Le retour du Pacte de stabilité et de croissance
Mais aussi — Vestager, Twitter, Meta, Orban, Espionnage
Bonjour. Nous sommes le lundi 14 Novembre 2022, et voici votre condensé d’actualité européenne pour démarrer la semaine. Ne gardez pas cette newsletter pour vous, partagez-la à vos collègues et amis ! N’hésitez pas non plus à nous suivre sur Twitter ou Linkedin.
La Commission publie ses propositions sur la réforme du Pacte de stabilité et de croissance
Le mercredi 9 novembre, la Commission a publié une communication de 28 pages esquissant les grandes lignes de la réforme à venir du Pacte de stabilité et de croissance. L’exécutif européen souhaite aller vers des règles plus flexibles et adaptées à chaque pays, s’éloignant ainsi de l’orthodoxie budgétaire qui caractérisait sa position sur le sujet jusqu’à présent.
QUESAQUO • Le pacte de stabilité et de croissance (PSC) — la règle de 60% de dette publique et du ratio de déficit de 3% — a été temporairement mis de côté à la suite du Covid-19, qui a causé l’explosion de la dette publique au sein de l’UE. En 2020, la “clause dérogatoire générale” du pacte a permis de lever ces obligations afin de faire face à la crise sanitaire et d’éviter de soumettre un État membre à la procédure épuisante des déficits excessifs. En raison de la guerre en Ukraine et de la situation économique actuelle, la clause dérogatoire a été prolongée et devrait à présent s’étendre jusqu’à la fin 2024, ce après quoi la Commission espère voir la naissance d’un PSC revisité.
CRITIQUES • Jugées irréalistes, opaques et inflexibles, les règles du PSC ont été qualifiées de “stupides” par Romano Prodi, président de la Commission entre 1999 et 2004. Les critiques se sont ensuite généralisées lors de la pandémie de Covid-19. “Beaucoup de choses ont changé depuis que le traité de Maastricht a reconnu la nécessité de finances publiques saines et de politiques budgétaires coordonnées. Les pays de l’UE sont désormais confrontés à des niveaux d’endettement et de déficit nettement plus élevés, avec de grandes disparités entre États”, a reconnu Valdis Dombrovskis. En 2021, le poids moyen de la dette atteignait 95% du PIB pour l’ensemble des pays de la zone euro, allant de 18% pour l’Estonie à 193% pour la Grèce.
DRUMROLL… • Après de longues consultations, les orientations de la Commission semblent apporter un peu de souplesse au cadre budgétaire européen. La Commission souhaite une architecture de surveillance macrobudgétaire “plus transparente, plus simple et plus intégrée” permettant des investissements pour la transition écologique et numérique tout en réduisant les ratios de dette de manière plus "réaliste, progressive et soutenue.” Une réappropriation des règles par chaque Etat membre est également au goût de l’exécutif européen, qui souhaite une coopération étroite avec les administrations nationales afin d’assurer une meilleure exécution et un contrôle renforcé.
IN CONCRETO • Concrètement, la Commission conserve la règle des 3% de déficit et 60% de dette publique mais elle supprime l’obligation de réduction de dette de 5% par an — règle considérée irréaliste au vu du niveau d’endettement de certains pays. Afin d’assurer la convergence à échelle européenne, la Commission proposera des trajectoires d’ajustement budgétaire de référence tous les 4 ans, qui seront ensuite déclinées au cas par cas par des plans nationaux et des rapports annuels de mise en œuvre. Cela fait écho au non-paper rédigé par les Pays-Bas et l’Espagne, publié en avril, dans lequel les deux pays appelaient à l’établissement de plans budgétaires à moyen terme spécifiques à chaque pays.
Dans le cas où un pays s'écarterait de la trajectoire budgétaire approuvée par la Commission ou dépasserait les 3% de déficit, les sanctions financières seraient d’une valeur plus faible comparée au système précédent, dans lequel les amendes s’élevaient à 0,1% du PIB — et manquaient de crédibilité, car jamais mises en places. Pour reprendre les mots de Paolo Gentiloni, Commissaire à l’économie: “If you have a nuclear bomb you have it not to use it. If you have a rifle, maybe you can use it”.
CORDE SENSIBLE • Ces nouvelles orientations signent surtout la volonté de Bruxelles de donner plus de prises aux Etats sur les règles budgétaires. Dans le nouveau régime, ces derniers s’engageront dans des discussions politiques avec la Commission, et pourront bénéficier d’un traitement plus individualisé de la part de l’exécutif européen.
Ces nouveaux principes, ainsi que la flexibilité voulue par la Commission, pourraient refroidir Berlin, dont le ministre des finances Christian Linder a déjà déclaré “a unified currency union also needs unified fiscal rules” au sujet des propositions de la Commission. Berlin craint notamment que les négociations bilatérales entre la Commission et les pays membres nuisent à la transparence et au traitement équitable des pays de la zone euro.
À l’inverse, des pays comme la France et l’Espagne penchent du côté de la Commission — la ministre de l’économie Nadia Calviño s’est d’ailleurs réjouie de ces orientations — mais risquent de critiquer certains aspects des propositions, y compris le fait que l’adoption de sanctions financières serait à présent quasi-automatique.
AFFAIRE À SUIVRE • Après ces premières orientations, la Commission devrait présenter des propositions législatives. La balle sera alors dans le camp des Etats membres. Les inquiétudes allemandes sont connues, et un accord ne pourra être conclu que si Berlin est assuré que ces nouvelles règles pourront réellement permettre de tendre vers une soutenabilité budgétaire renforcée. La Commission espère néanmoins que ces nouvelles règles seront opérationnelles dès 2024.
Inter alia — Vestager au Tribunal, Twitter au Parlement, Meta & Antitrust, Orban & NGEU, Espionnage
VESTAGER CALE SUR FIAT • C’est une défaite juridique pour la commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager. Le 8 novembre, la Cour de justice de l’UE (CJUE) a annulé la décision de la Commission ordonnant au Luxembourg de rembourser 30 millions d’euros d’aides d’état illégales accordées au fabricant automobile Fiat Chrysler (FCA). La décision de la Commission prise en 2015 avait pourtant été validée par le Tribunal de l’UE. Margrethe Vestager a déploré une “grande perte pour l'équité fiscale”, précisant cependant que “la Commission s'engage à continuer d'utiliser tous les outils à sa disposition pour veiller à ce que la concurrence loyale ne soit pas faussée dans le marché unique par l'octroi, par les États membres, d'avantages fiscaux illégaux aux sociétés multinationales”.
L’harmonisation de la fiscalité des entreprises au niveau européen est un véritable serpent de mer. Certains Etats membres, historiquement l’Irlande, la Hongrie ou la Pologne, ont souvent bloqué des propositions — prises à l’unanimité au Conseil — pour harmoniser la fiscalité des sociétés. Récemment, la Hongrie a mis son veto à une signature européenne instaurant un taux plancher d’imposition des multinationales à 15%, porté par l’OCDE et fortement soutenu par la France lors de la PFUE.
Pour contourner les blocages au Conseil, Vestager a entamé une campagne agressive contre les accords fiscaux entre des Etats membres et de grandes multinationales, d’Apple à Starbucks en passant par Fiat. Sur le fondement du droit des aides d’Etat, qui interdit aux Etats membres de l’UE d’accorder des avantages fiscaux sélectifs à des entreprises, Vestager a entrepris de lutter contre ces pratiques. Ce n’est pas la première défaite juridique pour la commissaire danoise : la Commission a déjà vu ses arguments battus en brèche par les tribunaux européens dans son contentieux contre l’Irlande vis-à-vis d’Apple en 2020, et du Luxembourg vis-à-vis d’Amazon en 2021.
ORBAN VEUT SON CASH • La Hongrie a présenté de nouvelles propositions de réformes de son appareil judiciaire à la Commission européenne. Ces propositions visent à encourager l’exécutif européen à débloquer les 5,8 milliards d’euros de prêts destinés à la Hongrie dans le cadre du plan de relance NGEU. La Commission conditionne l’accès aux fonds européens à des progrès en matière d'État de droit de la part du gouvernement de Viktor Orban.
Par ailleurs, dans une procédure différente mais concomitante, l’UE a également activé le mécanisme de conditionnalité à l’état de droit des fonds européen et retient environ 7,5 milliards d’euros de fonds européens destinés à Budapest. L’UE reproche à la Hongrie le manque croissant d’indépendance de la justice ainsi la corruption et la fraude dans l’attribution de contrats publics, qui auraient permis à des proches d’Orban de s’enrichir soudainement, notamment grâce à des fonds européens.
En cas d’accord, Orban pourrait accepter de retirer son veto concernant de nombreux textes actuellement bloqués au Conseil de l’UE, de la proposition d’instauration d’une taxation minimum sur les bénéfices des multinationales au soutien macro-financier à l’Ukraine. L’utilisation désinhibée de son droit de veto par la Hongrie en 2022 a donné des arguments à ceux qui défendent une extension du vote à la majorité qualifiée plutôt qu’à l’unanimité au Conseil.
Dans le face à face juridico-politique entre Bruxelles et Budapest, le Parlement européen a prisune ligne dure. Il a notamment menacé à plusieurs reprises d’attraire la Commission devant les tribunaux européens si cette dernière n'appliquait pas avec suffisamment de rigueur les provisions sur l’état de droit prévues par le Règlement de conditionnalité — qui conditionne l’accès des fonds européens au respect de l’état de droit. Quelques États membres sont également sur la même ligne, dont la Belgique, l’Irlande, les Pays-Bas et l’Allemagne. Les partenaires de coalition d’Olaf Scholz ont récemment déposé une motion au Bundestag demandant au Chancelier de mettre son veto à toute proposition qui n’inclurait pas de garanties suffisantes que la Hongrie tienne ses promesses.
MUSK AU PARLEMENT • Les ambitions d’Elon Musk pour Twitter donnent des sueurs froides aux annonceurs publicitaires, qui ont massivement mis sur pause leurs dépenses sur le réseau social. Mais les déclarations du tonitruant nouveau propriétaire des lieux questionnent à Bruxelles, où les propositions d’Elon Musk en matière de modération des contenus ou de respect de la vie privée risquent d’entrer en conflit avec le Digital Services Act, dont certaines obligations pour les grandes plateformes de réseaux sociaux doivent entrer en vigueur d’ici peu.
“Elon puts rockets into space, he’s not afraid of the FTC”, déclarait le directeur juridique de Twitter, Alex Spiro — alors que les ingénieurs de Twitter sont sous pression pour lancer de nouveaux produits en auto-certifiant que ceux-ci respectent les normes en vigueur aux Etats-Unis. La semaine dernière, les chief privacy officier, chief information security officer et chief compliance officer démissionaient de Twitter, comme l’a rélévé Platformer. Un très mauvais signal pour Bruxelles, qui s’inquiète de l’avenir d’une plateforme à l’importance systémique pour la vie politique.
En novembre 2021, le Parlement européen a déjà fait la preuve qu’il savait se saisir du zeitgeist pour influencer les débats lors de l’audition publique de la lanceuse d’alerte de Facebook, Frances Haugen. Les eurodéputés entendent désormais auditionner Elon Musk pour le questionner de vive voix. Dans une lettre à la présidente du Parlement, une délégation d’eurodéputés Renew demandent une audition parlementaire formelle avec le nouveau propriétaire de la firme à l’oiseau.
Sophie in’t Veld, qui siège au sein du Committee on Civil Liberties, Justice and Home Affairs, a déclaré : "The bird might be free, but European values and laws must still apply to Twitter. Elon Musk might be the world’s wealthiest man, but no one is unaccountable. A hearing with Mr Musk in the European Parliament would be the opportunity for European lawmaker’s to scrutinise his actions and intentions. The direction of travel is worrying; free speech, yes, but we won’t tolerate breaches of EU law or a return to the wild west”.
METACONCURRENCE. La Commission européenne finalise une communication des griefs à l’attention de Meta, selon les informations de Politico. L’enquête de la DG Concurrence a démarré en juin 2021. La communication grave dans le marbre les reproches faits à Facebook par les services de la DG Concurrence, qui le suspecte d’abuser de sa position dominante sur le réseau social Facebook pour favoriser sa place de marché Facebook Marketplace. La DG Concurrence s’intéresse également à l’utilisation potentiellement anticoncurrentielle par Meta des données collectées sur les annonceurs publicitaires tiers via Facebook, avec lesquels Meta entre directement en concurrence. La Commission européenne a déjà une enquête en cours sur le sujet à l’égard d’Amazon, qui a récemment offert des remèdes sur l’utilisation des données de vendeurs tiers sur Amazon
NID D’ESPIONS • La commission spéciale du Parlement européen chargée d'enquêter sur l'utilisation de logiciels de surveillance par les États membres recommande, dans un rapport publié mardi dernier, un moratoire sur cette pratique. Cette décision fait suite à une proposition de la Commission visant à interdire la surveillance numérique des journalistes.
Un scandale en Grèce a braqué les projecteurs sur les logiciels dits "espions". Le Citizen Lab de l'Université de Toronto a révélé que le téléphone d'un politicien de l'opposition avait été piraté par Predator, un produit de la société Cytrox. Mais la Grèce est loin d'être le seul gouvernement à être accusé d'utiliser des techniques de surveillance, sinon illégales, du moins douteuses. La commission spéciale s'est également penchée sur les cas qui ont englouti les gouvernements d'Espagne, de Chypre, de Hongrie et de Pologne.
Sophie In't Veld, l'eurodéputée néerlandaise qui est l'auteur du rapport, a déclaré à Politico que "tous les États membres ont des logiciels espions à leur disposition, qu'ils l'admettent ou non". Le rapport ne demande pas l'interdiction totale de l'utilisation des logiciels de surveillance par les gouvernements. Il indique que la vente et l'utilisation de logiciels espions, dans le strict respect de la loi, peuvent parfois être justifiées. Au lieu de cela, le moratoire devrait être en place jusqu'à ce qu'un cadre commun réglementant leur utilisation ait été convenu. Les pays pourraient alors être autorisés à mettre fin au moratoire une fois que de solides garanties en matière de surveillance auront été données, notamment une surveillance par l'UE, et si les exportations de logiciels jugés inappropriés sont interdites.
La publication du rapport a suscité de vives critiques, en particulier de la part des membres grecs du PPE. Le Parlement européen votera l'année prochaine sur la version finale du rapport, mais il ne sera pas juridiquement contraignant.
Nos lectures de la semaine
Dans le Financial Times, Tony Barber critique le gouvernement grec pour son rôle dans le scandale de la surveillance des téléphones d’opposants et de journalistes et pour son incapacité à réagir en faisant preuve de transparence pour expliquer les événements.
Dans un billet pour le Peterson Institute, Cecilia Malmström encourage l'UE à approfondir ses liens commerciaux avec les pays d'Asie et du Pacifique. Elle exhorte notamment l'Union à envisager de rejoindre l'Accord de partenariat transpacifique (Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership, CPTPP).
Cette édition a été préparée par Marine Sévilla, Maxence de La Rochère et Augustin Bourleaud. À la semaine prochaine !