Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne du mardi, un condensé d'actualité européenne utile. Bonne lecture ! La revue est désormais disponible en anglais, russe, italien et roumain. 💌
UKRAINE • état des lieux
Le jeudi 24 février 2022, la Russie a lancé une “opération militaire spéciale” à grande échelle en Ukraine. L’Union européenne (UE) a connu une révolution copernicienne dans les jours suivants, culminant avec l’annonce que le bloc livrerait des armes létales à l’Ukraine et le deuxième paquet de sanctions, renforcé, annoncé le 28 février, le jour même où l’Ukraine a officiellement demandé à devenir membre de l’UE.
Depuis l’invasion russe en Ukraine, l’Europe se demandait si ce conflit la regardait vraiment. La résistance des Ukrainiens, le leadership remarquable du président Zelensky, l’escalade du côté russe, la culpabilité pour le coût moral et historique de l’inaction ont finalement réussi à susciter une réponse à l’échelle de l’Union européenne, pousser l’Allemagne à renverser sa doctrine de politique étrangère et conduire l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie à demander l’adhésion à l’UE.
ARMES INTERDITES • Jeudi 3 mars, le secrétaire britannique à la Défense, Ben Wallace, a accusé la Russie de déployer des systèmes d’armes thermobariques en Ukraine — un missile avec deux conteneurs de carburant qui provoque des explosions d’une force extrêmement destructrice.
“Ceux qui se trouvent près du point d’allumage sont anéantis. Ceux qui sont à la marge sont susceptibles de souffrir de nombreuses blessures internes, et donc invisibles, y compris des tympans éclatés et des organes de l’oreille interne écrasés, de graves commotions cérébrales, des ruptures de poumons et d’organes internes, et peut-être la cécité”
Il n’y a pas encore eu de confirmation officielle de l’utilisation de telles armes par la Russie, bien que l’Ukraine et certains États membres de l’UE accusent la Russie de les utiliser. Selon certaines allégations, la Russie aurait utilisé ce type d’armes dans la guerre de Tchétchénie de 1999 et plus tard dans la guerre syrienne, à partir de 2015.
TCHERNOBYL 2.0 • Le vendredi 4 mars, la centrale nucléaire de Zaporijia a fermé ses portes à la suite d’une frappe aérienne russe. Un incendie s’est déclaré dans la plus grande centrale nucléaire d’Europe, qui représente également 20% de l’approvisionnement énergétique de l’Ukraine. Le service de presse de la centrale nucléaire a confirmé qu’il n’y avait pas de fuite et que les niveaux de rayonnement restaient stables. Après de nouveaux bombardements et une seconde offensive militaire, l’usine est désormais sous le contrôle des troupes russes.
ZONE D’EXCLUSION AÉRIENNE DE L’OTAN • Le même jour, vendredi, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a annoncé que les membres de l’OTAN “ne sont pas partie au conflit” — rejetant ainsi les appels à l’introduction d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus du ciel ukrainien. Il a fait valoir qu’il était de la responsabilité de l’OTAN d’empêcher toute nouvelle escalade qui causerait encore plus de souffrances. Néanmoins, l’OTAN a promis de fournir à Ukraine davantage d’aide humanitaire, de fournitures essentielles et de soutien militaire.
SOUVERAINETÉ • Samedi 5 mars, Vladimir Poutine a commenté “l’opération militaire spéciale” — la guerre —, disant que “si l’Ukraine continue à se comporter de cette façon, sa souveraineté sera remise en question”. La partie ukrainienne n’a pas commenté, mais le ministre ukrainien de la Défense, Oleksiy Reznikov, a annoncé que la Russie était à court de fournitures militaires, ce qui entraînerait un effondrement logistique. Selon Forbes Ukraine, la Russie a déjà perdu 3 milliards de dollars d’équipements militaires.
AIDE EUROPÉENNE • Pour donner corps à l’annonce de la Commission européenne d’envoyer du matériel militaire à Kiev, les États membres utilisent la facilité européenne de soutien à la paix — 450 millions d’euros — ainsi que les mécanismes de protection civile et RescEU.
La Commission facilitera les procédures d’aide individuelle et de soutien fournies par les États membres de l’UE à l’Ukraine. La Belgique et l’Allemagne ont décidé d’envoyer 13 800 tonnes de carburant, de moyens antichars et antiaériens. Pour compléter l’assistance fournie par la République tchèque, la Pologne et la Norvège ont envoyé plusieurs milliers de munitions.
D’autres pays, dont la France, se sont également engagés dans cette voie. Alors que la Hongrie a déclaré qu’elle n’autoriserait pas le transfert d’armes létales depuis son territoire, la Pologne joue un rôle clé dans l’acheminement de l’aide vers Kiev. La Commission a également souligné qu’elle avait l’intention de faciliter la fourniture d’avions de combat à Ukraine. Alors que la Bulgarie a rejeté cette hypothèse, la Pologne l’envisage, en coordination avec les États-Unis.
Si l’objectif est de forcer la Russie à cesser ses opérations militaires et à accepter un cessez-le-feu pour reprendre le dialogue, les livraisons prendront toutefois du temps. Les stocks d’armement des États membres sont serrés et les défis logistiques sont élevés, en raison de la difficulté de les transporter par voie aérienne à l’intérieur de la zone de guerre.
SANCTIONS • L’UE a imposé une série de nouvelles sanctions.
Le 2 mars, le Conseil a approuvé la suspension des activités de large orientation dans l’UE des organes de presse Sputnik et Russia Today (nous en reparlons plus bas). Outre l’exclusion de sept banques russes du système SWIFT à partir du 12 mars 2022, une interdiction de vendre, de transférer ou d’exporter des billets libellés en euros est en place. La Suisse s’est alignée pour la première fois sur les sanctions de l’UE contre la Russie, garantissant ainsi l’efficacité des mesures restrictives actuelles. En revanche, la Russie a plus que doublé son taux directeur et bloque les paiements d’intérêts aux investisseurs étrangers.
L’implication de la Biélorussie dans l’agression n’a pas été oubliée. L’inscription de plusieurs membres de haut rang de l’armée biélorusse sur les listes de sanctions a été approuvée par le Conseil le 2 mars. Des secteurs clés de l’économie bélarussienne ont été visés par des interdictions commerciales, les restrictions existantes étant étendues à des secteurs tels que les secteurs de la potasse, du pétrole et du tabac.
SANCTIONS, EXPLICATIONS • L’UE dispose de près de quarante régimes de sanctions. À l’unanimité et sur proposition conjointe du Haut Représentant de l’UE pour les affaires étrangères et de la Commission, le Conseil de l’Union européenne décide du type de mesures : gel des avoirs, interdiction de visa et ou sanctions sectorielles. Il approuve ensuite la liste des personnes ou entités visées par les sanctions. Le vote aboutit à une décision au titre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) qui s’applique aux États membres et à un règlement qui s’applique directement dans toute l’Union — sans transposition nécessaire.
Contrairement aux embargos, qui affectent un pays dans son ensemble, ces mesures ciblées visent à limiter les effets sur les personnes non responsables de violations, mais les conséquences économiques sont néanmoins importantes, puisque toutes les entreprises de l’UE doivent s’y conformer.
L’UE a pu adopter de nouvelles mesures presque immédiatement après l’invasion russe parce qu’elle pouvait s’appuyer sur le régime de sanctions qu’elle avait mis en place après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014.
OMC • Vendredi 4 mars, les États membres de l’UE sont parvenus à un accord politique sur une détermination commune à interdire à la Russie le traitement de la nation la plus favorisée. L’une des pierres angulaires de l’OMC, la clause de la nation la plus favorisée prévoit que les pays membres imposent des droits de base qui sont les mêmes pour tous. Hors accords bilatéraux, l’UE applique des droits de douane moyens de 5,1%. Les pays peuvent suspendre la clause de la nation la plus favorisée s’ils font appel à l’exemption des “intérêts essentiels de sécurité” dans le GATT, le traité fondateur de l’OMC.
UKRAINE, MOLDAVIE, GÉORGIE • Après la demande d’adhésion de l’Ukraine dans le cadre d’une “procédure accélérée”, le Parlement européen a adopté le 1er mars une résolution historique appelant les institutions de l’UE à accorder à l’Ukraine le statut de candidat à l’UE. La Moldavie et la Géorgie ont emboîté le pas, appelant l’UE à suivre une procédure accélérée.
RÉFUGIÉS • Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), la guerre en Ukraine a déplacé 1,5 million de personnes en dix jours de conflit.
“C’est maintenant la crise des réfugiés qui connaît la croissance la plus rapide pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans les prochains jours, des millions de vies supplémentaires seront déracinées, à moins qu’il n’y ait une fin immédiate à ce conflit insensé”, a déclaré le HCR.
La plupart des réfugiés se dirigent vers les pays voisins, tels que la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Hongrie. Le nombre de demandeurs d’asile est déjà supérieur aux 1,3 million de déplacés de l’année 2015. Des mesures sont prises au niveau de l’UE et des États membres pour faciliter la relocalisation des réfugiés ukrainiens sur le territoire de l’UE, y compris la suppression des formalités administratives pour les demandeurs d’asile.
PARIS • Le président Macron a officiellement annoncé qu’il se représentait le 4 mars, attendant le dernier moment pour rendre publique sa candidature, environ un mois avant le premier tour. Le président-candidat est à l’avant-garde des efforts diplomatiques pour amener Poutine à mettre fin à ses opérations militaires, y compris un appel téléphonique de près de deux heures le dimanche 6 mars.
Emmanuel Macron accueillera ses collègues chefs d’État et de gouvernement à Versailles les 10 et 11 mars, pour un sommet informel organisé dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’UE. Le thème sera la coordination de la réponse de l’UE à la guerre en Ukraine, y compris les sanctions, la sécurité énergétique et des mesures concrètes pour construire une autonomie stratégique, concept défendu par le président Français depuis son discours de la Sorbonne en 2017.
BERLIN • Alors que les réfugiés continuent de fuir l’Ukraine pour rejoindre les pays voisins, la ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser, a déclaré dimanche dernier que l’Allemagne accueillerait les personnes quelle que soit leur nationalité. Cela intervient alors que le Conseil de l’UE a annoncé l’activation de la directive sur la protection temporaire, la première fois depuis sa création en 2001, dans le cadre d’un effort de coordination entre les États membres pour accorder une protection aux citoyens ukrainiens et aux résidents permanents. Jusqu’à présent, plus de 15 000 personnes ont fui vers l’Allemagne pour échapper à la guerre, comptant sur les abris et les fournitures fournis par le gouvernement et la population locale.
L’Allemagne continue de digérer l’onde de choc provoquée par le discours du Bundeskanzler, qui marque une rupture claire dans le mantra de la République fédérale du changement par le commerce — “Wandel durch Handel”. Comme l’a souligné Noah Barkin dans The Atlantic, cela marque le réveil d’un “géant endormi” et la fin de l’Ostpolitik — mise en place dans les années 1970 en Allemagne de l’Ouest et promouvant l’engagement avec la Chine et la Russie.
Le poids de Berlin dans l’UE rend ce revirement encore plus spectaculaire. L’expansion budgétaire de l’Allemagne, tirée par la défense, aura des conséquences importantes sur le débat actuel sur la réforme des règles de l’UE en matière de dette et de déficit. Sa décision de prolonger les centrales nucléaires pour chercher des alternatives au gaz russe changera les perspectives sur le mix énergétique de l’UE. Son programme de dépenses de défense renforcera l’OTAN, si Berlin s’en tient à sa position atlantiste, et donnera une certaine substance à l’autonomie stratégique de l’UE.
VARSOVIE • La Pologne a proposé de devenir une plaque tournante logistique pour acheminer l’aide militaire de l’UE. La Pologne a accueilli plus d’un million de réfugiés depuis le début de la guerre, selon les autorités frontalières. À la frontière avec l’Ukraine, des volontaires ont distribué gratuitement de la nourriture, des boissons, des médicaments, des couvertures et des cartes SIM, et des hébergements gratuits dans tout le pays.
Comme l’analyse Jan Cienski pour Politico, “la Pologne est passée directement du statut de mauvais garçon de l’UE à celui d’élève vedette de l’invasion de l’Ukraine par la Russie”. L’unité en temps de guerre ne poussera probablement pas la Commission européenne à abandonner ses charges contre la Pologne dans la querelle sur l’État de droit qui oppose Bruxelles et Varsovie.
VILNIUS • La Lituanie soutient fortement l’Ukraine et met en garde les alliés de l’OTAN contre les menaces russes depuis plus d’une décennie. L’État balte partage des frontières avec la Russie et la Biélorussie, et a toujours été préoccupé par l’ambition russe de relier son enclave de Kaliningrad, prise en sandwich entre la Pologne et l’Ukraine.
PÉKIN • Le Président chinois Xi Jinping s’attendait à ce que l’Année du Tigre commence par une campagne internationale de relations publiques réussie, les Jeux olympiques d’hiver, où il a réaffirmé le “partenariat sans limites” unissant Moscou et Pékin.
Le 2 mars, la Chine est l’un des 35 pays à s’abstenir lors du vote sur la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies sur l’Ukraine demandant à la Russie de “mettre fin immédiatement à son invasion de l’Ukraine et de retirer sans condition toutes ses forces militaires de ce pays voisin”.
L’abstention de la Chine à l’ONU pourrait signaler un changement d’humeur dans le soutien de la République populaire à Poutine, a déclaré Pierre-Antoine Donnet dans un billet de blog pour Asialyst, citant l’appel du ministre des Affaires étrangères Wang Yi à respecter "l’intégrité territoriale de tous les pays". L’agression non sollicitée de la Russie ne cadre pas bien avec les doctrines de non-intervention et de souveraineté des États promues par Pékin.
La Chine s’oppose aux sanctions américaines et européennes, mais est très préoccupée par les conséquences économiques et financières de l’isolement économique de la Russie, y compris sur l’initiative de la Nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative, BRI), son plan d’investissement dans les infrastructures.
Les entreprises chinoises pourraient réfléchir à deux fois avant d’investir en Russie, du fait de la détérioration des perspectives du pays — sans même parler d’hypothétiques sanctions secondaires de Washington ou de Bruxelles, que peu d’initiés de l’UE ont même envisagées, selon Stuart Lau chez Politico. Pékin a pris bonne note de l’unité occidentale sur les sanctions — une leçon en cas d'opération militaire spéciale sur Taïwan.
TECH • les crypto dans le viseur
Les experts soupçonnent la Russie de vouloir utiliser les cryptomonnaies pour contourner le régime de sanctions dans le domaine financier imposé par l’UE et ses alliés.
ECOFIN • Les ministres de l’économie et des finances de l’UE ont décidé d’examiner ensemble les possibilités offertes au secteur financier russe par les crypto-monnaies. La Russie pourrait utiliser des crypto-monnaies déjà largement utilisées, comme le Bitcoin, l'Éther ou le Monero.
CRYPTO • Depuis la vague de sanctions qui a suivi l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, la Russie a cherché à diversifier son panier de réserves de changes, s’éloignant du dollar, au profit de l’euro, du yen et de l’or. Un des principaux objectifs est de contourner l’extraterritorialité des mesures de rétorsion américaines.
En dépit des efforts de la Russie pour rendre son économie moins vulnérable aux sanctions, la décision des alliés occidentaux d’isoler le système financier russe, notamment par l’exclusion de certaines des grandes banques du système SWIFT, aura un impact substantiel.
La Russie devra accélérer les efforts actuels pour trouver de nouveaux moyens de contourner les sanctions. Les crypto-monnaies peuvent à ce titre occuper une place de choix parmi les principales options envisagées. Les échanges avec la Russie se sont élevés à 1 milliard d’euros pour la seule année 2020 sur la plateforme de trading Hydra, accessible via le dark web
ONCLE SAM • Pour atténuer la possibilité d’échapper aux sanctions par le biais de crypto-monnaies, le ministère de la Justice des États-Unis (DoJ) a mis en place la National Cryptocurrency Enforcement Team.
URSULA • La Commission européenne se dit consciente du risque que les crypto-actifs constituent “un moyen possible de contourner” les sanctions. A l’issue du conseil ECOFIN, qui réunit les ministres des finances de l’UE, Bruno Le Maire a annoncé que l’UE inclurait les crypto-monnaies dans ses sanctions contre la Russie. Aucune décision concrète n’a toutefois été prise jusqu’à présent. La présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, a appelé les législateurs de l’UE à approuver un cadre réglementaire pour les crypto-monnaies, une préoccupation partagée au sein du G7.
UE À 30 • l’Ukraine, la Moldavie, et la Géorgie toquent à la porte
Après l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie sont désormais candidates à l’adhésion à l’Union européenne.
KIEV • Après la signature de la demande formelle d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne le 28 février, le Parlement européen a adopté le lendemain une résolution historique soutenant le statut de candidat de l’Ukraine à l’UE. L’Ukraine demande à l’UE de suivre une “procédure accélérée”.
CHIȘINĂU & TBILISI • Le 3 février, la Moldavie et la Géorgie ont emboîté le pas et rempli le formulaire de candidature. Le Premier ministre géorgien, Irakli Garibashvili, et la présidente moldave, Maia Sandu, ont également signé une demande d’ouverture de la “procédure accélérée” visant à reconnaître leurs pays respectifs comme candidats à l’adhésion à l’UE.
La Moldavie et la Georgie sont membres du Partenariat oriental (EaP) de l’UE. En 2014, ils ont signé un accord d’association avec l’Union et ont mis en place un régime d’exemption de visa avec l’UE. Ils bénéficient également d’un solide soutien financier de la part de l’UE.
ADHÉSION IMMÉDIATE ? • Le président ukrainien demande une “adhésion immédiate” à l’UE. En l’état des traités, c’est juridiquement impossible. Cependant, les parties prenantes pourraient accepter d’accélérer la procédure. Le Conseil, qui représente les États membres, décidera s’il y a lieu de demander un avis d’urgence à la Commission sur l’adhésion. C’est à cette institution de vérifier ensuite si l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie peuvent être reconnues comme " pays candidats ", un processus qui peut prendre jusqu’à 18 mois.
“L’adhésion à l’UE n’est pas quelque chose qui peut être faite en quelques mois... cela implique un processus de transformation intensif et de grande envergure”, a déclaré la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock.
Onze États membres de l’UE, principalement d’Europe de l’Est, soutiennent la candidature de l’Ukraine. La présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen, a également exprimé son soutien dans un discours au Parlement européen, bien qu’elle ne se soit pas engagée à respecter un calendrier spécifique pour l’adhésion. Certains ont exprimé des réserves, notamment en Allemagne, en France et aux Pays-Bas.
REJOINDRE LE CLUB • L’adhésion à l’UE est une procédure longue et exigeante. Les pays candidats doivent satisfaire aux critères d’éligibilité de Copenhague, un ensemble d’exigences relatives au respect par le pays candidat de la gouvernance et des meilleures pratiques en matière de droits de l’Homme. Le respect des critères exige de nombreuses réformes et prend du temps, comme le montrent les pourparlers avec l’Albanie, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie et la Turquie.
Accorder à l’Ukraine un statut de candidat accéléré créerait un précédent. En effet, d’autres pays candidats pourraient en conclure que les valeurs de l’UE, exprimées à l’article 2 du traité sur l’Union européenne, dépendent du contexte. Cela affaiblirait la position de la Commission dans la lutte juridique pour l’État de droit avec la Pologne ou la Hongrie. L’Ukraine a été qualifiée de “régime hybride”, avec une démocratie fragile et un État de droit mal appliqué
ÉCO • Guerre et Pacte de Stabilité et de Croissance
Tel qu’il avait été prévu par la présidence française du Conseil de l’UE, le sommet européen à Versailles des 10 et 11 mars devait initialement porter sur la réforme des règles européennes sur l’endettement et le déficit – le Pacte de stabilité et de croissance (PSC).
RÉFORME DU PSC • La teneur des débats a changé depuis le début du conflit ukrainien. Le sommet à Versailles devrait finalement prendre la forme d’une réunion informelle au cours de laquelle les chefs d’État et de gouvernement de l’UE discuteront des conséquences économiques de la guerre.
Neuf États membres demandent à présent que les dépenses militaires ne soient pas prises en compte dans le calcul du déficit. La position allemande sur le PSC avant la guerre, ouverte aux propositions, donne de l’espoir aux voix critiques à l’égard des règles budgétaires. La ministre néerlandaise des Finances, du parti pro-UE D66, a déclaré le 6 mars être favorable à une “réforme et une modernisation” du PSC. De leur côté, l’Italie et la France ont été ces derniers mois les plus ardents promoteurs de la réforme du PSC, une position partagée exprimée dans une tribune commune de Mario Draghi et Emmanuel Macron à Noël dans le Financial Times.
LE PRIX DE LA GUERRE • Le 2 mars, la Commission européenne a publié ses orientations de politique budgétaire pour 2023, qui fournissent aux États membres des orientations générales pour la conduite des politiques budgétaires et fiscale pour l’année à venir dans le cadre des programmes de stabilité et de convergence.
Pour les pays fortement endettés, la Commission recommande un ajustement budgétaire progressif à partir de 2023, appuyé par des investissements et des réformes qui permettraient d’accroître le potentiel de croissance, et ainsi de stabiliser et de réduire les ratios de dettes. Les pays dont les niveaux d’endettement sont faibles ou moyens sont priés de maintenir une trajectoire budgétaire neutre ou expansionniste.
Un des effets les plus notables de la crise est l'engagement pris par l’Allemagne et le Danemark d’augmenter leurs dépenses militaires à un niveau atteignant 2 % du PIB. De plus, afin de réduire leur dépendance à l’égard du gaz russe, les États membres devront accélérer le renouvellement de leur mix énergétique.
FLEXIBILITÉ • Compte tenu de la situation, la Commission a décidé qu’aucune procédure de déficit excessif ne sera ouverte pour les pays qui enfreignent la limite de déficit de 3 % du PSC. Le commissaire aux affaires économiques et financières, Paolo Gentiloni, a déclaré que la Commission prendrait une décision sur la désactivation de la clause dérogatoire générale, qui a suspendu des règles du PSC pendant la durée de la crise sanitaire, à la mi-mai lorsqu’elle présentera ses prévisions de printemps.
La présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a publié une déclaration le 25 février indiquant que la banque procéderait à une évaluation complète des perspectives économiques comme base de sa réunion du Conseil des gouverneurs du 10 mars.
NGEU 2.0 • Selon Le Monde, la création d’un fonds de mutualisation pour absorber le choc de la guerre en Ukraine est sur la table. Des fonds qui ne seraient pas conditionnés au respect de l’état de droit, permettant ainsi de verser de l’argent à la Pologne alors que les 36 milliards d’euros qu’elle est censée recevoir dans le cadre du paquet NGEU n’ont pas été débloqués par la Commission.
Le temps est venu d’emprunter à nouveau en commun pour financer l’aide à l’Ukraine et faire face aux conséquences économiques de la guerre, sur le modèle du plan d’aide à la pandémie de l’UE, avancent Max Bergmann et Benjamin Haddad dans une tribune pour Politico. Ils plaident pour un deuxième plan de type NGEU, de 400 milliards d’euros destiné à la défense et à la sécurité de l’UE.
Dans un entretien avec Le Grand Continent, l’ancien Directeur général de l’OMC et commissaire européen au commerce Pascal Lamy affirme qu’un nouveau plan de relance devrait faire face aux coûts directs et indirects de cette guerre, y compris les dépenses de défense, le passage à un nouveau bouquet énergétique et l’accueil de à un à cinq millions de réfugiés ukrainiens.
MEDIA • censure et guerre numérique
Le 28 février, plusieurs plateformes de médias sociaux américaines ont annoncé l’interdiction des médias russes contrôlés par l’État de leurs plateformes européennes, tandis que l’UE a imposé une interdiction aux " organes de propagande " russes. La Russie bloque également les médias occidentaux.
INFOWARS • Le 27 février, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a annoncé que deux institutions médiatiques russes, Russia Today et Sputnik, financées par le régime russe, seraient interdites dans l’UE. Les entités visées par le règlement 2022/350 du Conseil sont : RT English, RT UK, RT Germany, RT France, RT Spanish et Sputnik.
"Dans le cadre d'une autre mesure inédite, nous allons interdire à la machine médiatique du Kremlin toute diffusion dans l'UE. Les médias Russia Today et Sputnik, détenus par l'État russe, ainsi que leurs filiales ne seront plus en mesure de répandre leurs mensonges pour justifier la guerre de Poutine et semer la zizanie dans notre Union”, a déclaré Ursula Von der Leyen le 27 janvier.
BIG TECH EN GUERRE • Les sanctions de l’UE sont censées couvrir tous les moyens de distribution, à la fois la radiodiffusion traditionnelle et les plateformes de médias sociaux, note Natasha Lomas de TechCrunch. Les plateformes de médias sociaux sont légalement tenues de “désamplifier” et de supprimer le contenu RT et Sputnik de leurs sites européens, mais éviter les fuites et rendre le geoblocking pleinement efficace risque d’être difficile pour les plateformes.
Dans une lettre aux PDG de Twitter, Google, YouTube et Meta datée du 27 février, les premiers ministres des trois pays baltes et de la Pologne ont explicitement demandé aux entreprises technologiques de prendre des mesures immédiates pour atténuer les risques de propagande de l’État russe. Certains ont exprimé des craintes que l’interdiction totale de la Russie des médias sociaux puisse empêcher les citoyens russes d’avoir accès à d’autres sources d’information – en particulier celles provenant de l’Occident – tandis que l’interdiction de RT et de Spoutnik dans l’UE aura un impact limité.
Après avoir restreint l’accès aux médias locaux indépendants plus tôt dans la semaine, vendredi dernier, le régulateur russe de la communication et des médias de masse a riposté et empêché Twitter, Facebook et YouTube d'opérer dans le pays. Vkontakte, le média social russe qui représente la majorité de la part de marché dans le pays reste actif.
Lectures de la semaine
Björn Alexander Düben fait l’analyse des récits historiques rivaux qui s’affrontent pour l’âme et la loyauté d’un peuple
Dans The Atlantic, Noah Barkin conte le réveil de l’Allemagne, un État qui semble se trouver un nouveau rôle dans le monde, tandis que Richard Fontaine tente de donner un sens aux événements de notre époque et à leur place dans l'histoire
L'économiste Shahin Vallée évalue la portée des sanctions contre la Russie
Dans Le Grand Continent, Pascal Lamy discute de l'impact de la crise sur l'Union européenne
Nos remerciements aux rédacteurs de cette édition : Marianna Skoczek-Wojciechowska, Hélène Procoudine-Gorsky, Dana Fedun, Cyril Tregub, Nurana Ahmadova, Briac de Charry, Lorenza Nava, Allegra Crahay, Andreea Florea, Andrei-Bogdan Sterescu, Ghislain Lunven, Eloise Couffon, Maxim Betivu, Andrei Ciocan, Andreea Zofotă, Adina Ștefan, Maxence de La Rochère, Rogier Prins, Agnès de Fortanier & Thomas Harbor.
À mardi prochain !