Revue européenne | La zone euro est inquiète
Mais aussi — Ukraine, Élections françaises, Brexit, Qualcomm Taxonomie, OCDE, Union bancaire, Code anti-désinformation, Meta
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne du mardi, un condensé d'actualité européenne utile. Nous sommes le 21 juin et voici tout ce que vous devez savoir.
Focus — La zone euro
Marchés boursiers en baisse, hausses des taux d'intérêt, réunions d'urgence sont encore très présents dans la psyché collective de la zone euro. Ces mauvais rêves pourraient à nouveau venir hanter les nuits des dirigeants de la zone euro. La réunion d'urgence de la Banque centrale européenne (BCE) du 15 juin a fait frissonner les marchés financiers, quelques jours après que le Conseil des gouverneurs a annoncé sa première hausse de taux en une décennie.
RÉUNION D'URGENCE • La Banque centrale européenne navigue en eaux troubles alors qu'elle s’apprête à augmenter les taux d'intérêt dans un contexte d'inflation record — tout en essayant d'éviter la fragmentation des taux d’intérêt entre les différents membres de la zone euro.
Le Conseil des gouverneurs de la BCE s'est réuni le 15 juin pour “échanger des vues sur la situation actuelle des marchés”. La réunion extraordinaire a ajouté du stress à des marchés obligataires déjà instables — alors que l'écart entre les obligations allemandes et italiennes s'élargissait. La BCE a récemment revu à la baisse ses prévisions de croissance 2022/2023 pour la zone euro.
"The recent widening in Italian and other spreads is not just driven by irrational investor panic. Italy has low potential growth, large fiscal deficits and a huge, possibly unsustainable public debt that has grown during the pandemic”, a commenté Nouriel Roubini (NYU Stern) dans le FT.
HAUSSES DES TAUX • Le Conseil des gouverneurs de la BCE s'est réuni à Amsterdam le 9 juin pour annoncer qu'il poursuivra la “normalisation” de sa politique monétaire — une hausse des taux d'intérêt en juillet de 25 points de base et la suppression progressive des achats nets d'actifs de la BCE dans le cadre du programme d'achat d'actifs (APP). Il s'agit de la première hausse de taux en une décennie, dans un contexte d'inflation record dans la zone euro. L'inflation devrait s'établir à 6,8% en 2022, tandis que l'inflation sous-jacente — hors énergie et alimentation — devrait atteindre 3,3%.
La BCE a laissé entrevoir une nouvelle hausse possible des taux d'intérêt pour septembre. La BCE est à la traîne, alors que la Fed et de la BoE ont déjà relevé leurs taux d'intérêt dans un contexte d'inflation record, poussés par des facteurs structurels en plus de la situation du marché de l'énergie. Le taux d’intérêt de la facilité de dépôt de la BCE est actuellement de -0,5 %.
FRAGMENTATION • Beaucoup voient un risque que cette normalisation conduise à la fragmentation, car les économies des pays qui partagent la monnaie commune — et donc un taux d'intérêt commun — ont été affectées de manière asymétrique à la fois par la crise du COVID-19 et celle de l'Ukraine.
La BCE l'a dit ainsi dans son communiqué de presse du 15 juin : "L’économie de la zone euro a gardé des vulnérabilités durables de la pandémie, qui contribuent à la transmission inégale de la normalisation de notre politique monétaire dans les différentes juridictions".
“C’est quand la marée se retire que l’on voit ceux qui ont nagé sans maillot de bain” — Warren Buffet
Les hausses de taux d'intérêt sont une politique qui s’applique indifféremment à tous les pays de la zone, mais qui pourrait laisser certains pays dans une situation difficile. À l’effet de la hausse des taux pourrait s’ajouter des ventes d’obligations des États les plus exposés, et par conséquent une hausse de leurs coûts d’emprunts sur les marchés.
FLEXIBILITÉ PEPP ET INSTRUMENT ANTI-FRAGMENTATION • Alors que les marchés obligataires commençaient à montrer des signes d’inquiétude, la BCE a annoncé son intention “d'agir contre la résurgence des risques de fragmentation” en appliquant “une flexibilité dans le réinvestissement des remboursements arrivant à échéance dans le portefeuille PEPP”. En d'autres termes, la BCE est prête à modifier son programme actuel d'achats d'urgence face à la pandémie (PEPP) pour aider à réduire les écarts de taux dans la zone euro.
La BCE a également annoncé qu'elle mandatera plusieurs commissions pour travailler au lancement d'un “instrument anti-fragmentation”, tout en soulignant “sa détermination à lutter contre la fragmentation”. Christine Lagarde a déclaré aux ministres de la zone euro réunis à Luxembourg le 16 juin que l'outil anti-fragmentation de la BCE pourrait être mis à contribution si les taux d’intérêt des pays les plus faibles de la zone euro montaient trop vite.
Christine Lagarde avait précédemment déclaré que la BCE était prête à utiliser des instruments existants ou nouveaux en cas de divergences trop fortes dans la zone euro. La BCE était restée discrète sur cette possibilité, par crainte d'une prophétie auto-réalisatrice et pour éviter de créer un récit contradictoire avec la normalisation de la politique monétaire. Un nouvel instrument anti-fragmentation permettrait à la BCE, en cas de problème, de “régionaliser” sa politique monétaire.
“Je ne vois pas de contradiction mais plutôt une complémentarité dans le resserrement de la BCE tout en préparant un outil anti-fragmentation : le premier relève les taux pour lutter contre l'inflation, le second peut éviter, si besoin est, un resserrement disproportionné dans certains pays. Bonne mission, je dirais”, a commenté Francesco Papadia, président de Prime Collateralised Securities (PCS) et Senior Fellow chez Bruegel.
In Case You Missed It
VISITE À KIEV • Le président français Emmanuel Macron, le premier ministre italien Mario Draghi, le chancelier allemand Olaf Scholz, ainsi que le président roumain Klaus Iohannis ont soutenu le statut de candidat de l'Ukraine à l'adhésion à l'Union lors d'une visite symbolique à Kiev, la première depuis le début de la guerre. La réunion visait à montrer l'unité et à répondre aux préoccupations ukrainiennes concernant la lenteur des approvisionnements en armes fournis par les partenaires européens.
"L'Europe est à vos côtés, et le restera aussi longtemps que nécessaire, jusqu'à la victoire", a conclu Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse conjointe. Il a également promis six autres pièces d'artillerie de pointe pour répondre aux appels à intensifier les livraisons d’armes à l’Ukraine. Cependant, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a laissé entendre que davantage de livraisons étaient encore nécessaires. “Chaque jour de retard ou de décisions retardées est une opportunité pour l'armée russe de tuer des Ukrainiens ou de détruire nos villes”, a-t-il noté.
TRIO ASSOCIÉ • Le 17 juin, la Commission européenne a présenté son avis sur le statut de candidat à l'UE de trois pays du Partenariat oriental — l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. La Commission a conclu que les trois pays avaient “une base solide” pour la démocratie, l'Etat de droit, les droits de l'Homme et la protection des minorités. Néanmoins, l'avis souligne qu'il est nécessaire de poursuivre le rapprochement législatif et les réformes structurelles, tandis que le statut de candidat est conditionné à des progrès dans ces domaines. La prochaine étape consiste pour les États membres à approuver à l'unanimité l'octroi du statut de candidat aux pays partenaires. La décision devrait être prise lors du Conseil européen des 23 et 24 juin.
QUALCOMM c. COMMISSION • La semaine dernière, le Tribunal de l'UE a annulé l'amende de 997 millions d'euros infligée au fabricant de puces Qualcomm. L'amende a été infligée en 2018 par la Commission européenne.
Le droit de la concurrence européen interdit à une entreprise en position dominante de se livrer à des pratiques qui produisent des effets d'éviction sur des concurrents considérés comme “aussi efficaces”. En l'espèce, Apple n'avait pas d'alternative technique aux puces de Qualcomm et ne pouvait donc pas se tourner vers des fournisseurs concurrents. L’analyse de la Commission a été considérée comme insuffisante pour prouver l’abus parce que Qualcomm n'était pas en mesure d'évincer des concurrents — puisqu'il n'y en avait pas sur ce marché à l’époque des pratiques.
Le Tribunal reproche à la Commission de s'être fondée sur des hypothèses économiques, et non sur la réalité, pour déterminer les effets de la pratique alléguée de Qualcomm.
En définitive, comme l’écrit le professeur Nicolas Petit sur Twitter, “The silver lining is that we're seeing the awakening of a careful, economically minded, and facts-intensive system of judicial control” .
BREXIT • Le 15 juin, la Commission européenne a ouvert une procédure d’infraction contre le Royaume-Uni devant la Cour de justice de l'UE (CJUE). Quelques jours plus tôt, le 13 juin, le gouvernement britannique a dévoilé son projet de loi sur le protocole nord-irlandais, après des mois de tensions à la frontière. Le projet de loi permettra au Royaume-Uni de se jeter aux orties l'accord qu'il a signé avec l'UE et qui régit les flux commerciaux entre l'Irlande du Nord et la Grande-Bretagne.
Londres veut faire la distinction entre les flux commerciaux destinés uniquement à l'Irlande du Nord et ceux qui peuvent être réexportés, y compris vers la République d'Irlande. Les deux catégories de flux commerciaux seraient soumises à des contrôles douaniers différents, et la plus haute juridiction de l'UE perdrait sa compétence sur les flux commerciaux entre l'Irlande du Nord et la Grande-Bretagne.
TAXONOMIE • Le 14 juin, les membres des commissions de l'environnement et de l'économie du Parlement ont adopté une objection à la proposition de la Commission visant à classer le nucléaire et le gaz comme écologiquement durables dans la taxonomie verte de l'UE. La proposition de la Commission a déjà suscité une importante controverse, les scientifiques et les investisseurs demandant à la Commission de ne pas s'écarter d'une approche scientifique face aux intérêts politiques.
“Pour nous, il n'est pas acceptable de qualifier le gaz et le nucléaire de 'durables'. (...) Cela ne veut pas dire que nous n'aurons pas besoin de gaz et de nucléaire dans les années à venir, mais nous sommes d'avis qu'il ne faut pas abuser de la finance durable pour le faire” (notre trad.), l'eurodéputé Christophe Hansen (PPE) expliqué lors d'une conférence de presse organisée par l'alliance inter-coalition à l'origine de l'objection.
L'objection – qui a été adoptée à une faible majorité dans les commissions – sera votée par les députés lors de la prochaine session plénière du PE du 4 au 7 juillet. En cas d'adoption par le PE, les activités gazières et nucléaires seraient retirées de la liste des activités durables proposée par la Commission dans l'acte délégué.
FISCALITÉ • La position de l'UE sur le taux d'imposition minimum de 15 % de l'OCDE pour les entreprises multinationales devait recevoir un feu vert. La Pologne avait en effet annoncé qu'elle n'opposerait pas son veto à l'accord après que la Commission ait accepté de débloquer ses fonds de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) contre des assurances sur le respect par la Pologne des exigences de l'UE en matière d'état de droit. Bien que la Pologne ait fermement nié avoir utilisé la menace de veto sur l'accord fiscal pour débloquer l'argent du FRR, le quid pro quo de la semaine dernière montre clairement que c'était le cas.
Cependant, dans un rebondissement de dernière minute, la Hongrie — et non la Pologne — a opposé son veto à l'accord. Les questions fiscales requièrent l'unanimité au Conseil de l'UE. Il appartiendra à la présidence tchèque du Conseil de l'UE d'essayer de trouver un accord. Le veto de dernière minute de la Hongrie alimentera surtout l'argument selon lequel l'unanimité doit être abandonnée car elle permet à de telles prises d'otages de se produire.
“Ce blocage continu, rendu possible par le droit d'appliquer un veto national, est un autre rappel brutal que nous devons nous débarrasser de la règle de l'unanimité au niveau européen pour décider des questions fiscales.” (notre trad.)- —Aurore Lalucq eurodéputée et porte-parole du S&D sur la fiscalité et rapporteur du PE sur le sujet
UNION BANCAIRE • La semaine dernière, l'Eurogroupe a publié sa dernière déclaration sur l'avenir de l'Union bancaire. L'Union bancaire, créée en 2014 à la suite de la crise financière pour harmoniser la réglementation prudentielle bancaire dans la zone euro, repose sur trois piliers principaux, dont deux ont déjà été mis en œuvre : le mécanisme de résolution unique et le mécanisme de surveillance unique.
Le dernier pilier, le système européen d'assurance des dépôts (EDIS), doit encore trouver un soutien dans tous les pays de la zone euro. Le ministre allemand des Finances, Christian Linder, a rappelé lors de la réunion de la semaine dernière, "for Germany, a full European deposit guarantee is not up for debate".
En l'absence de progrès pour parvenir à un consensus, le président de l'Eurogroupe Paschal Donohoe a plutôt appelé la Commission européenne à renforcer le cadre européen existant pour la gestion des crises bancaires et les systèmes nationaux de garantie des dépôts (CMDI).
CODE ANTI-DÉSINFORMATION • Sur la base des orientations de la Commission présentées en mai 2021, en définissant un éventail plus large d'engagements et de mesures pour lutter contre la désinformation en ligne, le nouveau Code de bonnes pratiques contre la désinformation a été publié le 16 juin avec 34 signataires.
Les entreprises de la Big Tech ont rejoint cette initiative, un outil unique en son genre grâce auquel les acteurs concernés de l'industrie se sont mis d'accord — pour la première fois en 2018 — sur des normes d'autorégulation pour lutter contre la désinformation.
Les Signataires ont élaboré ce Code de conduite en fonction des efforts qui peuvent être faits pour éradiquer la désinformation. Il contient 44 engagements et 128 mesures spécifiques, dans les domaines suivants : démonétisation, transparence de la publicité politique, intégrité des services, responsabilisation des utilisateurs, recherche et communauté de fact-checking. Par exemple, des entreprises telles que Facebook, Twitter et TikTok fourniront des données pays par pays sur les efforts déployés pour lutter contre les fausses nouvelles sur Internet.
META • L'instruction par l'Autorité de la concurrence de la saisine de Criteo concernant les pratiques de Meta en matière de publicité ‘display’ en ligne a abouti à une décision d'engagement rendue le 16 juin, au terme d’une procédure négociée et après de “substantielles améliorations” apportées aux engagements initialement proposés en 2021.
C'est la première fois qu'une autorité de concurrence accepte des engagements de la part du groupe Meta dans le cadre d’une procédure antitrust. Ces engagements visent à mettre un terme aux préoccupations de concurrence liées au pouvoir de marché de Meta, qui détenait 50 % des parts de marché de la publicité en ligne en France en 2019, selon le communiqué de l’Autorité de la concurrence.
Nos lectures de la semaine
L’Effet l’Oréal est étudié dans cet article d'Oscar Guinea et Vanika Sharma de l'ECIPE, un article intéressant sur l'effet Bruxelles avec une touche française sur la manière dont l'UE tire parti de son marché unique pour ses objectifs de politique commerciale.
Dans un article sur les blogs LSE, Luigi Scazzieri aborde le risque que la méfiance entre les États de l'Est et de l'Ouest de l’Europe se transforme en division.
Un sondage réalisé par Ivan Krastev et Mark Leonard de l'ECFR suggère que dans la majorité des pays européens interrogés, les citoyens préfèrent une paix rapide à une victoire complète de l'Ukraine à tout prix.
Dans VoxEU, Mark Harrison considère la futilité d’un embargo sur le pétrole et le gaz russes. Les sanctions fonctionnent déjà, soutient-il; que l'État de Vladimir Poutine accumule des niveaux records d'excédents commerciaux est sans importance dans la mesure où ils ne peuvent pas être dépensés en importations.
Dans un article de Walter Boltz (et autres) pour Bruegel, on lit les propositions pour renforcer la plateforme énergétique de l'UE, qui, selon les auteurs, a le potentiel d'être un instrument juste et efficace si les importations de gaz russe sont stoppées.
Sur Verfassungsblog, Mark Konstantinidis nous livre une analyse claire du projet de loi sur le protocole d'Irlande du Nord, qui, selon lui, tourne en dérision ses prétentions à sauvegarder le droit international.
La newsletter de cette semaine vous est proposée par Hélène Procoudine-Gorsky, Cyril Tregub, Augustin Bourleaud, Viktoria Omelianenko, Marine Sévilla, Ambroise Simon, Maxence de La Rochère, Agnès de Fortanier et Thomas Harbor. À mardi prochain!