Revue européenne | 4 mai 2021
Plan de relance • Chine/Allemagne • Sommet de Porto : UE/Inde • aides d'États tiers • AppStore • Brexit Diaries
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PLAN DE RELANCE — Parcours d’obstacles
Lors du Conseil de l’UE d’octobre 2020, les États membres s’étaient mis d’accord pour fixer une échéance au 30 avril pour soumettre leur plan de relance et obtenir de la Commission les fonds de la facilité pour la reprise et la résilience. Si des échanges intenses ont lieu depuis des semaines entre Bruxelles et les administrations nationales, la date est manquée pour nombre de pays (voir carte▼) et éloigne d’autant la perspective des premiers déboursements (l’objectif actuel étant d’allouer 13% des financements au titre de 2021 et le reste au fur et à mesure de la réalisation des objectifs).
Si les États membres et la Task Force Recover (surnommée la Burnout Task Force) de la Commission travaillent “en ping-pong” sur les plans de relance, une fois soumis, ils doivent passer à nouveau par les services européens qui disposent de deux mois pour les évaluer (à lui seul, le plan français fait plus de 800 pages…). Ils seront ensuite transmis au Conseil qui aura quatre semaines pour les adopter, ce qui nous amène à cet été.
C’est le croque-mitaine européen Céline Gauer qui s’occupera ensuite de contrôler la bonne exécution des actions financées sur fonds européens. Repérée par Martin Selmayr (ancien chef de cabinet du président de la Commission européenne Juncker) pour sa capacité à “défendre robustement les intérêts de la Commission” devant le Sénat français (FT), cette juriste française est réputée pour son intransigeance dans les échanges avec les États membres. De quoi rassurer les voix inquiètes qui craignent la répétition de scandales ayant entaché certains financements communautaires. L’office européen anti-fraude (OLAF) avait par exemple demandé en 2017 le remboursement de la moitié des fonds européen finançant le métro de Budapest après la découverte d’irrégularités contractuelles laissant suspecter de la corruption. L’OLAF avait de même constaté la violation des termes d’un accord de financement de 6 millions d’euros en Bulgarie pour l’achat de véhicules de police. L’attention exercée par des parlementaires hongrois et européens et l’opinion publique a d’ailleurs récemment poussé le président Orban à retirer un projet de financement des universités passant par des fondations gérées semble-t-il par des proches du régime.
Si Next Generation EU apparaît comme une révolution (au risque de susciter des attentes démesurément optimistes comme en Espagne par exemple), les différents impératifs auxquels doivent se plier les plans font ressembler la procédure d’accès aux financements à un parcours du combattant. Loin de ce serpent de mer interminable, la Chine et les États-Unis ont été prompts à abreuver leur économie de transferts et d’investissements massifs. L’UE paie ainsi sa construction imparfaite et sa désunion mais s’honore aussi de son exigence en matière d’État de droit et de destination des dépenses (37% des fonds destinés à des dépenses écologiques notamment).
Chine — Merkel joue la bilatérale avec Pékin
La chancelière allemande Angela Merkel poursuit sa diplomatie d’engagement avec la Chine, sur fond de tensions grandissantes avec l’UE. Mercredi dernier (27/04), elle s'entretenait avec le premier ministre Li Keqiang à l’occasion des sixièmes consultations de gouvernement à gouvernement sino-allemandes après deux entretiens au mois d’avril avec Xi Jinping, dont un échange trilatéral sur les questions climatiques, organisé par Emmanuel Macron.
La lutte contre la pandémie et la campagne mondiale de vaccination étaient au cœur des discussions cette fois-ci , suivies de près par l’Accord global sur les investissements (CAI) entre l'Union européenne et la Chine. Flanquée des patrons de Siemens, BMW, Volkswagen, Daimler, SAP, Boehringer Ingelheim et Claas, la chancelière allemande a réitéré son attachement à cet accord commercial censé normaliser la relation économique entre la Chine et son partenaire européen.
Cette sino-dépendance des entreprises allemandes devient plus criante (voir le graphique ci-dessous), au moment même où des pays précédemment favorables à des rapports commerciaux apaisés avec la Chine doutent. Le veto italien sur une éventuelle acquisition des semi-conducteurs IPE par une entité publique chinoise et l’annulation de la vente des camions IVECO au groupe FAW en sont les exemples les plus récents et les plus marquants.
Et si la cheffe du gouvernement allemand a bien évoqué l’importance de la ratification des conventions de l’Organisation internationale du travail sur le travail forcé et admis des “divergences d’opinion, en particulier au sujet de Hong Kong”, elle peine visiblement à rétablir le dialogue sino-allemand sur les droits de l’Homme. En face, le message de la Chine est clair, l’Europe doit se concentrer sur la relation commerciale et abandonner ses velléités d’ingérence politique dans les “affaires intérieures” chinoises.
En trois occasions, Angela Merkel n’aura toujours pas évoqué avec les autorités de Pékin les sanctions imposées à des parlementaires européens et au think-tank berlinois Mercator Institute for China Studies (MERICS) fin mars, en rétorsion aux prises de positions du Parlement sur la question des Ouïghours. Critiquée sur sa gestion de la relation avec Pékin, la chancelière voit son objectif de ratification de l’accord particulièrement menacé. Le parti des Verts allemands a le vent en poupe dans les derniers sondages en vue des élections fédérales de septembre 2021 et compte parmi ses rangs l’euro-député Reinhard Bütikofer, victime des sanctions chinoises, et ardent opposant du CAI qu’il n’hésite pas à qualifier de mort et enterré.
Négociations commerciales UE/Inde — un joyau brut à polir
Le sommet de Porto, « joyau de la couronne » de la Présidence portugaise du Conseil de l’Union européenne se tiendra ce samedi 8 mai 2021 — à distance pour le Premier Ministre Narendra Modi, confronté à la forte résurgence d’épidémie de COVID-19 sur le territoire Indien. Après 16 cycles de négociations entre 2007 et 2013, puis huit ans d’interruption pour divergences fondamentales, le sommet de Porto marque la reprise des négociations officielles en vue d’un accord sur le commerce et l’investissement, un des axes majeurs de la Feuille de route UE-Inde 2020-2025.
Cet accord est d’autant plus important que l’UE représente, en 2019, 11,1% du commerce extérieur indien (juste devant les États-Unis et la Chine), et est le premier investisseur en Inde avec 18% des flux d’investissements étrangers.
Dans l’ère post-pandémique, la réussite de ces négociations est un enjeu majeur pour Bruxelles et Delhi qui cherchent des solutions pour favoriser la croissance économique, face à une économie chinoise très peu touchée. L’urgence est plus prégnante pour l’Inde qui nécessite rapidement une plus grande intégration dans la chaîne de valeur mondiale, notamment suite à son retrait de l’accord RCEP, et afin de prouver à ses partenaires que le lancement d’Atmanirbhar Bharat ne signifie par un repli national de son économie.
Par ailleurs, si le Brexit a affaibli le poids de l’UE dans l’économie indienne - le Royaume-Uni représentant, en 2020, 16% des 53,7 milliards de dollars d’exportations indiennes vers l’UE - il devrait néanmoins faciliter les négociations, notamment concernant les migrations temporaires de travailleurs qualifiés d’Inde en Europe, un des principaux points bloquants lors des pourparlers de 2013. Reste à trancher la question des droits d’importation sur les automobiles et l’alcool de l’UE vers l’Inde, sujet stratégique pour la France et l’Allemagne.
Les négociations du Sommet de Porto devraient donc s’orienter sur un accord rapide pour faire face à l’urgence, comme l’avait plaidé en février dernier Piyush Goyal, ministre du Commerce, lors de sa rencontre avec le commissaire européen au commerce Valdis Dombrovskis. Dans une logique des petits-pas, ce « pré-accord », centré dans un premier temps sur les investissements, moins délicats à négocier, pourrait être suivi d’un accord de libre-échange plus ambitieux.
AIDES D'ÉTATS — L'enfer, c'est les autres.
La Commission européenne devrait dévoiler cette semaine un projet de règlement sur les investissements étrangers dont l'objectif serait de durcir significativement l'approche européenne à l'égard de la concurrence soutenue par des puissances étrangères, en particulier Pékin, jugée déloyale (FT, 27/04).
Actuellement, le contrôle des investissements étrangers relève de la compétence des États (en France, c'est une question qui se traite à Bercy). L'Union européenne dispose en outre de certains outils pour lutter contre les subventions étrangères déloyales, notamment les instruments de défense commerciale et le filtrage des investissements étrangers, qui vise à faire face aux menaces potentielles en matière de sécurité et de souveraineté. Néanmoins, ces règles visent essentiellement les aides d'États européens : elles ne sont donc pas adaptées aux subventions en provenance d'États tiers qui peuvent ainsi aisément sortir du cadre européen d'interdiction des aides d'États ou de contrôle des investissements directs à l'étranger.
Dans la logique du livre blanc publié l'année dernière sur le sujet par l'Exécutif européen, la Direction générale de la concurrence, sous la houlette de Margrethe Vestager, sortirait renforcée par ce nouveau règlement. Elle serait habilitée à intervenir dans les rachats d'entreprises de l'UE d'une valeur de 500 millions au moins ou les appels d'offres de marchés publics de plus de 250 millions d'euros, lorsqu'ils sont alimentés par des subventions publiques provenant de l'extérieur de l'Union. La DG COMP devrait aussi pouvoir ouvrir des enquêtes lorsque les seuils ne sont pas atteints, comme déjà prévu dans d'autres matières par le Digital Markets Act du 15 décembre 2020.
APPLE — Cas d'école de la modernisation du droit de la concurrence
Vendredi dernier (30/04), la Commission a communiqué ses griefs à Apple suivant la phase d'enquête approfondie ouverte par la plainte de Spotify de 2019. Même si elle s'inscrit dans un contexte de rébellion généralisée des développeurs d'application contre le fonctionnement de l'App Store, l'enquête porte sur les pratiques de l'entreprise en ce qui concerne les conditions d'accès à l'App Store et se limite aux services de streaming musical.
Dans son communiqué de presse, la Commission conclut (à titre préliminaire) que constitue un abus de position dominante la pratique qui consiste à rendre obligatoire l'utilisation du système d'achat intégré propriétaire ("IAP") d'Apple, facturé par une commission de 30% aux développeurs, pour la distribution de contenu numérique payant. Le document mentionne également les "dispositions anti-steering" en raison desquelles les développeurs d'applications sont restreints dans leur capacité à informer les utilisateurs des autres options d'achat.
Comme le relevait hier Chillin' Competition (03/05), la théorie du préjudice que la Commission entend poursuivre dans cette affaire ne va pas de soi : difficile en effet de considérer que Spotify (de loin le leader du marché) ait été exclu par les pratiques d'Apple (pratique d’exclusion). La légalité d'un comportement potentiellement excluant ne dépendrait donc plus d'une évaluation des effets anticoncurrentiels, évaluation caractéristique du droit de la concurrence moderne qui repose sur l'idée que la grande majorité des pratiques potentiellement abusives ne posent pas de problème dès lors qu'elles ne risquent pas d'avoir des effets anticoncurrentiels.
So what ? Cette nouvelle approche de l'évaluation des pratiques qualifiée de common carrier antitrust par les spécialistes depuis l’affaire Amazon (2020) intervient à un moment où le droit de la concurrence moderne est remis en question. Si elle est entérinée, cette analyse, qui décharge l'administration d'une partie de son travail d'enquête, peut lui permettre d'appréhender plus de pratiques nocives, en particulier dans le secteur du numérique.
THE BREXIT DIARIES — Le Parlement européen ratifie l’Accord
Après quatre mois d’application temporaire, le Parlement européen a finalement ratifié (le 27/04) l’Accord de commerce et de coopération du 24 décembre 2020 conclu entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Les accords entreront en vigueur le 1er mai 2021, concluant la longue saga entamée en 2016 par le référendum sur la sortie de l’Union européenne.
Les députés européens se sont prononcés à leur écrasante majorité pour l’Accord, par 660 pour sur 697 votants. Désormais, la balle est dans le camp du Conseil de coopération joint entre l’UE et le Royaume-Uni et à ses nombreux sous-comités techniques pour régler les différends d’application entre les deux parties, en matière de réglementation sur les produits sanitaires et phytosanitaires ou sur la pêche par exemple (FT).
De nombreux dossiers sont en cours de négociation. La question nord-irlandaise, pour laquelle deux procédures ont été engagées par la Commission contre le Royaume-Uni pour avoir prolongé la période de grâce du protocole nord-irlandais sur la frontière, n’est pas encore résolue. La ratification n’efface pas le coup de froid franco-britannique sur la pêche, Paris considérant “nulle et non avenue” les nouvelles exigences imposées par Londres pour la délivrance de permis de pêche dans les îles anglo-normandes (Le Monde). Enfin, les équivalences financières n’ont pas encore fait l’objet d’un accord, alors que Bruxelles a tout intérêt à patienter pour attirer des capitaux sur le continent.
WHAT'S UP?
LE JOB 🌱 — Nos amis de la newsletter tech désopilante TechTrash viennent de lancer une newsletter sur le climat : CLIMAX. Ils sont à la recherche du meilleur community manager pour animer leur communauté. Si c’est vous, vous pouvez leur écrire (hello@climaxnewsletter.fr) ou partager cette offre autour de vous.
ATLAS — Si vous n'avez pas ouvert d'atlas depuis longtemps, la Commission a lancé pour vous un « Atlas de la démographie » de l'UE, un outil interactif en ligne qui permet de visualiser, de suivre et d'anticiper les évolutions démographiques dans l'Union européenne.
MANCHOTS — L’UE a reçu la semaine dernière le soutien des États-Unis et de la Nouvelle-Zélande pour ses deux projets d’aire marine protégée dans l’Est de l’Antarctique et la mer de Weddell, couvrant une surface de 3 millions de km2. De quoi donner le sourire à Virginijus Sinkevičius, commissaire en charge du portefeuille “Environnement, océans et pêche”.
Cette édition de la Revue européenne a été préparée par Alice Delaire, Ghislain Lunven, Nabil Lakhal, Guillaume Thibault, Pierre Pinhas, François Hemelsoet, Hugues de Maupeou, Léo Amsellem, Thomas Harbor (rédacteur en chef) et Agnès de Fortanier (directrice de la publication). Pour en savoir plus sur les rédacteurs de What’s up EU!, c’est par ici.
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