Bonjour. Nous sommes le mardi 2 mai 2023 et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez nous également sur Twitter et LinkedIn.
En partenariat avec CommStrat, nous avons le plaisir de vous inviter à une nouvelle table ronde sur l’avenir des télécoms en Europe, le 10 mai 2023 de 18h à 21h à la Maison de l’Europe de Paris (aussi accessible en ligne).
Alors que la consultation lancée par la Commission européenne sur le futur du financement des infrastructures de réseau arrive à sa fin, nous vous proposons de faire le point sur la vision actuelle de l'exécutif européen, les attentes des acteurs du numérique et les réformes à venir pour la prochaine mandature.
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Le Briefing
Le 27 avril, les membres du Parlement européen ont conclu un accord politique sur le très attendu Règlement sur l’intelligence artificielle (AI Act). Si le AI act avait été proposé par la Commission européenne en 2021, il est récemment revenu sur le devant de la scène après la mise en service de plusieurs “modèles de langue géants” comme ChatGPT.
FONDATION • La version du Parlement européen tranche plusieurs nœuds gordiens qui sont restés en discussion jusqu’aux derniers instants des négociations, selon Euractiv. Était notamment en cause le sort réservé à une sous-catégorie d’IA, les “modèles de fondation”, qui sont des IA entraînées sur de grands volumes de données afin de les doter d’une grande adaptabilité.
Conformément aux orientations prises plus tôt par les eurodéputés, ces modèles de fondation — parmi lesquels ChatGPT ou Midjourney — se verraient appliquer un régime plus strict que celui initialement prévu pour les systèmes d’IA d’usage général.
Un changement de dernière minute a ainsi consisté à contraindre les IA génératives — c’est-à-dire des IA faites pour générer du contenu — à être conçues en accord avec le droit et les valeurs de l’Union européenne, en particulier la liberté d’expression.
RISQUES • Selon le projet de règlement, les systèmes d’intelligence artificielle seront également classés par différents niveaux de risque auxquels s’appliqueront des règles graduées : risques minimes, limités, haut-risques, et risques inacceptables.
Cette logique a suscité de nombreux débats, notamment sur ce que les périmètres d’usage “à haut risque” et “inacceptables” devraient recouvrir. En effet, une fois le texte en vigueur — vraisemblablement d’ici 2025 — d’importantes contraintes pèseront sur les IA entrant dans ces catégories.
D’une part, les usages “à hauts risques” devront se plier à des obligations plus strictes en matière de gouvernance des données, de transparence et de gestion des risques. Face au risque d’inclure dans cette catégorie une trop grande partie des systèmes d’IA et ainsi entraver l’innovation européenne, les eurodéputés ont introduit un nouveau critère de “risque significatif” pour la santé, la sécurité ou les droits fondamentaux.
Certaines IA seront par ailleurs présumées à haut risque, comme les systèmes de recommandation des grandes plateformes du Digital Services Act.
INTERDITS • D’autre part, les systèmes d’IA aux risques considérés “inacceptables” seront sans surprise interdits, que ce soit le crédit social ou l’identification biométrique en temps réel.
En revanche, l’interdiction de recourir à l’IA pour la surveillance des communications interpersonnelles n’a finalement pas été retenue suite à l’opposition du groupe PPE, qui en échange a dû concéder l’interdiction d’un cas d’usage jusque-là épargné, à savoir l’identification biométrique ex post — pourtant réservée aux crimes graves et utilisable seulement après autorisation judiciaire.
COPYRIGHTS • Nouvelle venue dans le débat sur les IA génératives, la question de la propriété intellectuelle divisait les eurodéputés depuis deux semaines. Plusieurs d’entre eux voulaient interdire purement et simplement d’utiliser des contenus protégés par un copyright pour entraîner des IA — ce qui revenait de facto à tuer dans l’œuf le développement des “modèles de langue géants”, aujourd’hui entraînés à partir de pans entiers de l’Internet sans considération des droits de propriété intellectuelle.
Un compromis plus favorable à l’innovation a été trouvé. Les entreprises développant des IA génératives devront faire œuvre de transparence sur tout contenu protégé par un copyright utilisé pour entraîner leurs modèles.
"Against conservative wishes for more surveillance and leftist fantasies of over-regulation, parliament found a solid compromise that would regulate AI proportionately, protect citizens' rights, as well as foster innovation and boost the economy", témoignait la député européenne Svenja Hahn. Pour l’analyste Fred Havemeyer de chez Macquarie, la proposition législative fait preuve de plus de tact qu’une approche “ban first, and ask questions later” qui a pu être défendue par certains.
WHAT NEXT? • La version retenue par le Parlement pourrait encore faire l’objet d’amendements mineurs — le groupe PPE espère encore revenir sur l’interdiction de traitement de données biométriques ex post dans le cadre d’enquêtes judiciaires — d’ici le vote en commission prévue le 11 mai. Un vote en plénière est prévu en juin, avant le début des trilogues, qui ne s’annoncent pas de tout repos.
Inter alia
BUDGET • Le 26 avril, la Commission européenne a présenté ses propositions législatives afin de réformer les règles budgétaires européennes du pacte de stabilité et de croissance — la règle de 60% de dette publique et du ratio de déficit de 3%. Celles-ci ont été temporairement mises de côté à la suite du Covid-19, qui a causé l’explosion de la dette publique au sein de l’UE.
Avec cette réforme, l’exécutif européen souhaite aller vers des règles plus flexibles et adaptées à chaque pays, s’éloignant ainsi de l’orthodoxie budgétaire qui caractérisait sa position sur le sujet jusqu’à présent.
Mais cette position n’est pas du goût de tous les Etats membres, en particulier l’Allemagne, qui s’est montrée très critique vis-à-vis de la Commission.
La proposition finale de la Commission s’efforce de trouver un équilibre entre les critiques allemandes et les craintes des pays du sud vis-à-vis des règles trop strictes, sans pour autant satisfaire aucun des deux camps.
"Le résultat est très équilibré. Je ne sais pas exactement ce qui aurait dû remporter le consensus de ce pays ou d'un autre, mais je pense que les changements que nous avons décidés sont mineurs et que nous sommes fondamentalement cohérents", a déclaré le commissaire à l’économie Paolo Gentiloni à Politico.
La proposition de la Commission devra à présent être discutée au Conseil et au Parlement, sans qu’il soit certain que les deux institutions parviendront à adopter la réforme avant les prochaines élections européennes.
BREXIT • La Retained EU Laws Bill — le projet de loi consistant à réformer ou abroger l’entièreté du droit de l’UE préservé en droit interne au Royaume-Uni d’ici la fin de l’année — vient de se voir considérablement allégée, au grand dam des Brexiteers.
Pour rappel, la loi de 2018 sur le retrait du Royaume-Uni de l'UE — Withdrawal Act — avait copié-collé toutes les lois de l’UE dans le corpus législatif britannique, créant ainsi la catégorie des retained EU laws. Cette loi avait permis d'assurer la continuité juridique après le Brexit.
À l’origine, la Retained EU Laws Bill visait à réformer ou abroger les quelque 4000 lois issues de l’UE d’ici la fin de l’année 2023. Une clause d'extinction prévoyait que toutes les lois européennes qui n’auraient pas été conservées ou modifiées disparaîtraient du droit britannique au 1er Janvier 2024.
Mais les inquiétudes du Trade Union Congress (TUC) quant à l’incertitude juridique que pourrait créer ce contre-la-montre — notamment en matière de sécurité au travail et relations collectives — ont conduit la ministre des entreprises et du commerce Kemi Badenoch a revoir l’ambition du texte à la baisse.
Celle-ci a finalement annoncé que la majorité des lois européennes allaient, pour l’instant, être maintenues en vigueur et que l’objectif dorénavant visé pour la fin d’année 2023 ne serait plus que l'abrogation/révision de 800 lois.
Les eurosceptiques Tory, à l’instar de Jacob Rees Mogg, ont dénoncé une “trahison” vis-à-vis du Brexit, accusant la mauvaise volonté des fonctionnaires qui refusent selon eux de réaliser l’examen des lois dans le délai imparti.
PHARMA • Après avoir été repoussé à plusieurs reprises, la Commission a présenté son paquet législatif — une directive et un règlement — visant à réviser la législation pharmaceutique du bloc.
Conçue pour lutter contre les pénuries de médicaments, l'inégalité d'accès aux médicaments essentiels et pour favoriser l'innovation, la modernisation de la politique pharmaceutique proposée par l'UE s'articule principalement autour de mesures incitatives pour les fabricants de médicaments.
Tout d’abord, la Commission souhaite limiter les pénuries de médicaments qui ont touché l’Europe cette hiver. Les producteurs auront donc une obligation de notifier les autorités au moins 6 mois à l’avance en cas de potentiels problèmes au niveau de la production.
L’Agence internationale du médicament sera également chargée de suivre de près les chaînes d’approvisionnement et publiera d’ici la fin de l’année un document listant les médicaments dits “critiques”, dont la sécurité d’approvisionnement est essentielle. Enfin, la Commission souhaite imposer des stocks minimums pour certains médicaments.
La Commission entend également favoriser l’innovation et l’accès aux médicaments. Pour ce faire, elle propose de nouveaux mécanismes d’incitations. La Commission souhaite réduire la durée de la période d’exclusivité des fabricants de 10 à 8 ans. Ces derniers pourront cependant bénéficier de deux ans d’exclusivité en plus à condition qu’ils lancent leur médicament dans l’ensemble des 27 Etats membres — proposition critiquée par l’industrie, qui estime qu’elle est difficilement réalisable.
Selon Stella Kyriadides, commissaire européenne à la santé, ces mécanismes incitatifs pourraient donner à “70 million de citoyens un accès à de nouveaux médicaments comparé à aujourd’hui”.
La Commission souhaite également réduire la durée de l’évaluation scientifique et de l’autorisation des médicaments. Les procédures d’autorisation de l’Agence européenne du médicament prendraient 180 jours au lieu de 400 en moyenne actuellement.
Au niveau environnemental, l’Agence européenne du médicament sera à présent en mesure de refuser d’autoriser des médicaments qui ne spécifient pas assez les risques environnementaux potentiels liés à leur production.
Enfin, la Commission souhaite s'attaquer à la résistance aux antibiotiques, considérée par l’Autorité de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire de la Commission (HERA) comme l’une des trois principales menaces sur la santé, aux côtés des “agents pathogènes à fort potentiel pandémiques” — notamment la famille de virus à ARN respiratoires — et des “menaces chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires”.
La Commission souhaite donc inciter les producteurs d’antibiotiques à produire des médicaments fonctionnent différemment de ceux déjà présents sur le marché.
Nos lectures de la semaine
La Fondapol a publié une étude de Cécile Maisonneuve, dans laquelle cette dernière analyse les causes des échecs de la politique énergétique européenne et appelle à sa refondation.
Pour l'ECIPE, Fredrik Erixon et Oscar Guinea plaident en faveur d’une nouvelle stratégie pour l'industrie pharmaceutique européenne, qui fait face à la concurrence aussi bien des États-Unis que de la Chine.
Qui gouverne la Géorgie ? s'interroge Andrew Cockburn dans la London Review of Books. Un oligarque dont l’origine de la fortune remonte à l'ère Yeltsine est peut-être le suspect le plus évident, mais le lecteur attentif découvrira bien d'autres choses.
Cette édition a été préparée par Clément Albaret, Julie Houillon-Leonis, Mattéo Gorgoni, Marwan Ben Moussa, Augustin Bourleaud et Maxence de la Rochère. À lundi prochain !