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Le Briefing
Le Conseil et le Parlement sont parvenus à un accord sur trois textes majeurs du paquet législatif "Fit for 55", qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de l'UE de 55 % d'ici 2030 et à atteindre la neutralité climatique en 2050.
Le 13 décembre, les deux institutions se sont mises d'accord sur les détails du tout nouveau mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l’UE (CBAM). Cinq jours plus tard, le 18 décembre, les négociateurs ont trouvé un terrain d'entente sur le système européen d'échange de quotas (ETS) et ont conclu un accord sur le Fonds social pour le climat (FSC).
CBAM • "L’accord conclu ce matin constitue une étape décisive vers le lancement du premier mécanisme au monde d’ajustement carbone aux frontières", a déclaré le commissaire à l'économie Paolo Gentiloni, après la fin des trilogues à cinq heures du matin le 13 décembre. Le CBAM vise à imposer une taxe sur les importations de produits à forte intensité carbone, afin de les mettre sur un pied d’égalité avec les produits issus de l’UE — qui portent le coût de leurs émissions par le biais de l’ETS.
Les secteurs couverts par le CBAM comprendront le fer, l'acier, le ciment, les engrais, l'aluminium et l'électricité. Le Parlement est également parvenu à inclure l'hydrogène ainsi que plusieurs produits en aval dans le champ d'application. Il n'a cependant pas réussi à convaincre le Conseil d’inclure la chimie organique et les polymères — néanmoins, l'accord contient une clause permettant de réexaminer ces derniers.
Si le mécanisme ne commencera à fonctionner qu'en 2026, les importateurs devront déclarer les émissions de GES produites par leurs importations dès octobre 2023. Après 2026, le CBAM s'appliquera progressivement aux biens et secteurs concernés.
CRITIQUES • Depuis la proposition de la Commission, de nombreuses ONG environnementales souhaitent que les entreprises des pays les moins avancés soient exemptées du CBAM : cette mesure n’est pas présente dans l’accord final. "Europeans are responsible for double the carbon emissions as the poorest half of the world. Yet, the EU just agreed to pass the buck to those least responsible by forcing them to pay a tariff despite being hardest hit by the climate crisis", explique Chiara Putaturo d’Oxfam dans un communiqué de presse.
Certaines ONG regrettent également que les recettes du CBAM ne soient pas utilisées pour renforcer le financement de l’action climatique dans les pays en développement. Le CBAM fait également l'objet de critiques de la part de plusieurs pays, dont la Chine, les États-Unis et l'Afrique du Sud, qui redoutent les effets du mécanisme sur leur industrie.
OMC • Afin que le CBAM soit compatible avec les règles de l’OMC, une réforme de l’ETS était nécessaire. Jusqu'à présent, les entreprises des secteurs sujets à la concurrence déloyale et aux fuites de carbone se voyaient attribuer des permis d'émission gratuits dans le cadre de l’ETS. Le CBAM, qui mettra les produits locaux et les importations sur un pied d'égalité, devra donc coïncider avec la suppression progressive des permis gratuits.
Les négociateurs ont convenu de mettre fin à ces permis sur une période de 9 ans s’étendant de 2026 à 2034. Le développement du CBAM suivra de près le calendrier de l’élimination progressive des permis gratuits. Cela permettra de garantir la compatibilité du mécanisme avec les règles de l'OMC.
Toutefois, la version finale du texte ne prévoit pas de rabais pour protéger les produits de l'UE exportés vers d'autres marchés — les négociateurs ont fait valoir que ceux-ci auraient pu entrer en conflit avec les règles de l'OMC. Les pays de l'UE auront cependant la possibilité d’utiliser des revenus du système pour soutenir eux-même les entreprises vulnérables.
ETS • La fin des permis gratuits est loin d'être le seul élément de la réforme de l'ETS : "We just found an agreement on the biggest climate law ever negotiated in Europe", a tweeté l'eurodéputé allemand Peter Liese le 18 décembre.
Le Parlement et le Conseil ont convenu d’augmenter de 43% à 62 % l'objectif global de réduction des émissions d'ici à 2030 dans les secteurs couverts par l’ETS. Les négociateurs ont également confirmé que l’ETS s’appliquera progressivement aux émissions du secteur du transport maritime. La plupart des grands navires seront inclus dans le champ d'application de l’ETS dès le départ.
SCF • Les deux co-législateurs ont également convenu de créer un nouveau système d'échange de quotas d'émission distinct pour les combustibles fossiles utilisés dans les voitures et le chauffage à partir de 2027 — une mesure très controversée compte tenu des effets potentiels sur les consommateurs dans un contexte inflationniste. Cet “ETS II” s'appliquera progressivement et sera accompagné d'un Fonds social pour le climat (SCF) de 86,7 milliards d'euros, soit plus que les 59 milliards initialement proposés par le Conseil.
Le SCF servira à financer les “plans climat social” que devront développer les Etats membres. Ces plans — qui seront financés grâce aux revenus de l’ETS et de l’ETS II — comprendront des mesures temporaires pour soutenir les ménages vulnérables face à l’augmentation des prix de l’essence et du chauffage, ainsi que des investissements de long-terme dans l’achat de véhicules à faibles émissions, la rénovation des bâtiments ou encore l’utilisation des transports publics.
WHAT NEXT? • L'accord sur ces trois législations est provisoire. Elles devront être formellement approuvées avant d'être publiées au Journal officiel de l'UE et d'entrer en vigueur.
L'un des objectifs du CBAM est d'inciter d'autres pays à développer leur propre marché du carbone — les importateurs soumis à un marché du carbone similaire au CBAM seront exemptés de la taxe carbone aux frontières. Selon Sam Lowe, il sera également intéressant d'observer les éventuels effets domino qui pourraient inciter les gouvernements étrangers à créer leur propre version du CBAM.
Inter alia
IMPÔTS • Le Conseil de l’UE est tombé d’accord le 12 décembre pour apposer une signature européenne au deuxième pilier de l’accord de l’OCDE et du G20 pour la réforme de la taxation des multinationales. Pour lutter contre l’érosion des bases fiscales, l’accord vise à mettre en œuvre un taux d’imposition plancher à 15% pour les multinationales avec un chiffre d’affaires annuel supérieur à 750 millions d’euros. À partir de 2024, les multinationales en question seront redevables de 15% d’impôt sur les sociétés pour leurs profits générés au sein de l’UE. Le premier pilier, qui concerne les transferts de bénéfices au sein de multinationales et doit aboutir à imposer les bénéfices là où ils sont réalisés, est quant à lui toujours en chantier.
Si l’accord de l’OCDE est un traité international, la mise en œuvre par l’UE du second pilier passe par une directive. Puisque celle-ci concerne la fiscalité des États membres de l’UE, elle doit être adoptée à l’unanimité par le Conseil selon l’article 115 TFUE. Raison pour laquelle la directive s’est trouvée bloquée tour à tour par l’Irlande, la Hongrie ou la Pologne, qui ont usé de leur véto à des fins politiques — que ce pour protéger leur fiscalité avantageuse, engager un bras de fer avec Bruxelles sur l’état de droit, ou refuser l’assistance macrofinancière à l’Ukraine.
L’entrée en vigueur de cette directive en 2024 retire une épine dans le pied de Margrethe Vestager. La commissaire à la concurrence avait fait de la lutte contre les accords fiscaux entre de grandes multinationales et certains États membres un cheval de bataille. La croisade de Vestager, faite au sabre du droit des aides d’État, s’est fréquemment brisée sur le bouclier des tribunaux européens qui ont annulé ces décisions — que ce soit Apple/Irlande, Starbucks/Pays-Bas ou encore FIAT/Luxembourg.
IRA • L’UE ne décolère pas. L’Inflation Reduction Act — et ses 369 milliards de dollars de subventions et d’exemptions fiscales — était au menu des discussions du Conseil européen le 15 décembre. À l’issue de la réunion, le président du Conseil, Charles Michel, a déclaré vouloir négocier des exemptions pour les entreprises européennes et avoir demandé à la Commission de plancher sur des mesures pour soutenir la compétitivité des entreprises européennes. Les généreuses exemptions fiscales accordées aux produits “made in USA” — notamment en matière de véhicules verts — suscitent de vives inquiétudes chez les dirigeants européens. Les industriels, déjà handicapés par des prix de l’énergie exorbitants par rapport aux États-Unis, se voient de plus très fortement incités à reporter leurs projets d’investissements vers les États-Unis du fait de l’IRA.
Dans un discours au Parlement européen la veille du Conseil, Ursula von der Leyen a annoncé qu'elle était prête à assouplir les règles relatives aux aides d’État dès le début de l’année 2023. “la loi sur la réduction de l'inflation risque d'entraîner une concurrence déloyale. Trois aspects sont particulièrement préoccupants: premièrement, la logique «acheter américain», qui sous-tend en grande partie cette loi. Deuxièmement, les allégements fiscaux, qui pourraient donner lieu à des discriminations. Enfin, troisièmement, les subventions à la production, qui pourraient défavoriser les entreprises européennes. Nous devons résoudre ces problèmes. Nous devons apporter notre propre réponse, notre version européenne de la ‘loi sur la réduction de l'inflation’”.
Même son de cloche du côté de la DG Concurrence. Dans un post de blog daté du 15 décembre, Margrethe Vestager plaide pour une simplification du droit des aides d’État et prend fait et cause pour la création d’un fonds souverain européen promu par la Commission pour soutenir les transition écologique et numérique. Les États membres demeurent très divisés sur les effets d’un relâchement du régime des aides d’État. En trame de fond, on trouve la crainte des “petits” pays que les “gros” profitent de leur espace budgétaire pour fortement soutenir leurs industries nationales à leur détriment.
QATAR • Le scandale de corruption qui frappe le Parlement européen est sans conteste le plus grave qui ait jamais frappé l’institution. Un million et demi d’euros ont ainsi été saisis en cash en Belgique et en Italie, dans une affaire qui a notamment conduit à l’arrestation d’Eva Kaili, vice-présidente du Parlement européen. Comme le soulignent Simon Van Dorpe, Peter Teffer et Salsabil Fayed dans un article pour Follow The Money, les diplomates — à la différence des représentants d’intérêts — n’ont pas besoin d’être déclarés dans un quelconque registre pour rencontrer les eurodéputés, ce qui a permis à des officiels qataris ou marocains d’approcher des personnalités politiques sans que cela ne soit consigné nulle part.
APPLE • Le DMA a déjà frappé. Apple a déjà annoncé qu’elle se préparait déjà à autoriser des app stores autres que le sien sur ses appareils d’ici 2024, pour se mettre en conformité le DMA. Jusqu’ici, Apple considérait que l’article 6(4) du DMA, qui impose aux gatekeepers d’autoriser l’installation d’applications “ou” d’app stores tiers lui donnait le choix entre proposer l’un ou l’autre — et non l’un et autre.
Les commissions prélevées sur l’App Store — entre 15% et 30% — et l’impossibilité d’utiliser des moyens de paiements alternatifs à ceux d’Apple font l’objet d’un important contentieux aux Pays-Bas, où la firme américaine a été obligée de reculer face aux autorités néerlandaises. Aux États-Unis, c’est EPIC Games, le développeur du jeu vidéo Fortnite, qui mène une bataille juridique acharnée contre les politiques commerciales d’Apple sur son App Store.
TWITTER • Les frasques du nouveau propriétaire de Twitter font des vagues dans le monde entier. Le limogeage de l’ensemble des employés de l’entreprise à Bruxelles a également contribué à faire pâlir l’étoile d’Elon Musk, alors même que Twitter se prépare à l’entrée en vigueur des dispositions du Digital Services Act. La suspension de comptes de plusieurs journalistes américains du réseau social suscite de vives inquiétudes de ce côté de l’Atlantique. Jean-Noël Barrot, le ministre français délégué chargé de la Transition numérique, a déclaré sur Twitter: “La liberté de la presse est au fondement même de la démocratie. Attenter à l'une c'est attenter à l'autre. Affligé par la dérive dans laquelle Elon Musk précipite Twitter”.
Nos lectures de la semaine
Les capitales européennes ne rejettent pas en bloc l’Inflation Reduction Act américain, c'est le protectionnisme sous-jacent qui est difficile à accepter, explique Georgina Wright de l'Institut Montaigne. Résultat : une politique industrielle européenne est le plat du jour de toutes les conversations à Bruxelles.
Dans un article pour le média d'enquête Follow The Money, Simon Van Dorpe, Peter Teffer et Salsabil Fayed reviennent en détail sur les dessous du scandale de corruption qui frappe le Parlement européen.
Cette édition a été préparée par Maxence de La Rochère et Augustin Bourleaud. À la semaine prochaine !