Concurrence : publication du rapport de la Cour des comptes européenne
Le gendarme de la concurrence épinglé par le gendarme des finances de l'UE
Le grand chantier de la réforme du droit de la concurrence prend différentes formes (et réformes) : des rapports comme celui de la Fondation Robert Schuman, un Digital Services Act et un Digital Markets Act qui devraient voir le jour début décembre, des consultations en tous genres et des audits sur l’application des règles de concurrence existantes par la Direction générale de la Concurrence dirigée par Margreth Vestager à la Commission.
Gardienne des intérêts financiers de l'Union et de ses citoyens en vertu des Traités, la Cour des comptes de l'Union européenne s'est naturellement emparé du sujet et a publié jeudi 19 novembre son premier rapport d'audit approfondi sur l'application du droit de la concurrence par le gendarme des règles de concurrence, la DG-COMP.
Trop lente, manquant de détermination, obsolète et donc incapable de dompter les Big Tech comme Google et Facebook en temps utile, l'institution de Luxembourg n’a pas épargné la Commission. Ce rapport se résume en une phrase : “renforcer la surveillance des marchés” et s’organise autour de trois axes principaux : rationaliser le contrôle des concentrations, améliorer la gestion des contentieux de concurrence et réorganiser le Réseau européen de concurrence (REC).
Réformer et rationaliser le contrôle des concentrations
La Cour des comptes insiste sur la “rationalisation” du contrôle des opérations de fusions et d'acquisitions (les “opérations de concentration” dans le jargon juridique). Cette activité mobilise la plus grande partie des équipes de la DG COMP sans pour autant répondre aux enjeux des nouveaux marchés numériques, du fait, notamment, de règles inadaptées.
En l'état du droit, une opération est notifiée à la Commission et les entreprises remplissent le fameux "FormCO" lorsque le chiffre d'affaires mondial total réalisé par l'ensemble des entreprises qui fusionnent est supérieur à 5 milliards d'euros et que le chiffre d'affaires total réalisé individuellement dans l'UE par au moins deux des entreprises concernées dépasse 250 millions d'euros (Règlement sur les concentrations, article 1er). D’autres seuils sont également prévus par le règlement.
L’institution de Luxembourg propose de réformer cette règle en prenant en compte d'autres critères. Par exemple, d’inclure les acquisitions à haute valeur de sociétés dont le chiffre d'affaires est encore faible. Une telle réforme permettrait d'anticiper les synergies sur les marchés numériques et de traiter ex ante les problèmes de concurrence.
Accélérer le traitement des contentieux
En matière contentieuse, le rapport dénonce la lenteur avec laquelle la Commission mène ses enquêtes de concurrence en matière d'ententes ou d'abus de position dominante. Par manque de ressources, et notamment, comme évoqué, parce que la main d’œuvre de la DG COMP est allouée au contrôle des concentrations, la Commission met en moyenne 4 ans avant de prendre une décision.
C’est précisement ce que déploraient la semaine dernière les 135 entreprises et organisations européennes accusant Google d’abuser de sa position dominante : le temps que la Commission prenne une décision de sanction et fasse cesser les pratiques litigieuses, le GAFA impliqué (en l’occurence) a déjà éliminé la concurrence.
Toujours par manque de moyens, la Commission n’a pu effectuer que quatre enquêtes sectorielles depuis 2005 : une sur les services financiers en 2005, l'industrie de l'énergie entre 2005 et 2007, l'industrie pharmaceutique et 2008 et le commerce électronique en 2015. Or ce sont ces enquêtes qui permettent au gendarme européen d’établir un ordre de priorité et de détecter les comportements anticoncurrentiels sur les marchés les plus stratégiques.
La Cour des comptes considère encore que les sanctions pécuniaires, bien qu'étant très élevées en valeur absolue — et par rapport au reste du monde, ne sont pas assez dissuasives. Depuis 2006, près des deux tiers des sanctions pour entente n’ont pas dépassé les 0,99 % du chiffre d'affaires annuel mondial de l'entreprise concernée, soit bien en deçà du plafond de 10 % prévu par le droit. Le gendarme financier propose donc à la Commission de réaliser une étude sur l’effet dissuasif de ses sanctions et d’actualiser en conséquence la méthode de détermination des sanctions pécuniaires.
En prenant en compte le contexte d’émergence des marchés numériques, la Commission est invitée à mettre à jour ses décisions dites de droit dérivé : ses lignes directrices et ses communications pour éclairer la lanterne des autorités de concurrence nationales comme des entreprises soumises à son contrôle.
Mieux exploiter le réseau européen de concurrence
Enfin, la Cour des comptes de l’Union suggère une meilleure exploitation du Réseau européen de concurrence (le REC) constitué par les autorités nationales de concurrence (ANC). Elle considère qu’en dépit des nombreux échanges entre les ANC et la Commission et la création de groupes de travail, la Commission n’a pas véritablement coordonné sa surveillance du marché avec les autorités nationales.
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