Revue européenne | 31 août 2021
Relations Afghanistan / UE • Migration • taxe des multinationales en Irlande • données personnelles au UK
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne du mardi qui reprend avec la rentrée. Pour se remettre dans l’actualité, nous vous proposons de commencer ce matin par un focus sur les relations entre l’Afghanistan et l’UE. Bonne lecture !
DIPLO • Afghanistan, le reflux
Les relations entre Bruxelles et Kaboul
En bref • Deux semaines après la chute éclair du régime afghan, les États-Unis et certains pays de l’Union européenne, engagés militairement en Afghanistan depuis 2001, achèvent les opérations d’évacuation de leurs ressortissants et auxiliaires locaux, qui se trouvaient directement menacés. L’urgence gérée, l’UE et ses États membres doivent envisager le futur de leurs relations avec les talibans.
Le nouveau régime de Kaboul met en péril l’architecture de la relation avec l’UE, dont les liens sont multiples : depuis plusieurs années, l’UE apporte une aide humanitaire importante via ECHO, a mis en place un régime de préférence commercial ainsi que plusieurs accords de partenariat pour contribuer au développement du pays.
Trois enjeux sécuritaires rendent nécessaire une forme de coopération avec le nouveau régime :
la lutte contre le trafic international de stupéfiants, fortement développée depuis l’intervention américaine (10% du PIB afghan) ;
la lutte contre le terrorisme islamique, les derniers attentats à l’aéroport de Kaboul en ayant rappelé l’actualité ;
la stabilisation de la situation intérieure en tentant de préserver les acquis sociaux des dernières années, pour éviter des flux migratoires incontrôlables — à l’image de l’engouement à l’aéroport de Kaboul.
Réaction • Le communiqué de Charles Michel appelle au « dialogue avec les nouvelles autorités », ce qui permettrait à l’UE de continuer a exercer une certaine influence (normative) sur la population afghane.
La déclaration du Président du Conseil, alignée avec le communiqué du G7, prévoit de conditionner l’aide financière au respect par le nouveau régime de certaines obligations internationales, notamment au regard de la situation des droits de l’Homme.
Perspectives • L’incertitude des relations avec l’Afghanistan se traduit par une posture diplomatique encore hésitante : aucune reconnaissance officielle du régime n’a été exprimée, ni par les institutions de l’Union, ni par les États membres (contrairement à la Chine et la Russie par exemple) mais aucune fermeture officielle des ambassades n’a non plus été organisée, le personnel évacué continuant à travailler depuis l’Europe.
L’ “Autonomie stratégique” • L’épisode afghan peut renforcer la perspective d’une politique étrangère européenne plus affirmée. Dans une déclaration le 27 août, Thierry Breton voit dans le retrait unilatéral des troupes américaines la « forte dépendance » de l’Europe à Washington et plaide pour une « Europe de la Défense », passant, par exemple, par la création d’un Conseil de Sécurité européen, voire d’un Conseil européen en format défense.
Le cap de la Commission : éviter une nouvelle crise migratoire
Les potentiels flux migratoires que provoquerait l’exil de milliers d'Afghans réveillent les souvenirs de la crise migratoire de 2015. Au même moment, la Biélorussie fait pression sur les frontières extérieures de l’Union, au point de justifier une réunion d’urgence.
Quotas de réfugiés • Ylva Johansson, commissaire européenne aux affaires intérieures, a déjà demandé aux 27 de revoir à la hausse leurs engagements d’accueil de réfugiés et de quotas afin de venir en aide aux Afghans menacés. Dans le même sens, Ursula von der Leyen s’est engagée à mettre des fonds supplémentaires à disposition des États membres accueillant des réfugiés afghans.
Prudence • Les dirigeants européens restent prudents et Charles Michel rappelle leur détermination « à maintenir les flux migratoires sous contrôle et à protéger les frontières ». L’accent est mis sur la coopération avec la communauté internationale : Ursula von der Leyen, Charles Michel et Josep Borrell ont chacun affirmé leur volonté de travailler avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et les pays voisins de l’Afghanistan.
La tension monte et les souvenirs amers de 2015 refont surface. 25 États membres se sont déclarés « prêts à aider » les Afghans, la Bulgarie et la Hongrie se sont fait remarquer par leur absence. Certains États membres se sont déjà explicitement déclarés hostiles à l’accueil de réfugiés :
Janez Jansa, premier ministre slovène, dont le pays assure la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, a publié sur twitter des images de foules de migrants, accompagnées de la légende « l’UE n’ouvrira aucun couloir de migration depuis l’Afghanistan », avant même que les 27 aient pu adopter une position commune. Dans la foulée, David Sassoli et Paolo Gentiloni ont précisé que la déclaration slovène ne reflétait pas la position européenne.
Le chancelier autrichien, Sebastian Kurz, a déclaré qu’il n'ouvrira ses frontières à aucun exilé Afghan.
Michális Chryssohoïdis, ministre grec de la protection des citoyens, s’est rendu devant le mur précipitamment construit à la frontière turque, qu’il estime « inviolable ».
Le « Pacte sur la migration et l’asile »
La présidence du Parlement européen a suggéré que Bruxelles prenne les devants d’une répartition « égale » des réfugiés afghans entre les États membres et Commission européenne a appelé les États membres et le Parlement à trouver un accord sur sa proposition le Nouveau pacte sur la migration et l’asile.
Présenté par l’Exécutif européen en septembre 2020, le Pacte sur la migration et l’asile est un projet de réforme de la politique migratoire européenne mise en place pour l’essentiel avant la crise de 2015. Il intervient après l’échec des négociations du « Paquet asile » initiées en 2016 et prévoit la mise en place de trois nouveaux règlements pour mettre en œuvre :
une procédure de filtrage (screening) aux frontières extérieures de l’Union pour procéder à des vérifications d’identité ;
un règlement établissant un cadre de gestion de l’asile et de la migration, en remplacement du règlement Dublin III pour obtenir un meilleur équilibre entre “responsabilité et solidarité” en matière de gestion des migrants;
un règlement de gestion des situations de crise et de force majeure, pour répondre aux crises les plus graves
TAXE • Macron prêche la taxation des multinationales en Irlande
Emmanuel Macron, lors de sa première visite en Irlande, le jeudi 26 août, a indiqué ne pas mettre la pression mais plutôt « coopérer » et invité Dublin à se joindre aux autres États membres en acceptant les plans négociés par l'OCDE sur un nouveau taux d'imposition mondial d’au moins 15 % sur les bénéfices des entreprises.
Équité fiscale • Le taux actuel de 12,5 % a permis au Tigre celtique d'attirer d’importants investissements étrangers, notamment liés aux GAFAM et à l'industrie pharmaceutique. Le Président français a affirmé que « la situation est maintenant assez différente. Le monde post-Covid est nouveau. Cela nous oblige à changer le modèle économique classique » ; il a également insisté sur le sentiment d’injustice des contribuables nationaux (The Irish Times).
Réserves irlandaises et club des réfractaires • Le Premier ministre irlandais Micheál Martin a fait part de ses réserves sur les propositions de l'OCDE mais a déclaré vouloir engager l’Irlande « de manière constructive » dans ce débat (Politico). D’autre États membres, à savoir Chypre, l'Estonie, et la Hongrie ont émis des réserves — en attendant de proposer des exemptions lorsque les discussions reprendront en Octobre au sein de l’OCDE.
Brexit • Cette visite était aussi un moyen pour Emmanuel Macron de réitérer le soutien de la France au protocole nord-irlandais lié au Brexit (Le Monde), afin de préserver les Accords du Vendredi Saint.
BREXIT • d’irritants cookies
Pour signer la fin des « irritating cookie popups », « se fonder sur du bon sens, et non sur du box-ticking », bref pour « championing the international flow of data », jeudi dernier (26 août), Sir Oliver Dowden, ministre britannique du numérique, de la culture et des médias a annoncé la refonte de la règlementation sur les données personnelles, qui jusqu’au Brexit correspondait (principalement) au Règlement sur la Protection des Données personnelles européen.
La to-do list • Le chantier s’inscrit dans la National Data Strategy, une stratégie globale de croissance grâce au numérique. Il se déploie en trois branches : 1) le lancement d’une consultation cet automne ; 2) la nomination d’un nouveau Privacy Commissioner, probablement John Edward (tweet ci-dessous), l’actuel Privacy Commissioner de la Nouvelle-Zélande, et 3) des accords de transfert de données avec les Etats-Unis, Singapour, Dubaï, la Colombie, l’Australie et la Corée du Sud à l’instar de l’accord existant avec l’Union européenne.
La consultation sera menée par un Conseil de 15 experts issus du monde universitaire, de l’industrie et de la société civile, triés sur le volet (vous pouvez d’ailleurs y candidater jusqu’au 12 septembre via ce lien) et a pour objectif de « supprimer les obstacles inutiles aux flux de données transfrontaliers ».
Malgré les déclarations britanniques, le RGPD — qui s’exporte et s’applique jusqu’aux Etats-Unis — continuera à traverser la Manche lorsque des données personnelles d’Européens sont en jeu. C’est d’ailleurs notre sujet préféré, celui du « Brussels Effect ».
Merci à Marine Sévilla (bienvenue !), Gaëtan du Peloux, François Hemelsoet, Agnès de Fortanier et Thomas Harbor pour la préparation de cette édition. A mardi prochain !