Revue européenne du 2 mars 2021
Sommet européen • Fidesz • relance Covid • Brexit • travailleurs des plateformes • PAC • concurrence
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne ! Nous éditons chaque mardi une newsletter documentée, précise et lisible pour vous informer sur l’actualité européenne de la semaine.
SOMMET EUROPÉEN - Le Conseil planche sur la Covid-19, le Green Pass, et la sécurité
Au sommet virtuel du Conseil européen qui s’est déroulé les 25 et 26 février, les discussions entre les 27 États membres se sont essentiellement concentrées sur la Covid-19 et la coordination des actions pour lutter contre le virus, ainsi que sur les politiques européennes de sécurité et de défense communes.
Le Conseil a invité la Commission à préparer un rapport tirant les enseignements de la pandémie pour améliorer le niveau de préparation des systèmes de santé, le partage d’information et la résilience des chaînes d’approvisionnement stratégiques au sein de l’Union - notamment les médicaments. Les discussions sur la restriction des voyages non-essentiels ont également débouché sur le constat d’un besoin d’harmonisation entre les États membres dans un contexte où la crise sanitaire a touché la libre circulation des personnes, une liberté fondamentale au sein de l’Union. La Commission a récemment appelé certains pays dont la Belgique et l’Allemagne à justifier la mise en place de mesures pouvant être assimilées à une fermeture de leurs frontières, allant outre le simple système “dissuasif” justifié par la situation épidémiologique. De leur côté, les États membres dont l’économie dépend fortement du tourisme insistent pour la création d’un “passeport” de vaccination qui permettrait aux personnes vaccinées de se déplacer librement en évitant les quarantaines. Cette question, qui n’a pas été tranchée lors du sommet, soulève des problématiques éthiques importantes, donnant des privilèges basés sur un vaccin qui n’est pas encore accessible à tous. Certains pays, ainsi que l’OMS, sont également réticents à mettre en place ce système. Plusieurs États membres ont déjà annoncé qu’ils mettraient en place leur propre document en l’absence d’action concertée au niveau européen. En réponse à cette éventualité, la présidente de la Commission a annoncé hier la planification d’un Green Pass, qui rassemblerait les informations telles que vaccination, résultats de tests et pourrait indiquer les personnes ayant déjà été infectées.
Du côté de la sécurité, le Conseil européen a réaffirmé la volonté d’une coopération transatlantique et internationale dans le cadre de l’OTAN, tout en établissant des priorités stratégiques pour renforcer l’autonomie de l’Union dans ce domaine. Augmentation des investissements dans la défense, renforcement des capacités militaires, feuille de route pour l’utilisation de la technologie, autant de mesures visant à renforcer l’autonomie stratégique de l’Union européenne dans un contexte d’instabilité globale. Alors que ce terrain politique est resté largement entre les mains des gouvernements nationaux jusqu’à présent, ces initiatives soutenues notamment par le président français devraient raviver le débat autour du rôle de l’Union pour la défense et la sécurité de ses États membres.
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PARLEMENT EUROPÉEN – Nouvelle étape dans l’exclusion du Fidesz du groupe PPE
Longtemps renvoyée aux calendes grecques, la procédure d’exclusion du Fidesz (parti politique hongrois) du Parti populaire européen (PPE) pourrait bientôt franchir une nouvelle étape après que le Groupe parlementaire se soit accordé sur l’adoption de nouvelles règles internes en matière d’exclusion. Ces règles doivent être soumises au vote ce mercredi (3/03). Si la majorité des deux tiers les approuve, elles pourraient être mise en œuvre à l’encontre des 11 membres de la délégation hongroise du Fidesz.
En l’état, les règles de suspension ne permettaient que l’exclusion individuelle, et non collective, des membres. Anticipant un tel vote, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a riposté par courrier adressé à Manfred Weber en indiquant que si cette nouvelle procédure était adoptée, il prendrait la décision de se retirer du PPE. Il a également indiqué que cette procédure allait à l’encontre du principe d’État de droit. Changer les règles pour arriver à ses fins ressemble en effet à s’y méprendre aux manœuvres que Viktor Orbán a lui-même mis en œuvre par exemple à l’encontre des juges hongrois. Est-ce « l’arroseur arrosé » ou cette décision constitue-t-elle une faute juridique du PPE ?
Outre ce parallélisme des formes, ce sont les conséquences de l’exclusion qui inquiètent. On peut en effet se demander si la mise au ban des membres de la délégation hongroise n’aura pas pour effet de marginaliser encore plus ses députés et de renforcer leur ressentiment vis-à-vis des institutions européennes.
RELANCE COVID - Les Européens font-ils les timides ?
La Commission devrait publier demain, mercredi 3 mars, les orientations relatives au maintien de la clause dérogatoire générale du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Alors que les dernières prévisions de croissance de la Commission indiquent un retour au niveau de PIB de 2019 au cours de l’année 2022, les incertitudes actuelles pourraient conduire à une extension du cadre dérogatoire jusqu’à la fin 2022 permettant aux États membres de s’émanciper des contraintes de déficit et de dette prévues par le texte. Au cours de la réunion du Fiscal board, Valdis Dombrovskis (vice-président de la Commission) et Paolo Gentiloni (commissaire aux affaires économiques) ont tous deux souligné l’importance de ne pas réitérer l’erreur des années 2010 en consolidant les budgets publics trop tôt.
En matière de pacte budgétaire, la crise du coronavirus laissera des traces telles qu’une réforme du PSC s’avère à terme indispensable. La règle de 60% de dette publique par rapport au PIB semble ainsi largement hors de propos alors que l’Italie devrait atteindre 160% et la France 120% en 2020. Les critiques récurrentes portent de même sur l’inscription dans les textes de critères relatifs à des grandeurs non-observables comme l’output gap (écart entre le PIB observé et le PIB potentiel) ou le solde structurel. La réforme du cadre budgétaire doit faire l’objet de recommandations de la part de la Commission, qui ne les dévoilera pas en toute hypothèse avant le résultat des élections de septembre 2021 en Allemagne.
Plus largement se pose la question de l’ampleur de la relance européenne alors que les États-Unis viennent d’approuver un nouveau plan de relance à hauteur de 1.900 milliards de dollars. Les plans nationaux des États membres, financés pour partie par la Facilité pour la reprise et la résilience se montent comparativement à 420 milliards d’euros de mesures discrétionnaires pour 2021. Même en comptant avec les stabilisateurs automatiques de bien plus grande ampleur en Europe qu’aux États-Unis, cela semble peu, alors que même l’orthodoxe Carmen Reinhart (chef économiste de la Banque mondiale) montre que les risques de faire trop peu excèdent ceux d’en faire trop en termes de relance budgétaire face au Covid.
THE BREXIT DIARIES – Finance : les planètes ne sont pas (encore) alignées
La City est sans conteste l’un des joyaux de la couronne de l’économie britannique, et ce depuis son fulgurant décollage issu du Big Bang réglementaire de 1986. Trente-cinq ans après le Big Bang, la City voit son étoile pâlir pour la première fois au profit d’Amsterdam, causant le courroux de ses défenseurs les plus zélés et aiguisant l’appétit des Européens.
Un petit pas a été franchi. Dans un Memorandum of Understanding, attendu pour la fin mars, il n’est pas encore question d’accorder les équivalences tant attendues à Londres, mais d’en “discuter” dans le cadre d’un “forum de coopération” réunissant Londres et Bruxelles. Dans une interview à Bloomberg, le secrétaire d’État aux affaires européennes, Clément Beaune, avance que des équivalences partielles pourraient être accordées par l’Union au Royaume-Uni ce semestre. En l’absence de passeport financier, l’accès des prestataires de services financiers au marché unique est conditionné à des décisions unilatérales d’équivalence, que l’Union devrait accorder au Royaume-Uni. Ce qu’elle fait au compte goutte : “il n’y a pas d’urgence”, réitère ainsi Clément Beaune. Le gouverneur de la banque d’Angleterre s’en est publiquement agacé (FT).
L’Union a accordé une équivalence temporaire aux banques européennes pour avoir accès aux chambres de compensation installées au Royaume-Uni, qui traitent 90% des transactions libellées en euro. Cette équivalence temporaire doit expirer courant 2022, et pourrait entraîner un exode massif de transactions de dérivés en euro vers l’Union. Cela serait une provocation pour le gouverneur de la BoE. La volonté de rapatrier les transactions en euro des chambres de compensation au sein de l’Union ne date pas d’hier : la BCE a essayé de le faire en 2015, avant de se faire retoquer par la Cour de justice de l’UE, qui cette fois ne viendra pas au secours de Londres.
Au-delà du gain de parts de marché au profit de certaines capitales européennes, il n’est pas indifférent pour Bruxelles de savoir à quel point le Royaume-Uni entend diverger de l’Union en matière de réglementation financière avant de lui accorder un accès important au marché intérieur, et ce alors que l’Union entend approfondir l’Union des marchés de capitaux.
TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES — Enfin un sujet social dans cette newsletter
Théoriquement, et certains le déplorent, l'Union européenne a une compétence assez limitée en matière sociale, et pour cause, elle doit prendre en compte la diversité des systèmes nationaux, l'ombre du "dumping social" étant l'un des arguments les plus concrets des détracteurs du bloc européen. Pour les personnes qui travaillent par l'intermédiaire des plateformes, le dialogue social gagne peut-être à sortir du schéma national.
Mercredi dernier (24/02), quelques jours après un arrêt de la Cour suprême du Royaume-Uni sur le statut des chauffeurs de l'application Uber, la Commission européenne a lancé la première phase de consultation des partenaires sociaux sur la manière d'améliorer les conditions de travail des personnes travaillant par l'intermédiaire de plateformes de travail numériques (communiqué de presse, 24 février 2021).
“[Le travail via des plateformes] peut offrir davantage de flexibilité, des possibilités d'emploi et des revenus supplémentaires, y compris pour les personnes qui pourraient rencontrer des difficultés à entrer sur le marché du travail traditionnel. Néanmoins, certains types de travail via des plateformes sont également associés à des conditions de travail précaires, qui se traduisent par un manque de transparence et de prévisibilité des dispositions contractuelles, des défis en matière de santé et de sécurité et un accès insuffisant à la protection sociale. Parmi les autres enjeux liés au travail via des plateformes figurent sa dimension transfrontière et la question de la gestion algorithmique.” — Communiqué précité
Les partenaires sociaux ont un rôle central en matière de politique sociale au sein de l'Union. L'article 154 du TFUE prévoit qu'avant de présenter des propositions dans ce domaine, la Commission doit les consulter sur (i) la nécessité et l'orientation possibles d'une action de l'UE (première phase) et sur le contenu de cette initiative (deuxième phase). Disponible ici, cette consultation est ouverte pour 6 semaines. Stay tunned!
TRANSPARENCE - La PAC toujours trop opaque
Selon une étude commandée par les Verts au Parlement européen, la distribution de subventions européennes ferait l’objet de manipulations politiques et favoriserait dans certains pays des structures oligarchiques.
L’Union européenne verse près de 60 milliards d’euros de subventions agricoles chaque année. L’étude montre comment de petites exploitations agricoles en Europe centrale et en Europe de l’Est sont systématiquement désavantagées en matière d’attribution de financements, tandis que celles qui présentent des liens avec le gouvernement récoltent la plupart des financements. En Hongrie, 10% des bénéficiaires reçoivent 70% des financements depuis 2008. D’après l’étude, le gouvernement Orban exploiterait les subventions agricoles européennes pour accroître son influence. Des centaines de milliers d’hectares de terres ont été loués à des enchérisseurs qui disposent de bons contacts avec le parti Fidesz au pouvoir, ce qui leur permet d’obtenir par la suite les subventions européennes. Les mesures existantes pour empêcher les abus sont inefficaces.
Pour Daniel Freund (Verts), la Commission européenne n’a souvent aucune idée de qui recevra in fine les subventions agricoles. Le député allemand préconise une meilleure collecte de données des bénéficiaires des financements européens. Les États membres devraient publier la liste des candidats à la location de terrains agricoles et motiver leurs décisions d’attribution. Le député allemand appelle également à régler les problèmes de conflit d’intérêt comme celui qui concerne le premier ministre tchèque Andrej Babis qui contribue à définir les orientations de la PAC au Conseil … tout en bénéficiant de fonds européens au travers de sa société Agrofert.
CONCURRENCE - Cumul des sanctions entre autorités nationales de concurrence et Commission
Le diable se cache dans les détails. La Cour de justice par arrêt rendu le 25 février le montre une nouvelle fois. Il était question dans cette affaire d’une double sanction infligée à la fois par l’autorité de la concurrence slovaque et par la Commission européenne au sujet d’un abus de position dominante par l’opérateur de télécommunications slovaque Slovak Telekom.
Slovak Telekom disait à la Cour qu’elle ne pouvait subir, comme sanction d’une même pratique, une double sanction de la Commission européenne et de l’autorité nationale de concurrence (c’est le principe de « ne bis in idem »). Cette locution qui a provoqué bien des cauchemars aux étudiants en droit, n’en finit plus de troubler les juristes. La Cour rappelle que le ne bis in idem est soumis à un triple critère : identité de faits, unité de contrevenant et unité de l’intérêt juridique protégé. Pas de chance, la Cour considère que les deux procédures portaient sur des marchés de produits distincts : le marché des services d’accès de gros à haut débit devant la Commission, le marché de gros à bas débit devant l’autorité slovaque.
Plus intéressant encore, la Cour poursuit son raisonnement et précise que ce principe n’est pas pertinent en matière de concurrence, même devant des faits identiques. En effet, l’ouverture par la Commission d’une procédure dessaisit de sa compétence l’autorité nationale de concurrence. Cependant, ce dessaisissement ne peut s’appliquer que pour autant que l’enquête de la commission vise des marchés identiques, au cours des mêmes périodes.
LES POTINS MONDAINS EUROPÉENS
L’étau se resserre, et la courbe des taux inquiète des deux côtés de l’Atlantique. Pour calmer les détenteurs d'obligations, les banquiers centraux vont-ils passer à l’action ? Sur fond de sell-off et de yields en hausse, on parle ici du retour des justiciers obligataires.
Budapest contre l’Union européenne et tend le bras à Pékin, qui en profite pour administrer un vaccin Sinopharm (non encore autorisé au sein de l’UE) à son leader, Viktor Orbán.
En plus du confinement, les animaux des zoos britanniques souffrent du Brexit. Et c’est un véritable problème pour la reproduction des espèces rares, comme le révèle Politco. Comme pour les humains avec le programme Erasmus, que l’on crédite d’un million de naissances entre 1987 et 2018, la libre circulation est un enjeu de natalité animale.
Cette édition de la Revue européenne a été rédigée par Alexandra Philoleau, Tim Caron, Ghislain Lunven, Hélène Gorsky, Nabil Lakhal, Thomas Harbor et Agnès de Fortanier. Pour en savoir plus sur les rédacteurs de What’s up EU!, c’est par ici ➤ Qui sommes-nous ?
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