Revue européenne | 23 mars 2021
3 questions à Thierry Breton • Chine • Parlement européen • Turquie • Brexit • Mercosur • Politique • InvestEU • Secteur aérien
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne ! Nous éditons chaque mardi une newsletter documentée, précise et lisible pour vous informer sur l’actualité européenne de la semaine.
3 QUESTIONS À THIERRY BRETON — Le Certificat vert numérique
Le “certificat vert numérique” proposé par la Commission fait l'objet de nombreuses spéculations, souvent contradictoires. Pour y voir plus clair, nous avons posé trois questions à Thierry Breton, “super-commissaire” européen chargé du marché intérieur.
Pour moi, citoyen résident dans l'Union, que va changer le certificat vert numérique ? Et pour mon entreprise ?
Le premier objectif du Green Digital Certificate, que nous espérons lancer à l’été, c’est de faciliter la mobilité au sein de l’Union européenne. Concrètement, lorsque vous voyagerez entre États membres, pour raisons personnelles ou professionnelles, vous pourrez présenter ce certificat. Il vous permettra alors d’éviter les restrictions de déplacement, telle qu’une quarantaine par exemple. C’est une réponse européenne aux multiples barrières qu’imposerait une solution différenciée par état membre.
S'agissant la version numérique du certificat vert, quelles sont les implications en terme de protection des données personnelles de santé ?
Le certificat n’indiquera qu’un nombre limité d’informations, celles qui sont strictement nécessaires. Pour des raisons d’identification, seule la validité du certificat sera vérifiée : qui l’a émis et qui l’a signé. Les données de santé restent entre les mains des états membres. Nous ne prenons aucun risque avec les données des citoyens.
L'une des principales réalisations de l'Union européenne en matière de libre circulation des personnes est l'abolition des contrôles entre les États membres de l'espace Schengen. La nécessité de présenter un document officiel de l'Union, alors que nombre de pays obligent déjà de présenter des déclarations sur l'honneur, n'est-ce pas une restriction de plus à la libre circulation des citoyens ?
Le but du Green Digital Certificate n’est pas de freiner la mobilité, au contraire. C’est pour cela que nous ne parlons pas de passeport, mais de certificat. Celui-ci ne sera donc pas une condition pour voyager, mais établit une façon commune à tous les États membres de prouver que quelqu’un est vacciné, présente un test négatif ou s'est remis du Covid. Nous sommes convaincus que seule une approche européenne facilitera la mobilité au sein de l’Union Européenne.
RELATIONS SINO-EUROPÉENNES — Les “hyènes folles” attaquent, les “loups guerriers” montrent leurs crocs (pas les chaussures)
Ce lundi, et après trois mois de vives critiques portant sur le traitement des droits de l’Homme par le CAI, l’Union européenne a adopté des sanctions contre des officiels du Parti communiste au Xinjiang (FT). Pékin a immédiatement répliqué, surnommant les chercheurs français de “hyènes folles”, les diplomates chinois des “loups guerriers”… (le communiqué est ici) et visant, inter alia, 5 eurodéputés, la sous-commission droits de l'homme du Parlement européen, le Comité politique et de sécurité du Conseil de l’UE et le Mercator Institute for China Studies. En France, l’ambassadeur de Chine a été convoqué par le quai d’Orsay, après les amabilités adressées par l’ambassade de Chine au chercheur Antoine Bondaz (Fondation pour la recherche stratégique).
► On vous en dit plus dans What’s up Asia la semaine prochaine.
PARLEMENT EUROPÉEN — Une nouvelle famille politique à droite ?
Suite au départ du Fidesz du Parti populaire européen (PPE), Viktor Orbán a indiqué être en contact avec le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki et l’ancien ministre de l’intérieur Mateo Salvini en vue « réorganiser la droite européenne ».
Le Premier ministre hongrois a annoncé vouloir « construire une droite démocratique européenne qui offre un foyer aux citoyens européens qui ne veulent pas de migrants, qui ne veulent pas de multiculturalisme, qui n'ont pas sombré dans la folie LGBTQ, qui défendent les traditions chrétiennes de l'Europe, qui respectent la souveraineté des nations » (NDLR : traduit de l’anglais)
L’idée d’une nouvelle droite avait déjà été émise avant les élections européennes de 2019, mais le projet n’avait pas abouti. Pour le moment, 25 députés du PiS figurent parmi les membres du groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE) tandis que 28 députés de la Ligue sont dans les rangs du groupe Identité et Démocratie (ID). En cas de succès de l’alliance avec le Fidesz et ses 12 députés, ce nouveau groupe serait, à priori, composé d’au moins 65 membres, sur un total de 705, et n’aurait donc pas plus de poids que l’actuel CRE composé de 63 députés. Reste à voir si le trio parvient à rallier à sa cause d’autres partis.
UE / Turquie — Européens et Turcs bossent fort pour obtenir une détente
À l’approche du prochain Conseil européen des 25 et 26 mars, peut-on envisager un rapprochement entre l’Union et la Turquie ? La visioconférence préparatoire qui a réuni vendredi Ursula Von der Leyen et Charles Michel avec le Président Erdoğan, a donné lieu à un communiqué soulignant « l'importance d'une désescalade et d'un renforcement de la confiance pour permettre un agenda UE-Turquie plus positif». Le président turc, qui veut rétablir “des discussions de haut niveau”, avait, plus tôt en janvier, radicalement changé de ton vis-à-vis de l’Union par rapport aux joutes verbales qui avaient émaillé l’année 2020. Étaient notamment en cause, les activités turques en Méditerranée Orientale — jugées “agressives” par l’UE, et l’activisme turc en Libye et dans le Haut-Karabagh. Ces événements s’ajoutent à des contentieux plus anciens dont la crise chypriote, l'implication d'Ankara dans le conflit en Syrie, son rôle dans la crise migratoire, et la situation intérieure quant au respect des droits de l’Homme et de la démocratie.
L’UE doit toutefois rester particulièrement vigilante face aux déclarations turques. D’une part, car ce changement de posture témoigne des contraintes qui pèsent sur Ankara : nouveau président aux États-Unis, fragilité de l'économie nationale (la livre turque ayant plongé lundi de 17% face au dollar suite au limogeage du chef de la banque centrale) et surtout, effet produit par l’adoption unanime de sanctions européennes lors du conseil européen du 11 décembre 2020. D’autre part, car les faits rappellent l’éloignement turc du cadre souhaité par l’UE, et sapent la crédibilité et la confiance accordée à ses dirigeants. Ainsi, la Turquie a été, la semaine passée, successivement mise en garde par l’UE contre l’interdiction du deuxième plus grand parti d'opposition — le HDP, et critiquée par le Conseil de l’Europe suite à sa sortie du protocole d’Istanbul sur les violences faites aux femmes.
L’avenir des relations UE-Turquie devrait s’articuler autour d’un rapport, actuellement préparé par Josep Borrell pour ce Conseil européen. Le rapport comprendrait, outre un renouvellement de l’accord migratoire et du soutien financier associé, une modernisation de l’union douanière. Cependant, ces propositions seraient assorties de conditions et surtout de sanctions si la Turquie devait manquer à ses engagements. Soit en somme une posture “de coopération sanctionnable”, que l’UE pourrait également avoir face aux Britanniques, « nouveaux turcs de l’Europe ».
THE BREXIT DIARIES — Réserve d’ajustement et exemptions fiscales à Gibraltar
Les Européens se querellent avec et à propos du Royaume-Uni. La saisine de la CJUE par la Commission d’un recours contre le Royaume-Uni au motif qu’il n’a pas récupéré des aides d’État illégales accordées à Gibraltar ne sera certainement pas de nature à calmer les relations déjà glaciales entre le bien nommé David Frost et Maroš Šefčovič (communiqué). Au sein du club européen, les désaccords concernent la réserve d’ajustement au Brexit, qui vise à financer les effets négatifs du Brexit sur les économies européennes (communiqué).
Après l'enclenchement de procédures légales contre le Royaume-Uni sur le protocole nord-irlandais (FT), la Commission ouvre un recours concernant Gibraltar. La décision de la Commission de saisir la CJUE n’aidera certainement pas à la détente entre Londres et Bruxelles. Les faits remontent à 2018. La Commission s’est penchée sur le régime d'exonération fiscale des revenus générés par les intérêts passifs et les redevances de propriété intellectuelle à Gibraltar (décision ici). Ce régime était constitutif d’une aide d’État illégale et obligation était faite aux autorités britanniques de récupérer les sommes indûment accordés, soit environ 100 millions d’euros. Les montants n’ayant pas été entièrement récupérés, la Commission passe la vitesse supérieure et saisit le juge de Luxembourg.
La réserve d’ajustement au Brexit sert à accompagner la transition jusqu’en 2026 de certains secteurs particulièrement affectés par la sortie du Royaume-Uni (communiqué). Elle est dotée de 5 milliards d’euros. Deux critères sont pris en compte: l’impact sur le commerce et l’impact sur la pêche dans les zones économiques exclusives britanniques. Mais leur impact est pondéré par le poids du PIB des pays récipiendaires dans l’économie européenne, ce qui conduit à favoriser les petits pays comme l’Irlande ou le Luxembourg. Pour la pêche, les pays disposant d’une seule façade maritime, comme les Pays-Bas, se trouvent privilégiés. La France serait ainsi la première contributrice nette de cette réserve, une situation difficilement acceptable politiquement au regard de l’impact du Brexit sur certaines régions. L’Espagne et l’Italie ont rejoint l’Armada pour réclamer une révision des clefs d’allocation au Conseil. Un volontarisme rapidement dénoncé par la presse irlandaise et flamande.
COMMERCE & ENVIRONNEMENT – L’Accord UE - Mercosur ne sort pas du bois
Vendredi 19 mars dernier, à la suite d’une enquête en réponse à la plainte de cinq associations de défense de l’environnement, la Médiatrice européenne Emily O’Reilly révélait que la Commission européenne n’avait pas attendu les résultats de son étude d’impact sur le développement durable avant de conclure les négociations de l’accord de libre-échange Mercosur-UE. La révélation d’Emily O’Reilly a de quoi donner de l’eau au moulin aux détracteurs de l’accord, qui l’accusent de donner un blanc-seing à “Bolsonaro le déforesteur”. Cela fait aussi office de mise en garde pour la Commission. Attention pour ses prochaines négociations commerciales à ne pas mettre la charrue avant les bœufs, argentins ou non.
Après vingt ans de négociations et sa présentation en grande pompe par la Commission Juncker en fin de mandat, l’accord de libre-échange Mercosur-UE est devenu le symbole de la difficile mutation environnementale de la politique commerciale européenne. Un mois seulement après avoir présenté sa nouvelle stratégie d’accords commerciaux — “ouverte, durable et volontariste” — la Commission Von der Leyen se retrouve à défendre un accord à rebours de sa nouvelle ligne politique.
Alors que le Parlement européen tente de combattre l’accord depuis sa présentation, c’est au tour du Conseil de se retrouver retrouver divisé. Le 8 mars dernier, l’Autriche rejoignait la France, la région belge de Wallonie (récidiviste) et les Pays-Bas en apposant son veto à l’accord, sous motif d’incompatibilité avec les objectifs du Pacte Vert européen. Problème, le Portugal a lancé sa présidence de l’UE en janvier sous le signe de la géopolitique et a fait de la ratification de l’accord son cheval de bataille. Accompagné de l’Espagne, l’Italie et la Suède, Lisbonne tente de forcer Emmanuel Macron, chef de file des opposants, dans un dilemme cornélien. Si les pays du Mercosur acceptent de nouveaux engagements environnementaux — une demande de Paris — l’Élysée sera obligé de lâcher les lobbies agricoles français, autres opposants au deal, pour crier victoire sur sa ligne géopolitique verte. Une véritable samba avec le feu.
POLITIQUE — De Rome à Amsterdam, les antiseptiques gagnent du terrain sur les eurosceptiques
Dans la foulée de l’arrivée de Mario Draghi au Palais Chigi et de la réélection de Mark Rutte, on ressent un souffle européen. Il s’agit plutôt d’un “point de côté” électoral pour les partis europhobes, dont les conséquences sur les échéances à venir pour l’Union seront considérables dans le marathon de la reprise économique post-Covid.
En Italie, l’arrivée de Mario Draghi à la tête du gouvernement a été accompagnée d’un changement de cap de la part des grands partis politiques désireux de s’éloigner des rhétoriques populistes qui ont défini les discours politiques depuis la crise de 2008. C’est le cas du M5S qui a choisi le très policé ex-premier ministre Giuseppe Conte comme nouveau leader du parti, signalant une rupture avec le radicalisme eurosceptique adopté comme ligne directrice jusqu’à présent (Les Échos). Du côté de la Ligue, Matteo Salvini a également soutenu Draghi et promis de troquer son tablier de vociférant europhobe pour une posture plus modérée.
Les élections néerlandaises la semaine dernière ont confirmé le leadership du premier ministre Mark Rutte et de son parti politique centre-droit VVD (People’s Party for Freedom and Democracy), avec une nouvelle coalition qui devrait peu ou prou rassembler les mêmes partenaires. Le scrutin est marqué par la montée en puissance du parti libéral pro-européen D66, arrivé second. Ce score lui ouvre l’accès aux postes les plus influents, dont le ministère des finances. Les politiques de rigueur fiscale aux Pays-Bas étaient jusqu’à présent sous l’égide du CDA (Christian Democratic Appeal), qui est sorti largement affaibli des élections, tout comme le PVV de Geert Wilders. Si Mark Rutte reste un euro-critique assez sévère, le score de D66 pourrait l’amener à mettre un peu d’eau dans son vin.
Sur le continent européen, les divisions nord-sud sont traditionnellement associées aux disparités économiques et la rigueur budgétaire entre les pays de la ligue Hanséatique et/ou les frugaux d’une part, et le club Med d’autre part. Orphelins d’un allié allemand soudainement converti à la relance massive et privés du grain de sel britannique, les partisans du respect du pacte budgétaire semblent un peu malmenés dans cette Union covidée. À cet égard, les élections allemandes pourraient enfoncer le clou si les Verts, plutôt peu réticents à l’expansionnisme fiscal, réalisent une percée électorale.
INVEST EU – Le Conseil de l’UE adopte le programme d’investissement
Le Conseil de l’UE a adopté le 17 mars le programme d’investissement Invest EU. Le programme vise à entraîner des investissements à hauteur de 370 milliards d’euros sur la période du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 adopté par le Conseil européen et le Parlement en décembre 2020. Invest EU repose sur une garantie de 26 milliards d’euros assurée par le budget européen. À travers des partenaires financiers parmi lesquels la Banque européenne d’investissement (BEI) joue un rôle central, il vise à orienter des fonds privés vers les infrastructures durables, la R&D, le financement des PME et les investissements dans l'éducation et la formation.
Ce programme prend la suite du Plan Juncker, lancé en novembre 2014 afin de renverser la tendance à la baisse des investissements. En créant le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), celui-ci avait permis de financer des projets d’investissement peinant à trouver des capitaux privés, souvent du fait de leur caractère risqué. Selon les calculs de la BEI, le plan Juncker a été un large succès et aurait entraîné une augmentation du PIB de 0,9% et créé 1 million de nouveaux emplois (2019). Face à ces chiffres (certes fournis par une institution juge et partie) on comprend que la Commission veuille renouveler l’expérience.
Pour s’inscrire dans les objectifs européens, notamment de neutralité carbone en 2050, Invest EU devrait à tout le moins respecter le “do not harm principle” en matière environnementale et sociale. Peut-être serait-il également judicieux d’intégrer dans ses critères la taxonomie verte européenne, dont l’entrée en vigueur se fait progressivement entre 2020 et 2023.
SECTEUR AÉRIEN — Dans l’air du temps ?
Engagée dans l’entreprise commune de réduction des émissions de gaz à effet de serre, la Commission européenne a directement critiqué l’initiative CORSIA (Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation) de l’ONU. Celle-ci serait « peu susceptible de modifier » l'impact climatique des voyages aériens selon l’analyse révélée la semaine dernière par le site Transport & Environment. En effet, avec un prix du carbone trop bas, la proposition de l’Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) serait la “pire option” pour lutter contre les émissions du secteur aérien et rendrait impossible la concrétisation des objectifs européens.
La création du marché unique du transport aérien à la fin des années 90 avait contribué à l’augmentation des liaisons et de facto à celles des émissions dans le secteur. Ce dernier avait donc intégré le système d'échange de quotas de CO2 en 2012. Seuls les vols internes à l’espace européen sont pour l’instant inclus dans le système d’échange de quotas d’émission mais la révision du système prévue en juin 2021 devrait de nouveau inclure les vols internationaux depuis et vers l’UE. Bruxelles continuerait dès lors de suivre sa propre ligne réglementaire au détriment de la proposition onusienne.
Il faut trouver un terrain d’entente pour répondre à la demande croissante de réduction des émissions de CO2 du secteur aérien. La statistique selon laquelle les “grands voyageurs”, représentant 1 % de la population mondiale, ont causé la moitié des émissions de carbone de l'aviation en 2018, extraite d’une étude américaine, a marqué les esprits. La réduction des émissions du secteur aérien passera-t-elle par de nouvelles énergies et technologies, des régulations environnementales plus contraignantes ou le flygskam (un terme suédois qui signifie la honte de prendre l’avion) ? Un peu des trois probablement.
Cette édition de la Revue européenne a été rédigée par Hélène Procoudine-Gorsky, Léo Amsellem, Alexandra Philoleau, Hugues de Maupeou, Nabil Lakhal, François Hemelsoet, Ghislain Lunven, Pierre Pinhas, Thomas Harbor et Agnès de Fortanier. Pour en savoir plus sur les rédacteurs de What’s up EU!, c’est par ici.
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