Revue européenne | La saga polonaise continue
Mais aussi — Sanctions, Hongrie, Danemark, Croatie, Aide alimentaire, Méta, Environnement
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne du mardi, un condensé d'actualité européenne utile. Bonne lecture 💌
La saga polonaise continue
Le 2 juin, au lendemain du jour où la Commission européenne a donné une “évaluation positive du plan de relance et de résilience de la Pologne”.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est rendue à Varsovie pour donner son feu vert au déboursement progressif de 36 milliards d’euros dans le cadre de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR). Mais la décision reste controversée.
CONTEXTE • La Pologne doit recevoir 23,9 milliards d’euros de subventions et à 11,5 milliards d’euros de prêts dans le cadre du plan de relance Next Generation EU. Les fonds sont toujours retenus du fait des préoccupations relatives à l’Etat de droit (en l’occurrence, elles concernent l’indépendance de la justice polonaise par rapport au pouvoir politique).
En octobre dernier, la Cour de justice de l’UE avait imposé une astreinte d’un million d’euros par jour tant que la Pologne n’aurait pas dissout la chambre disciplinaire permettant indirectement au gouvernement (PiS) de révoquer des magistrats et d'influer sur le sens de leur décisions.
DES EFFORTS • Les fonds ont été retenus, mais la Commission européenne n’a pas déclenché le mécanisme de conditionnalité en Pologne, pays qui a accueilli des millions de réfugiés ukrainiens et a démontré sa volonté d’évoluer dans le sens de la Commission dans le domaine de l’Etat de droit.
La Diète polonaise (chambre basse à majorité PiS) a voté la semaine dernière une loi pour démanteler la chambre disciplinaire critiquée par l’UE. Cette décision est maintenant entre les mains de la chambre haute (le Sénat) où le PiS n’a pas la majorité.
PAS SI VITE • La position de la Commission pour approuver le plan de la Pologne va maintenant être examinée par le Conseil de l’UE qui a quatre semaines pour s’exprimer (vote à majorité qualifiée).
Dans son communiqué, la Commission insiste sur le fait que la libération des fonds européens est subordonnée à la réalisation par la Pologne d’objectifs en matière d’Etat de droit, notamment la création d’un nouveau tribunal “indépendant et impartial” pour juger les magistrats, l’exclusion de la responsabilité disciplinaire pour les juges qui choisissent de saisir la Cour de justice de l’Union, le renforcement des droits procéduraux des parties et le réexamen par la chambre disciplinaire des cas de juges révoqués par la chambre critiquée.
“L'approbation de ce plan est liée à des engagements clairs de la Pologne en matière d'indépendance du pouvoir judiciaire, qui devront être respectés avant que tout paiement effectif puisse avoir lieu”, a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
KAPITULATION ? • La décision de la Commission a été critiquée, perçue comme une concession à l’Etat de droit. Dans un thread sur Twitter, Laurent Pech a critiqué le fait que la Commission dise en substance à la Pologne “I pretend to enforce EU rule of law - you pretend to comply” et exige une conformité graduelle de la Pologne aux exigences de la CJUE – ce qui est assez surprenant lorsque la règle est le respect “total” du droit (et non le respect partiel).
Sur Verfassungblog, Franz Mayer, professeur de droit de l’UE à l’Université de Bielefeld, a qualifié cette décision de “kapitulation”, arguant du fait que “l'évolution de la Pologne ne justifie pas vraiment la générosité [de l’UE] en matière d'État de droit” (notre trad.).
« Betting on the Commission willing not to escalate its pressure on a Member State that risks so much in the collective European struggle against Russian irredentism, Poland is counting on getting away with most of its problematic laws. It is a feint – one the Commission should not have fallen for. », écrit Jakub Jaraczewski sur Verrfassungsblog.
SOLIDARNOŚĆ ? • Fait rare, deux membres du collège des commissaires — Margrethe Vestager et Frans Timmermans — ont voté contre la proposition, tandis que trois autres ont envoyé des lettres de préoccupation. Cette décision est considérée comme un assouplissement des exigences de la Commission en matière d’Etat de droit à l’égard de Varsovie, au moment même où Bruxelles fait un compromis avec la Hongrie pour obtenir le soutien d’Orban sur un sixième paquet de sanctions.
Au Conseil, les groupes de défense de l’Etat de droit comme les Pays-Bas et les pays nordiques s’opposeront peut-être au Plan de relance et de résilience de la Pologne, et d'autres s'abstiendront. Ce serait une première, car les plans nationaux de relance et de résilience ont jusqu’à présent été adoptés à l’unanimité.
ICYMI — Croatie En, Hongrie à nouveau, Danemark Opts In, Meta au Luxembourg, Alimentation en Afrique, Climat à Strasbourg
PRÊT… FEU… EURO ! • Le 1er juin, la Banque centrale européenne (BCE) et la Commission ont publié leurs rapports de convergence 2022 examinant si les États membres n’appartenant pas à la zone euro remplissent les conditions nécessaires à l’adoption de la monnaie unique.
Les rapports concluent que la Croatie remplit les critères de convergence nominale et que sa législation est pleinement compatible avec les exigences du traité et des statuts du système européen de banques centrales, ouvrant la voie à l’adoption de l’euro par le pays le 1er janvier 2023.
En juillet, le Conseil devrait adopter officiellement la décision d’abrogation de la dérogation de la Croatie à l’euro ainsi que les actes juridiques liés à l’adoption de l’euro.
ORBAN • Le Premier ministre hongrois Viktor Orban a obtenu gain de cause sur le dernier paquet de sanctions contre la Russie. Lors du Conseil européen des 30 et 31 mai, Orban a demandé que le chef de l’Église orthodoxe russe, le patriarche Cyrille de Moscou, soit retiré de la liste des personnes sanctionnées.
La Hongrie a également fait pression pour une prolongation de dernière minute de la période de transition convenue pendant laquelle elle sera autorisée à ré-exporter le pétrole russe. L’accord conclu au Conseil européen n’était que politique et un vote était nécessaire au Conseil de l’UE pour qu’il obtienne une valeur légale. Le sixième paquet de sanctions a été adopté le 3 juin.
LES DANOIS DISENT OUI • 67 % des Danois ont voté en faveur de la fin de l’opt-out du Danemark en matière de politique de sécurité et de défense de l’UE le 1er juin. Le référendum a été déclenché alors que l’UE et l’OTAN se consolident à la suite de la guerre en Ukraine – la Finlande et la Suède demandant à rejoindre l’OTAN et le Bundestag allemand approuvant le plan de 100 milliards d’euros pour moderniser le Bundeswehr.
Le 1er juin, Gazprom a annoncé qu’elle avait coupé l’approvisionnement en gaz d’Ørsted, une société énergétique danoise, après avoir refusé de se conformer à l’ordre de payer les livraisons en roubles. Le Danemark s’est retiré de la politique de sécurité et de défense de l’UE en 1992, ce qui signifie qu’il n’a pas participé à la politique de sécurité et de défense commune de l’UE ni aux opérations militaires conjointes de l’UE. Le Danemark dispose d’opt-outs pour l’euro, ainsi que pour la justice et les affaires intérieures.
META DEVANT LA COUR DE L’UE • Meta était à Luxembourg le 1er juin, lors d’une audience devant le Tribunal de l’UE dans les affaires T-451/20 et T-452/20. L’affaire concerne les demandes de données potentiellement disproportionnées de la Commission européenne dans le cadre d’une procédure antitrust ouverte contre Meta en 2021.
“The commission was hoovering up the whole sea bed — with the intention that it will later see what species of rare fish it finds in its cast nets », a déclaré un avocat de Meta, cité par Bloomberg.
Meta considère, entre autres, que les demandes de la Commission manquaient de clarté, concernaient des documents non pertinents et/ou personnels portant atteinte au droit à la vie privée et à la proportionnalité.
PLAN DE L’UE POUR L’ALIMENTATION EN AFRIQUE • Les dirigeants de l’UE se sont réunis le 31 mars pour discuter des problèmes de sécurité alimentaire causés par la guerre en Ukraine. Le dirigeant de l’Union africaine, Macky Sall, qui a été invité aux pourparlers, a souligné que le blocage des paiements SWIFT pour les banques russes était un obstacle majeur aux achats de céréales et d’engrais. Le Conseil européen a néanmoins appelé les pays africains à ne pas tomber dans le piège des allégations de Poutine selon lesquelles la crise alimentaire est causée par les sanctions économiques de l’UE à l’encontre de la Russie: “the only reason why we are struggling now with a food crisis is because of this brutal, unjustified war against Ukraine”, a souligné Ursula von der Leyen.
Les dirigeants de l’UE ont discuté de plans pour répondre à la crise, y compris une proposition visant à fournir 500 millions d’euros pour aider les pays africains à faire face à la situation, selon Bloomberg. Les discussions ont également souligné l’importance de débloquer les corridors céréaliers, tandis que la Mission pour la résilience alimentaire et agricole (FARM) et le Fonds européen de développement ont été identifiés comme des intermédiaires institutionnels clés pour résoudre la crise.
EN ROUTE POUR 2055 • Le 2 juin, le Conseil a adopté sa position sur trois textes liés au secteur des transports, conformément au paquet Fit for 55 et aux objectifs climatiques de l’UE. Le premier projet de règlement, qui concerne le déploiement d’infrastructures pour carburants alternatifs (AFIR), vise notamment à garantir l’accès à des réseaux d’infrastructures suffisants pour recharger ou ravitailler les véhicules routiers ou les navires équipés de carburants alternatifs, tout en assurant une interopérabilité totale par l'intermédiaire de l’UE.
Le Conseil est également convenu de règlements visant à accroître la demande de carburants renouvelables et à faible teneur en carbone dans le secteur maritime, tout en parvenant à un consensus sur la création de conditions de concurrence équitables pour les carburants d’aviation durables (initiative ReFuelEU Aviation).
CLIMAT DE DÉBAT AU PARLEMENT • Le 8 juin, le Parlement européen votera sur son ensemble de lois sur le climat le plus ambitieux à ce jour, qui couvre environ la moitié du paquet législatif Fit for 55 défini par la Commission. Les sujets débattus comprendront le système d’échange de quotas d’émission (SEQE), le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) et les normes d’émission pour les voitures, entre autres. Les amendements qui seront présentés détermineront le niveau d’ambition du Parlement européen, en amont de discussions ultérieures avec le Conseil. De vifs débats sont attendus sur la réforme du SEQE et sur la fin de la vente de voitures à combustion interne.
Nos lectures de la semaine
L’Europe a trouvé l’unité dans l’opposition à l’invasion russe de l’Ukraine, mais ce n’est pas suffisant pour faire de l'Union un acteur fort et crédible sur la scène mondiale, affirment Daniel Gros et Zachary Paikin pour le CEPS.
Dans la London Review of Books, Jan-Werner Müller offre ses réflexions sur la tolérance dont fait preuve l’Allemagne envers les autocrates de son voisinage.
Jakub Jaraczewski, du Verfassungsblog, explique pourquoi, selon lui, la loi déposée par le gouvernement polonais ne garantit pas la sauvegarde de l'Etat de droit (nous citons cet article plus haut dans la newsletter).
Le libre-échange de l'énergie appartient au passé, écrivent Christopher M. Matthews, Summer Said et Benoit Faucon dans le Wall Street Journal. Conflits et rivalités façonnent désormais les flux mondiaux de matières premières.
Le EU Chips Act est examiné par Nicolas Poitiers et Pauline Weil qui y trouvent une intervention étatique bien prononcée à leur goût.
La newsletter de cette semaine vous est présentée par Dana Fedun, Andrei-Bogdan Sterescu, Augustin Bourleaud, Maxence de La Rochère, Agnès de Fortanier et Thomas Harbor. Rendez-vous mardi prochain !