Revue européenne | 30 novembre 2021
Coalition allemande🚦 • DMA/DSA • FDI et contrôle des exportations • Traité du Quirinal • PAC
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne du mardi, un condensé de l’actualité utile de la semaine. Bonne lecture !
ALLEMAGNE • L’accord de coalition
Mercredi dernier (24/11), le SPD, les Verts et le FDP ont présenté leur accord de coalition. Le document détaille les réformes prévues par le gouvernement de coalition qui sera dirigé par Olaf Scholz (SPD), actuel ministre des Finances d’Angela Merkel. Le contrat de gouvernement se veut une “alliance pour la liberté, l’équité et le développement durable” — une façon de contenter toutes les couleurs politiques représentées dans cette coalition “feu tricolore”.
ÉCONOMIE • Les trois partis avaient évidemment des programmes différents en matière de finances publiques. Le FDP, opposé à des hausses d’impôts, a obtenu le retour du debt break — une règle constitutionnelle qui limite le déficit à 0,35% du PIB.
La règle d’or allemande a été suspendue pour cause de pandémie de Covid-19 et ne sera réintroduite qu’en 2023. Ce que font les Allemands dans leur propre jardin aura des répercussions importantes au niveau européen : la question de la révision du Pacte de stabilité et de croissance agite de nombreuses capitales.
PSC • Sur le sujet, le contrat de coalition demeure relativement sibyllin. En notant que les règles actuelles du Pacte de stabilité et de croissance ont prouvé leur " flexibilité ", le contrat de coalition pourrait suggérer qu’une révision des critères de Maastricht n’est pas à l’ordre du jour pour Berlin. Mais le texte ne ferme pas la porte à une réforme — pour laquelle Paris et Rome qui poussent fort.
Dans un entretien à ZDF, le futur ministre des Finances, Christian Lindner (FDP) s’est dit conscient de la responsabilité de l’Allemagne pour préserver la cohésion de la zone euro, assurant que l’Allemagne ne rejetterait pas catégoriquement les dettes communes et l’assouplissement des critères de Maastricht (Pascal Thibaut, RFI).
“The German coalition agreement is not conclusive about Germany‘s fiscal position, neither at home nor in Europe. It is relatively open, stating principles and options. Which is … probably a good thing.”
— Christian Odendahl, Centre for European Reform
NGEU • La Facilité pour la reprise et la résilience (FRR), partie intégrante du plan de relance européen (NGEU), constitue un héritage clé de l’ère Merkel. Les partisans de la solidarité fiscale espèrent voir ce fonds, financé par l’émission d’une dette commune émise par la Commission européenne et remboursé par de nouvelles ressources propres, pérennisé. Nous n’en sommes pas encore là — le contrat de coalition pose bien qu’il s’agit d’un outil “temporaire” et “limité” mais pousse tout de même pour son financement par l’établissement de nouvelles ressources propres pour l’UE.
NOMINATIONS À VENIR • Deux postes cruciaux, pour lesquels les partis se sont répartis les nominations, sont à pourvoir. Jens Weidmann doit trouver un successeur à la Bundesbank, lequel sera nommé par le SPD, alors que les Verts auront le privilège de présenter le candidat allemand pour le poste de Commissaire européen après les élections européennes de 2024.
INSTITUTIONS EUROPÉENNES • Le volet institutionnel est sans doute le plus surprenant. Sa tonalité fortement intégrationniste fait écho au discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron en 2017, note Shahin Vallée pour Geoeconomics.
La conférence sur le futur de l’Europe doit déboucher sur des révisions des traités européens si nécessaire
Recours accru au vote à la majorité qualifiée au Conseil
Création de liste transnationales pour les élections au Parlement européen
Retour du spitzenkandidat, c.-à-d. la nomination comme président de la Commission du vainqueur des élections au Parlement européen — c’était le cas pour Juncker mais pas pour von der Leyen.
Utilisation des outils à la disposition de l’UE pour faire respecter l’état de droit.
▶︎ Retrouvez notre entretien avec Sacha Garben, professeur au Collège d’Europe à Bruges sur ce potentiel “Big Bang” institutionnel
ÉTAT DE DROIT • Sur la Hongrie et la Pologne, le ton change de façon éclatante. Le dialogue et la conciliation à la Merkel laissent place à un discours plus offensif sur les conséquences qui doivent découler des atteintes à l'État de droit au sein de l’UE. Il s’agit d‘une priorité pour les Verts qui n’entendent pas que la Commission se prive d’utiliser le mécanisme de conditionnalité des fonds européens au respect de l’état de droit voté en décembre 2020.
PÉKIN ET MOSCOU • La présence des Verts à la diplomatie devrait faire entrer les relations russo et sino-germaniques dans une nouvelle ère. Le contrat de coalition souligne cette nouvelle orientation, ce qui inquiète beaucoup les diplomates chinois (FT). Les Verts ont longtemps reproché à Angela Merkel de faire passer les intérêts commerciaux de l’Allemagne avant ses valeurs — de Nord Stream 2 au CAI, finalement torpillé à cause de la question du Xinjiang.
BIG TECH • ça s’active sur le DMA/DSA
Les orages s’accumulent à Bruxelles où les géants de la Tech sont dans le collimateur du Parlement européen, de la Commission et des États membres. Les ministres, réunis jeudi dernier (25/11) lors d’un Conseil compétitivité, ont adopté des orientations générales et apposé leur signature sur les propositions de législation concernant les marchés numériques (DMA). Mardi dernier (23/11), la commission marché intérieur (IMCO) du Parlement européen adoptait son projet de rapport sur le DMA, avant un vote en plénière prévu pour décembre. Bien que le comité IMCO n’ait pas encore voté sur le Digital Services Act (DSA), le Conseil a adopté ses orientations générales lors du Conseil du 25 novembre.
CONSEIL • Sur le DMA, le Conseil élargit la portée de l’article 12 du texte qui prévoit pour les contrôleurs d’accès (gatekeepers) identifiés par la Commission l’obligation de notifier leurs projets d’acquisitions d’autres gatekeepers. L’article 12 tel qu’il a été amendé prévoit que toute acquisition devra être notifiée aux services de la DG Concurrence — même ceux sous les seuils de notification prévus par le règlement 139/2004. Le texte réaffirme que seule la Commission sera chargée de l’application du règlement. Sur le DSA — qui viendra prendre le relai de la directive e-commerce de 2000 — le Conseil veut renforcer la responsabilité des plateformes quant aux contenus publiés, sans aller cependant jusqu’à remettre en cause leur statut d’hébergeur “passif”.
PARLEMENT • Sur le DMA, le comité IMCO a voté pour augmenter les amendes jusqu’à 20% du chiffre d’affaires annuel; le relèvement du seuil nécessaire pour être désigné comme gatekeeper — pour ne viser que les plus grandes entreprises; l’interdiction des publicités ciblées pour les mineurs; un renforcement de l’interopérabilité entre différentes plateformes. La proposition du Parlement donnerait aussi à la Commission le pouvoir d’interdire tout bonnement aux gatekeepers d’acquérir des sociétés en cas de défaillances répétées à respecter les obligations issues du DMA.
“MEPs have added a lot to the DMA to be tougher on tech and regulate more of the digital economy. For such far-reaching regulation, the effects are really not well analysed. The lack of any impact assessment of the Parliament’s amendments take the DMA deeper into unknown territory creating significant risks of unintended consequences for Europe’s digital economy.”
— Kayvan Hazemi-Jebelli, Computer & Communications Industry Association
ALLER VITE • Le Conseil et le Parlement ayant adopté leurs positions, les trilogues institutionnels peuvent commencer. La France, qui prend à partir de janvier 2022 la suite de la Slovénie à la présidence du Conseil de l’UE, entend bien profiter du momentum pour finaliser ces deux textes cruciaux au printemps 2022 — de préférence en avril avant l’élection présidentielle.
Lors d’un forum en ligne organisé par le FT et ETNO ce lundi, Margrethe Vestager a elle aussi appelé à une mise en œuvre rapide du texte, qui suppose l’accord du Conseil et du Parlement européen. Message reçu chez Google — dans Les Échos, Matt Brittin (Google EMEA) appelle à une adoption rapide, tant du DMA que du DSA, citant le “besoin de règles claires”. L’entretien est toutefois l’occasion pour Google de rappeler le risque économique que ferait peser une interdiction pure et simple de la publicité en ligne — parfois envisagée par les hard liners du comité IMCO —une chute de 80% des revenus des éditeurs en ligne et de nombreuses TPE/PME qui comptent sur la publicité ciblée pour trouver leurs clients.
Conseil de lecture — Comme le techlash opère autant à Bruxelles qu’à Washington, on vous recommande de lire le portrait de Lina Khan, choisie par Joe Biden en 2021 pour diriger la Federal Trade Commission (FTC), publié par le New Yorker dans son numéro de décembre : Lina Khan’s Battle to Rein in Big Tech.
AUTONOMIE STRATEGIQUE • FDI européen et contrôle des exportations, le bilan
La Commission a présenté mardi 23 novembre ses rapports sur le contrôle des investissements étrangers et le contrôle des exportations de biens susceptibles d’être utilisés à des fins militaires (les biens dits “à double usage”) :
CONTEXTE • Le règlement établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union instaure un mécanisme européen de coopération entre les États membres sur le contrôle des investissements étrangers (Règlement 2019/452). De son côté, le règlement sur le contrôle des exportations des biens à double usage (qui peuvent donc être utilisés à des fins militaires) instaure une procédure unique d’octroi de licence d’exportations au sein de l’UE (Règlement 2021/821).
Ces deux règlements font partie de la stratégie européenne d’autonomie stratégique et tentent d’apporter une réponse uniforme et proportionnée aux enjeux géostratégiques et géo-économiques que représentent d’une part les investissements étrangers dans certains secteurs stratégiques (défense, énergie, transport, R&D…) et, d’autre part, l’exportation de biens à double usage, comme les satellites et leurs composants par exemple.
PREMIER BILAN POUR LE FDI EUROPÉEN • Un an après son entrée en vigueur, le premier bilan de la mise en œuvre du nouveau règlement démontre l’efficacité du mécanisme de coopération :
la Commission a revu 400 investissements étrangers soumis à son contrôle par les États membres conformément à l’article 6 du Règlement, c’est-à-dire au mécanisme de coopération.
80% des opérations n’ont posé aucune difficulté et ont été approuvés en 15 jours seulement.
2 % des opérations examinées par la Commission dans le cadre du rapport ont été interdites, l’interdiction d’une opération est donc rare, mais pas seulement théorique.
EXPORTATIONS • De son côté, le rapport sur les biens à double usage révèle les exportations de ces biens à usage potentiellement militaire représentaient environ 2,3% du total des exportations de l'UE (soit 119 milliards d'euros en 2019). Depuis un an, plus de 30 000 demandes d'exportation de biens susceptibles d'être utilisés à des fins militaires ont été examinées par les États membres dans le cadre du régime de contrôle des exportations de l'UE et 603 demandes de licences d’exportations ont été bloquées par les États membres.
DIPLO • Dracon scelle son mariage en grande pompe
Le 26 novembre, Emmanuel Macron et Mario Draghi (“Dracon”) ont scellé l’amitié franco-italienne par le Traité du Quirinal. Celui-ci vise à mettre en place une coopération bilatérale renforcée dans différents domaines, tels que le développement économique, la transition écologique, l’immigration, la défense, la justice ou encore la culture, en se dotant d’instruments communs capables de donner une nouvelle impulsion à l’intégration européenne.
▶︎ Le Traité du Quirinal, France Diplomatie
BUMPY RELATIONSHIP • L’idée, née en 2018, a été suivie de longues négociations, marquées par des coups d’arrêts en raison de tensions diplomatiques entre les deux pays, lorsque les partis populistes étaient au pouvoir en Italie. La signature de ce traité marque désormais une pleine réconciliation et une volonté d’agir ensemble sur le plan européen.
PAS D’INFIDÉLITÉ À BERLIN • Alors que cette conclusion tardive a été qualifiée d’ “anomalie” par le Président français, faisant allusion au Traité de l’Elysée signé près de 60 ans plus tôt avec l’Allemagne, elle arrive précisément à un moment crucial, après la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et la fin de l’ère d’Angela Merkel.
Si Emmanuel Macron a souhaité dissiper l’idée que l’axe Paris-Rome se substituerait au tandem Paris-Berlin, il reste que le couple " Dracon ", selon l’expression de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, composé de deux hommes qui bénéficient d’une aura européenne, entend bien se servir de cette coopération pour définir les nouvelles orientations au niveau de l’Union, en commençant par la mise en place d’une coordination systématique entre les deux Etats avant les sommets européens.
VOLET EUROPÉEN • Le Traité du Quirinal consacre un chapitre entier à l’Europe. Rome et Paris souhaitent promouvoir la souveraineté européenne, en mettant l’accent sur la relance des investissements dans des domaines stratégiques tels que la transition énergétique, l’industrie et le digital. Et cela passe par la révision des règles du Pacte de stabilité et de croissance — dont les critères sont qualifiés d’obsolètes des deux côtés des Alpes.
AGRICULTURE • PAC adoptée, PAC contestée
L’édition 2023-2027 de la Politique Agricole Commune (PAC), historiquement le visage le plus visible des réformes bruxelloises, a été adoptée par le Parlement européen mardi dernier et se voit octroyer une enveloppe de 387 milliards d’euros (soit un tiers du budget de l’UE).
▶︎ Statement following vote by the European Parliament on the CAP reform, Commission européenne, 23/11
ÉTAT DES LIEUX • Les lignes partisanes ont été respectées — avec une réforme soutenue par la droite, les libéraux et une partie des socialistes mais fermement contestée par la gauche radicale et les Verts européens.
DES SURPRISES • Nouveauté majeure de cette réforme et résultat de difficiles pourparlers ces derniers mois : les éco-régimes liant le versement des aides à l’accomplissement supplémentaires de bonnes pratiques. Ces mesures de “verdissement” au cœur de la nouvelle réforme sont toutefois jugées insuffisantes par les ONG environnementales qui les qualifient de greenwashing. Un autre débat avait aussi traversé les négociations car la réforme laisserait une trop grande marge de manœuvre aux Etats selon ses détracteurs.
ENVI & AGRI • Alors que la France sera la première bénéficiaire de cette réforme et s’apprête à soumettre son Plan Stratégique National (PSN), document détaillant son usage des fonds alloués, un rapport d’octobre de la Cour des comptes enjoignait d’ores et déjà le gouvernement à “mieux valoriser les pratiques environnementales dans la déclinaison nationale de la PAC”. L’Autorité environnementale est même allée jusqu’à indiquer que le “juste niveau des enjeux environnementaux” n’était pas pris en compte. La dimension environnementale de ces réformes agricoles ne devrait donc pas disparaître de si tôt.
Nos remerciements aux rédacteurs de cette édition : Lorenza Nava, Pierre Pinhas, Bérangère Maurier, Agnès de Fortanier, Thomas Harbor. À mardi prochain !