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Rabibochage en vue entre Budapest et Bruxelles
La Hongrie et la Pologne ont pris des trajectoires très différentes depuis le début de la guerre en Ukraine, avec Budapest dans le rôle du mauvais élève et Varsovie dans celui du bon. Cependant, le gouvernement hongrois semble disposé à des concessions dans le duel idéologico-juridique qui l’oppose à la Commission européenne sur l’état de droit.
GARANTIES • Le 7 juillet, Viktor Orban a déclaré que tout était prêt pour qu’un accord soit trouvé avec la Commission, rapporte le FT.
Quatre domaines sont prioritaires pour la Commission : les marchés publics, le système judiciaire, les consultations publiques préalables à des changements législatifs, et le financement, par des fonds européens, de la stratégie hongroise de diversification énergétique.
ÉTAT DES LIEUX • La Hongrie ne bénéficie toujours pas des fonds du plan de relance NextGenerationEU, que la Commission européenne s’est refusée à débloquer en raison de désaccords de fond sur l’état de droit en Hongrie. Budapest doit bénéficier de 7 milliards d’euros de subventions et de 8 milliards d’euros de prêts à taux très réduits.
Par ailleurs — et c’est une procédure différente —, la Commission a activé le 27 avril le mécanisme de conditionnalité, qui permet de suspendre des fonds européens. Dans un éditorial pour le média indépendant hongrois Telex, John Morjin, de l’université de Groningen, explique :
“New legislation that links disbursement of EU funds to rule of law standards came into force on 1 January 2021. It lays down the notion that EU Member States only get EU cash if they ensure rule of law compliance. If there is a risk that sound financial management is affected in a sufficiently direct way by problems with independence of the prosecutor or judges, the Commission can start an investigation. If it establishes the Member State concerned does not convincingly address issues, the Commission can put a proposal to the Council to stop EU funding until these issues are solved. The Commission has now triggered this procedure against Hungary and is also holding up funding to Hungary under the recovery and resilience funds for similar reasons. It is now essential that these instruments are made and remain effective. If they work, they can be a gamechanger”.
JEU INSTITUTIONNEL • Le Parlement, qui prône la fermeté avec la Hongrie, notamment sous l’impulsion des Verts, verrait sans nul doute d’un mauvais oeil une trop grande mansuétude de la part de la Commission.
Le 6 juillet, l’eurodéputé vert Daniel Freund a présenté au Parlement européen une opinion juridique sur la question, rédigée par les professeurs Daniel Kelemen (Rutgers), John Morijn (Groningen), et Kim Scheppele (Princeton). Le rapport plaide pour la suspension de 100% des financements européens à la Hongrie:
“All EU funding pots are affected by corruption and thus contribute to the dismantling of democracy in Orban’s system. A complete suspension of payments to Hungary is logical. The EU Commission has no room for manoeuvre here: either it recognises the realities in Hungary and acts according to the existing legal situation. Or it proposes sanctions that don’t do justice to the problem, delay the procedure and contradict the existing legislation and guidance on the suspension of funds”.
Le rapport a suscité l’ironie de certains. Rodrigo Ballester, directeur du Centre for European Centre du Mathias Corvinus Collegium (Budapest), s’en est vivement pris au rapport. Comme le rapporte Hungary Today :
“As a former EU official, I am ashamed that some Members of the European Parliament and allegedly renowned academics are ready to trample on intellectual honesty for the sake of a political crusade. It is shameful, but not surprising, as those same scholars (commissioned by the same MEP) already published in July 2021 a very similar report at odds with minimum academic standards”.
CASH IS KING • La devise nationale hongroise, le forint, accuse le coup depuis le début de la guerre en Ukraine. Le taux de change est passé de 355 forints pour un euro à la veille de la guerre à 407 le 11 juillet, soit une baisse de plus de 10% du forint par rapport à l’euro.
L’absence d’avancée sur la mise à disposition des fonds du plan de relance européen explique en partie la mauvaise performance du forint par rapport à d’autres devises de pays européens non membres de la zone euro. Dans un contexte de hausse des taux d’intérêt, les prêts à taux très réduits du plan de relance européen sont une ressource financière dont il serait dommage de se passer. La banque centrale hongroise a augmenté son taux d’intérêt directeur de 200 points de base, passant de 7,75% à 9,75%.
VETO • Difficile, avec ces chiffres en tête, de ne pas voir la menace d’utilisation du véto hongrois sur les sanctions européennes en matière de pétrole russe comme un quitte ou double économique, alors que la Hongrie est fortement dépendante de pétrole russe livré par pipeline terrestre. Orban a obtenu lors du Conseil des 30-31 mai que le pétrole — brut et raffiné — continue d’affluer par pipeline vers des pays comme la Hongrie.
VETO, ENCORE • Autre sujet compliqué pour Budapest : l’accord sur la taxation minimale des multinationales. Alors que Varsovie menaçait d’utiliser son veto contre une signature européenne à cet accord international visant à instaurer une taxation minimum de 15% des multinationales, c’est finalement Budapest qui a sorti son veto au Conseil le 17 juin.
Officiellement, le véto hongrois a été utilisé pour maintenir la compétitivité des entreprises hongroises — le taux d’imposition des sociétés a été abaissé à 9%. Mais nombreux sont ceux qui y voient plutôt un levier de négociations avec la Commission dans le cadre des discussions sur NGEU et le mécanisme de conditionnalité.
Une directive est en effet nécessaire pour que l’UE mette en place la taxe en question. S’agissant d’une question fiscale, l’unanimité est la règle. Ce veto de dernière minute empêche à l’UE d’adhérer à une traité déjà signé par 140 pays. Son utilisation, peu après les menaces de veto hongrois contre le sixième paquet de sanctions contre la Russie, alimentent le débat sur la fin de la règle de l’unanimité, notamment en matière fiscale. Bruno Le Maire avait déclaré que l’accord serait mis en oeuvre avec ou sans la Hongrie, le cas échéant par une coopération renforcée.
Le 6 juillet, les eurodéputés ont adopté en plénière une résolution pour la fin de l’unanimité en matière fiscale, à 450 voix pour, 132 contre et 55 abstentions.
“Les députés ont rappelé aux États membres que les décisions à l'unanimité au sein de l'UE nécessitent un très haut niveau de responsabilité, conforme au principe de coopération sincère tel qu'inscrit dans le traité de l'UE. À plus long terme, les États membres devraient prendre en compte les avantages des procédures de vote à majorité qualifiée, et la Commission devrait relancer les débats pour introduire progressivement le vote à la majorité en ce qui concerne les questions fiscales” — Communiqué de presse
Surtout, le véto hongrois ne plaît pas aux États-Unis — l’administration Biden porte politiquement le texte. Le 8 juillet, le Trésor américain a annoncé qu’il mettrait fin à la convention fiscale qui liait les États-Unis, où l’impôt sur les sociétés est de 21%, et la Hongrie depuis 43 ans, comme le rapporte Telex.
VARSOVIE DANS TOUT ÇA • Les discussions sont plus plus compliquées avec Budapest qu’avec Varsovie — la Commission n’a pas déclenché le mécanisme conditionnalité à l’égard de la Pologne. Dans ce dernier cas, la Commission concentre ses griefs sur l’indépendance de la justice, un sujet certes important mais qu’il est plus difficile de rattacher aux intérêts financiers de l’Union que des cas avérés de corruption dans le cadre de marchés publics.
La Pologne ne fait pas l’objet d’une procédure comparable à celle lancée à l’encontre de la Hongrie, ce qui suscite quelques interrogations. Une interprétation “étroite” du règlement sur la conditionnalité, qui exclurait de son champ d’application "la mise en péril de l’indépendance du pouvoir judiciaire” ,prévue à l’article 3 du Règlement sur la conditionnalité, limiterait considérablement la portée de ce Règlement.
In Case You Missed It
EUROGROUPE • Les ministres de l’économie et des finances de la zone euro se réunissaient ce lundi 11 juillet pour une réunion de l’eurogroupe. Les discussions ont porté sur la situation macroéconomique, avec une réaffirmation de la nécessité de coordonner les politiques budgétaires des pays de la zone euro :
“In light of the current circumstances and as reflected in the country-specific recommendations, the Eurogroup considers that supporting overall demand through fiscal policies in 2023 is not warranted, the focus being instead on protecting the most vulnerable, while maintaining the agility to adjust, if needed. Fiscal policies in all countries should aim at preserving debt sustainability, as well as raising the growth potential in a sustainable manner to enhance the recovery, thus also facilitating the task of monetary policy to ensure price stability by not adding inflationary pressures” — Communiqué de presse
En fin de semaine dernière, en amont d’une réunion du conseil Ecofin, Bruno Le Maire a déclaré que les règles budgétaires, contenues dans le pacte de stabilité et de croissance, sont “obsolètes”, appelant de ses voeux un “nouveau modèle économique”, alors que l’ensemble des États membres de l’UE prennent des mesures pour aider leurs citoyens dans un contexte d’inflation record. Le gouvernement français compte augmenter la part de capital détenue dans EDF de 84% à 100%, alors qu’en Allemagne c’est le groupe Uniper qui demande au gouvernement d’entrer au capital.
Cette déclaration est un nouveau pavé dans la marre dans le débat sur la réforme du pacte de stabilité et de croissance, qui contient notamment la règle des 60% de dette public et de 3% de déficit. Le pacte a été suspendu lors de la crise du Covid, et la clause dérogatoire a été étendue jusqu’à la fin 2023. Un dossier sur lequel le profil économique de la nouvelle secrétaire d’État aux affaires européennes, Laurence Boone, sera utile pour Paris.
Par ailleurs, l’euro continue de chuter face au dollar, au plus bas depuis 2002. L’euro se rapproche de la parité avec la monnaie américaine, poussé à la baisse par les perspectives négatives de l’économie européenne en raison du choc énergétique lié à la guerre en Russie, des hausses de taux de la réserve fédérale américaine, et de l’inflation.
TAXONOMIE • Le 6 juillet, le Parlement européen, en plénière, a “rejeté la proposition s'opposant à l’inclusion des activités nucléaires et gazières à la liste des activités durables sur le plan environnemental”. La proposition n’a reçu que 278 votes, contre les 353 requis pour obtenir un majorité au Parlement européen. Le gaz et le nucléaire seront donc considérés comme des énergies vertes dans la taxonomie de l’UE.
La Commission considère que les investissements privés dans le gaz et le nucléaire sont nécessaires à la transition écologique, comme énergies de transition. La Commission est critiquée pour avoir couplé le gaz et le nucléaire dans un même texte, ce qui a poussé à un compromis entre les français, favorables à l’inclusion du nucléaire, et les allemands, favorables à l’inclusion du gaz. Les investissements dans le gaz et le nucléaire bénéficieront d’une classification favorable vis à vis des investisseurs, incités par la taxonomie à diriger leurs fonds vers les activités vertes.
L’acte délégué sur la taxonomie entrera en vigueur le 1er 2023. L’Autriche et la Hongrie comptent déférer le texte devant la Cour de justice de l’UE.
Nos lectures de la semaine
L'Europe doit continuer à faire l’examen de sa relation avec la Chine, écrivent Mikko Huotari et Sébastian Jean pour le MERICS et le Conseil d'analyse économique. Cette recherche d’un nouvel équilibre est scrutée avec attention dans les cercles de pouvoir de Pékin, nous rappelle Tuvia Gering. Dans sa newsletter Discourse Power, il publie la traduction d'une interview de Li Haidong, un diplomate chinois, qui explique que l'OTAN sera au centre des efforts américains pour contenir la Chine.
Bruno Tertrais, de l'Institut Montaigne, revient sur le sommet de l'alliance qui s’est tenu à Madrid du 28 au 30 juin. Il y est, de fait, question du risque que représente la Chine, même si la guerre en Ukraine et l'expansion septentrionale de l'OTAN sont bien entendu les sujets majeurs du moment.
Miguel Otero Iglesias, du Real Instituto Elcano, met lui en garde l’Occident contre une politique étrangère guidée par une vision manichéenne du monde. La plupart des États en dehors de l'Europe et du cercle des proches alliés des États-Unis n'ont pas condamné la Russie pour son invasion de l’Ukraine, et il est peu probable qu'ils se satisfassent des appels moralisateurs à la défense de la démocratie. Les États européens doivent privilégier le pragmatisme pour éviter de se les aliéner.
L'IFRI a publié un rapport de Nicolas Frederic Poitiers et Pauline Weil qui examine le EU Chips Act et conclut qu’une coopération avec des États amis est nécessaire pour garantir le succès de l'initiative, étant donné l'extrême complexité des technologies concernées.
Zach Myers, du CER, met en garde contre l'extension des règles du RGPD à l'industrie, et encourage plutôt l'UE à maintenir la stratégie actuelle, qui consiste à utiliser des incitations pour promouvoir le partage et la standardisation des données, plutôt que de les rendre obligatoires.
La newsletter de cette semaine a été rédigée par Maxence de La Rochère et Thomas Harbor. À mardi prochain!