Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne du mardi, un condensé d'actualité européenne utile. La revue est désormais disponible en anglais, espagnol, italien, roumain, russe et ukrainien. Bonne lecture 💌
TECH • accord final sur le Digital Services Act
It’s a deal ! Le dernier trilogue sur la législation sur les services numériques (Digital Services Act, DSA) s’est tenu vendredi dernier et un accord a finalement été conclu après 16 heures de négociations et des changements de dernière minute.
CALENDRIER • Des retouches techniques doivent encore être finalisées avec que le DSA, “première mondiale dans le domaine de la réglementation numérique”, soit approuvé par le Parlement et le Conseil et publié officiellement, probablement d’ici le premier trimestre 2024.
“However, a number of important details still remain to be clarified. We hope that the final legislation will allow all companies, both large and small, to comply with the rules in practice, enabling Europeans to continue to enjoy the many benefits of digital services”, a déclaré Victoria de Poson de la Consumer and Computer Industry Association.
OBJECTIFS • Le DSA vise à réglementer les plateformes en ligne et traite à la fois de protection des consommateurs et de vie privée. Il cherche à mettre à jour la législation pour refléter l’émergence, au cours des vingt dernières années, de grandes plateformes numériques.
Le credo guidant la préparation de ce texte a depuis le début été “tout ce qui est illégal hors ligne devrait être illégal en ligne”. Avec cet accord final, Margrethe Vestager, Vice-Présidente de la Commission européenne en charge de la concurrence, considère qu’il ne s’agit plus seulement d’un slogan mais, ce principe se concrétise enfin dans le texte.
ÉLÉMENTS CLÉS • Le DSA s’appliquera à tous les intermédiaires en ligne fournissant des services numériques dans l’UE, tels que les médias sociaux ou les places de marché (marketplaces). Toutefois, les obligations seront plus strictes lorsque l’intermédiaire sera considéré comme une “très grande plate-forme” — afin de protéger les start-ups et les petites entreprises de trop lourdes obligations réglementaires.
Les enjeux principaux que couvre le DSA concernent la modération du contenu et les règles sur les marchés en ligne, la publicité ciblée (interdite lorsqu’il s’agit de mineurs, et lorsque des données sensibles sont utilisées), l’interdiction des “dark patterns” et les mécanismes pour répondre à de potentielles crises.
Parmi ces dispositions, les services intermédiaires devront garantir l’accès à ses algorithmes à la Commission. Ils seront aussi soumis à une obligation de notification et de retrait (notice and take down) concernant les contenus illicites en ligne ainsi qu’à une obligation de transparence envers les utilisateurs pour les systèmes de recommandation. Les très grandes plateformes devront également évaluer et atténuer les risques systémiques qu’elles créent par des audits annuels. En cas de crise, la Commission aura le pouvoir d’intervenir directement pour lutter contre la désinformation.
Enfin, les sanctions en cas de violation de la DSA pourront atteindre 6% du chiffre d’affaires annuel mondial de l’entreprise.
EFFET BRUXELLES • Le DSA et le Digital Markets Act (DMA) donnent à eux deux un pouvoir sans précédent aux institutions européennes pour parvenir à un nouveau modèle européen de réglementation numérique. Avec ce texte, l’UE montre ses muscles réglementaires et invite d’autres pays à suivre son exemple — un phénomène que l’on qualifie d’effet Bruxelles, terme créé Anu Bradford de la Columbia Law School. Le règlement général sur la protection des données de 2018 a été imité par des pays tels que le Brésil ou le Japon. Apprivoiser le “far west numérique” sur le vieux continent met la pression sur les États-Unis, où plusieurs textes de loi sont en train d’être négociés pour limiter le pouvoir des Big Tech.
RUSSIE • nouvelles sanctions, désaccords sur l’énergie
Alors que l’UE est sur le point d’annoncer un sixième paquet de sanctions contre la Russie, le débat est toujours vif sur la question d’un embargo sur les énergies russes. Accepter un embargo progressif sur le gaz russe s’avère nettement plus délicat que sur le pétrole, compte tenu des problèmes de supply chain et de la forte dépendance de certains États membres au gaz russe.
DERNIER PAQUET • Le dernier paquet de sanctions remonte au 21 avril. Le Conseil a adopté de nouvelles mesures restrictives à l’encontre de deux hommes d’affaires pour leur implication dans l’annexion illégale de la Crimée et la déstabilisation de l’est de l’Ukraine. L’un d’entre eux, Evgueni Viktorovitch Prigojine, est le fondateur et le chef officieux du groupe Wagner, une entité militaire basée en Russie, responsable du déploiement de mercenaires du groupe Wagner en Ukraine. Les mesures restrictives de l’UE imposées depuis le début de la guerre en Ukraine s’appliquent actuellement à un total de 1 093 personnes et 80 entités.
PÉTROLE ET GAZ • Les États membres de l’UE envisagent un embargo sur le pétrole russe, mais les implications économiques d’une telle décision rendent ce choix particulièrement difficile. Les États-Unis mettent en garde l’UE contre un embargo total : la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a averti qu’une interdiction totale des importations de pétrole n’aurait pas nécessairement l’impact espéré sur la Russie - qui bénéficiera mécaniquement d’une augmentation considérable des prix du marché.
Dans une interview accordée à plusieurs journaux de la Leading European Newspaper Alliance (LENA) le 22 avril, le haut représentant pour les affaires étrangères, Josep Borrell, a déclaré:
“Un arrêt des importations de pétrole et de gaz ou un tarif punitif serait important pour faire pression sur Poutine et l’amener à la table des négociations (...) mais pour le moment, nous, dans l’UE, n’avons pas de position unifiée sur cette question” (notre trad)
Les États membres récalcitrants incluent l’Allemagne, l’Autriche, mais aussi la Hongrie — dont le Premier ministre Viktor Orban a récemment déclaré qu’il mettrait son veto à toute forme d’embargo.
ALLEMAGNE • Olaf Scholz pourrait bien finir par succéder dans les manuels d’histoire au chancelier de fer Otto von Bismarck comme chancelier du pétrole ou du gaz — bien que Gerhard Schröder mérite certainement bien plus le titre. L’Allemagne s’oppose toujours à un embargo total. De nombreux eurodéputés ont envoyé une lettre au chancelier allemand, l’appelant à “sortir de l’impasse politique actuelle et à mettre en œuvre l’embargo énergétique russe immédiatement”. La ministre des affaires étrangères, Annalena Baerbock a insisté sur le fait que “les importations de pétrole seront réduites de moitié d’ici l’été et seront à zéro d’ici la fin de l’année”.
La Bundesbank a averti vendredi dernier dans son dernier bulletin mensuel qu’une interdiction immédiate du gaz russe par l’UE réduirait le PIB allemand de 5% en 2022, déclenchant une flambée des prix de l’énergie et l’une des récessions les plus profondes de ces dernières décennies. Dans ces circonstances, l’UE semble favorable à une interdiction progressive du pétrole russe qui permettrait à l’UE de trouver des alternatives.
PROCHAIN CONSEIL EUROPÉEN • En raison du caractère explosif de la question, une éventuelle interdiction totale des importations russes de pétrole et de gaz sera discutée entre les dirigeants des États membres lors de la réunion extraordinaire du Conseil européen des 30 et 31 mai. Le sixième paquet de sanctions contre la Russie sera présenté aux États membres cette semaine.
DIPLO • von der Leyen en Inde, le pivot indo-pacifique de l’UE
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, est revenue hier d’une visite officielle en Inde pour marquer le 60e anniversaire des relations UE-Inde. Von der Leyen était l’invitée principale du Raisina Dialogue, une conférence multilatérale organisée par le ministère indien des Affaires étrangères. Le Premier ministre indien Modi doit se rendre en Allemagne, au Danemark et en France début mai.
TRADE • La visite de von der Leyen vise à renforcer les négociations commerciales avec l’Inde, qui ont débuté en 2013. Bruxelles espère faire des progrès sur ce front, qui s’inscrit dans le cadre d’un effort plus large visant à atténuer les effets du découplage économique européen avec la Russie. “Je suis également heureuse que nous entamions des négociations en vue d’accords globaux de commerce et d’investissement”, a déclaré Ursula Von der Leyen. Une délégation indienne s’est rendue à Bruxelles plus tôt ce mois-ci — signe que la guerre en Ukraine a accéléré les négociations commerciales.
RUSSIE • Néanmoins, des désaccords importants subsistent entre l’UE et l’Inde sur la Russie. Moscou entretient des liens étroits avec New Delhi en matière de défense — l’Inde dépend des importations d’armes et de technologie de défense russe. Le Premier ministre Modi n’a pas ouvertement condamné la guerre de la Russie en Ukraine et a conclu un accord avec la Russie dans la foulée pour importer du pétrole brut à rabais.
“To many non-India experts in Europe, India’s voting record in the UN General Assembly and UN Security Council was met with raised eyebrows. Just as New Delhi was surprised by the actual invasion, policy makers in Europe were surprised by the absent Indian condemnation of Russia’s invasion”, écrit Axel Nordenstam de l’Institut suédois des affaires internationales.
CHINE • L’accord global sur l’investissement (CAI) UE-Chine est au point mort après que l’UE a imposé des sanctions en 2021 à l’encontre de responsables politiques de la région du Xinjiang. La Chine a riposté par des sanctions, notamment à l’encontre de Reinhard Bütikofer, le président de la délégation du Parlement pour les relations avec la Chine. Peu de temps après, en mai 2021, les dirigeants de l’UE ont rencontré le Premier ministre Modi lors d’une réunion des dirigeants UE-Inde à Porto pour reprendre les négociations sur un accord de libre-échange. Cette même année, la Stratégie indo-pacifique de l’UE a été pensée comme un autre moyen pour l’UE de s’éloigner de la Chine en renforçant ses liens avec l’Inde.
Toutes ces tensions sont rendues d’autant plus aiguës par la “neutralité pro-russe” de la Chine sur le dossier ukrainien. L’UE prend soin de ne pas mettre la “véritable abstention” de l’Inde dans le même sac que celle de la Chine, soulignait l’envoyé spécial de l’UE pour l’Indo-Pacifique, Gabriele Visentin, à The Hindu fin mars. Jusqu’à présent, “New Delhi has seen a spate of visits from European officials but the tone has not been lecturing”, écrit Garima Moha, du German Marshall Fund des États-Unis.
CLIMAT & GUERRE • Lors de son discours à l’Alliance solaire internationale à New Delhi, Ursula von der Leyen a souligné le lien entre les objectifs climatiques de l’UE et de l’Inde — atteindre des émissions nettes nulles en 2050 et 2070, respectivement — et la question de la souveraineté énergétique. “Notre transition vers une énergie renouvelable locale est non seulement bonne pour l’environnement, mais elle devient également un investissement stratégique dans la sécurité” (notre trad), a déclaré von der Leyen.
TRADE AND TECHNOLOGY COUNCIL • Von der Leyen a annoncé la création d’un Trade and Technology Council (TTC) UE-Inde, sur le même modèle que le TTC UE-États-Unis. Le TTC est un forum de discussion pour régler les différences sur des sujets critiques, tels la 5G ou la protection des données confidentielles. La prochaine réunion du TTC UE-États-Unis aura lieu les 15 et 16 mai en France.
ÉLECTIONS • Macron réélu; Janša battu
FRANCE • Emmanuel Macron s’est engagé à réunifier un pays profondément divisé après avoir remporté un second mandat à la tête du pays hier soir. Macron l’a emporté avec 58,5% des voix, contre 41,5% pour Marine Le Pen. Ces résultats interviennent après un premier tour historique il y a deux semaines, qui a vu les partis traditionnels imploser, le candidat insoumis Jean-Luc Mélenchon arriver troisième avec 21,95% des voix et Le Pen recevoir le plus grand nombre de voix de l’histoire de son parti. Macron a reconnu que de nombreux électeurs n’avaient voté au second tour en sa faveur que pour faire barrage à l’extrême droite : “réaffirmer l’unité française” est maintenant une priorité absolue, selon le ministre des finances Bruno Le Maire.
L’élection de Macron confirme un statu quo sur la scène européenne, alors que la France préside le Conseil de l’UE jusqu’au 30 juin. Le Pen avait promis de mettre son veto à de futures sanctions contre la Russie et cherchait à faire de Poutine un “allié stratégique” après la fin de la guerre en Ukraine — ce qui a conduit des chefs de gouvernement européens à publier une tribune dans Le Monde pour appeler à un vote Macron. Dans un tweet hier soir, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a félicité Emmanuel Macron, se disant impatiente de poursuivre leur “excellente coopération”.
SLOVÉNIE • La Slovénie a connu un bouleversement politique hier soir, le Premier ministre populiste de droite Janez Janša ayant subi une défaite majeure aux élections législatives. Le Freedom Movement, qui n’a été créé que l’année dernière, a obtenu un tiers des voix et, avec le soutien du Parti social-démocrate, devrait former une majorité au parlement contre le Parti démocratique slovène (SDS) du Premier ministre.
Janša, un proche allié de Vladimir Putin et du Hongrois Viktor Orbán, est arrivé au pouvoir en mars 2020 — marquant le début d’un déclin des règles démocratiques en vigueur en Slovénie, selon le rapport de Freedom House. L’ONG note que « le gouvernement de droite actuel tente continuellement de saper l’état de droit et les institutions démocratiques, notamment les médias et le système judiciaire ».
Nos lectures de la semaine
Une Europe puissante a besoin de plus de pays amis sur lesquels compter, expliquent Vanika Sharma et Renata Zilli pour l'ECIPE. Leur solution : utiliser l’une des forces de l’Union, le commerce.
Au CER, Megan Ferrando a une idée qui pourraient également servir les intérêts de l’Europe : aider les États du Maghreb à assurer la sécurité de leur approvisionnement en eau.
La Chine, après des années passées à courtiser les pays d'Europe centrale et orientale, a des raisons de se sentir frustrée du peu de soutien qu’elle obtient en retour. Ce n'est pas étonnant, écrit Ivana Karásková pour le MERICS : non seulement les retombées économiques promises de la coopération avec la Chine ne se sont pas toujours matérialisés, mais le soutien du géant asiatique à Moscou a alarmé les voisins de la Russie.
Arturo Varvelli, de l'ECFR, plaide en faveur de la création d’une nouvelle union énergétique européenne.
Nos remerciements aux rédacteurs de cette édition : Thomas Harbor, Charlotte Véron, Nathan Munch, Andreea Florea, Maxence de La Rochère, Rogier Prins, and Théo Bourgery. Rendez-vous mardi prochain !
*Les articles n’ont pas d’auteurs individuels, les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas les opinions personnelles des personnes créditées.