Revue européenne | 28 septembre 2021
Chancellerie allemande • chargeurs d'iPhone • taxe • énergie • diplo • Brexit
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne du mardi, un condensé de l’actualité utile de la semaine. Bonne lecture !
ALLEMAGNE • Qui sera le nouveau chancelière ?
Après les élections du 26 septembre, trois possibilités s’offrent aux négociateurs des partis en lice pour composer la prochaine coalition. Selon les chiffres officiels, voici les coalitions possibles :
Une coalition “traffic light” représenterait 56,6% des voix, avec le SPD, les Verts et le FDP
Une coalition Jamaïque représenterait 55,2%, avec la CDU/CSU, les Verts et le FPD
Une grande coalition représenterait 54,7%, avec la CDU/CSU et le SPD
KINGMAKERS • Avec 14,8% et 11,5% des votes exprimés lors des élections du 26 septembre, les Verts et les libéraux du FDP décideront du futur chancelier allemand. Les négociations promettent d’être longues pour savoir qui du social démocrate Olaz Scholz (25,7%) ou du chrétien-conservateur Armin Laschet (24,1%) sera en mesure de former une coalition.
Les deux leaders ont annoncé entamer des négociations pour former une coalition, Armin Laschet ayant grillé la priorité à Olaf Scholz, la tradition voulant que le parti arrivé en tête initie les discussions avec ses partenaires éventuels. Si le leader du SPD dispose d’une légitimité forte à envisager une coalition avec le FDP et les Verts, leurs divergences significatives en matière de fiscalité et de changement climatique risquent de faire échouer les négociations.
HIBERNATION • L’effacement allemand se fait déjà ressentir : Berlin s’est abstenu de prendre une position ferme sur la déclaration finale de la première rencontre du Trade and Technology Council à Pittsburgh, rendant les négociations difficiles.
Entre les négociations allemandes et les présidentielles françaises, l’UE se prépare à une séquence politique complexe : difficile en effet de prendre position sur la révision des critères d’endettement et de déficit posés par le Pacte de stabilité et de croissance sans connaître la couleur de la Chancellerie allemande — et en particulier celle de son futur ministre des finances.
DEPUIS PARIS • Emmanuel Macron verrait l’arrivée d’Olaf Scholz à la Chancellerie comme un encouragement en faveur de l’agenda réformiste européen. Ces espoirs pourraient être refroidis si le SPD doit s’appuyer sur le FDP de Christian Lindner, dont l’orthodoxie budgétaire tolère peu le laxisme attribué aux pays du Club Med.
De nombreuses capitales craignent les conséquences d’un retour à une position allemande intransigeante en matière de discipline fiscale, soutenue par la CDU/CSU ou le FDP, avec potentiellement les mêmes conséquences que lors de la dernière crise financière. Emmanuel Macron voudrait pousser pour une réforme importante du Pacte de stabilité et de croissance, perçu comme inadapté à la sortie de crise économique et aux besoins d’investissement au sein de l’UE. Mais la tâche sera compliquée si Berlin fait la sourde oreille.
L’avenir des eurobonds NGEU, dont les capitales les plus dovish espèrent qu’ils deviendront en un instrument de financement permanent pour l’UE, dépend également très fortement de la future coalition au pouvoir à Berlin.
TECH • Chargeurs universels
Le 23 septembre, la Commission européenne a proposé une législation visant à mettre en place une “solution de charge universelle” (communiqué) : l’Exécutif européen entend imposer un port USB-C à tous les chargeurs.
GÂCHIS • Après être parvenu à réduire le nombre de modèles de chargeurs de téléphonie mobile de 30 à 3 cette dernière décennie, la Commission européenne veut parachever son œuvre, pour répondre à la frustration des consommateurs et endiguer l’accumulation de déchets électroniques.
L’objectif est de réduire ces déchets en incitant les consommateurs à utiliser des chargeurs préexistants lorsqu’ils achètent un nouveau téléphone. Les chargeurs mis au rebut ou non utilisés représentent 11 000 de déchets électroniques par an selon la Commission européenne.
FOUDRE • Bruxelles s'attaque frontalement à Apple, qui produit ses propres chargeurs pour iPhone (Lightning). À l’inverse, les produits Android ou Samsung sont très largement compatibles avec des ports USB. Apple a rétorqué que la législation européenne était “anti-innovation”.
En tout état de cause, il s’agit d’une démonstration de la force réglementaire de la Commission européenne (on parle d’Effet Bruxelles) qui oblige Apple à s’aligner sur le standard réglementaire d’un marché de 450 millions de consommateurs. Selon une note de recherche de Wedbush Securities, le changement de réglementation pourrait coûter jusqu’à 1 milliard de dollars à Apple (NYT).
WHAT’S NEXT • La proposition de directive de la Commission doit encore être débattue par le Parlement européen et les capitales européennes. La Commission espère que la directive pourra voir le jour en 2022, point de départ du délai biennal des États membres pour transposer la directive.
TAXE • l’Irlande reste un endroit “fantastique” pour les multinationales
Le Vice-Premier ministre irlandais, Leo Varadkar, a annoncé mardi dernier que l’Irlande préfère être partie à un accord international sur la fiscalité des multinationales – et ne veut pas être perçue comme un paradis fiscal. Si ces annonces ont réjoui les partisans de l’accord, le Vice-Premier ministre a précisé qu’il n’était pas en mesure de se prononcer sur une éventuelle adhésion à l’accord de l’OCDE (Irish Independant).
UN VENT D'ATLANTIQUE • L’élection de Joe Biden a pris de court les plans européens pour l’harmonisation de la fiscalité des multinationales. Le nouveau locataire de la Maison Blanche veut revenir sur deux décennies marquées par un double phénomène de concurrence et d’évasion fiscale comme le soulignent Ben Judah et Shahin Vallée dans un récent rapport pour le German Council on Foreign Relations (DGAP).
LEVEL PLAYING FIELD • L’accord de l’OCDE propose d’établir un taux plancher pour l’impôt sur les sociétés des multinationales, ce qui crispe particulièrement l’Irlande où l’impôt sur les sociétés est à 12,5%. L’Irlande accueille de nombreuses multinationales, et notamment les GAFA qui ont choisi Dublin comme base européenne.
Dublin n’est pas la seule capitale à faire la moue. La Hongrie et l’Estonie ont jusqu’ici refusé d’apposer leur signature à l’accord qui a reçu le soutien de 130 pays sur les 139 inclus dans le cadre de l’accord de l’OCDE (Euronews).
Les décisions qui portent sur la fiscalité sont prises à l’unanimité du Conseil européen, le véto d’un seul de ces États pourrait donc faire échec à une application unifiée de l’accord au sein de l’UE.
WHAT’S NEXT ? • Le Vice-Premier ministre irlandais a tenu à souligner que l’imposition prévue dans le cadre de l’OCDE ne s’appliquerait qu’aux multinationales dont le chiffre d’affaires excède 750 millions d’euros, ce qui permettrait à l’Irlande de conserver son attractivité fiscale.
Selon le Financial Times, la signature irlandaise pourrait être obtenue à condition de fixer l’imposition minimale à 15%, et non à “au moins 15%” comme l’accord le prévoit en l’état. Pour certains, cette annonce par le Premier ministre est surtout une façon de tester l’opinion publique sur le sujet (POLITICO).
La prochaine réunion sur le sujet doit avoir lieu le 8 octobre.
DIPLO • Torpiller le Trade and Technology Council
Jeudi dernier, la Commission européenne a confirmé que la première réunion du Trade and Technology Council (TTC) entre les États-Unis et l’UE prévue, demain, le 29 septembre à Pittsburgh aurait bien lieu (porte-parole). Le sort de cette réunion inaugurale était en suspens après l’annonce de l’alliance États-Unis-Australie-Royaume-Uni (AUKUS) et l’annulation de la commande australienne de sous-marins français.
COOP’ TRANSAT’ • Annoncé avec fanfare lors du sommet UE/USA de juin, le TTC devait symboliser le retour de la confiance transatlantique érodée par Donald Trump. La première réunion du TTC doit permettre aux parties en présence d’accorder leurs violons sur quatre aires de coopération prioritaires : le contrôle des investissements étrangers, les restrictions aux exportations, l’intelligence artificielle et les semi-conducteurs.
L’objectif du TTC est d’anticiper les points de friction entre les États-Unis et l’UE sur le commerce et la technologie. Les sujets sont nombreux : échanges de données, interrompus depuis l’invalidation par la CJUE du Privacy Shield, tarifs douaniers américains sur l’acier…
TORPILLER LE TTC • Après l’annonce de l’alliance AUKUS, la France a rappelé ses ambassadeurs en Australie et aux États-Unis, annulé un gala à Washington pour les 240 ans de la bataille des caps, dénoncé un “coup dans le dos” et essayé de torpiller la première réunion du TTC. Thierry Breton, soudainement plus français que commissaire, s’était exprimé en faveur d’une pause et un “reset” des relations transatlantiques (POLITICO).
Après une vague de soutiens (Allemagne et Commission, notamment) contre les mauvaises manières des Américains, Paris a eu plus de mal à faire de cette affaire un sujet véritablement européen. Pour beaucoup d’États membres, l’agenda transatlantique ne doit pas être pris en otage par les sous-marins français. C’est une victoire pour les atlantistes pro-marché, comme Vestager et Dombrovskis, sur les partisans de “l’autonomie stratégique”.
LA SUITE • Á défaut de l’annuler, Paris veut mettre des bâtons dans les roues de la réunion de Pittsburgh. La réunion préparatoire des ambassadeurs de l’UE s’est terminée sans accord sur une déclaration conjointe des européens sur le TTC. En cause : les demandes supplémentaires françaises sur les semiconducteurs, l’autonomie stratégique de l’UE, et l’insertion d’une référence à la prochaine réunion du TTC en mars prochain — pendant la présidence française du Conseil de l’UE (Mehreen Khan).
ÉNERGIE • de l’eau dans le gaz et de l’électricité dans l’air
En France, le mégawattheure a franchi la barre symbolique de 100 euros le 9 septembre (Le Monde). Les factures d’électricité flambent partout en Europe, du fait d’un hiver long et d’une baisse des livraisons de gaz en provenance de Russie. C’est aussi, selon Bruno le Maire, imputable à la réglementation des prix de l’énergie au sein de l’Union.
COCORICO • Sur Public Sénat le 26 septembre, Bruno le Maire s’est prononcé pour une révision d’ensemble du mécanisme européen des prix de l’énergie, jugé “obsolète”. Le ministre français a prévu de “poser la question sur la table” lors du Conseil européen du 4 octobre (Les Échos).
"En France, on s'approvisionne en électricité à partir des centrales nucléaires et de l'énergie hydraulique, donc on a une énergie décarbonée et un coût très bas, mais le marché (...) fait qu'il y a un alignement des prix de l'électricité en France sur les prix du gaz"
— Bruno le Maire, Public Sénat
EXPLICATIONS • Du fait des directives européennes sur le marché intérieur de l’énergie, les prix de l’électricité et du gaz sont alignés. L’augmentation du prix de l’électricité est donc liée à celle du gaz ou de la tonne de CO2 sur le marché des quotas d’émission.
L’électricité française est produite grâce au nucléaire et à l'hydroélectrique une électricité décarbonée à 90% et peu onéreuse (Bloomberg). Cet alignement se fait au détriment du portefeuille des Français — une préoccupation à l’approche des présidentielles.
BREXIT • Londres amorce sa divergence réglementaire avec Bruxelles
Lord David Frost, ministre britannique chargé des relations avec l’UE, s’est exprimé à la Chambre des Lords le 16 septembre sur les “opportunités offertes par le Brexit”. Son allocution (texte ici) suit la création d’une taskforce sur l’innovation, la croissance et la réforme réglementaire, dont l’objectif est de trouver de nouvelles opportunités à exploiter dans un monde où Londres est libéré du joug réglementaire bruxellois.
ACTION PLAN • Au-delà des annonces, dont certaines sont essentiellement symboliques (notamment le rétablissement formel des pouces et des onces), Londres veut opérer une revue générale du droit de l’UE préservé en droit interne britannique (“retained EU law”) après le Brexit.
“We are going to conduct a review of so-called “Retained EU law” and by this, I mean the very many pieces of legislation which we took onto our own statute book through the European Union (Withdrawal) Act of 2018 and we must now revisit this huge, but for us, anomalous, category of law.”
— David Frost, discours du 16 septembre 2021
EXPLICATIONS • Le European Union Withdrawal Act de 2018 abroge le European Communities Act de 1972 par lequel le Royaume-Uni est devenu membre de l’Union. Il entérine la fin de la primauté du droit de l’Union sur le droit national britannique.
Pour assurer la continuité juridique, le Withdrawal Act copie-colle l’ensemble des dispositions européennes votées jusqu’à la sortie du Royaume-Uni de l’Union, excepté la Charte des droits fondamentaux.
Le Royaume-Uni garde le stock mais coupe les flux en provenance de Bruxelles. Les règlements et directives européens ainsi que la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE (CJUE) ont été intégrés au sein d’une catégorie autonome de règles en droit interne britannique (le “retained EU law”).
Merci à Marine Sévilla, Hugues de Maupeou, Agnès de Fortanier et Thomas Harbor pour la rédaction de cette édition.