Revue européenne | 23 novembre 2021
Aides d'État • Publicité ciblée • État de droit • Boussole stratégique • BCE
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne du mardi, un condensé de l’actualité utile de la semaine. Bonne lecture !
CONCURRENCE • Les aides d’État pour soutenir la reprise
La Commission européenne a adopté jeudi dernier (18/11) une « communication sur une politique de concurrence adaptée aux nouveaux défis », disponible ici. Ce document vise à définir le rôle que doit jouer le droit de la concurrence dans la reprise économique de l’Union européenne, qui se veut à la fois verte, digitale et résiliente.
POLICY REVIEW • Cette communication s’intègre dans la revue d’ensemble des outils du droit de la concurrence actuellement en cours au sein de l’UE. L’objectif est de déterminer quelles révisions sont nécessaires — du contrôle des concentrations à l’antitrust en passant par les aides d’État.
La période est charnière pour la DG Concurrence. Entre le chantier législatif que représente le Digital Markets Act (DMA), la sortie progressive (repoussée à juin 2022) du régime temporaire appliqué aux aides d’État et la volonté de promouvoir une politique industrielle européenne (en matière de semi-conducteurs notamment), la DG Concurrence ne manque pas de dossiers.
REPRISE ÉCONOMIQUE • Pour Margrethe Vestager, c’est l’occasion de répéter que la concurrence est saine pour l’économie de l’UE — « C’est pourquoi une politique de concurrence efficace est aujourd’hui plus que jamais nécessaire pour donner à l’économie européenne la souplesse et le dynamisme de surmonter les défis auxquels elle est confrontée » (conférence de presse).
Depuis la mise en sommeil du régime européen d’aides d’État en mars 2020, la Commission européenne a donné son blanc-seing à plus de 3 100 milliards d’euros de subventions publiques. Mais Margrethe Vestager fait comprendre que le droit de la concurrence reprendra ses droits — la Commission veillera à ce que le Covid-19 ne soit pas le prétexte à une course aux subventions publiques entre États membres de l’UE. Mais la DG Concurrence ne compte pas brider la reprise économique ou mettre des bâtons dans les roues du financement de la double transition numérique et écologique.
VESTAGER CHIPS IN • Les tensions d’approvisionnement de semi-conducteurs ont poussé la Commission à lâcher la bride en matière de subventions— une concession à la volonté affichée de se voir développer une « autonomie stratégique » en la matière. Du côté de la DG Concurrence, l’on veut s’assurer que ces aides seront nécessaires, adaptées et proportionnées.
Le sujet met à nu les tensions entre la DG Concurrence et les équipes du commissaire au marché intérieur (Bloomberg). Thierry Breton fustigeait le 12 novembre à Dresde « l’étroitesse d’esprit » et la « naïveté » de ceux qui ne croient pas à la nécessité d’une stratégie industrielle européenne — un discours qui a dû plaire à Paris et Berlin, deux capitales toujours passablement irritées par le souvenir de l’affaire Alstom-Siemens.
👉 Autre sujet important dans la sphère concurrence cette semaine, la Commission a publié hier (22/11) les résultats de sa consultation sur la révision du Règlement sur les restrictions verticales (lien).
DSA • L’interdiction des publicités ciblées en ligne sur la table
L’UE est en plein chantier législatif avec le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA), destinés à régenter ce que l’internet doit être. Une question se trouve à l’intersection des deux, par ses implications sur les structures de marché d’une part et sur la vie privée d’autre part : la publicité ciblée en ligne.
Alors que le Parlement tente de se mettre d’accord sur la position à adopter quant à la publicité en ligne dans le cadre du DMA, le Comité européen de la protection des données (CEPD) a publié un communiqué vendredi dernier (18/11) appelant à une réglementation plus stricte de la publicité en ligne dans le cadre du DSA.
LE CEPD S’EN MÊLE • Le CEPD, qui rassemble les représentants des autorités nationales chargées de la protection des données des 27 États membres de l’UE, considère qu’une régulation plus intense de la publicité en ligne est requise pour préserver les droits fondamentaux des citoyens de l’Union, dans le cadre du Digital Services Act.
The European Data Protection Board also considers that online targeted advertising should be regulated more strictly in the DSA in favour of less intrusive forms of advertising that do not require any tracking of user interaction with content and urges the co-legislature to consider a phase-out leading to a prohibition of targeted advertising on the basis of pervasive tracking while the profiling of children should overall be prohibited. — European Data Protection Board / Comité européen de protection des données
PARLEMENT EUROPÉEN • Le CEPD prend le relai du Parlement européen — dont la commission marché intérieur (IMCO) s’est montrée très active sur le sujet. Le groupe S&D pousse pour une interdiction pure et simple de la publicité ciblée en ligne (Contexte).Cependant, il est improbable que le Parlement européen dans son ensemble soutienne une telle proposition, comme l’ont rappelé des eurodéputés pendant les débats du comité IMCO (Tech Crunch). Par ailleurs, la réception d’une telle proposition sera vraisemblablement peu chaleureuse à la Commission, consciente des conséquences économiques pour le marché de la publicité en ligne et pour de nombreuses entreprises européennes.
TECHLASH • Lors de son audition au Parlement européen le 8 novembre, la lanceuse d’alerte Frances Haugen avait appelé à une régulation plus sévère de la publicité en ligne (communiqué de presse). Sa visite en Europe, savamment orchestrée par Reset, un lobby anti-tech, lui a valu le titre de “lanceuse d’alerte la plus professionnelle du monde” (Politico).
Se sachant dans le viseur, les GAFA essaient de montrer patte blanche. Le 9 novembre, Facebook annonçait le retrait de certains services de publicité ciblée qui permettaient de cibler les contenus en fonction de l’orientation sexuelle ou de l’affiliation politique de l’internaute (Facebook).
RIPOSTE • Les représentants de la tech soulignent qu’une interdiction pure et simple affecterait de nombreuses sociétés en Europe dans leurs efforts pour atteindre des clients. 16 associations professionnelles prennent la plume le 12 novembre — quelques jours après l’audition de Haugens par le comité IMCO.
Les signataires, dont Allied for Startups ou la Computer & Communications Industry Association — qui représente Facebook et Google — demandent au Parlement européen de bien considérer les implications d’une interdiction de la publicité ciblée (lettre ici).
We encourage the European Parliament to carefully assess the impact of any measures on targeted advertising, before imposing severe limitations or bans. Advertising plays an important role for businesses operating in Europe. Advertising enables millions of small businesses to reach local customers. Overall, more nuance should be brought to the debate around online advertising. — Lettre au Parlement européen, 12 novembre 2021
ÉTAT DE DROIT • La Commission tape du poing sur la table et prend la plume
Au Parlement européen vendredi dernier (19/11), Ursula von der Leyen agitait, à propos de la question polonaise, le spectre d’un recours en manquement (art. 258, TFUE), l’activation du mécanisme de conditionnalité des fonds européens à l’État de droit et la déchéance des droits de vote selon la procédure prévue à l’article 7 du TUE (verbatim).
Le même jour, la Commission a adressé des lettres aux représentants permanents hongrois et polonais auprès de l’UE pour leur demander de s’expliquer sur les violations persistantes à l’État de droit, dans un délai de deux mois (FT). Un changement de ton assez radical entre les paroles et les actes.
VARSOVIE • Concernant la Pologne, la Commission s’inquiète — sans grande surprise — de l’indépendance du pouvoir judiciaire ainsi que du récent arrêt K.3/21 du Tribunal constitutionnel qui a déclaré inconstitutionnelles certaines dispositions des Traités européens.
👉 Notre saga sur la Pologne : 12 octobre; 19 octobre; 26 octobre et 2 novembre .
BUDAPEST • Côté hongrois, l’Exécutif européen a notamment mis l’accent sur la corruption et les risques de conflits d’intérêts. La Commission demande à Budapest de lui fournir la liste des 10 premiers bénéficiaires d’aides européennes via la politique agricole commune (PAC).
Ce lundi, Viktor Orban a également pris la plume, non pas pour envoyer la liste des 10 noms demandée par la Commission mais pour demander à l’Exécutif européen de retirer la demande envoyée à la Cour de justice début novembre.
La Commission demande à la Cour d’imposer une astreinte à la Hongrie pour ne s’être pas conformée à un arrêt sur le traitement des demandeurs d'asile en Hongrie. Pour le gouvernement hongrois, la situation migratoire avec la Biélorussie change la donne et justifie une recul de Bruxelles (Bloomberg).
MONEY • Selon Politico, dans les lettres, la Commission a insisté sur le fait que ces violations constituent « un risque pour la protection des intérêts financiers de l’Union ». Cet argument provient directement du Règlement de conditionnalité, qui vise à conditionner l’accès aux fonds européens au respect de l’Etat de droit.
NE NOUS PRESSONS PAS • Pour autant, il ne faut pas voir dans cette action de la Commission un déclenchement du mécanisme en question. La Commission refuse de déclencher le mécanisme — malgré la pression du Parlement européen — avant que la Cour de justice de l’UE n’ait tranché la question de sa légalité, contestée par la Hongrie et la Pologne en mars 2021. Une opinion initiale est attendue début décembre, et la décision de la Cour pour début 2022 (FT).
DIALOGUE INFORMEL • Il ne s’agit en effet que d’un simple envoi de lettre, une « étape informelle » qui ne constitue dès lors pas une mise en œuvre de la procédure décrite dans le règlement. En effet, la procédure débute véritablement par une « notification écrite à l’Etat membre concerné » (art. 6 du Règlement).
Comme pour la procédure de l’article 7, à laquelle avaient été ajoutées des procédures préalables de dialogue, la Commission ajoute des étapes « informelles » et privilégie l’outil diplomatique pour calmer les critiques, comme celles émises par le Parlement européen, qui a récemment initié un recours en carence à l’encontre de la Commission pour son retard dans la mise en œuvre du règlement de conditionnalité.
NGEU • Sujet distinct mais néanmoins connexe — les plans de relance Next Generation EU de la Pologne (36 milliards d’euros) et de la Hongrie (7,2 milliards d’euros) n’ont toujours pas été approuvés par les services de la Commission européenne.
DIPLO • L’UE s’arme d’une boussole
Le HRVP de l’Union pour les affaires étrangères, Josep Borrell, a présenté le 12 novembre les priorités de la future “boussole stratégique” de l’UE. Le chef de la diplomatie européenne se défend d’avoir produit un énième “policy paper” sans lendemain mais veut y voir le futur “guide opérationnel” de l’UE en matière de sécurité et de défense.
Le théâtre stratégique de l'UE est de plus en plus contesté, en raison des défis lancés par de nouveaux acteurs ambitieux, des démonstrations de force militaire et des stratégies de déstabilisation faisant appel à la cyberguerre et à la désinformation. L'époque où la paix et la guerre constituaient deux états clairement distincts est révolue. Nous sommes et serons de plus en plus confrontés à des situations hybrides qui nécessitent un large éventail de moyens défensifs. — Josep Borrell, le 12 novembre 2021
PRÉCÉDENT • La boussole est proposée cinq ans après la Stratégie Globale pour la politique étrangère et de sécurité commune (SGUE) élaborée par la précédente HRVP, Federica Mogherini. La SGUE appelait en 2016 à une harmonisation des capacités des armées européennes afin de favoriser leur interopérabilité, en s’appuyant notamment sur une flopée de structures et de mécanismes : Coopération structurée permanente (CSP), Fonds européen de Défense (FED) et Revue annuelle coordonnée de défense (CARD) — l’ensemble étant coordonné par l’Agence européenne de Défense (AED) créée en 2004.
Les avancées poussives et l’absence de progrès majeurs en cinq ans ont souligné la nécessité d’aplanir les divergences de visions entre Etats-membres. La « boussole stratégique » doit mettre fin au flou sémantique — “souveraineté européenne”, “autonomie stratégique” et autres “responsabilité stratégique européenne” — qui permet de ménager les États membres mais rend impossible la définition d’un cap clair.
Doivent donc être clarifiées les divergences autour de questions-clés relatives à la défense de l’Europe, et en premier lieu le rôle de l’UE vis-à-vis de l’OTAN, l’armement — et la possible “préférence européenne” — et les stratégies à adopter vis-à-vis des régions stratégiques et des théâtres de crises — Est, Sud, Afrique, Indo-Pacifique.
CAPACITÉS MILITAIRES ET PROCESSUS DÉCISIONNEL • Le texte appelle à un renforcement des capacités militaires de l’Union et à définir un nouveau cadre de partenariat avec les alliés.
La Boussole stratégique prévoit la création d’une force opérationnelle de 5 000 hommes, capable d’intervenir dans des zones de conflits d’ici 2025. La mise en place très lente de la task force Takuba au Sahel par la France ces deux dernières années a tant montré le désir de certains États membres de s’impliquer davantage dans le domaine de la défense et de la sécurité de l’UE que la nécessité de créer un dispositif permanent en termes d’opérations militaires.
SOFT LAW • Dépourvu de valeur contraignante, ce texte a été débattu la semaine dernière lors des réunions du Conseil des ministres des affaires étrangères et de la défense alors que les tensions s’accumulent à l’Est, en Ukraine et en Biélorussie. La Boussole stratégique devrait être adoptée au cours de la Présidence française de l’UE en mars 2022. La question de l’autonomie stratégique de l’UE étant chère à Emmanuel Macron, il est attendu que Paris pousse autant que possible pour relever le niveau d’ambition du texte.
BCE • La normalisation de la politique monétaire attendra
La présidente de la Banque centrale européenne s'exprimait vendredi (19/11) devant le 31e Congrès bancaire européen à Francfort. Le message est clair : la BCE "ne doit pas se précipiter dans un resserrement prématuré" de sa politique monétaire — tant en matière de taux que d’achats d’actifs.
DIVERGENCES À FRANCFORT • La BCE avait déjà cherché à refroidir les attentes d'une hausse des taux d'intérêt pour 2022, à la suite de la réunion de politique monétaire de la BCE d'octobre (Bloomberg).
Vendredi, Christine Lagarde a déclaré que des taux d'inflation élevés (4,1% en octobre) étaient susceptibles de perdurer encore jusqu'à la fin de l'année, mais qu'il était peu probable que la BCE relève ses taux d'intérêt l'année prochaine — surtout à l’aune de la dernière vague de Covid-19 qui frappe l’Europe.
Prenant le contrepied de Christine Lagarde, Jens Weidmann, le président (démissionnaire) de la Bundesbank, mettait en garde lors de la même conférence contre les risques d’une politique monétaire expansionniste prolongée. Le président de la Bundesbank doute que l’inflation puisse revenir sous l’objectif de 2% dans les prochaines années (FT).
DIVERGENCE MONDIALE • La BCE s'écarte de plus en plus des autres grandes banques centrales, telles que la Réserve fédérale des États-Unis (Fed) et la Bank of England (BoE), qui ont réagi à la récente poussée de l'inflation en promettant de resserrer leur politique. Au début du mois de novembre, la Fed a commencé à réduire ses achats mensuels de 120 milliards de dollars et a annoncé son intention de les réduire de 15 milliards de dollars par mois. Elle est donc sur la bonne voie pour supprimer totalement ses mesures de relance d'ici le milieu de l'année prochaine. La BoE pourrait commencer à relever ses taux d'intérêt dès le mois prochain.
Nos remerciements aux rédacteurs de cette édition : Lorenza Nava, Marceau Ferrand, Andrei-Bogdan Sterescu, Agnès de Fortanier, Thomas Harbor. À mardi prochain !