Bonjour. Nous sommes le lundi 23 janvier 2023 et voici votre condensé utile d’actualité européenne.
Vous pouvez nous soutenir pour cinq euros par mois, pour nous aider à continuer d’être votre fil d’ariane dans le labyrinthe réglementaire et politique européen.
Le Briefing
Westminster a franchi une nouvelle étape dans son découplage avec le droit de l’Union, en grande partie préservé depuis le Brexit. Le 18 janvier, la Chambre des communes a voté en faveur de la proposition de loi du gouvernement visant à réformer ou à révoquer le droit de l’UE préservé en droit interne — ou retained law.
RETAINED LAW • Malgré l'opposition du parti travailliste et de certains conservateurs, le projet de loi sur la suppression ou la modification des retained EU laws a été approuvé en troisième — et dernière — lecture à la Chambre des communes. Ce projet de loi prévoit, d’ici 2023, de réformer ou d'abroger les quelque 4000 textes de droit dérivé de l'UE qui font toujours partie du système juridique britannique.
CONTEXTE • Pour rappel, la loi de 2018 sur le retrait du Royaume-Uni de l'UE — Withdrawal Act — avait copié-collé toutes les lois de l’UE dans le corpus législatif britannique, créant ainsi la catégorie des retained EU laws. Cette loi avait permis d'assurer la continuité juridique après le Brexit.
D'abord promise par Boris Johnson en janvier 2022, la Retained EU Laws Bill a été présentée en septembre 2022 par le gouvernement de Liz Truss. "Nous présentons ce projet de loi afin d’atteindre pleinement les opportunités du Brexit et de soutenir la culture unique de l'innovation au Royaume-Uni", indiquait le gouvernement. De son côté, Rishi Sunak a fait comprendre qu'il s'en tiendrait au plan de sa prédécesseure.
LUXEMBOURG • Le projet de loi met fin au principe de primauté du droit de l’Union, qui avait été consacré avec le European Communities Act de 1972. Celui-ci imposait aux tribunaux britanniques de faire application de la jurisprudence et des principes généraux du droit établis par la Cour de justice de l’UE.
L’ensemble de la jurisprudence et des principes généraux du droit de l’UE ont été maintenus dans le Retained Law. Mais à présent, les juges britanniques n’auront plus à interpréter le droit issu de l’UE en ligne avec les décisions de la CJUE, ce qui pourrait créer de l’instabilité juridique.
HEURES SUP • Le reste du projet de loi prévoit que les différents ministères devront conserver (ou modifier) tous les règlements et directives européens qu'ils jugent utiles en créant de nouveaux textes. Une clause d'extinction indique que toutes les lois européennes qui n’auront pas été conservées ou modifiées disparaîtront du droit britannique à la fin de l'année 2023. En cas de doute sur une loi, les ministres peuvent demander une prolongation du délai jusqu'au 23 juin 2026.
La tâche est herculéenne pour Whitehall, car elle exige des fonctionnaires qu'ils examinent chaque texte et qu’ils mettent en balance ses avantages et les risques liés à sa suppression. En novembre 2022, Jacob Rees-Mogg — ancien ministre des Opportunités du Brexit et figure de proue du projet de loi — avait notamment admis que le Business Department aurait besoin de 370 fonctionnaires à temps plein pour analyser 317 textes européens en un an.
S’ajoutant à cela, des doutes subsistent quant au nombre de textes couverts par le projet de loi. À l'origine, le gouvernement britannique avait communiqué sur un total de 2400 textes européens, mais les Archives nationales en ont récemment trouvé 1400 supplémentaires, selon le FT.
TIC TOC • De nombreux MPs jugent que le calendrier d’un an est trop ambitieux. Dans le cas où les différents départements ne respecteraient pas les délais, certains députés craignent que des retained laws pourraient être abandonnées fin 2023 sans avoir été examinées, créant ainsi une grande incertitude juridique.
Des groupes d'entreprises écossaises ont d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme, mettant le gouvernement en garde contre l'incertitude inutile que pourrait créer la loi chez les entreprises. Les investissements aux Royaume-Uni n’ont toujours pas atteint leur niveau pré-Covid.
Plusieurs MPs s'inquiètent également des conséquences sociales et environnementales du projet de loi. Parmi les politiques qui concentrent le plus de retained laws, on compte les taxes environnementales, la pêche, la santé, les droits des travailleurs et les retraites. Selon les députés travaillistes, l’adoption du projet de loi reviendrait donc à jouer à la "roulette russe" avec les droits et protections des citoyens.
CONTRÔLE • La controverse autour du projet de loi touche aussi les rangs du parti conservateur. 60 députés conservateurs se sont d’ailleurs abstenus de voter sur le projet de loi. Un groupe de conservateurs dissidents — comprenant l'ancien secrétaire d'État au Brexit David Davis — a fait part de ses inquiétudes quant au manque de contrôle parlementaire sur les changements réglementaires à venir, ces derniers étant principalement effectués au niveau exécutif.
"On nous demande de signer un chèque en blanc (...). Si vous ne demandez pas aux ministres de venir [à la Chambre des communes] pour justifier de leurs décisions, la qualité de leur travail en prend un coup", a avancé David Davis, qui estime que le projet de loi va créer un véritable "diktat ministériel" sur le sujet des retained laws.
ELECTIONS • C'est un moment décisif pour le parti Conservateur. Affaibli par la démission de Johnson, le passage éclair de Truss et par des divisions internes, le parti doit remonter la pente avant les prochaines élections générales, qui devraient avoir lieu en décembre 2024. Le parti travailliste est d’ailleurs en tête des sondages depuis fin 2021.
Le mois dernier, Jacob-Rees Mogg a déclaré au FT : "Nous devons régler la question [des retained EU laws] avant la date limite de 2023, sinon les travaillistes s'en serviront lors des prochaines élections et créeront toutes sortes d'histoires sur la façon dont nous avons l'intention de supprimer les droits des travailleurs et les réglementations environnementales (...) Nous devons nous y mettre."
WHAT NEXT? • Le projet de loi est en cours d’examen par la Chambre des Lords. Bien qu'elle soit constitutionnellement incapable d'annuler le projet de loi, la Chambre pourrait potentiellement l'amender afin de ralentir l'ensemble du processus.
Cela pourrait être une bénédiction pour Rishi Sunak, car il est actuellement difficilement envisageable pour son gouvernement d’affronter les eurosceptiques à la fois sur les négociations en cours sur le protocole d'Irlande du Nord et sur le projet de loi relatif aux retained laws. "Cela pourrait être une excuse commode pour freiner le processus", note le FT.
Inter alia
L'UE À DAVOS • À Davos, de nombreux chefs d'entreprise ont manifesté leur enthousiasme vis-à-vis du paquet de 369 milliards de dollars visant à stimuler l’économie verte américaine par le biais de subventions ciblées.
"Pendant les 10 prochaines années, ce sera un moteur de croissance", a déclaré le directeur général de Holcim lors du forum. Plusieurs responsables américains étaient d’ailleurs présents lors de l'événement, où l’IRA jouissait d’une grande popularité.
Chez de nombreux chefs d’Etats de l’UE, le discours est moins enthousiaste. "Le protectionnisme entrave la concurrence et l'innovation, et est préjudiciable à l'atténuation du changement climatique", a souligné Olaf Scholz pendant le forum.
Pendant son séjour à Davos, Ursula Von der Leyen a d’ailleurs annoncé un Net Zero Industry Act visant à créer un cadre réglementaire favorable aux investissements verts au niveau européen. Son annonce fait écho au Clean Tech Act que Thierry Breton a défendu corps et âme ces dernières semaines.
Ursula Von der Leyen a également évoqué le projet d’assouplissement des règles européennes relatives aux aides d'État. Elle a enfin rappelé sa volonté de créer un "fonds de transition équitable", tout en soulignant l'engagement de l'UE en faveur du libre-échange.
Cependant, de nombreux doutes subsistent quant à la capacité de l'UE à financer des subventions massives, comme l'ont souligné les ministres des finances de l'UE qui se réunissaient le 16 janvier.
DIPLO • Le plus haut diplomate chinois, Wang Yi, prévoit de se rendre en Allemagne et en Belgique en février. L’objectif de cette tournée diplomatique est de rétablir des relations plus chaleureuses avec l'Europe, le soutien économique de la Chine à Moscou étant un point de friction majeur. Wang, qui a été promu au Politburo, l'organe directeur du PCC, devrait assister à la conférence de Munich sur la sécurité.
Les interactions diplomatiques de la Chine et de l'Europe se sont récemment intensifiées. Xi Jinping a rencontré les dirigeants italiens, néerlandais et espagnols lors du G20 en novembre. Michel et Scholz se sont rendus à Pékin en novembre et décembre. Enfin, le vice-Premier ministre Liu He a fait l’effort de présenter un gouvernement Chinois plus “doux” lors du Forum économique mondial.
TANKS • La réticence de l'Allemagne à envoyer des chars à l'Ukraine a suscité de nombreuses discussions à Davos. L'armée ukrainienne demande aux puissances européennes des chars modernes afin de lancer une offensive visant à capturer des positions clés.
Selon des hauts responsables allemands, Olaf Scholz craignait que le conflit ne devienne mondial si des chars de combat étaient livrés par l'Occident. Par conséquent, le Chancelier allemand souhaitait que les États-Unis fassent le premier pas et envoient des chars en Ukraine. "Je ne pense pas que ce soit la bonne stratégie", a répondu le président Ukrainien dans un discours vidéo à Davos. Les responsables américains ont quant à eux souligné qu'ils ne pouvaient pas livrer de chars pour des raisons logistiques impliquant des problèmes de mobilité.
Vendredi dernier, s'exprimant en marge de la réunion de la base aérienne de Ramstein, le nouveau ministre allemand de la défense, Boris Pistorius, a déclaré qu'il avait "donné l'ordre de vérifier la disponibilité et le nombre de ces chars". Il a souligné qu'une décision sur une livraison sera prise "dès que possible".
La Finlande et la Pologne ont particulièrement critiqué les réticences de l'Allemagne. "Nous ne regarderons pas passivement l'Ukraine se vider de son sang", a déclaré le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki dans une interview. La Finlande a récemment annoncé qu'elle enverrait un paquet record de 400 millions d'euros à l'Ukraine.
Le 22 Janvier, lors d’une interview en marge de la célébration du soixantième du traité de l’Elysée, la ministre des affaires étrangères allemande a déclaré que le pays ne “s’opposerait pas” à l’envoi de tanks allemands Leopards 2 à l’Ukraine par la Pologne ou par d’autres alliés.
Nos lectures de la semaine
Un climat clément et la baisse des prix de l'énergie affaiblissent la position de la Russie vis-à-vis de l'Europe, soutiennent Charlie Cooper dans Politico et Chris Giles dans le FT.
Bien que les budgets de défense augmentent, écrit Luigi Scazzieri pour le CER, en l’absence d’une véritable coordination, la fragmentation des dépenses entre les États membres pourrait entraîner un affaiblissement de l'industrie de la défense européenne.
Dans un article pour LSE Blogs, Milan Babic et Adam Dixon affirment qu’il y a eu ces dernières années en Allemagne une augmentation marquée du protectionnisme dirigé vers les investissements chinois.
« L’Allemagne est plus importante pour la France que la France ne l’est pour l’Allemagne » : Thomas Gomart, le directeur de l’IFRI, partage dans L’Opinion les perspectives qu’il voit pour la relation transrhénane.
Cette édition a été préparée par Ysabel Chen, Battiste Murgia, Gautier Parthon de Von, Maxence de La Rochère et Augustin Bourleaud. À lundi prochain !