Revue européenne | 2ème édition du Trade and Technology Council à Saclay
Mais aussi — Blé ukrainien, Brexit, Abus en ligne sur les enfants
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne du mardi, un condensé d'actualité européenne utile. La revue est désormais disponible en anglais, espagnol, italien, roumain, russe et ukrainien. Bonne lecture 💌
Le Trade and Technology Council se réunit à Saclay
Les représentants de l’UE et des États-Unis se sont rencontrés à Paris les 15 et 16 mai, dans le cadre du deuxième Conseil Commerce et Technologie (Trade and Technology Council, TTC), avec en toile de fond la guerre en Ukraine et les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales qui en résultent.
Le Conseil a permis aux deux parties de s’entendre sur le renforcement des échanges d’informations, sur l’exportation de technologies critiques, ainsi que sur le maintien d’un front uni face à la Russie.
TTC 101 • Lancé en septembre 2021, le TTC a pour objectif “d’échanger et de coopérer sur les principales questions technologiques, économiques et commerciales mondiales, ainsi que d’approfondir les relations transatlantiques, fondées sur des valeurs démocratiques partagées, dans le respect de l’autonomie de décision des deux parties”, selon le ministère des Affaires étrangères. Le TTC est divisé en groupes de travail qui rassemblent des fonctionnaires des directions concernées. Le TTC se concentre sur cinq domaines clés de coopération : les contrôles à l’exportation, le contrôle des investissements étrangers directs, les chaînes d’approvisionnement, les normes technologiques et les défis du commerce mondial.
CONTEXTE • Selon Rebecca Arcesati, de l’Institut Mercator, “cette réunion ministérielle du TTC se déroule dans un contexte géopolitique radicalement différent” (notre trad.). Qu’il s’agisse de la pandémie de COVID-19, de la menace que représente la Chine pour l’économie mondiale ou de la guerre en Ukraine, les deux parties doivent repenser leur politique de “résilience des chaînes de valeur”, en affirmant une volonté commune de créer un marché mondial “vert”, ouvert et fondé sur une concurrence loyale.
Figurent également au programme la coopération dans le contrôle des investissements, la prévention des obstacles injustifiés au commerce et aux mouvements de capitaux, et la réduction de la dépendance à l’égard des sources d’approvisionnement en matières premières stratégiques.
UKRAINE • Le TTC a été salué comme un forum important de coordination des États-Unis et de l’UE en ce qui concerne les sanctions visant la Russie, un rôle réaffirmé par la déclaration conjointe. Les coprésidents du TTC ont convenu de renforcer les contrôles à l’exportation vers la Russie pour les technologies militaires et cybernétiques critiques, en particulier les biens à double usage. Le TTC a également promis de s’impliquer dans la lutte contre la désinformation russe.
FRIENDSOURCING • La coopération en matière de chaînes d’approvisionnement était au centre des discussions : terres rares, panneaux solaires et semi-conducteurs étant visés spécifiquement. L’objectif premier du TTC est de se coordonner pour trouver des sources de matières premières fiables pour les chaînes d’approvisionnement mondiales.
NORMES TECHNOLOGIQUES • Le TTC a convenu d’instituer un mécanisme d’information sur la normalisation stratégique (Strategic Standardisation Information, SSI), dont l’objectif est de “promouvoir et défendre les intérêts communs dans les activités internationales de normalisation”. L’objectif est que l’UE et les États-Unis reprennent la main sur la définition des normes pour les technologies émergentes dominées par la Chine, telles que la 5G et la 6G.
BIG TECH • Une semaine après la visite du commissaire au marché intérieur, Thierry Breton, rendue à Elon Musk pour parler de la gouvernance des plateformes, le TTC a réaffirmé le soutien de l’UE et des États-Unis à un “internet ouvert, mondial, interopérable, fiable et sécurisé”, citant la récente Déclaration sur l’avenir de l’Internet et la Déclaration sur les droits et principes numériques européens.
Les entreprises du milieu des technologiques sont-elles sur la même longueur d’onde ? Peu après la première réunion inaugurale à Pittsburgh, une plate-forme de consultation a été lancée pour permettre aux parties prenantes de donner leur avis sur ce que devrait être la coopération transatlantique. Plusieurs entreprises du milieu des technologies, dont Microsoft et SAP, ont signé une lettre ouverte le 13 mai :
“Coordination — if not convergence — on digital governance is essential to the future of the transatlantic relationship, both in terms of striking the right regulatory balance between trust and innovation, and in aligning and collaborating on countering cyber threats, disinformation, etc. Such norms of digital governance will be stronger and more exportable to open societies in the wider world if they are agreed between its two largest blocs”
ENVIRONNEMENT • Le TTC a également convenu d’une coopération plus étroite pour faciliter la diffusion des biens et services verts, faire converger les approches sur le cycle de vie des produits liés aux gazs à effet de serre et instituer un dialogue sur le commerce et le travail, avec la participation de partenaires sociaux des deux parties.
La prochaine réunion de la TTC est prévue avant la fin 2022 aux États-Unis.
La Commission veut établir des « corridors de solidarité » pour transporter le blé ukrainien à l’Ouest
Les ports de la mer Noire, par lesquels transitent 90% des exportations de denrées alimentaires de l’Ukraine, subissent le blocus de la Russie. Plus de 40 millions de tonnes de céréales destinées à l’UE attendent d’être exportées. La Commission a annoncé son intention d’établir des « corridors de solidarité ».
La Commission propose de créer des corridors de solidarité pour aider l'Ukraine à exporter ses produits agricoles, 12 mai 2022, Bruxelles
VIA TRITICUM • Les “corridors de solidarité” (solidarity lanes) permettront de soulager la pression générant les goulets d’étranglement qui entravent les exportations ukrainiennes vers l’UE. L’un des problèmes rencontrés est l’incompatibilité des trains ukrainiens avec la majeure partie du réseau ferroviaire de l’UE, en raison de la différence de largeur des rails. Il est donc nécessaire de transborder les marchandises vers des véhicules compatibles. Les mesures que la Commission prévoit de mettre en place comprennent :
● Une plate-forme logistique de jumelage pour connecter les opérateurs de l’UE et les vendeurs de céréales ukrainiens afin de servir de “guichet unique” pour les importations de produits agricoles en provenance d’Ukraine;
● La création de créneaux ferroviaires supplémentaires pour les importations agricoles ukrainiennes;
● Une flexibilité maximale des bureaux de douane pour accélérer les procédures de passage des frontières;
● La mise à disposition de solutions de stockage temporaires sur le territoire de l’UE.
URGENCE • Avec 20 millions de tonnes de produits agricoles qui doivent être exportées vers l’UE d’ici fin juillet et un temps d’attente frontalier de 16 à 30 jours pour ces wagons, un effort coordonné et rapide du côté de l’UE est essentiel.
INTÉGRER l’UKRAINE • L’intégration de l’Ukraine dans le réseau transeuropéen de transport (RTE-T) est un objectif à plus long terme que la Commission tente d’atteindre par ces corridors de solidarité. Dans la perspective d’une reconstruction du pays, une telle mesure contribuerait au renforcement des connexions entre avec les infrastructures européennes. Le pays d’Eugene Archipenko augmenterait ses capacités d’exportation et se rendrait potentiellement éligible au financement de l’UE dans le cadre du RTE-T pour la modernisation de ses chemins de fer.
Brexit is Back
Dans un autre rebondissement post-Brexit, le Royaume-Uni a annoncé la semaine dernière qu’il présenterait une législation visant à supprimer (unilatéralement) certaines parties du Protocole Nord-Irlandais, qui régit les règles commerciales entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne. Cette décision controversée marque un point bas dans les relations entre l’UE et le Royaume-Uni à la suite de l’accord sur le Brexit en décembre 2020 — et fait suite aux résultats historiques des élections en Irlande du Nord la semaine dernière, qui ont vu le parti indépendantiste Sinn Fein arriver en tête.
PROTOCOLE, 101 • Le Protocole Nord Irlandais a été adopté dans le cadre de l’accord de commerce et de coopération (TCA) entre l’UE et le Royaume-Uni afin d’assurer un flux continu de marchandises de l’Irlande du Nord (britannique) vers la République d’Irlande — une condition sine qua non pour éviter d’ériger une frontière entre les deux nations dans le cadre de l’accord de paix de Belfast (Vendredi saint).
Dans la pratique, l’Irlande du Nord reste de facto dans le marché intérieur, tandis que les contrôles aux frontières sont effectués dans la Région irlandaise, entre l’Irlande du Nord et la principale île de Grande-Bretagne — une solution qui “fait la quadrature du cercle” entre le Brexit et les réalités politiques et historiques irlandaises, selon le vice-président de la Commission, Maros Šefčovič, jeudi.
Les règles commerciales en Irlande du Nord ont concentré les tensions. En octobre 2021, à la suite de griefs selon lesquels la mise en œuvre du protocole n’était pas pratique, l’UE a mis en place un ensemble d’“arrangements sur mesure” pour tenter d’atténuer les frictions — permettant ainsi aux entreprises d’Irlande du Nord de continuer à importer des marchandises du reste du Royaume-Uni et de réduire les formalités douanières de 50%. À l’époque, la ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss, avait rejeté le paquet, arguant qu’il “aggraverait les accords commerciaux actuels”, faisant “reculer le Royaume-Uni, en créant plus de contrôles et de paperasse”.
DUP • Les choses sont devenues encore plus tendues après les élections locales britanniques de la semaine dernière, qui ont vu le parti indépendantiste et pro-protocole Sinn Fein remporter le plus grand nombre de sièges à l’assemblée d’Irlande du Nord. Le Parti unioniste démocratique (DUP), critique virulent du Protocole et finaliste des élections, a jusqu’à présent refusé de s’engager dans la nouvelle assemblée — une condition nécessaire à la formation d’une administration nord-irlandaise — jusqu’à ce que ses préoccupations concernant le protocole soient résolues.
ARTICLE 16 • Alors que leurs homologues de l’UE et du Royaume-Uni se sont rencontrés la semaine dernière pour la réunion inaugurale de l’Assemblée parlementaire de partenariat, les tensions étaient vives. Il se murmure maintenant que le Royaume-Uni pourrait déclencher l’article 16 du Protocole, qui permet de suspendre les parties du traité qui sont considérées comme causant des “difficultés économiques, sociétales ou environnementales”.
Selon Sam Lowe, spécialiste du commerce (dont on recommande la lecture de la newsletter Most Favoured Nation), si les demandes du Royaume-Uni concernant une renégociation du Protocole sont nombreuses, deux d’entre elles se démarquent :
Renversement de la charge de la preuve. Les marchandises entrant en Irlande du Nord sont traitées comme si elles entraient sur le territoire de l’UE et des contrôles douaniers s’appliquent. Le Royaume-Uni voudrait que cela soit changé, de sorte que les marchandises entrant en Irlande du Nord soient traitées comme restant dans le nord de l’Irlande.
Consacrer des délais de grâce. Un certain nombre de délais de grâce ont été introduits dans le protocole au cours des 18 derniers mois pour aider à maintenir les flux commerciaux. Il est probable que le Royaume-Uni insistera pour rendre ces délais de grâce permanents.
Dans son dernier article sur la question, Katy Hayward, de UK in a Changing Europe, explique que : “Les deux tiers des entreprises se sont adaptés aux nouveaux accords commerciaux post-protocole (bien que dans le cadre de sa mise en œuvre partielle). Jeter tout le régime en l’air au profit des 8% qui connaissent encore des difficultés ‘importantes’ serait difficile à justifier à moins que le chaos ne soit voulu” (notre trad.).
AND NOW WHAT • Les choses semblent s’être arrêtées, et le gouvernement britannique pourrait déclencher l’article 16 très prochainement. Si l’UE estime que les actions du Royaume-Uni constituent un déséquilibre, le traité prévoit des “mesures de rééquilibrage proportionnées”.
Comme le notait en février David Hening, dans un policy brief pour l’ECIPE, “Dans l'ensemble, aucun progrès n'a été fait pour parvenir à une compréhension commune des implications du Brexit pour l'Irlande du Nord. Un camp (le gouvernement britannique, les unionistes et les partisans du partisans du Brexit) considère que l'UE exagère les problèmes pour punir le Royaume-Uni. L'autre (l'UE, les nationalistes, l'opinion du Congrès américain) considère que le gouvernement britannique fait passer idéologiquement, et dans une certaine mesure naïvement, un Brexit pur et simple avant la paix” (notre trad.).
La proposition de l’UE contre les abus sexuels sur les enfants en ligne soulève des questions en matière de protection de la vie privée
Le 11 mai, la Commission européenne a proposé un nouvel ensemble de règles visant à mieux lutter contre les abus sexuels sur les enfants en ligne. Cela intervient dans un contexte de recrudescence du nombre de crimes sexuels en ligne sur les enfants, qui ont augmenté de 64% au cours de la dernière année, principalement en raison d’un sous-signalement durant la pandémie de Covid. Margaritis Schinas, vice-président de la Commission chargé de la promotion de notre mode de vie européen, a en outre déclaré que l’Europe restait, “à sa grand honte, (...) la plaque tournante mondiale” du matériel pédopornographique en ligne.
PROTECTION DE L’ENFANCE • En vertu des règles proposées, les fournisseurs seront tenus de signaler les contenus pédopornographiques présents sur leurs services et de les retirer. Les fournisseurs comprennent les plateformes de services en ligne, la communication interpersonnelle dans les applications de chat ainsi que les fournisseurs d’accès Internet. Les App stores seront également tenus de mettre en œuvre des garanties pour empêcher les enfants de télécharger des applications potentiellement dangereuses. Par ailleurs, la Commission a annoncé qu’elle créerait un centre indépendant de l'UE chargé des questions d'abus sexuels sur les enfants. Ce dernier permettra de surveiller la mise en œuvre du règlement — en coopération avec les fournisseurs de services — et de procurer un soutien aux survivants d’abus sexuels sur enfants.
PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE • Lors d’une consultation publique menée par la Commission en 2021, les participants ont insisté sur le fait que les technologies utilisées pour détecter les contenus préjudiciables ne devraient pas aller à l’encontre de la confidentialité et de l’anonymat. Cela concerne particulièrement les services de messagerie chiffrés de bout en bout : dans une interview accordée à CNBC, Joe Mullin, analyste politique principal à Electronic Frontier Foundation, le groupe américain de défense des droits numériques, a averti : “Il n’y a aucun moyen de faire ce que la proposition de l’UE entend réaliser, si ce n’est que les gouvernements lisent et analysent les messages des utilisateurs à grande échelle” (notre trad.). Ella Jakubowska, conseillère politique au sein du collectif d’ONG European Digital Rights (EDRi), a d’ailleurs fait valoir que le principe tel qu’il se présentait pouvait “constituer une surveillance généralisée illégale” (notre trad.).
La Commission a reconnu les risques de la proposition:
“Les technologies de détection ne devront être utilisées qu'en vue de la détection des abus sexuels sur les enfants. Les fournisseurs devront déployer des technologies qui soient les moins intrusives au regard de la vie privée en l'état actuel de la technique dans le secteur, et qui limitent autant que possible le ratio d'erreurs (faux positifs)” — Commission européenne
PROCHAINES ÉTAPES • Les propositions, qui s’inspirent de la stratégie de l’UE de juillet 2020 pour une lutte plus efficace contre les abus sexuels sur enfants et de la stratégie de l’UE sur les droits de l’enfant de mars 2021, seront désormais soumises au Parlement européen et au Conseil européen pour négociations.
Nos lectures de la semaine
● L’indignation et la colère sont des émotions puissantes. Malgré tout, dans le conflit ukrainien, les Européens doivent garder leur sang-froid et énoncer clairement des objectifs réalistes, affirme Sven Biscop pour l’Institut Egmont.
● Des circonstances exceptionnelles montrent que l’UE doit réviser la procédure d’adhésion, selon Susi Dennison et José Ignacio Torreblanca de l’ECFR. Un statut de « membre associé » fournirait la flexibilité qui fait défaut au cadre actuel, trop rigide.
● Pour le CEPS, Sophia Russack fait le bilan de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Cette dernière, soutient-elle, a montré que contrairement aux idées reçues, les citoyens s’intéressent au fonctionnement interne des institutions européennes.
● Le rapport de l’ECFR sur le rapport que les opinions publiques entretiennent avec l’Europe, rédigé par Pawel Zerka, a été publié.
● Les relations entre l’UE et le Royaume-Uni ne sont pas vouées à l’acrimonie et aux querelles mesquines, déclare Peter Holmes dans un rapport écrit pour le Progressive Economic Forum. Il y explique comment le gouvernement britannique qui pourrait succéder à l’actuel en 2025 aurait l’opportunité de négocier de nouveaux termes, dans le cadre de l’accord de commerce et de coopération qui lie les deux partenaires.
Cette semaine, nous disons au revoir et bonne chance à Théo Bourgery, qui éditait la Revue européenne de What’s up EU depuis quelques mois chaque semaine en tandem avec Thomas Harbor. Théo rejoint le bureau parisien d’EURACTIV pour suivre la politique française. Diplômé de McGill et de la London school of economics, Théo a rejoint What’s up EU comme News Editor après avoir travaillé trois ans à la division des affaires internationales de Financial Conduct Authority (FCA) à Londres. Vous pouvez suivre Théo sur Twitter.
La newsletter de cette semaine a été préparée par Théo Bourgery, Agnès de Fortanier, Thomas Harbor, Augustin Bourleaud, Maxence de La Rochère, Kéram Kehiaian, Lyudmyla Tautiyeva, Viktoria Omelianenko, et Marine Sévilla. Rendez-vous mardi prochain !