Revue européenne | Brouhaha sur le climat
Mais aussi — Salaires minimums, Ukraine, BCE, Pologne, USB-C, Supply Chain, Modification du traité, Inde, Budget de l’UE
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Cacophonie législative sur le paquet Fit for 55
Le 8 juin, le Parlement européen (PE) a rejeté trois textes législatifs majeurs du paquet Fit for 55. Les députés ont assisté à un réel coup de théâtre lorsqu’une réforme clé du système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE) a été rejetée, entraînant dans sa chute deux autres textes. Malgré un vote d’approbation sur la fin des ventes de voitures thermiques à partir de 2035, la session a terni l’engouement du Parlement autour des réformes ambitieuses du paquet Fit for 55.
CONTEXTE • Mercredi, le Parlement a voté sur son ensemble de lois climatiques le plus ambitieux à ce jour. La session était attendue étant donné la portée des législations examinées, qui couvrent environ la moitié du paquet législatif Fit for 55 présenté par la Commission en juillet 2021.
Alors même que ces dernières semaines laissaient présager une atmosphère tendue pour la plénière — notamment en raison de très faibles majorités au sein des commissions et d’un contexte marqué par une flambée des prix de l’énergie —, l’incapacité du Parlement à se mettre d’accord sur des textes clés était plutôt inattendue.
QUE S’EST-IL PASSÉ ? • Les rangs du Parlement se sont emplis d’un sentiment de désillusion lorsque la réforme du système d’échange de quotas d’émission (SEQE) a été rejetée. Le groupe social-démocrate (S&D) a en effet voté contre celle-ci, à la surprise générale.
Quelques minutes auparavant, le groupe de droite PPE remportait de nombreuses batailles sur la dernière version du texte : avec le soutien des centristes de Renew, ils sont parvenus à réduire le champ d’application du nouveau SEQE de 68% à 63% des émissions dans les secteurs ciblés.
Mais c’est la prolongation des quotas gratuits jusqu’à fin 2034 — un amendement introduit par le groupe PPE et soutenu par des groupes d’extrême droite — qui a conduit les sociaux-démocrates à voter contre le texte.
À QUI LA FAUTE ? • “It is a bad day for the European Parliament”, a souligné Peter Liese (PPE), le rapporteur du SEQE, à l’issue du vote. Avant d’ajouter : “At many occasions in this report, the far-right, the socialists and the greens voted together” — une critique notamment reprise par le leader de Renew Stéphane Séjourné à l’égard des sociaux-démocrates.
La présidente du groupe S&D, Iratxe Garcia, a renvoyé la faute sur les groupes du centre et de la droite : “You can’t ask for a vote from the extreme right in order to reduce ambition and then ask for our vote in order to support it as a whole”, a-t-elle rétorqué.
EFFET DOMINO (1) • Le rejet du rapport sur le SEQE a eu des conséquences directes sur deux autres textes à l’étude : le Fonds Social pour le Climat (FSC) et le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF).
Le FSC est lié à la révision du SEQE : il servira à soutenir les ménages vulnérables lorsque ce dernier s’étendra aux secteurs du bâtiment et du transport routier.
Il n’a pas été voté en plénière car il sera en partie financé par les recettes du SEQE. “Let’s keep treating this as a package and postpone the final vote”, a déclaré la rapporteur du SCF, Esther de Lange (PPE).
EFFET DOMINO (2) • La version finale du rapport sur le MACF n’a pas non plus été votée. Le MACF devra en effet coïncider avec la fin des permis gratuits alloués aux entreprises vulnérables dans le SEQE — sans cela, le régime serait incompatible avec les règles de l’OMC. L’incertitude autour de la date limite pour mettre fin aux quotas gratuits a donc rendu la version finale du rapport MACF impossible à adopter.
LA COMBUSTION PART EN FUMÉE • Les députés européens ont néanmoins réussi à s’entendre sur l’interdiction des nouvelles voitures et camionnettes thermiques d’ici 2035. Sur ce sujet, la position finale du PE est très proche de la proposition de la Commission et maintient l’objectif de réduction des émissions de 100 % — un échec pour le groupe PPE, qui voulait abaisser cet objectif à 90 %. “With the vote ending the sale of non-zero emissions cars in 2035, we are making a historic decision that leads us to a new era of climate neutrality”, a commenté le président de la commission de l’environnement Pascal Canfin (Renew).
AUTRES SUCCÈS • Un accord a également été trouvé sur d’autres textes. Les députés ont voté en faveur du renforcement du système SEQE pour l’aviation et de la prise en compte de “Corsia”, le mécanisme de compensation parallèle mis en place par l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI).
Le PE s’est également mis d’accord sur l’objectif de réduction des émissions de 40 % d’ici à 2030 et sur les détails du partage équitable des efforts entre États membres. Enfin, les députés ont voté en faveur de la révision du règlement LUCLUF (Land-Use, Land-Use Change and Forestry) visant à renforcer les puits de carbone naturels.
WHAT’S NEXT? • Après son rejet, le rapport sur le SEQE a été renvoyé à la commission de l’environnement à la demande du rapporteur: “We have the possibility to save the thing if everybody thinks twice. (…) Please don’t kill the ETS, vote for bringing it back to Committee to have a second shot”, a insisté Peter Liese. Le rapport sur le MACF a également été renvoyé à la commission de l’environnement. Avec le FSC, ces trois textes seront votés lors de la prochaine plénière du 22 juin. D’ici là, les députés devront reconsidérer leurs positions et trouver de nouveaux compromis.
ICYMI — Salaires minimums, Ukraine, BCE, Pologne, USB-C, Supply Chain, Modification du traité, Inde, Budget de l’UE
SALAIRE MINIMUM • Le Conseil et le Parlement ont trouvé un accord sur le projet de directive sur des salaires minimums adéquats dans l’UE. La directive vise à promouvoir les salaires minimums légaux et à promouvoir la négociation collective. Attention : il ne s’agit pas d’un salaire minimum à l’échelle de l’UE, mais simplement d’un cadre que les États membres devront mettre en place un cadre pour la fixation des salaires. Les États membres devront adopter des plans d’action afin que 80 % de la main-d’œuvre soit couverte par la négociation collective. Certains pays, comme le Danemark, ne sont pas satisfaits et considèrent qu’il s'agit d'une ingérence indue.
Nous avons discuté du projet avec l’eurodéputé Dragoș Pîslaru, président de la commission de l’emploi et des affaires sociales au Parlement européen (EMPL).
UKRAINE • La Commission européenne devrait rendre le 17 juin (vendredi) une recommandation en faveur de l’octroi à l’Ukraine du statut de candidat à l’UE, a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors d’une visite surprise à Kiev le 11 juin. La Commission doit achever son évaluation préliminaire, mais il appartient au Conseil européen de voter. Le 8 juin, le président du Parlement ukrainien a pris la parole devant le Parlement européen. La candidature de l’Ukraine a été fortement soutenue par la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola. Le sujet crée des divisions au sein du Conseil, où un certain nombre d’États membres ont des sentiments mitigés quant au bilan de l’Ukraine en matière d'État de droit et aux implications géopolitiques d’une telle mesure.
BCE À AMSTERDAM, TAUX À LAOS • Le Conseil des gouverneurs de la BCE s’est réuni à Amsterdam le 9 juin pour annoncer qu’il entamerait la “normalisation” de sa politique monétaire, signifiant une hausse des taux d’intérêt de 25 points de base en juillet et la suppression progressive des achats nets d’actifs de la BCE dans le cadre de l’APP. Il s’agit de la première hausse de taux en une décennie, dans un contexte d’inflation record dans la zone euro. L’inflation devrait s’établir à 6,8% en 2022, tandis que l’inflation de base— hors énergie et alimentation — devrait atteindre 3,3% en 2022. La BCE a fait allusion à une nouvelle hausse possible des taux d’intérêt pour septembre.
Avec l’augmentation des spreads entre l’Allemagne et l’Italie, certains craignent que cette décision ne frappe de manière asymétrique les pays de la zone euro. Christine Lagarde a déclaré que la BCE était prête à agir pour empêcher la “fragmentation” dans la zone euro, c’est-à-dire la divergence des coûts d’emprunt — tout en veillant à ne pas envoyer un message qui pourrait être considéré comme contradictoire avec la normalisation de la politique monétaire européenne. Accroître la flexibilité dans les achats dans le cadre de l’actuel Pandemic Emergency Purchase Programme est un possibilité, selon la BCE.
“La BCE a besoin d’un plan simple et crédible pour faire face à la fragmentation financière. Il est peu probable que les réinvestissements dans le PEPP fassent l’affaire. Mettre fin aux réinvestissements dans les APP aggraverait les choses. Mieux vaut avoir une stratégie claire en place avant que les spreads ne deviennent incontrôlables”, a commenté Frederik Ducrozet, de Pictet Wealth Management (notre trad.).
LA SAGA POLONAISE • Invité à prendre la parole devant le Parlement européen pour défendre l’approbation du plan de relance polonais, la président de la Commission européenne a cherché à rassurer. Elle a rappelé les trois conditions fixées pour l’accès de la Pologne aux fonds européens et a insisté sur le fait que “les étapes doivent être franchies avant que tout paiement puisse être effectué”. Cependant, les députés n’ont pas semblé convaincus.
Au cours du débat, plusieurs eurodéputés, dont Sophia In’t Veld (Renew) et Damian Boeslager (Verts) ont évoqué la possibilité de pousser la Commission à démissionner via une motion de censure. Sans aller jusqu’à défier le collège des commissaires, une majorité de l’Assemblée (411 voix) a exprimé son inquiétude et a invité le Conseil, qui doit désormais décider à la majorité qualifiée, à n’approuver le plan de relance qu’une fois que toutes les conditions fixées par la Commission auront été remplies.
UN CHARGEUR POUR LES GOUVERNER TOUS • Le 7 juin, le Conseil et le Parlement sont parvenus à un accord politique sur une directive qui “rendra obligatoire un port de charge de type USB-C pour une grande variété d'appareils radioélectriques. Par conséquent, tous les appareils pourront être rechargés grâce à un même chargeur”. La directive vise à réduire les dépenses des consommateurs en chargeurs et en déchets électroniques.
L’influence réglementaire de l’UE — l’effet Bruxelles dixit Anu Bradford — a déjà fait baisser le nombre de chargeurs couramment utilisés de 30 à 3. Le changement sera particulièrement coûteux pour Apple et ses chargeurs Lightning, alors que les appareils Android et Google sont déjà compatibles USB-C.
Le changement réglementaire pourrait coûter à Apple jusqu’à un milliard de dollars, selon une étude de Wedbush Securities. Apple teste déjà des iPhones compatibles USB-C.
STOCKPILING • Le prochain Single Market Emergency Instrument (SMEI) suscite des inquiétudes parmi les États membres et les représentants de l’industrie. Ce nouvel outil est conçu pour résoudre les problèmes de chaîne d’approvisionnement en cas de crise, en s’appuyant sur les contrôles à l’exportation de l’UE mis en place pendant la crise du COVID-19.
La Commission souhaite renforcer sa boîte à outils en surveillant les stocks d’approvisionnements stratégiques, les exportations vers les pays tiers et en assurant la diversification des chaînes d’approvisionnement en produits et/ou matières premières critiques. Présenté comme un instrument strictement défensif, le contenu proposé de cet outil commercial est critiqué pour considérablement élargir le pouvoir de l’UE sur les chaînes d’approvisionnement de l’industrie.
Neuf États membres se sont réunis le 8 juin pour rédiger une lettre demandant à la Commission de ne pas outrepasser son autorité sur l’industrie.
COFOE • Le 9 juin, le Parlement européen a adopté une résolution “appelant le Conseil européen à trouver un accord pour déclencher la procédure de révision des traités de l’UE”. Cette résolution fait suite aux conclusions de la Conférence sur l’avenir de l’Europe (CoFoE) qui s’est achevée le 9 mai. Elle demande notamment la fin du vote à l’unanimité au Conseil. Il appartient aux 27 États membres de l’UE, au sein du Conseil, de décider de mettre en place une “convention” pour lancer le processus — semé d’embûches — de modification des traité.
NÉGOCIATIONS COMMERCIALES AVEC L’INDE • L’UE et l’Inde entament des négociations commerciales à Bruxelles le 17 juin. La discussion était jusqu’ici au point mort, “alors que l’UE insistait sur des concessions de droits de douane sur les automobiles, les boissons alcoolisées et les produits laitiers, les demandes de l’Inde incluaient un meilleur accès au marché de l’UE pour ses professionnels qualifiés”, note The Economic Times of India. En avril, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est rendue officiellement en Inde pour marquer le 60e anniversaire des relations UE-Inde dans le cadre du dialogue Raisina.
BUDGET DE L’UE • La Commission européenne a publié le 7 juin sa proposition de budget 2023, d’un montant total de 185,6 milliards d’euros (hors NGEU). L’essentiel des engagements de l’année prochaine est orienté vers la politique agricole commune ainsi que vers le développement et la cohésion régionaux. Le projet de budget précise que des mesures financières pour soutenir la guerre en Ukraine seront ajoutées lorsque des estimations plus précises des besoins seront disponibles — un manque de clarté dénoncé par Nicu Ștefănuță (Renew), négociateur en chef du budget au Parlement européen. Le budget septennal de l’UE devrait être réévalué bientôt, car les fonds de l’UE sont réaffectés pour payer la facture de la crise humanitaire et l’aide financière à l’Ukraine. Le projet de budget doit maintenant passer par le Conseil de l’UE et le Parlement, pour adoption à l’automne.
Nos lectures de la semaine
La défense par Angela Merkel de son bilan en matière de politique étrangère lors de sa première intervention publique depuis décembre a suscité des débats vigoureux sur la responsabilité qu’elle porte dans l’invasion de l’Ukraine et l’état d’impréparation de l’Allemagne au conflit. Alors que certains, comme Andreas Kluth, n’hésitent pas à la comparer à Neville Chamberlain, d’autres, parmi lesquels Leonid Bershidskiy, adoptent une position plus favorable, soulignant l’importance cruciale des accords de Minsk pour donner à l’Ukraine le temps de reconstruire son armée.
Dans une note pour l’Institut Egmont, Jean-François Drevet appelle à une stratégie renouvelée pour gérer les relations de l’UE avec la Turquie, en commençant par un plan pour contrer l’habitude du président Erdogan d’utiliser le chantage pour obtenir ce qu’il veut.
L’ECFR a publié l’Indice de souveraineté européenne, qui évalue et classe les États membres de l’UE en fonction de leur souveraineté, dans six catégories : climat, défense, économie, santé, migration et technologie.
Dans son bulletin d’information, l’économiste Joseph Politano souligne les différences fondamentales entre l’inflation en Europe et aux États-Unis.
Christopher Mims du Wall Street Journal passe en revue les défis auxquels Meta est confronté alors qu’elle cherche à se réinventer loin d'un modèle centré sur la publicité exposé non seulement aux caprices des régulateurs, mais aussi à ceux de ses collègues géants de la technologie.
Dans la London Review of Books, Alexander Clapp a une critique très intéressante de The Greek Revolution: 1821 and the Making of Modern Europe de Mark Mazower.
La newsletter de cette semaine vous est présentée par Hélène Procoudine-Gorsky, Marceline Doucet, François Hemelsoet, Augustin Bourleaud, Maxence de La Rochère, et Thomas Harbor.