Revue européenne | Les subventions étrangères, nouveau cheval de bataille de la politique commerciale
Mais aussi — BCE, Boone, Nouvelle-Zélande, Sanctions, MiCA
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Focus — les subventions étrangères
Le 30 juin, le Conseil de l’UE et le Parlement européen sont parvenus à un accord politique sur le règlement relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur.
La politique commerciale de l’UE sera bientôt dotée d’une nouvelle arme, nécessaire dans un monde profondément bouleversé par la Covid-19, la guerre en Ukraine, la montée en puissance de la Chine et l’utilisation par cette dernière de la politique commerciale à des fins géostratégiques.
VIDE JURIDIQUE • Le texte vise à répondre à un vide juridique. Les biens subventionnés par des pays non-membres de l’UE peuvent être frappés par des droits anti-dumping, mais les investissements directs ou les procédures de passation de marchés publics ne sont pas couverts. Pour les États membres de l’UE, des règles strictes en matière d'aides d'État, mais le droit des aides d’État n’a pas de dimension extra-territoriale.
Les subventions étrangères qui ont pour effet de permettre à des sociétés de proposer des prix très élevés pour des fusions/acquisitions ou des soumissionnaire à des marchés publics de proposer des prix très bas restent en dehors du champ d’application des instruments existants. Ce vide juridique est devenu une préoccupation grandissante à l’heure du Covid-19, lorsque de nombreuses entreprises pouvaient être rachetées par une bouchée de pain en bourse.
LE TEXTE • Les subventions étrangères peuvent prendre de nombreuses formes : injections de capital, prêts, incitations, exonérations fiscales, ou encore remises de dettes.
Les entreprises devront notifier les contributions financières qu'elles reçoivent d'organismes publics extra-européens lors de concentrations (M&A) ou de passations de marchés publics.
La Commission pourra également lancer des enquêtes de marché lorsqu'elle soupçonne que certaines subventions étrangères faussent le marché intérieur. La Commission aura alors le pouvoir de corriger les distorsions là où elles se trouvent, en utilisant des remèdes inspirés des procédures antitrust.
“Les marchés publics de l'UE correspondent à environ 14 % de notre PIB. Il n'est pas acceptable qu'ils soient faussés par des subventions étrangères au détriment des entreprises compétitives qui respectent les règles. Cet outil innovant comblera un vide juridique et nous conférera de nouveaux moyens de promouvoir l'égalité de traitement et une concurrence loyale au sein du marché unique” — Thierry Breton, commissaire au marché intérieur
SEUILS • Les entreprises percevant des subventions hors de l’UE ne devront les notifier à la Commission européenne que si l’une des parties à la concentration dépasse le seuil de 500 millions d’euros de chiffres d’affaires et de 50 millions d’euros de contributions financières étrangère, ou si les procédures de passation de marché publics dépassent 250 millions d'euros et que l’offre comporte une contribution financière étrangère d’au moins 4 millions d’euros par pays-tiers.
NAVETTES LÉGISLATIVES • Dans les aller-retours législatifs, le Conseil et le Parlement ont croisé le fer sur le niveau des seuils — le Parlement les voulait plus bas, le Conseil plus haut — pour finalement revenir à la proposition initiale de la Commission.
Ces seuils ont une forte incidence sur le nombre d’opérations notifiables, et donc à la fois sur la charge administrative qui pèsera sur les entreprises — y compris européennes — qui perçoivent des subventions étrangères et sur les équipes de la Commission, unique responsable de la mise en oeuvre ce nouvel outil de contrôle.
Les députés européens ont également obtenu que la Commission doive publier des lignes directrices sur la méthodologie retenue pour apprécier la distorsion de concurrence induite par les subventions étrangères, un point qui inquiétait beaucoup des professionnels soucieux de sécurité juridique. Il peut s’avérer complexe de tracer la ligne entre des subventions étrangères "légitimes" liées à la politique industrielle et des subventions "illégitimes" qui faussent le marché.
BRAVE NEW (TRADE) WORLD • Jusqu'à présent, les législateurs n'avaient pris des mesures que pour les situations où l'ordre public et la sécurité étaient en jeu, avec le règlement sur le filtrage des investissements directs à l’étranger (IDE) en 2019.
Le règlement sur les subventions étrangères est révélateur de plusieurs évolutions importantes : le caractère de plus en plus unilatéral des initiatives de défense commerciale dans un contexte multilatéral bloqué et l’hybridation entre les outils de défense commerciale et le droit de la concurrence.
Officiellement, ce texte s’inscrit dans les efforts de l’UE pour moderniser le droit des aides d’État au niveau de l’OMC, mais peu d’experts privilégient cette voie pour obtenir des résultats concrets sur un sujet aussi sensible que les subventions.
L’hybridation entre commerce et concurrence est également manifeste. Si le texte est formellement un outil commercial (Article 207 TFUE), il applique des notions issues du droit des aides d’État. Trois directions générales de la Commission européenne seront impliquées dans la mise en œuvre: la DG COMP, DG TRADE, et DG GROW.
“This is not a matter of protectionism, but of fairness: we need all operators on the internal market to compete under similar conditions. Together with the international procurement instrument, this regulation is a vital part of our expanding toolbox.” — Bernd Lange (S&D), chargé des négociations sur le texte pour le Parlement européen.
BOÎTE À OUTILS • Le règlement sur les subventions étrangères n’est pas le seul instrument dans les pipelines législatifs de l’UE.
L’instrument international sur les marchés publics (IPI — International Procurement Instrument) vise à favoriser la réciprocité sur les marchés publics mondiaux. L’instrument permettra à la Commission d’introduire des limitations d’accès aux marchés publics européens aux entreprises issues de pays tiers “n’offrant pas de conditions d’accès similaires à leurs marchés publics aux entreprises de l’UE”.
L’outil anti-coercition (ACI — Anti-Coercion Instrument) proposé par la Commission européenne en décembre 2021 vise à lutter contre le recours à la coercition économique par des pays tiers à l’UE. Proposé dans le contexte des tensions entre la Chine et la Lituanie sur la question de la reconnaissance de Taiwan.
COCORICO • Ce texte est le dernier dossier législatif majeur intervenu sous présidence française du Conseil de l’UE.
“La présidence française du Conseil de l'Union européenne s'est construite sur le principe de souveraineté économique. La souveraineté économique passe par deux principes clés: l'investissement et la protection. À ce titre, l'accord trouvé sur ce nouvel instrument va permettre de lutter contre la concurrence déloyale des pays qui octroient des subventions massives à leur industrie. C'est un pas majeur vers la protection de nos intérêts économiques”, s’est félicité Bruno Le Maire.
NEXT STEPS • L’accord politique entre les législateurs doit être formellement approuvé par le Conseil et le Parlement européen. Le règlement entrera en vigueur en 2023.
In Case You Missed It
STRESS MONÉTAIRE • La BCE doit augmenter ses taux directeurs le 21 juillet. Devant le risque de fragmentation — de divergence des coûts d’emprunt au sein de la zone euro — la BCE a annoncé le 1er juillet à Sintra, au Portugal, des mesures pour éviter la fragmentation de la zone euro.
L’outil anti-fragmentation doit permettre à la BCE d’acheter des obligations d’État de la zone euro lorsque leurs yields augmentent de façon soudaine et décorrélée de leurs fondamentaux financiers. Le Conseil des gouverneurs de la BCE doit se pencher sur cet outil les 20-21 juillet. Les taux d’intérêt auxquels l’Italie emprunte sur les marchés financiers sont actuellement les plus élevés depuis la crise de la zone euro.
Par ailleurs, la BCE a annoncé qu’elle agirait avec flexibilité dans les réinvestissements d’obligations souveraines dans le cadre du Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP). La BCE fait face à une tâche compliquée : convaincre les marchés financiers de sa volonté de combattre l’inflation en montant les taux et en mettant fin aux achats nets d’actifs d’une part, éviter une explosion des coûts d’emprunt des pays les plus fragiles de la zone euro d’autre part.
Le président de la Bundesbank se dit inquiet des désaccords au sein de la BCE sur ce sujet. Joachim Nagel craint que ces mesures ne constituent du financement monétaire des dettes publiques par la BCE, interdit par l’article 123 du TFUE. L’activisme juridique allemand sur la question laisse entrevoir une suite à la saga des programmes de la BCE devant la Cour de justice.
BOONE APRÈS BEAUNE • Laurence Boone est nommée secrétaire d’État aux affaires européennes, succédant à Clément Beaune, qui a conduit le bateau France jusqu’à la fin de la présidence française du Conseil de l’UE.
Laurence Boone est économiste. Elle a été conseillère de François Hollande de 2014 à 2016 et est une habituée des sommets européens. Passée par Barclays, AXA et Bank of America Merrill Lynch, Laurence Boone était depuis janvier 2022 secrétaire générale adjointe de l’OCDE.
Un profil très économique pour le Secrétariat général aux affaires européennes alors que s’ouvre une séquence potentiellement troublée avec la remontée prévue des taux d’intérêt par la BCE le 21 juillet, les conséquences économiques de la hausse des prix de l’énergie et les négociations sur l’avenir du pacte de stabilité et de croissance.
NZ • Le 30 juin, l’UE et la Nouvelle-Zélande ont finalisé un accord commercial, qui devrait conduire à une hausse de 30% du commerce bilatéral selon la Commission européenne. L’accord comprend des engagements en matière environnementale, notamment le respect de l’accord de Paris, ou encore des dispositions sur les droits fondamentaux du travail.
Les parties peuvent sanctionner le non-respect des accords de Paris par des droits de douane. Les subventions agricoles et les indications géographiques protégées étaient des points de négociation importants entre l’UE et la Nouvelle-Zélande. L’accord doit encore être validé par le Parlement européen et l’ensemble des États membres de l’UE.
SANCTIONS • La Commission européenne réfléchit à la création d’une autorité chargée des sanctions à l’échelle européenne, sur le modèle de l’OFAC — Office of Foreign Assets Control — aux États-Unis, rapporte le FT. La préoccupation majeure exprimée par la Commissaire aux services financiers Mairead McGuinness concerne l’application uniforme des sanctions européennes par les États membres. Selon certain, l’agence européenne de lutte contre le blanchiment d’argent (AMLA) qui doit voir le jour prochainement, pourrait être dotée de pouvoirs de supervision en matière de sanctions.
CRYPTO • L’UE avance sur la réglementation des crypto-actifs. Un accord provisoire a été conclu le 30 juin entre le Parlement et le Conseil sur le projet de règlement MiCA (Market in Crypto Assets) afin de tracer les crypto-actifs pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (AML/CFT). Pour entrer en vigueur, l’accord doit encore être approuvé par les commissions ECON et LIBE du Parlement, avant d’être approuvé par le Parlement dans son ensemble.
Nos lectures de la semaine
L'appel à la prudence de Jürgen Habermas dans le cadre du conflit en Ukraine a poussé Timothy Snyder à écrire une réponse, dans laquelle il dénonce ce qu'il considère être l'incapacité de l’Allemagne à comprendre la guerre du point de vue de l'Ukraine. Benjamin Tallis observe un pays incapable de parler d'autre chose que de lui-même.
Dans les colonnes du CEPS, Erwan Fouéré critique durement la diplomatie européenne dans les Balkans.
L'EPC a publié le premier volume d'un recueil d'essais sur les relations UE-Chine.
Un rapport d’Alexander Conway pour l’IIEA synthétise l’agenda et les priorités de la présidence tchèque du Conseil de l'UE.
John Springford, du CER, appelle à un nouveau régime fiscal pour garantir l'indépendance de la BCE.
Dans un rapport publié par Bruegel, Georg Zachmann plaide en faveur d'une approche renouvelée de la concurrence et de la réglementation pour réaliser les objectifs de la transition verte.
La newsletter de cette semaine a été rédigée par Maxence de La Rochère et Thomas Harbor. À mardi prochain!