaires à la transition énergétique, notamment à travers les régimes d’aides aux entreprises.
Ces nouvelles mesures prennent en compte les inquiétudes des pays d’Europe du sud, qui craignent qu’un régime d’aides d’Etat plus souple ne permette aux pays les plus riches de subventionner leur industrie au détriment d’autres pays du bloc.
Ainsi, avant l'octroi de l'aide, les pouvoirs nationaux devront “vérifier s'il existe des risques concrets que l'investissement productif n'ait pas lieu dans l'Espace économique européen (EEE)”. Les entreprises localisées dans des régions défavorisées pourront également bénéficier d’aides plus importantes.
La possibilité d’accorder des aides plus élevées à des entreprises lorsqu’il existe un risque réel de détournement d’investissement hors d’Europe présente également plusieurs garde-fous, dont vous pourrez trouver les détails ici.
D’autre part, la Commission a approuvé une modification du règlement général d’exemption par catégorie (RGEC), qui prévoit les situations dans lesquelles les États membres peuvent accorder des aides sans accord préalable de la Commission. Plus de détails sur ce lien.
Ce relâchement du régime des aides d’Etat est source d’inquiétudes. “C'est la course aux subventions dont personne ne veut. (...) À court terme, les entreprises seront incitées à voir qui peut leur offrir de meilleures conditions, mais à long terme c’est le contribuable qui portera le fardeau", déclare un expert au FT.
WHAT NEXT? • Les Etats-Unis et l’UE doivent encore s’accorder sur de nombreux points, notamment les détails de leur coopération sur les matières premières et les exportations d’aluminium et d’acier européen. D’ici là, l’UE devra convaincre les entreprises hésitant à se relocaliser aux Etats-Unis de rester fidèle au vieux continent.
Inter alia
POLITIQUE FISCALE • La Commission européenne a adopté le 8 mars une communication sur les orientations de politique budgétaire pour 2024. Ce document aide les États membres à préparer leurs plans budgétaires pour l'année prochaine — ils doivent obtenir le feu vert de la Commission dans le cadre des règles de gouvernance économique de l'UE.
Le pacte de stabilité et de croissance (PSC) a été suspendu en 2020. Depuis lors, un débat fait rage entre frugaux et moins frugaux sur la refonte des règles — excessivement complexes et formalistes — du PSC.
Alors que la Commission devrait présenter des propositions législatives en mars, la communication reconnaît déjà qu'"un retour à la seule mise en œuvre des règles du cadre juridique existant ne tiendrait pas compte non plus de la nouvelle réalité post-pandémique".
Avec le ralentissement de l'inflation et le reflux des prix de l'énergie, la Commission estime que l'ère des largesses fiscales ne devrait pas durer éternellement. Bruxelles souhaite que les États membres réduisent progressivement les mesures de soutien prises dans le cadre de la crise énergétique.
Étant donné que la clause de sauvegarde générale (qui a mis le PSC en veilleuse) sera désactivée à la fin de 2023, la Commission pourra déclencher la procédure de déficit excessif à l'encontre des pays qui ne respectent pas les règles inscrites dans le PSC.
MERCOSUR • L'espoir de conclure un accord commercial avec le Mercosur commence à prendre forme dans les capitales européennes. Johan Forssell, le ministre du Commerce extérieur de la Suède, qui assure la présidence tournante de l'UE, a déclaré vendredi s’attendre à des "progrès décisifs" d'ici juillet.
Alors que les négociations ont été achevées en 2019, l'accord a été suspendu, officiellement en raison de préoccupations concernant l'état des mesures de protection de l’environnement au Brésil. Cependant, la victoire de Luiz Inácio Lula da Silva face à Jair Bolsonaro lors de l'élection présidentielle d'octobre 2022 semble ouvrir la possibilité de trouver un nouveau terrain d’entente.
Les producteurs agricoles européens craignent la concurrence de leurs homologues d'Amérique du Sud, où l'environnement réglementaire est moins exigeant. Le président français Emmanuel Macron a déclaré que des "clauses miroirs" seraient nécessaires pour garantir que les producteurs de l'UE et du Mercosur respectent les mêmes normes environnementales et sanitaires.
En septembre dernier, Celso Amorim, ancien ministre des affaires étrangères du Brésil et allié de Lula, expliquait au FT que le Brésil est ouvert aux changements qui renforcent les dispositions relatives au climat et aux droits de l'homme "tant que cela n'interfère pas avec la souveraineté brésilienne". En août, Lula lui-même a souligné que "les négociations doivent être gagnantes pour tout le monde (...). Ce que nous voulons dans la discussion avec l'Europe, c'est ne pas céder sur notre intérêt à réindustrialiser [le Brésil]".
Les négociateurs du Mercosur et de l'UE se sont rencontrés à Buenos Aires les 7 et 8 mars. La Commission a annoncé qu'ils s'étaient mis d'accord sur un calendrier de travail pour le premier semestre 2023.
SÉCURITÉ • Le 10 Mars, la Commission européenne et le Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité — Josep Borrell — ont présenté une communication et un plan d’action sur la stratégie de sûreté maritime de l’UE.
La dernière stratégie de sûreté maritime de l’UE datait de 2014, et ne semblait plus adéquate aux différentes menaces qui se sont développées depuis. La nouvelle stratégie prévoit notamment des exercices navaux annuels à l’échelle européenne.
En filigrane, c’est bel et bien les conséquences de la guerre en Ukraine qui motivent cette nouvelle stratégie. Les terminaux de LNG — liquified natural gas, importé des Etats-Unis par voie maritime — requièrent une défense maritime solide afin de garantir l’approvisionnement en gaz de l’UE.
L’attaque de la pipeline Nord Stream a également souligné le besoin d’une surveillance maritime accrue. Certains États membres ont également signalé des activités suspectes de la part de navires russes dans des fermes éoliennes off-shore.
MIGRATION • Le Royaume-Uni a proposé un nouveau projet de loi sur l'asile — Illegal Migration Bill — visant à limiter les traversées de la Manche par les migrants, qui ont atteint un niveau record de 45 000 en 2022. Le projet de loi propose de renvoyer la majorité des demandeurs d'asile dans leur pays d'origine ou dans un "pays tiers sûr". Les personnes arrivant illégalement ne pourront pas demander l'asile ni bénéficier des protections britanniques contre l'esclavage moderne.
Ce plan a suscité une levée de boucliers au niveau international. La commissaire européenne aux affaires intérieures, Ylva Johansson, a averti la ministre britannique de l'intérieur, Suella Braverman, que ce plan "violait le droit international", en particulier la Convention européenne des droits de l'homme.
Le plan a été annoncé peu avant le premier sommet franco-britannique en cinq ans, qui s'est tenu à Paris. Durant le sommet, le Premier ministre Sunak s'est engagé à investir 541 millions d’euros en 3 ans dans les centres de détention et la surveillance policière — notamment via les drones — en France.
Boosté par les accords de Windsor, le premier ministre britannique espère également pouvoir parvenir à un accord avec l’UE sur la question migratoire.
Le contrôle des migrations est d’ailleurs une des priorités de l'UE suite à l'augmentation de l'immigration clandestine. Les ministres des Etats-membres chargés de la questions ont promis d'adopter une position commune sur la proposition de pacte sur l'immigration et l'asile d'ici le mois de juin.
EFFICACITÉ • Le bloc continue d’affiner sa stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le Parlement et le Conseil sont d’ailleurs parvenus à un accord provisoire sur la réforme de la directive de l’UE l’efficacité énergétique.
L'accord trouvé fixe l'objectif de l'UE en matière d'efficacité énergétique à 11,7 % pour 2030, ce qui est plus ambitieux que la proposition initiale de la Commission. “Les pays de l'UE seront tenus de réaliser, de 2024 à 2030, de nouvelles économies annuelles correspondant à 1,49 % de la consommation finale d'énergie en moyenne, contre 0,8 % actuellement”, explique la Commission.
Nos lectures de la semaine
L'Institut Montaigne a publié une note écrite par Georgina Wright et Joseph Dellatte sur l'avenir de l'hydrogène dans le contexte de la transition écologique.
Dans une tribune publiée par Le Monde, Simone Tagliapietra analyse le dilemme auquel l'Europe est confrontée, entre recherche de l'efficacité économique et volonté de parvenir à une plus grande “résilience géopolitique”.
Pour le Financial Times, Mats Persson recense l’ouvrage de Stefaan De Rynck relatant les négociations du Brexit entre le Royaume-Uni et l'UE, intitulé Inside the Deal : How the EU Got Brexit Done.
Cette édition a été préparée par Ysabel Chen, Maxence de la Rochère et Augustin Bourleaud. À lundi prochain !