Shahin Vallée | L’Allemagne ouvre la porte à une réforme des règles budgétaires européennes
La proposition est vague et difficilement réalisable, mais la BCE a formulé un certain nombre de recommandations importantes pour des réformes qui pourraient conduire à un compromis constructif
Alors qu’un été caniculaire battait son plein, le gouvernement allemand a publié le 5 août un papier sur le futur des règles budgétaires européennes. Pour sa newsletter Geoeconomics, à laquelle on vous recommande chaudement de vous abonner, Shahin Vallée s’interroge sur la portée de ce document.
Nous vous proposons une traduction en français de son papier.
Shahin Vallée est directeur du Geoconomics Programme au German Council on Foreign Relations (DGAP). Il a été conseiller du président du Conseil européen Herman Von Rompuy et du ministre de l’économie Emmanuel Macron.
La publication du papier du gouvernement allemand sur les règles budgétaires européennes est un moment important. Il a été initié au sein du gouvernement allemand par le secrétaire d’État Sven Giegold (sous la direction du ministre de l’Économie et du Climat Robert Habeck) et s’inscrit dans un contexte à la fois national et européen.
Le contexte national est un besoin des Verts de fixer des limites à un ministre des finances du FDP qui devient de plus en plus conservateur et tente de faire bouger les lignes de l’accord de coalition. Le contexte européen est celui où le débat sur la réforme de la gouvernance économique qui a commencé il y a plus de 2 ans sur fond d’absence de propositions, de consensus et de compromis.
La proposition du gouvernement allemand ne tient pas vraiment compte du contexte intérieur et de l’engagement du ministre des Finances Linder à tenter de revenir au frein constitutionnel à l’endettement (schuldenbremse) en 2023. Il ne précise pas non plus dans quelle mesure elle ouvre la voie à un plan d’investissement national plus ambitieux pour atteindre les objectifs climatiques à moyen terme de l’Allemagne et son indépendance énergétique à court terme. En ce sens, le gouvernement allemand reste profondément dans le déni de l’ampleur des transformations économiques et énergétiques qui sont nécessaires et de l’impact qu’elles auront sur la politique intérieure et budgétaire. Les Verts allemands paient ici pour l’accord qu’ils ont accepté lors des négociations de coalition, qui ont limité les investissements verts à 60 milliards d’euros.
La proposition allemande pourrait toutefois être utile au débat sur les règles budgétaires européennes qui est effectivement totalement bloqué depuis son lancement en 2019. On s’attendait beaucoup à ce que la France fasse de la gouvernance économique européenne une partie intégrante de son programme pendant la présidence tournante de l’UE qui s’est terminée en juin, mais Macron n’était pas certain de vouloir mener le combat et la guerre en Ukraine a éclipsé toute discussion de ce type.
Le débat a néanmoins commencé par un éditorial conjoint entre Macron et Draghi en décembre 2021, qui était vague sur le fond mais signalait une volonté d’aborder le sujet à l’approche du sommet de Versailles de mars 2022, destiné à dégager un nouveau consensus mais qui en réalité n’a pas du tout discuté de la question. L’éditorial a toutefois été l’occasion de lancer un travail franco-italien significatif sur l’évolution des règles et la gouvernance économique au sens large, qui a suscité des réactions violentes à Berlin.
Les papiers de Giavazzi (sous mandat de Mario Draghi) et Charles-Henri Weymuller (sous mandat d’Emmanuel Macron) étaient tous deux ambitieux et originaux, mais ils étaient divisés en deux parties: une partie sur les règles budgétaires et une partie sur la gestion de la dette. Le papier sur la gestion de la dette plaidait pour la création d’une agence européenne de la dette qui rachèterait une partie de l’encours de la dette publique en vue d’alléger le bilan de la BCE. Cet aspect du document était profondément désagréable pour le Trésor français et a conduit à une répudiation effective de ce travail, stoppant les efforts franco-italiens dans leur élan, à la grande satisfaction du nouveau gouvernement allemand.
En conséquence, le Trésor français a publié un compromis provisoire dans un document publié en février 2022 où il plaide essentiellement pour:
une règle de dépenses, dans la lignée des propositions antérieures du comité budgétaire européen ou du FMI (2018), au lieu d’une mesure d’ajustement structurel sujette à des problèmes de révision et de mesure ;
la levée du 1/20e de réduction de la dette et l’introduction d’objectifs spécifiques à chaque pays (bien qu’ils ne soient pas précisés) ;
l’expansion des investissements publics soit par une règle d’or verte, soit par un fonds européen dédié. Dans l’ensemble, les propositions françaises n’étaient pas particulièrement ambitieuses mais avaient le mérite d’être proches du consensus intellectuel européen.
La proposition allemande apparait donc plus ouverte que sa position initiale, qui niait essentiellement la nécessité d’une réforme. Le document allemand est important en ce sens qu’il convient du besoin de réforme, mais la voie qu’il offre est assez étroite et potentiellement inefficace sans amendements sérieux.
Le position paper du gouvernement allemand plaide essentiellement pour :
Suspension de la règle du 1/20e de réduction de la dette.
Simplification des règles par l’introduction d’un benchmark de dépenses, mais sans suppression de l’ajustement structurel minimal requis existant dans les règles actuelles. Ce compromis, entre l’introduction d’une dépense et la persistance d’un ajustement structurel, s’avérera certainement difficile à opérationnaliser.
Extension de la clause de flexibilité des investissements introduite en 2015 par la Commission européenne, qui reste relativement vague car elle exclut explicitement une règle d’or verte mais pourrait potentiellement permettre une extension des programmes européens comme l’actuelle Facilité pour la reprise et la résilience (FRR).
Enfin, le document appelle à un cadre plus clair et plus strict pour l’adoption de la clause d’exemption générale. Cela supprimerait essentiellement le pouvoir discrétionnaire accordé à la Commission européenne et ouvrirait certainement une négociation difficile sur la mesure/déclencheur approprié pour invoquer la clause d’exemption générale.
Dans l’ensemble, la proposition allemande est un compromis politique interne qui ne constitue pas une proposition de réforme complète et opérationnelle. C’est cependant une bonne base de discussion.
Les institutions européennes devraient cependant à juste titre s’enhardir et mettre quelque chose sur la table maintenant que Berlin a signalé son ouverture à la négociation. La BCE a étonnamment présenté le travail et les suggestions les plus solides sur la table, tandis que le Comité budgétaire européen était un pionnier.
En effet, depuis un discours important prononcé par P. Lane en novembre 2021 qui a d’abord développé la façon dont les règles budgétaires devraient prendre en compte la distance par rapport à l’objectif d’inflation; la BCE (2022) a développé sa propre proposition et simulation , définissant ainsi l’embryon d’un cadre de coopération en matière de politique budgétaire / monétaire.
La proposition et les simulations de la BCE indiquent que les deux objectifs d’une future réforme du pacte devraient :
Simplifier le cadre et tenir compte du contexte macroéconomique actuel et renforcer l’équilibre entre les considérations de durabilité et de stabilisation.
Refléter les besoins croissants d’investissement liés, entre autres, à la transition verte.
La proposition de la BCE s’appuie essentiellement sur:
Une règle de croissance des dépenses corrigée de l’inflation liée à un point d’ancrage de la dette.
Une augmentation standard de l’investissement public net de 0,1 % du PIB observé en 2019 à 0,7 % (la moyenne 2000-2007), ce qui est également le bas de ce qui est jugé nécessaire pour que l’Europe atteigne ses objectifs de réduction des émissions.
Une suspension de la réduction de la dette du 1/20e sera remplacée par un plafond de réduction de la dette de 1/30e inspiré de la proposition du MES, ce qui réduirait effectivement l’ajustement nominal maximal à 3 % par an.
Sur cette base, la BCE estime que l’ajustement recommandé garantirait à la fois une meilleure stabilisation et une meilleure réduction de la dette que le cadre actuel. Pour les pays à faible niveau d’endettement, la règle créerait une marge de manœuvre budgétaire pour le retour au cadre existant du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Une telle marge de manœuvre budgétaire pourrait soutenir des besoins croissants d’investissement public. La prise en compte de l’objectif d’inflation de 2 % de la BCE dans la règle de dépenses renforcerait en outre la contracyclicité du cadre du PSC. Pour les pays fortement endettés, cela réduirait l’ajustement maximal à quelque chose de plus économiquement sensé et politiquement viable.
Cela pourrait éventuellement être ajusté davantage en introduisant des objectifs d’endettement spécifiques à chaque pays. Le cadre permettrait un niveau beaucoup plus élevé de coordination des politiques budgétaires / monétaires sans subordination de la politique budgétaire à la politique monétaire de la BCE, mais plutôt sous forme calibrée en termes réels alors que les budgets publics sont généralement conçus en termes nominaux. Le cadre envisagé créerait une marge de manœuvre budgétaire quand l’inflation est inférieure à la cible et vice versa. Cela devrait être au cœur de la proposition de la Commission européenne et pourrait sans doute être un compromis politiquement réaliste.
Il est toutefois peu probable que ces discussions aboutissent immédiatement à un nouveau cadre. Dans l’intervalle, la Commission européenne jouera un rôle important dans la gestion des attentes en matière de politique budgétaire. La prolongation de la suspension du PSC en 2023 est importante, en particulier dans le contexte d’un gouvernement allemand qui s’y est curieusement engagé malgré les circonstances économiques défavorables. Les projets de plans budgétaires qui seront publiés d’ici le 15 octobre et l’évaluation que la Commission fournira orienteront la politique en 2023, mais un projet de communication / proposition législative sur la réforme à moyen terme pourrait jouer un rôle encore plus important dans la définition des trajectoires budgétaires moyennes.