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Casse-tête sur le gaz : la Commission et le Conseil sous pression
La semaine dernière, la guerre politico-énergétique que se livrent la Russie et l’UE a pris un nouveau tournant. Réagissant aux dernières provocations de Poutine, la Commission a annoncé un huitième train de sanctions visant à affaiblir la Russie.
En fin de semaine, les ministres de l'énergie de l'UE ont voté une série de mesures visant à réduire la facture énergétique de l'Union, mais aucun progrès n’a été fait en ce qui concerne un éventuel plafonnement du prix du gaz sur le marché de gros.
SAISON 8 • Le nouveau paquet de sanctions fait suite aux menaces nucléaires de Vladimir Poutine et à l'annonce de la mobilisation de masse des Russes dans la guerre en Ukraine. La semaine dernière, les annexions illégales de territoires ukrainiens ainsi que les sabotages suspects de gazoducs dans la mer Baltique ont renforcé le besoin d’adopter de nouvelles mesures restrictives. "Nous sommes déterminés à faire payer le Kremlin pour cette escalade", a déclaré Ursula von der Leyen mercredi, avant de détailler le contenu du huitième paquet.
SANCTIONS • Ces nouvelles sanctions incluent une interdiction pour les ressortissant de l’UE d’occuper des postes au sein du conseil d'administration d'entreprises publiques russes, de nouvelles interdictions d'exportation de produits cruciaux pour l’armée russe, ainsi qu’une liste étendue de marchandises russes interdites sur le marché européen — cette dernière mesure devrait priver la Russie de 7 milliards d'euros de revenus supplémentaires.
Mais l’élément majeur de ce paquet est certainement la première mesure concrète prise par la Commission en vue de plafonner le prix du pétrole russe acheminé par voie maritime. L'objectif de cette mesure — initialement proposée par le G7 — est de limiter les revenus que la Russie tire de la vente de combustibles fossiles. Ursula von der Leyen a annoncé que la proposition législative établirait une base juridique pour la mise en place de ce plafonnement des prix.
Pour un rappel sur les 7 premiers trains de sanctions, consultez nos précédentes éditions de la Revue européenne : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
CAP OU PAS CAP • Deux jours après cette annonce, les ministres de l'énergie de l'UE se sont réunis pour discuter de nouvelles mesures visant à limiter l’envolée des prix de l'énergie.
À l'approche du Conseil, 15 États membres (dont la France, l'Espagne, l'Italie et la Belgique) ont adressé une lettre à la commissaire à l'énergie, Kadri Simson, lui demandant de proposer un plafonnement des prix — price cap — du gaz sur le marché de gros.
Dans cette lettre obtenue par Politico, les ministres expliquent : "We acknowledge the efforts made by the Commission (...) but we have yet to tackle the most serious problem of all: the wholesale price of natural gas".
PRICE CAP • Le marché européen de l'électricité fonctionne sur un système de tarification marginale dans lequel le prix de gros de l'électricité est fixé par le prix de la dernière et plus chère source d’énergie. La plupart du temps, celle-ci n’est autre que le gaz. Plafonner le prix du gaz revient donc à diminuer le prix de l’électricité sur l’ensemble du marché européen.
PAS DE CONSENSUS • Mais la mesure est loin d'être consensuelle, et des pays comme l'Allemagne s'opposent farouchement à la mise en place d'un tel plafonnement des prix.
Du côté de Berlin, on craint qu'un prix plus bas n'augmente la demande d'électricité, ce qui saperait les efforts déployés en termes d’économies d'énergie. L'Allemagne craint également que la baisse des prix ne rebute les producteurs de gaz naturel liquéfié (GNL), à un moment où l’UE ne peut se passer de cette alternative au gaz naturel.
En réponse, les partisans du price cap préconisent un plafonnement “dynamique” des prix de l’électricité, qui resteraient légèrement supérieur aux prix actuels du GNL afin de ne pas irriter les producteurs de GNL.
SOLIDARITÉ • À la place d'un plafonnement des prix, l'Allemagne s'efforce de réduire ses factures d'énergie grâce à un plan de 200 milliards d'euros visant à protéger les consommateurs et les entreprises des prix élevés de l'énergie. Cette mesure — annoncée jeudi par Olaf Scholz — suscite les critiques de plusieurs pays qui n'ont pas les moyens de mettre en œuvre des mesures similaires. "We can’t divide ourselves according to our fiscal room for manœuvre, we need solidarity", a déclaré jeudi le Premier ministre italien sortant Mario Draghi.
COMPLICATIONS • La Commission est elle aussi sceptique quant à un plafonnement du prix du gaz. Dans une récente étude sur les différentes options disponibles pour réduire la facture énergétique, l'exécutif européen a mis en garde contre les perturbations potentielles qu’un tel dispositif pourrait créer, expliquant qu'un plafonnement du prix du gaz perturberait les signaux de prix qui permettent de diriger les flux de gaz vers les pays qui en ont particulièrement besoin.
Par conséquent, si un plafonnement des prix devait être adopté, la Commission estime qu'il faudrait créer une nouvelle entité chargée de répartir le gaz restant entre les États, et dont la tâche serait extrêmement complexe.
La Commission préconise plutôt un plafonnement des prix pour le gaz russe uniquement ou un plafonnement des prix spécifiquement pour le gaz utilisé pour produire de l’électricité — un plafonnement similaire à celui mis en place par l'Espagne et le Portugal en mai.
FINALEMENT • Pour autant, aucun plafonnement du prix du gaz n'a été décidé lors du Conseil de vendredi sur l’énergie, la Commission étant restée réticente à présenter une proposition. "We’re disappointed with the Commission’s non-proposal", a déclaré la ministre espagnole de la transition écologique à Euronews. "The Commission is aware this is a sensitive topic and has not managed to find the space in which all countries can respond positively", a-t-elle ajouté.
Les ministres européens de l'énergie ont cependant adopté trois grandes mesures comprenant une réduction volontaire de 10 % de la consommation d'électricité ainsi qu’une réduction obligatoire de 5 % de la consommation d'électricité aux heures de pointe.
Le Conseil a également convenu d'une taxe sur les profits exceptionnels — windfall tax — pour les producteurs d'électricité qui utilisent des combustibles non fossiles et profitent des prix anormalement élevés de l'énergie. Pour ces producteurs, les recettes du marché seront plafonnées à 180 euros/MWh et les États membres pourront ponctionner la différence pour générer de nouvelles recettes afin de protéger les consommateurs des prix de l'énergie.
Enfin, un prélèvement de solidarité permettra de capter partiellement les bénéfices excédentaires réalisés par les exploitants de combustibles fossiles, et d'autres mesures seront adoptées pour protéger les PME de la flambée des prix de l'énergie.
WHAT NEXT? • Les mesures susmentionnées seront temporaires et s’appliqueront à partir du mois de décembre. En ce qui concerne le plafonnement du prix du gaz sur le marché de gros, un fonctionnaire de la Commission a confié à Politico que la Commission était seulement prête à "approfondir son analyse" si nécessaire – signe qu'un plafonnement du prix de gros du gaz ne sera pas adopté de sitôt.
In Case You Missed It — IA, BCE, Golden Passports
L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE • Le 28 septembre, la Commission a publié deux propositions législatives visant à étoffer le cadre juridique qui entoure l'utilisation de l'intelligence artificielle. La directive sur la responsabilité en matière d'IA vise à garantir que les consommateurs et les entreprises lésés par des produits utilisant une IA reçoivent une indemnisation adéquate. "Les nouvelles règles donneront aux victimes de dommages causés par des systèmes basés sur l’IA les mêmes droits et un accès à un procès équitable et à des réparations", a commenté le commissaire à la Justice Didier Reynders. La proposition comprend une "présomption de causalité" et un "droit d'accès aux éléments de preuves", qui ont pour objectifs de minimiser et de faciliter l'obligation pour la victime de démontrer la responsabilité des systèmes d’IA dans le préjudice causé.
L'intelligence artificielle est une préoccupation majeure de la Commission depuis la publication de la stratégie européenne en matière d'IA en 2018. Pour l'UE, le défi consiste à créer un cadre juridique qui deviendra la norme mondiale de référence - une ambition rendue explicite par les députés européens en mai 2022. En 2021, la Commission a présenté le projet de règlement sur l'intelligence artificielle (Artifical Intelligence Act), une proposition annoncée comme étant le tout premier cadre juridique pour l'IA, et qui est toujours en cours de discussion.
LES TAUX • La Banque centrale européenne (BCE) penche en faveur d'une hausse des taux de 0,75 % (75 points de base) lors de sa prochaine réunion de politique monétaire en octobre. S'adressant au Conseil atlantique le 28 septembre, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, a souligné que "we will do what we have to do, which is to continue hiking interest rates in the next several meetings".
Après la fin d'une longue période de taux d'intérêt négatifs dans la zone euro, le conseil des gouverneurs de la BCE est maintenant sous pression pour augmenter les taux afin de combattre l'inflation qui atteint maintenant deux chiffres. La BCE est dans une position délicate, car son engagement pour la lutte contre l'inflation pourrait nuire à l’économie déjà affaiblie de la zone euro, mise à mal par la crise énergétique et parun taux de change euro-dollar chancelant – la monnaie unique étant à son plus bas niveau depuis 20 ans par rapport au billet vert. L'Allemagne vient d'annoncer un programme de 200 milliards d'euros financé par la dette pour réduire les coûts énergétiques des entreprises et des ménages, ce qui pourrait contribuer à maîtriser l'inflation.
La BCE tente également d'éviter une liquidation sur le marché obligataire des États membres les plus faibles de la zone euro, comme l'Italie, dont les coûts d'emprunt vont s'envoler avec l’action anti-inflation de la BCE. Si l'instrument de protection des transmissions (IPT) de la BCE, dévoilé le 21 juillet, vise à intervenir en cas de ventes spéculatives d'obligations, il n'immunise pas l'économie de la zone euro contre les effets des crises en cours. L'un des régulateurs financiers de l'UE, le Comité européen du risque systémique – présidé par Christine Lagarde – a publié le 22 septembre un rapport d'alerte mettant en garde contre des "risques graves pour la stabilité financière". Comme l'a noté le FT, il s'agit de la première alerte du CERS depuis la création de l'agence en 2010.
LES GOLDEN PASSPORTS • La Commission européenne a décidé de poursuivre Malte devant la Cour de justice de l'Union européenne pour son système de "golden passports", qui permet à de riches investisseurs d'acheter la citoyenneté maltaise – et donc européenne. Depuis 2013, Malte a généré plus d’1,1 milliard d'euros grâce à la vente de passeports à des ressortissants étrangers, sans condition de domiciliation. Les investisseurs sont pour la plupart originaires du Golfe, d'Asie et de Russie.
Après l’annonce de la décision, le commissaire à la justice Didier Reynders a tweeté que "les valeurs de l'Union européenne ne sont pas à vendre".
Les craintes liées au blanchiment d'argent et à l'octroi de la citoyenneté à des personnes à haut risque attirent la colère de la Commission depuis des années. Le différend a débuté en octobre 2020, lorsque la Commission a exhorté Malte à mettre fin à ce système dans une lettre de mise en demeure. La Commission a envoyé une demande supplémentaire demandant la fin du régime en juin 2021, après que le gouvernement maltais a introduit un nouveau régime de citoyenneté des investisseurs à la fin de 2020.
Le régime a été suspendu pour les ressortissants russes et biélorusses à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, mais la Commission a déclaré que ces régimes sont incompatibles avec le droit de l'UE. Malte continue d’appliquer ce régime pour toutes les autres nationalités et n'a pas exprimé l'intention d'y mettre fin, selon la Commission.
Des régimes similaires à Chypre et en Bulgarie ont également attiré l'attention de l'exécutif européen. Cependant, les appels à y mettre fin ont eu plus de succès. Chypre a traité ses dernières demandes en juillet 2021, tandis que la Bulgarie a supprimé le système en avril 2022.
Nos lectures de la semaine
Que l’Europe se réjouisse des victoires de l'Ukraine sur le champ de bataille, mais qu’elle fasse ses préparations, car la guerre sera longue et coûteuse, avertit Mark Leonard de l'ECFR.
Les États de l'UE devraient accueillir les déserteurs russes, écrit Maarten den Heijer pour le Verfassungsblog : le droit international leur reconnaît probablement le droit d’asile.
Cette édition a été préparée par Maxence de La Rochère, Brian Ó’Donnaile et Augustin Bourleaud. À la semaine prochaine !