Revue européenne | REPowerEU aux prises avec la Russie
Mais aussi — Pacte de stabilité, CoFoE, Microsoft
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne du mardi, un condensé d'actualité européenne utile. La revue est désormais disponible en anglais, espagnol, italien, roumain, russe et ukrainien. Bonne lecture 💌
REPowerEU — la Commission à nouveau aux prises avec l’énergie Russe
Le 18 mai, la Commission européenne a dévoilé son plan REPowerEU, qui vise à réduire la dépendance énergétique de l'UE vis-à-vis de la Russie. La Commission a l'intention de développer rapidement des sources d'énergie alternatives et de promouvoir les économies d'énergie afin de réduire de deux tiers les importations de combustibles fossiles de l'UE en provenance de Russie d’ici fin 2022.
Afin de devenir totalement indépendante des importations d'énergie en provenance de Russie d’ici la fin de la décennie, la Commission propose de consacrer près de 300 milliards d'euros à la production d’énergie verte.
DES IDÉES RECYCLÉES • L’invasion russe en Ukraine a dégradé des conditions de marché déjà tendues sur les marchés mondiaux de l'énergie. Les prix de l'énergie ont bondi à l'automne 2021 — le gaz était déjà trois fois plus cher en février 2022 qu'en 2021 –, ce qui a incité la Commission européenne à concevoir une boîte à outils sur les prix de l'énergie que les États membres pouvaient utiliser pour gérer la crise et protéger les consommateurs vulnérables. REPowerEU fait largement écho à ces recommandations et s'appuie sur leurs plans d'urgence. L’idée d'un embargo imminent sur le pétrole russe vient s’ajouter à la pression existante autour de la mise en place de nouvelles mesures.
ÉCONOMIES D'ÉNERGIE • La Commission considère que les économies d'énergie sont le moyen le plus efficace de faire face à la crise actuelle. Elle a adopté la communication “EU Save Energy”, qui contient des recommandations immédiates en matière d'économies d'énergie à l'intention des entreprises et des consommateurs, ainsi que des mesures à moyen et long terme en vue de changements structurels.
"Les arguments en faveur de l'efficacité énergétique n'ont jamais eu autant de force, car une baisse de la consommation d'énergie des ménages et des entreprises implique non seulement une réduction des importations d'énergie provenant de Russie, mais aussi une réduction des coûts de l'énergie pour les citoyens et les entreprises de l'UE", a déclaré la Commission.
Mais l'essentiel de la tâche revient aux États membres. "A determining factor in the success of REPowerEU will be whether governments switch from universal energy subsidies to targeted measures for poor households and vulnerable small and medium companies, and if they have the courage to ask all others to consume less energy", souligne Simone Tagliapietra de Bruegel.
DIVERSIFICATION • Comme l'a demandé le Conseil européen en mars, l'UE doit stimuler la diversification des sources et des fournisseurs d'énergie. À court terme, les États membres de l'UE vont d'abord le faire en augmentant les importations de GNL, la production de biogaz, et en accélérant le déploiement de l'hydrogène renouvelable. Le GNL n'est pas une panacée, car les lacunes d’infrastructures de terminaux de regazéification et de gazoducs pour acheminer le GNL du sud et de l'ouest vers le nord et l'est de l'UE constituent un problème épineux. “The failure to build a fully united energy market, in which power, gas and fuel could smoothly flow between all corners of the EU, is now exposed as a clear constraint on democratic Europe’s autonomy of action”, note Martin Sandbu dans le FT.
TRANSITION ÉNERGÉTIQUE • Le plan vise à remplacer à long terme les combustibles fossiles en faisant progresser la transition vers une énergie propre, par exemple en augmentant le nombre d'éoliennes en mer, en imposant une nouvelle obligation de placer des panneaux solaires sur les toits de certains bâtiments, en accélérant l'autorisation réglementaire du financement des projets transeuropéens d'hydrogène, etc. À ceux qui ont appelé à revoir à la baisse les ambitions climatiques de l'UE à la suite de la guerre en Ukraine, la Commission européenne répond en proposant une ambition renouvellée sur le sujet.
INVESTISSEMENTS COÛTEUX • La Commission prévoit que la réalisation des plans de REPowerEU coûtera 210 milliards d'euros supplémentaires d'ici 2027. Comme souvent, la plus grande partie de cet argent fait partie d’enveloppes déjà existantes, principalement à partir de prêts dans le cadre du fonds européen Next Generation EU — une forme de ripolinage financier. La Commission souhaite également mettre aux enchères davantage de quotas d'émission de carbone du système d'échange de quotas d'émission (ETS), ce qui a envoyé un message contradictoire aux défenseurs du climat. En réduisant/cessant les importations, la Commission espère faire économiser à l'UE quelque 94 milliards d'euros d'importations — ce qui est non négligeable, compte tenu des 210 milliards d'euros d'investissements nécessaires.
EMBARGO PÉTROLIER • S’ajoutant à l'urgence de se préparer à des ruptures d'approvisionnement, l'UE négocie actuellement un embargo sur le pétrole russe. Le 4 mai, la Commission a proposé une élimination progressive des importations de pétrole russe d'ici la fin de l'année dans le cadre d'un sixième train de sanctions. Pourtant, les États membres peinent à trouver le consensus nécessaire, la Hongrie demandant par exemple plus de temps pour toute suppression progressive ainsi qu’une compensation financière. Il reste à voir ce qu’il adviendra si l'embargo entre effectivement en vigueur alors même que l'UE n'a pas suffisamment réduit sa dépendance à l'égard de la Russie.
La Commission propose de suspendre les règles budgétaires un an de plus
Lundi 23 mai, la Commission a proposé une extension — largement attendue — de la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance, lors de sa présentation du paquet de printemps du semestre européen.
Voici le paragraphe qui nous intéresse : “La Commission considère que les conditions d'un maintien de la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance en 2023 et de sa désactivation en 2024 sont remplies. La montée des incertitudes et l'importance des risques qui pèsent sur les perspectives économiques, sur fond de guerre en Ukraine, d'envolée sans précédent des prix de l'énergie et de perturbations persistantes des chaînes d'approvisionnement, justifient le prolongement de la clause dérogatoire générale jusqu'à la fin de 2023. Le maintien de cette clause en 2023 laissera aux politiques budgétaires nationales la marge nécessaire pour réagir rapidement en cas de besoin, tout en assurant une transition sans heurts entre le soutien généralisé apporté à l'économie pendant la pandémie et un recentrage sur des mesures temporaires et ciblées et sur la prudence budgétaire requise pour garantir la viabilité à moyen terme des finances publiques”.
RÉFORME DU PACTE • Concrètement, la Commission définira des “orientations sur d’éventuelles modifications du cadre de gouvernance économique”. Dans le jeu institutionnel, c’est à la Commission de faire une proposition de modification des règlements — ce qui explique que les États membres se positionnent en amont pour faire connaître leurs positions. Globalement, l’extension de cette période dérogatoire fait consensus. Mais le débat sous-jacent — la réforme du Pacte de stabilité et de croissance — fait débat entre ceux qui pensent que les "flexibilités" de l’outil ont montré la souplesse des règles existantes, et ceux qui considèrent que les règles doivent être réécrites.
BERLIN, VIGIE FISCALE • Berlin s’est exprimé, à la fois en faveur de la prolongation de la clause générale d’exemption, et pour la réduction des déficits publics au sein de l’UE. Le 21 mai, le ministre des finances Christian Lindner rappelle que la prolongation du régime dérogatoire n’est pas une excuse pour se laisser aller.
“The fact that member states are now able to deviate from the Stability and Growth pact doesn’t mean they actually should do that”, déclare-t-il dans un entretien au FT en marge de la réunion du G7 à Königswinter.
Il s’agit d’une forme de rappel à l’ordre par le gouvernement allemand, qui rappelle que le retour de la discipline fiscale ne doit pas être renvoyée aux calendes grecques. L’Allemagne a indiqué qu’elle remettrait en place son frein constitutionnel (Schuldenbremse), qui limite les déficits publics à 0,35% du PIB, dès 2023. D’un point de vue politique, le ministre des finances, qui vient du FDP, envoie ainsi des signes à son électorat très discours vantant la discipline fiscale dans un pays qui a récemment mis sur la table 100 milliards d’euros pour l’armée et 60 milliards pour la transition verte.
EXPLANATIO • Le pacte de stabilité et de croissance — la règle de 60% de dette publique et du ratio de déficit de 3% — a été temporairement mis de côté à la suite du Covid-19, un virus qui a causé l’explosion de la dette publique au sein de l’UE. La “clause dérogatoire générale” du pacte de stabilité et de croissance a été activée en 2020 pour faire face au Covid-19 — et éviter de soumettre un État membre à la procédure épuisante des déficits excessifs. La clause dérogatoire devait être désactivée à partir de 2023, selon la communication de la Commission sur les orientations de la politique budgétaire pour 2023, publiée le 2 mars 2022.
ESPRIT DE VERSAILLES • La guerre en Ukraine a porté un autre coup à ceux qui souhaitaient que la clause dérogatoire soit désactivée le plus tôt possible. Avant le sommet de Versailles des 10 et 11 mars, initialement prévu pour discuter de la réforme du PSC, plusieurs États membres d’Europe centrale et orientale ont fait pression pour exclure les dépenses de défense et de sécurité du PSC.
En avril, les Pays-Bas et l’Espagne avaient pris la plume à quatre mains pour un non-paper dans lequel les deux États membres — aux positions habituellement divergentes sur le sujet — appelaient à l’établissement de plans budgétaires à moyen terme spécifiques à chaque pays, une idée partagée par le commissaire à l’économie et aux finances, Paolo Gentiloni.
Microsoft anticipe le DMA
Le 18 mai, Brad Smith, le président de Microsoft en visite à Bruxelles, a annoncé que le géant américain allait améliorer les conditions de licence d’Azure, son service phare de cloud computing, afin de le rendre plus compatible avec les services concurrents ou connexes.
“As a major technology provider, we recognize our responsibility to support a healthy competitive environment and the role that trusted local providers play in meeting customers’ technology needs. We thought it was important to start taking meaningful action within weeks, rather than months or years, and we set a goal internally to do so by today, a day when I’m in Brussels” — Microsoft responds to European Cloud Provider feedback with new programs and principles - EU Policy Blog
Cette décision intervient alors que de nombreuses entreprises accusent la société d'avoir lié ce service à sa suite de produits plus large et d'avoir refusé l'interopérabilité à ses concurrents. Nous avions abordé ce sujet à deux reprises (ici, et ici).
Plus précisément, “Microsoft will help cloud providers to offer Windows and Office directly as part of a complete desktop solution that they can build on, sell and host on their infrastructure.” Cela pourrait permettre à Microsoft d'échapper partiellement à un examen plus approfondi de la Direction générale de la Concurrence (DGCOMP) en ce qui concerne ses pratiques en matière de cloud.
Cette décision commerciale anticipe également la mise en conformité de Microsoft avec le Digital Markets Act (DMA), récemment approuvé par le Conseil. Le DMA prévoit en effet que les gatekeepers (contrôleurs d’accès en français), dont Microsoft fait partie, ont l’obligation de permettre l'interopérabilité de leurs services avec d’autres services connexes. Ils doivent aussi s’abstenir de limiter techniquement la capacité des utilisateurs à passer d’un service logiciel à un autre.
Du nouveau sur les Traités
Si l’Eurovision a un écho plus important sur les citoyens de l’Union que les conclusions de la Conférence sur le futur de l’Europe (CoFoE), celles-ci ont été écoutées d’une oreille attentive par les institutions — sans doute grâce à la mémorable prestation de danse qui faisait office de première partie.
UNE LETTRE • Dernier pavé dans la mare : la publication par l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Espagne d’une lettre en faveur d’une refonte des traités. Au-delà du contenu d’une réforme elle-même, il s’agit de trouver assez de soutiens et de consensus politique pour faire avancer les dialogues interinstitutionnels.
ACTION PLAN • À peine la Conférence achevée, le Parlement européen annonçait le 4 mai, dans une résolution, sa volonté de déclencher la procédure de révision des traités prévue à l’article 48 du traité sur l’Union européenne. Quant au Président français, il a, à l’occasion de la Journée de l’Europe à Strasbourg, également mentionné la nécessité de “réformer nos textes”. Après l’adoption de sa résolution, sa Commission des affaires constitutionnelles – désignée compétente pour se pencher sur la procédure de révision des traités – s’est immédiatement penchée sur la question.
Si, côté Parlement, la plus grande partie des membres semble d’accord sur la révision et la nécessité d’armer l’Union pour lutter contre des crises sans précédent — crise sanitaire, guerre en Ukraine —, des désaccords naissent sur son étendue. En Commission des affaires constitutionnelles, le centre droit, représenté par Sven Simon (PPE), prônait un champ de révision restreint afin de s’assurer le soutien du Conseil, indispensable à l’aboutissement de la procédure. Pour d’autres représentants, comme Pascal Durant (Renew), le Parlement ne devrait pas s’auto-censurer, sous prétexte que le Conseil ne suivra pas.
RÉTICENCES • La résistance du Conseil ne doit pas être minimisée. Le 9 mai, 13 États membres se sont montrés réfractaires à une réécriture des Traités en déclarant que “l’objectif de la Conférence n’a jamais été la révision”. En réaction, 6 États ont affirmé ne pas être opposés “sur le principe” à une révision, tout en invitant à distinguer les questions qui peuvent être réglées dans le cadre des Traités actuels, de celles nécessitant une révision.
Certaines mesures risquent de faire l’objet de débats compliqués. C’est le cas de la fin du principe de l’unanimité des voix au Conseil, notamment en matière de politique étrangère et de sécurité commune. C’est également le cas de l’organisation d’un référendum au niveau européen – cette question étant traditionnellement de nature « constitutionnelle ».
WHAT NEXT? • Cette question de la révision des Traités obéit à un calendrier politique précis. L’objectif affiché est que le Parlement adopte sa position à la prochaine plénière afin que le sujet de la révision soit discuté au cours du Conseil européen des 23 et 24 juin 2022, encore sous présidence française.
Nos lectures de la semaine
Un rapport rédigé par Fredrik Erixon (et autres) pour le European Centre for International Political Economy offre un panorama critique de huit instruments défensifs de politique commerciale dont dispose l'UE.
Également dans les colonnes de l'ECIPE : une analyse sans complaisance du Trade and Technology Council par Hosuk Lee-Makiyama révèle les motivations de l'UE et des États-Unis pour parvenir à un accord.
Julian Ringhof et José Ignacio Torreblanca de l'ECFR exhortent l'UE à adopter une stratégie de diplomatie numérique qui soit à la hauteur de ses ambitions géopolitiques.
Simone Tagliapietra, de Bruegel, estime que REPowerEU est un pas dans la bonne direction, même si le succès de la réponse à la crise énergétique exige de chaque État de consentir à des sacrifices.
La cinquième édition du rapport de la Commission EU Blue Economy Report, rédigé sous la coordination de Jann Martinsohn et Frangiscos Nikolian, étudie l’importance de l’économie marine l'Europe.
La newsletter de cette semaine a été préparée par Augustin Bourleaud, Roemer Sijmons, Giulio Preti, Agnès de Fortanier et Thomas Harbor. Rendez-vous mardi prochain !