Revue européenne | l’Ukraine et la Moldavie candidates
Mais aussi — Zone Euro, Chine, Fit for 55, Sécurité énergétique
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne, un condensé d'actualité européenne utile. Nous sommes le mardi 28 juin et voici tout ce que vous devez savoir.
Focus — l’Ukraine et la Moldavie
Les dirigeants européens se sont réunis les 23 et 24 juin à Bruxelles. Lors de ce Conseil, le statut de candidat a été accordé à l'Ukraine et à la Moldavie, mais pas à la Géorgie. La décision — qui enclenche le plus important mouvement d’élargissement de l’UE depuis deux décennies — est annoncée à juste titre comme un moment historique. Il s'agira toutefois d'un processus long et complexe.
SOMMET • Après avoir réaffirmé que l'UE "soutient fermement la résilience économique, militaire, sociale et financière globale de l'Ukraine", “Le Conseil européen a décidé d'accorder le statut de pays candidat à l'Ukraine et à la République de Moldavie”. La Géorgie n'a pas franchi la ligne d'arrivée — celle-ci ne pourra se voir accorder le statut de candidat que "lorsque les priorités énoncées dans l'avis de la Commission sur la demande d'adhésion de la Géorgie auront été prises en compte".
Le 16 juin, les dirigeants français, italien, allemand et roumain ont rendu public leur soutien à la candidature ukrainienne lors d'une visite symbolique à Kiev, la première depuis le début de la guerre. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a également pris d’importants risques politiques en s’exposant et en poussant résolument les États membres à accorder le statut de candidat à l'Ukraine — un pays qu'elle a visité deux fois. La Russie a réduit ses livraisons de gaz à plusieurs pays de l'UE dans les jours qui ont précédé la décision.
EXPLANATIO • L'article 49 du traité sur l'Union européenne (TUE) constitue la base juridique de l'adhésion à l’UE. Une fois que la demande a été déposée par le pays candidat, la Commission européenne émet un avis sur cette demande.
La Commission européenne a rendu son avis sur les demandes de l'Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie le 17 juin — ce qui est très rapide puisque l'Ukraine a déposé sa demande le 28 février, quatre jours seulement après le début de la guerre. La Moldavie et la Géorgie, qui font partie du Trio Associé dans le cadre du Partenariat oriental, ont fait de même le 3 mars.
THE CANDIDATE • Dans ses avis, la Commission européenne a évalué les pays candidats en se fondant sur leur "respect et leur engagement" à l'égard des valeurs inscrites à l'article 2 du TUE, qui comprend, entre autres, l'État de droit, la démocratie et la non-discrimination.
La Commission a également évalué s'ils satisfont aux critères de Copenhague et de Madrid — qui déterminent l'éligibilité à l'adhésion à l'UE — sur la base de l'existence d'institutions stables, d'une économie de marché viable et de la capacité à assumer et à mettre en œuvre les obligations liées à l'adhésion, ainsi que de la capacité à appliquer et à transposer le droit de l’Union.
Sur la base de ces critères, la Commission a estimé que l'Ukraine et la Moldavie devraient se voir accorder le statut de candidat par le Conseil européen — mais pas la Géorgie.
THE APPRENTICE • Le statut de candidat est accordé par le Conseil de l'UE, après avis de la Commission et approbation politique du Conseil européen. Le statut de candidat est une étape importante, mais il faut encore que les candidats parviennent à mettre en oeuvre les réformes demandées pour converger de façon satisfaisante vers les normes européennes.
NO FAST TRACK • Il n'y a pas de date butoir pour les négociations suivant l'octroi du statut de candidat, et les deux parties devront se plonger dans les 35 chapitres de l’acquis communautaire sur lesquels des progrès de la part de l'Ukraine et de la Moldavie sont requis avant que l'adhésion puisse être envisagée. Pour l'Ukraine, la corruption sera un problème très difficile à résoudre dans un pays encore frappé par la guerre.
Certains pays attendent longtemps. Si l'Ukraine et la Moldavie ont reçu une réponse très rapide à leur candidature, il n'y a pas de procédure accélérée pour les négociations en vue de l'adhésion elle-même. En mai, le ministre français des affaires européennes, Clément Beaune, a déclaré que l'adhésion de l'Ukraine pourrait prendre jusqu'à 15 ou 20 ans. La Croatie a été candidate pendant neuf ans avant de devenir membre de l'UE.
FATIGUE DE L'ÉLARGISSEMENT • La fatigue de l'élargissement décrit le sentiment que l'expansion de l'UE est déjà allée trop loin, en accordant l'adhésion à des pays qui ne remplissaient pas vraiment les critères. Le Danemark et les Pays-Bas ont déjà fait savoir qu'ils ne donneraient pas un chèque en blanc à l'Ukraine, ou à la Moldavie.
L'accueil de nouveaux pays, dont un aussi peuplé que l'Ukraine, modifierait fondamentalement les équilibres politiques au sein des institutions européennes. Ils obtiendraient un droit de veto sur certains des sujets sensibles pour lesquels le vote à l'unanimité est encore la règle au Conseil — bien que l’unanimité ne fasse plus l’unanimité. Ils obtiendraient également une grande partie des sièges au Parlement européen.
Adhérer à l'UE sans adhérer à l'OTAN n'aurait guère de sens en termes de sécurité pour l'Ukraine et la Moldavie — d'où les hésitations quant aux implications géopolitiques d’une adhésion à l’UE. La Suède et la Finlande ont l'intention de rejoindre l'OTAN, et le Danemark a récemment voté pour mettre fin à son opt-out de la politique de sécurité et de défense commune de l'UE.
Un autre aspect est l'État de droit. La querelle juridico-politique entre la Commission européenne et la Hongrie et la Pologne sur la question montre bien qu'il y a une limite à ce que l'UE soit douce en matière d'État de droit avec les pays en guerre et dure avec la Hongrie ou la Pologne.
In Case You Missed It
LA CIGALE ET LA FOURMI • "Dans la division du travail du système monétaire et la réduction des spread, [l'Italie] doit s'assurer que les fondamentaux sont bons" (notre trad.), a déclaré le Premier ministre néerlandais à des journalistes à Bruxelles, rapporte Bloomberg.
Cette boutade typiquement néerlandaise vient rappeler que la discipline de marché, les réformes et une trajectoire budgétaire saine devraient être la solution pour sortir de la récente hausse des taux en Italie — et qu’il ne faudrait pas attendre de la BCE qu’elle soit encore un deus ex machina.
Le 12 mars 2020, la présidente de la BCE Christine Lagarde a déclenché une mini-panique lorsqu'elle a déclaré, au début de la crise du COVID-19, "we are not here to close spreads, there are other tools and other actors to deal with these issues".
Deux ans plus tard, l'écart entre les obligations allemandes et italiennes atteint à nouveau des sommets, sur fond de craintes que les hausses de taux et la fin des achats nets d'actifs ne nuisent aux pays endettés et à faible croissance comme l'Italie.
Cette fois, la BCE explore un nouvel outil pour éviter l'élargissement des spreads et écarter le risque d'un effondrement du marché dans les pays périphériques de la zone euro. Et c'est Mark Rutte, et non Christine Lagarde, qui affirme que la BCE n'est pas là pour combler les spreads.
Le Premier ministre néerlandais a toutefois ajouté qu'il avait "foi" dans la capacité du Premier ministre italien Mario Draghi à mettre l'Italie sur la bonne voie : "Je suis vraiment fasciné et positif par le fait que vous voyez maintenant en Italie et dans d'autres pays des réformes en cours, que j'avais peur de ne jamais voir de mon vivant. Nous aimons l'idée que l'on donne quelque chose en échange des réformes" (notre trad.), a-t-il déclaré — comme le rapporte Bloomberg.
ACCORD SUR FF55 • Le 22 juin, le Parlement européen a finalement adopté sa position sur trois législations clés du paquet "Fit for 55". Cela fait suite à une session plénière où les députés n’avaient pas réussi à trouver un compromis sur des mesures cruciales visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030.
Les députés ont notamment réussi à se mettre d'accord sur la réforme du système d'échange de quotas d'émission (SEQE) — qui conditionne l'adoption des deux autres textes. Sur ce point, les sociaux-démocrates (S&D) et Renew Europe ont accepté plusieurs amendements proposés par les conservateurs en échange d'une suppression plus rapide des quotas gratuits (2032). Le SEQE couvrira finalement 63% des émissions des secteurs ciblés, ce qui est plus ambitieux que la proposition de la Commission (61%) mais inférieur à ce qui était suggéré par la comité environnement du Parlement (67%).
Un accord a également été trouvé sur un mécanisme d'ajustement aux frontières du carbone (MACF/CBAM) plus ambitieux que celui proposé par la Commission et le Conseil. Ce mécanisme est néanmoins toujours considéré comme injuste pour les pays les plus pauvres par de nombreuses organisations, dont Oxfam. Enfin, les euro-députés se sont mis d'accord sur un Fonds social pour le climat visant à aider les personnes les plus touchées par la pauvreté énergétique et à faire face aux coûts accrus liés à la transition énergétique.
Si le compromis est globalement considéré comme un succès, des organisations comme le WWF ont accusé le Parlement d’avoir voté pour une réforme "diluée" du Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE). La version finale des trois textes sera déterminée par les discussions ultérieures entre le Parlement et le Conseil.
CHINE • Le 26 juin, les dirigeants du G7 ont dévoilé le Partnership for Global Infrastructure and Investment Ce plan est essentiellement une version remaniée du plan "Build Back Better World" annoncé en 2021 lors d'un sommet du G7 au Royaume-Uni.
Le plan de l'Union européenne — qui est lui baptisé Global Gateway et doté d'un financement de 300 milliards d'euros jusqu'en 2027 — s'inscrit désormais dans ce cadre plus large. Le plan de l'UE vise à contrer la Belt and Road Initiative (BRI) de la Chine.
Qu'il s'agisse du port du Pirée ou d'une autoroute au Monténégro, les investissements chinois dans les infrastructures font partie d’une stratégie commerciale mais aussi politique visant à semer les graines de la désunion entre les pays fragiles de l'UE et ses voisins. Au total, le paquet devrait s'élever à environ 600 milliards de dollars.
SÉCURITÉ ÉNERGÉTIQUE • Le 27 juin, le Conseil a adopté le règlement de l'UE sur le stockage du gaz. Il "exige que les réserves de gaz de l'Europe soient remplies avant l'hiver et que leur gestion soit protégée contre toute ingérence extérieure". En vertu de ce règlement, les États membres sont tenus de remplir les capacités de stockage à 80 % de leur capacité d'ici novembre.
“Grâce à des négociations menées en moins de deux mois, l’Union dispose dorénavant d’un outil qui impose à chaque Etat membre d’aborder la période hivernale avec un stockage de gaz suffisant et qui facilite les partages entre pays. Je salue ce règlement très opérationnel qui, dans le contexte international que nous connaissons, permet de conforter la résilience énergétique européenne et la solidarité concrète entre Etats membres”
— Agnès Pannier Runacher, ministre de la Transition énergétique
Alors que la Russie réduit ses livraisons de gaz à une douzaine d'États membres de l'UE suite à l'octroi du statut de candidat à l'Ukraine et à la Moldavie, l'UE tente d'éviter une situation dans laquelle les États membres fermeraient leurs marchés au cas où la Russie réduirait encore ses flux de gaz. Six États membres — l'Allemagne, la Pologne, la Slovaquie, la République tchèque et l'Autriche — ont signé le 27 juin un Memorandum of Understanding (MoU) sur la préparation aux risques et la solidarité énergétique en cas de pannes d'électricité l'hiver prochain.
Dans une déclaration commune du 27 juin, Ursula von der Leyen et Joe Biden ont insisté la solidarité en matière énergétique :
“Russia's energy coercion has put pressure on energy markets, raised prices for consumers, and threatened global energy security. This was most recently demonstrated by the politically motivated acute disruptions of gas supplies to several European Union Member States. These actions only underscore the importance of the work both the United States and the European Commission are doing to end our reliance on Russian energy. We are also working together to find ways to further reduce Russia's energy-derived revenues in the coming months to further curtail Russia's ability to fund its unprovoked war in Ukraine.”
Nos lectures de la semaine
L'accession de l'Ukraine et de la Moldavie au statut de candidats à l'UE est pour beaucoup dans les Balkans une pilule amère à avaler. Dimitar Bechev, de Carnegie Europe, explique pourquoi les États de la région ont fait peu de progrès dans leurs récents efforts d’obtention du précieux statut.
Pour l'ECFR, Teresa Coratella revient sur les difficultés auxquelles Mario Draghi est confronté sur la scène politique domestique lorsqu'il affirme le soutien de son pays à l'Ukraine.
Le CEPR a publié un ebook sur les conséquences économiques du Brexit.
La newsletter de cette semaine a été rédigée par Augustin Bourleaud, Maxence de La Rochère et Thomas Harbor. À mardi prochain !