Revue européenne | La Commission déclenche le mécanisme de conditionnalité contre la Hongrie
Mais aussi — SLAPPs, énergie, Apple Pay, migration
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La Commission déclenche le mécanisme de conditionnalité de l’état de droit à l’encontre de la Hongrie
Le 27 avril, le Commissaire européen au Budget, Johannes Hahn, a activé pour la première fois le mécanisme de conditionnalité contre la Hongrie par “lettre de notification”, quelques semaines seulement après la victoire du Premier ministre Viktor Orbán, arrivé nettement en tête des élections législatives en Hongrie.
IN CASE YOU MISSED IT • Depuis décembre 2020, le Règlement sur la conditionnalité permet en théorie à la Commission de décider de la suspension de fonds européens en cas de violations établies de l’état de droit par un État membre, qui affectent ou compromettent gravement la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’UE.
CORRUPTION EN HONGRIE • Le 27 avril dernier, avec cette “lettre de notification”, la Commission a accusé la Hongrie d’irrégularités dans des procédures de passation des marchés publics et de complaisance concernant des affaires de corruption. D’après la Commissaire Věra Jourová, “de nombreux marchés publics hongrois ont été attribués alors qu’il n’y avait qu’un seul soumissionnaire”.
Les autorités hongroises ont 60 jours pour répondre à la notification. Soit ils mettent en œuvre des mesures pour mettre fin aux violations constatées par la Commission, soit la procédure suivra son cours et conduira, après un vote à la majorité qualifiée du Conseil, à la suspension des fonds européens, pour un montant maximum de 40 milliards d’euros.
ET LA POLOGNE ? • Pour appuyer sur la gâchette, la Commission doit démontrer un lien de causalité entre les violations de l’Etat de droit et le risque pour les intérêts financiers de l’UE. Si ce lien de causalité est facilement établi dans les affaires de corruption (cas du régime hongrois), il est plus difficile d’évaluer ce lien de causalité, puis de quantifier le dommage pour le budget européen d’une atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire (cas de la Pologne).
La Pologne ne fait pas l’objet d’une procédure comparable à celle lancée à l’encontre de la Hongrie, ce qui suscite quelques interrogations. Une interprétation “étroite” du Règlement sur la conditionnalité, qui exclurait de son champ d’application "la mise en péril de l’indépendance du pouvoir judiciaire” ,prévue à l’article 3 du Règlement sur la conditionnalité, limiterait considérablement la portée de ce Règlement.
“Le Règlement sur la conditionnalité de l'État de droit était censé permettre à l’UE de suspendre les flux d’argent sur la base de toutes violations des principes de l’Etat de droit, telles que l’atteinte à l’indépendance des juges et des procureurs. Au lieu de cela, jJohannes Hahn [le Commissaire au Budget] a indiqué qu’il interprétait le règlement de manière étroite et se concentrait uniquement sur la corruption avérée”, soutient R. Daniel Kelemen, de l’Université Rutgers, dans un éditorial du Washington Post daté du 13 avril (notre trad.).
Varsovie semble être en meilleurs termes avec Bruxelles que Budapest. Pourtant, la Commission et la Pologne se font passe sur l’épineuse question de l'indépendance du pouvoir judiciaire en Pologne. Mais le timing est politiquement sensible. La Pologne joue un rôle de premier plan dans l’accueil des réfugiés ukrainiens et s’oppose fermement à la Russie. La Pologne a aussi assuré à la Commission qu’elle prenait des mesures pour apaiser ses inquiétudes sur l’état de droit. "Varsovie nous donne le signal qu’elle est prête à aller de l’avant”, a déclaré la commissaire européenne Vera Jourova dans une interview accordée à Denik.cz et Visegrad Insight.
IN CAMERA • Certains députés ont critiqué la Commission pour son manque de transparence, la lettre de notification envoyée à la Hongrie n’ayant pas été rendue publique. Si le Commissaire au budget a eu l’occasion de discuter du déclenchement du mécanisme avec les députés européens, les discussions se sont déroulées à huis clos. Ce n’est pas la première fois que des réunions du Parlement sur la conditionnalité se tiennent de cette façon. En février 2021, la Commission des Affaires législatives a dû décider, à huis clos, s’il y avait lieu d’introduire un recours en annulation contre les conclusions du Conseil européen qui subordonnaient l’activation du mécanisme à sa validation par la Cour de justice et à la publication d’orientations par la Commission.
La Commission s’attaque aux poursuites abusives contre les médias et les ONG
La Commission européenne a proposé des mesures pour mieux protéger les journalistes et les ONG des poursuites stratégiques altérant le débat public, communément appelées “poursuites-bâillons” (Strategic Lawsuits Against Public Participation — SLAPP). Ces poursuites-bâillons sont généralement fondées sur des motifs de diffamation.
DIRECTIVE • La directive se concentre sur les poursuites-bâillons qui comportent un élément transfrontalier et permet aux juges de révoquer rapidement celles qui sont “manifestement infondées”. La directive proposée prévoit aussi des indemnisations pour dommages et intérêts, ainsi que des sanctions en cas d’abus. Les poursuites abusives entraîneront une obligation de la part du requérant de supporter tous les frais, y compris les honoraires d’avocat du défenseur.
Un chapitre intéressant est celui de la “Protection contre les décisions rendues dans un pays tiers” (articles 17 et 18). En vertu de la directive proposée, les États membres doivent refuser de reconnaître les jugements émanant de pays tiers à l’encontre de l’un de leurs ressortissants si l’action en justice est jugée “manifestement infondée ou abusive” dans l’État membre du défendeur. La décision n’aura donc pas de portée au sein de l’UE.
PROTECTION DES MÉDIAS • Le Plan d’action de la Commission pour la démocratie européenne a été adopté en 2020 et vise à renforcer le pluralisme des médias et à protéger leur liberté d’expression. Les poursuites abusives sont un moyen d’intimider et de faire taire les journalistes, ce que le dernier rapport sur l’état de droit publié par la Commission européenne a identifié comme un “grave sujet de préoccupation”, en soulignant une détérioration des conditions de travail des journalistes dans de nombreux États membres. Le nombre de poursuites-bâillons a plus que quadruplé entre 2016 et 2020, passant de 24 à 114 selon un rapport de la Coalition contre les SLAPPs en Europe (CASE). La Pologne, l’Italie et la Croatie sont premiers de la liste dans l’usage de ce type de poursuites.
“Les menaces croissantes qui pèsent sur la sécurité physique et en ligne des journalistes, les menaces juridiques et les recours abusifs s'ajoutent à un environnement où les actes hostiles aux journalistes se multiplient et peuvent avoir de graves répercussions sur leur volonté et leur capacité de poursuivre leur travail. Un exemple tragique du recours aux poursuites-bâillons concerne Daphne Caruana Galizia, qui faisait l'objet de plus de 40 procédures judiciaires au moment de son assassinat en 2017 ” — Commission européenne
RÉACTIONS • Roberta Metsola (tweet ci-dessous), de nationalité malte, a été une force motrice pour faire aboutir cette directive. Malte engage de loin le plus grand nombre de poursuites-bâillons dans l’UE, relatif à sa population, avec 8 poursuites pour 100 000 personnes, selon le rapport CASE — 800 fois plus que l’Allemagne (0,01).
Certaines parties prenantes sont déçues que la directive ne traite que de situations transfrontalières, ce qui limite malheureusement considérablement sa portée, selon Julie Majerczak de Reporters sans frontières. Sur les 570 poursuite-bâillons identifiées dans le rapport CASE, seules 11 % comportent un élément transfrontalier.
La directive doit encore être débattue au Parlement européen et au Conseil. Une fois adoptée, la directive doit être transposée dans l’ordre juridique des États membres. Le délai de transposition est en moyenne de deux ans. En outre, la Commission a émis une recommandation qui, elle, est directement applicable. Elle demande à ce que les cadres juridiques nationaux “fournissent les garanties nécessaires [...] pour s’attaquer aux cas nationaux de poursuites-bâillons”.
Moscou ferme le robinet de gaz à Varsovie et à Sofia, Bruxelles propose de lever les droits de douane pour Kiev
Alors que Gazprom a annoncé il y a quelques jours qu’il n’acheminerait plus de gaz vers la Pologne et la Bulgarie, la Commission a confirmé qu’elle peaufine un sixième paquet de sanctions, attendu ce jour. Celui-ci comprendrait un embargo progressif des importations de pétrole russe vers l’UE d’ici la fin de l’année 2022.
GAZ EN ROUBLES • Le 27 avril, l’entreprise russe Gazprom a unilatéralement cessé de fournir du gaz à la Bulgarie et à la Pologne, ces pays ayant refusé de payer en roubles. Cette décision de Gazprom fait suite à la publication par le Kremlin d’un décret daté du 31 mars exigeant que tous les paiements de gaz soient effectués dans la monnaie russe.
La Pologne avait annoncé s’être préparée, avec un stockage de gaz allant jusqu’à 80% de la capacité du pays et des ressources en charbon (majeure partie de l’électricité du pays). Le gestionnaire du réseau de transport de gaz polonais, Gas-System, a expliqué que “les entrées existantes du réseau (...) permettent d’équilibrer le système gazier sans nécessiter d’approvisionnement en provenance de [la Russie] ”, s’appuyant plutôt sur les importations d’autres pays membres de l’UE.
La Bulgarie est confrontée à une tout autre situation. Le gaz russe qui représente jusqu’à 90% de ses importations. Le ministre bulgare de l’Énergie, Alexander Nikolov, a néanmoins affirmé que le pays disposait pour le moment de quantités suffisantes. Des discussions relatives à l’approvisionnement et les itinéraires de transfert de gaz européen non-russe sont engagées avec la Commission européenne, a déclaré le ministre.
La décision russe a été vivement critiquée par la Commission. La présidente de l’Exécutif européen, Ursula von der Leyen, a parlé de " chantage ” et a annoncé que la Commission saurait faire face aux risques immédiats de pénuries de gaz pour ces pays, confirmant que " la Pologne et la Bulgarie reçoivent désormais du gaz de leurs voisins de l’UE ”.
À plus long terme, la Commission continue de plancher sur son plan d’action REPowerEU — dans le but de réduire la dépendance de l’UE à l’égard des énergies russes d’ici la fin de l’année, notamment par le biais d’un partenariat renforcé avec les États-Unis sur les importations de gaz naturel liquéfié (GNL).
DROITS DE DOUANE • La Commission européenne a proposé la semaine dernière de suspendre les droits à l’importation sur toutes les exportations ukrainiennes vers l’UE. Cette décision, qui comprend également la suspension des mesures antidumping et de sauvegarde de l’UE sur les exportations ukrainiennes d’acier, devrait durer au moins un an. La proposition doit encore être approuvée par le Parlement européen et le Conseil de l’UE.
Une large majorité des quotas d’exportations et droits de douane avaient déjà été supprimés dans le cadre d’un accord bilatéral UE-Ukraine de libre-échange approfondi et complet signé en 2016. La Commission a proposé mercredi de suspendre tous les droits de douane restants, notamment sur l’acier, les produits industriels et les produits agricoles, qui n’entrent pas dans le champ d’application de cet accord. Dans une déclaration à la presse, Valdis Dombrovskis, Commissaire au commerce, a insisté sur le fait que " de telles mesures de libéralisation des échanges [...] sont d’une ampleur sans précédent: il s'agit d'octroyer à l'Ukraine un accès au marché de l'Union sans droits de douane ni contingents ”.
Ces mesures d’intégration européenne visent à soutenir l’économie ukrainienne aussi longtemps que la guerre dure " et [aideraient l’Ukraine] à se remettre des conflits ”. L’UE est le premier partenaire économique de l’Ukraine, représentant jusqu’à 40 % des exportations totales du pays.
Antitrust — Pour ceux qui veulent utiliser autre chose qu’Apple Pay sur leur iPhone
Identifié pas moins de quatre fois en un seul tweet de la Commissaire européenne à la concurrence, le 2 mai était une journée difficile pour le community manager d’Apple.
PAY NOW, FINE LATER • Presque 2 ans après l’ouverture de l’enquête, la Commission européenne a informé Apple par une communication des griefs envoyée le 2 mai 2022 qu’elle estimait (à titre préliminaire puisque nous sommes encore en phase d’instruction) que l’entreprise abusait “de sa position dominante sur les marchés de portefeuille mobiles sur les appareils iOS”. Apple aurait donc empêché des concurrents d’Apple Pay d’émerger sur les iPhones — qui sont sous environnement iOS.
“Nous disposons d'éléments nous indiquant qu'Apple a restreint l'accès de tiers à la technologie clé nécessaire pour développer des solutions de portefeuilles mobiles concurrentes sur les appareils d'Apple” a déclaré Margrethe Vestager dans le communiqué de la Commission.
CONCURRENTS SANS CONTACT • La technologie clé en question est la communication en champ proche (near-field communication, NFC), qui permet d’effectuer des paiements sans contact et sécurisés. Le gendarme de la concurrence reproche à Apple d’avoir empêché l’arrivée de concurrents d’Apple Pay sur les iPhones (effets d'éviction) et donc d’avoir affaibli l'innovation et restreint le choix des consommateurs sur le marché des “portefeuilles mobiles sur iPhones”. Le défaut d'interopérabilité du système “fermé” d’Apple fait l’objet d’une surveillance accrue dans l’UE.
PROCÉDURE • La communication des griefs formalise par écrit les griefs soulevés par la Commission lors de son enquête mais ne préjuge pas de son issue. Apple peut répondre et se défendre. Affaire à suivre donc.
La crise migratoire ukrainienne pousse l’UE à revoir ses règles de migration légale
Le 27 avril, la Commission a proposé un nouveau train de mesures relatives à la migration légale dans l’UE. Il vise à établir une meilleure structure de gouvernance au niveau de l’UE afin d’attirer des personnes qualifiées originaires de pays tiers. Il doit aider à remédier à la pénurie de main-d’œuvre dans l’UE, en particulier dans le secteur des soins.
SIMPLIFICATION • Le paquet de mesures sur la migration légale apporte des modifications à deux directives existantes, la directive sur le permis unique et la directive sur les résidents de longue durée, en mettant l’accent sur trois secteurs économiques sous tension, à savoir les soins, la jeunesse et l’innovation. En particulier, les règles modifiées permettront aux personnes de :
demander des permis de travail et de séjour par le biais d’une seule procédure simplifiée ;
introduire une demande de visa à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE ;
se déplacer d’un État membre à l’autre au cours de leurs cinq premières années dans l’UE, avant de pouvoir acquérir le statut de résident de longue durée;
changer d’emploi si nécessaire tout en conservant leur droit de rester dans le pays de l’UE dans lequel ils résident, et donc d’être mieux protégés contre des employeurs potentiellement abusifs.
Conformément à l’initiative de l’UE sur les partenariats destinés à attirer les talents présentée en 2021, le paquet proposé établira un réservoir de talents européens, afin de mettre en relation des personnes de pays tiers avec des employeurs européens. Un prototype de cette plateforme doit être testé auprès de réfugiés ukrainiens.
ON RECRUTE • Ylva Johansson, Commissaire aux Affaires intérieures, a insisté sur le fait que l’UE a besoin de plus de migrants légaux afin de faire face à une pénurie de main-d’œuvre, touchant de nombreux secteurs, notamment le secteur du soin — secteur d’autant plus critique que la population en âge de travailler dans l’UE ne cesse de diminuer.
VISA 2.0 • Le 27 avril, la Commission a également rendu publique sa proposition visant à numériser complètement le processus de visa Schengen et à permettre aux citoyens de soumettre des demandes de visa en ligne. Non seulement cela simplifiera les procédures de demande de visa, procédures souvent lourdes et reposant encore sur des formulaires papiers, mais cela déterminera également automatiquement quel État membre est responsable de l’examen d’une demande.
FRONTEX CHERCHE DIRECTEUR • Toujours sur les questions de migration, Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, a annoncé la démission de son directeur exécutif, Fabrice Leggeri.
À la suite d’une enquête menée par divers médias, Frontex est accusée d’être impliquée dans des refoulements illégaux de migrants, les empêchant ainsi d’entrer dans un pays de l’UE et d’exercer leur droit de demander l’asile. Leggeri a toujours nié ces accusations. Les raisons de sa démission soudaine sont très probablement liées à la publication des résultats préliminaires d’une enquête de l’OLAF, l’Office européen de lutte anti-fraude, ouverte en décembre 2020 suite à d’allégations de harcèlement au sein de Frontex, en plus des accusations de refoulements illégaux de migrants. La directrice exécutive adjointe, Aija Kalnaja, sera chargée des affaires courantes dans l’intérim.
Nos lectures de la semaine
La relation que l’Allemagne entretient avec la Russie peut paraître déroutante. Dans son analyse publiée par le Conseil allemand des relations internationales (DGAP), Tyson Barker resitue la réaction de Berlin au conflit en Ukraine dans le contexte de la culture de l’inertie qui domine la politique allemande.
Que signifie la réélection d’Emmanuel Macron pour l’Union européenne ? Charles Grant, du CER, se penche sur la question.
L’Institut Mercator a publié un rapport, écrit sous la direction de Bernhard Bartsch, sur les réactions aux situations de dépendance qui peuvent exister vis-à-vis de la Chine dans 18 États européens, ainsi que dans les institutions communautaires.
Giorgos Christides et Steffen Lüke enquêtent pour le Spiegel sur le rôle de Frontex dans le refoulement illégal de réfugiés en Grèce.
L’Institute of Public Affairs et le Migration Policy Group ont publié un rapport rédigé par Alexander Wolffhardt, Carmine Conte et Sinem Yilmaz, qui compare l’intégration des réfugiés en Europe.
Nos remerciements aux rédacteurs de cette édition : Thomas Harbor, Agnès de Fortanier, Théo Bourgery, Maxence de La Rochère, Andreea Irina Florea, Nastassia Maes (bienvenue!) et Cyril Tregub. Rendez-vous mardi prochain !
*Les articles n’ont pas d’auteurs individuels, les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas les opinions personnelles des personnes créditées.
Que de sujets passionnants , fort lisiblement et impartialement relatés! Bravo !